1985-Seul contre Tous !

Troisième partie d’une trilogie inavouée commencée avec Voyage au bout de l’enfer et La Porte du paradis. Véritable « film de guerre en temps de paix » comme le définit Cimino, il s’agit d’un thriller urbain qui met en scène la croisade personnelle d’un flic vétéran du Vietnam contre le chef de la mafia chinoise de New York. Stanley White, seul contre ses collègues et supérieurs hiérarchiques, est persuadé de l’existence des triades chinoises, organisation criminelle secrète et millénaire, qui a étendu son empire aux Etats-Unis et règne sur le trafic de l’héroïne. Produit par Dino de Laurentiis le seul à l’époque à oser confier un film important à Cimino, devenu un pestiféré aux yeux des studios américains et coécrit avec Oliver Stone qui venait de signer Conan le barbare et Scarface, L’Année du dragon est un film magnifique qui se montre digne des précédents films de Cimino et prouve que le cinéaste n’a rien perdu de son génie, malgré la blessure de La Porte du paradis. Certes le film est moins ambitieux dans sa structure. D’une durée plus classique, il évoque davantage Samuel Fuller ou Raoul Walsh, par sa violence et son énergie, que Luchino Visconti.

 

 

On retrouve tout de même quelque chose du cinéma de l’auteur du Guépard, l’un des maîtres revendiqués par Cimino, dans ce mélange de vérisme, de glamour, les trois acteurs principaux dégagent une sensualité sauvage qui dénote avec l’habituel professionnalisme hollywoodien et de souci maniaque du détail et d’envolées lyriques, sans compter l’emploi inhabituel de comédiens non professionnels dans des rôles importants. Cimino réaffirme aussi son goût pour les cérémonies. Au mariage de Voyage au bout de l’enfer et aux bals de La Porte du paradis succèdent plusieurs cortèges funèbres et des obsèques dans L’Année du dragon, film de mort et de deuil. Le film se déroule dans un Chinatown sublimé par une reconstitution en studio à la fois stylisée et plus vraie que nature. Cimino se vante dans les bonus d’avoir berné Stanley Kubrick, un enfant de Brooklyn. Cimino insère toutefois un voyage en Thaïlande dans son récit, digression qui renforce l’importance du personnage du chef des triades, Joey Tai/John Lone, présenté comme un homme visionnaire, moderne et intelligent tandis que son ennemi Stanley White, supposé être le héros du film, est un flic raciste, borné et brutal. Splendidement mis en scène et photographié, L’Année du dragon est pourtant mal reçu aux Etats-Unis car on y fait l’amalgame entre le racisme de son personnage principal et les opinions de Cimino, ce qui est absurde…Et se solde par un nouvel échec commercial et critique, aussi injuste que celui qui avait sanctionné le chef-d’œuvre de Cimino La Porte du paradis cinq ans plus tôt.

 

Dans L’Année du dragon Cimino poursuit sa réflexion sur le drapeau américain, le mythe et la réalité du melting-pot dans l’Histoire des Etats-Unis, sa part d’ombre et son refoulé, violent et honteux. Le patriote Stanley White (Mickey Rourke, 28 ans au moment du tournage, qui joue un quadragénaire usé) a américanisé son patronyme d’origine polonaise. Il est d’origine étrangère comme les Chinois à qui il a déclaré la guerre. White apparaît comme un cousin des ouvriers sidérurgistes de la communauté ukrainienne en Pennsylvanie de Voyage au bout de l’enfer, ou un descendant des migrants d’Europe de l’Est arrivés au Wyoming à la fin du XIXème siècle dans La Porte du paradis. Loin d’ostraciser la population sino-américaine, L’Année du dragon ravive des plaies mémorielles et rappelle que des milliers d’immigrés Chinois furent sacrifiés lors de la construction des voies de chemins de fer pour relier la côte est et l’ouest des Etats-Unis. Traités comme du bétail, ils furent effacés des manuels d’histoire, exclus de la légende de la conquête de l’ouest. Dans ses trois films Cimino ose dire que l’Amérique fut bâtie sur des génocides, des mensonges, des trahisons. Dans ses commentaires décidément passionnants Cimino nous apprend qu’il dut supprimer la phrase finale de L’Année du dragon, sa seule concession aux studios qu’il regrette encore. Le survivant Stanley White, en enlaçant sa maîtresse la journaliste Tracy Tzu, la belle Ariane et lui disait…

 

Quand on fait une guerre assez longtemps, on finit par épouser son ennemi.



 

 

 

 

Michael Cimino. Cinéaste maudit de l’Amérique

Par Olivier Delcroix

 

 

 

 

Considéré aussi bien comme un génie que comme un cinéaste maudit à Hollywood, il laisse derrière lui des œuvres aussi fortes que dérangeantes. Décédé à l’âge de 77 ans, ce génie atypique du Nouvel Hollywood aura enfin vu s’ouvrir La Porte du paradis après son Voyage au bout de l’enfer. Son œuvre aussi géniale que dérangeante aura marqué au fer rouge le cinéma américain. Il n’avait pas touché une caméra depuis plus de vingt ans. The Sunchaser en 1995. Né le 3 février 1939 à New York, Michael Cimino est assez vite qualifié de « petit prodige de Long Island ». Diplômé en arts au Michigan State University, il poursuit ses études Yale en se spécialisant dans le théâtre et l’architecture. Mais c’est d’abord du côté des agences publicitaires de Madison Avenue les fameux «Madmen», représentés dans la série éponyme qu’il fait carrière en réalisant quelques spots publicitaires mémorables. En 1972 pourtant, il met un pied dans le cinéma, en collaborant au film de science-fiction de Douglas Trumbull* Silent Running, avec Bruce Dern. *Directeur des effets spéciaux du 2001 L’Odyssée de l’espace de Kubrick Ce premier space opera écologique, qui annonce à la fois Soleil Vert et Star Wars, lui met le pied à l’étrier.

 

 

 

Quatre ans plus tard, il est repéré par Clint Eastwood qui achète le script d’un film qui deviendra Le Canardeur. Eastwood fait totalement confiance à ce petit jeune homme, tout de noir vêtu, qui passe son temps à lire de la littérature russe, de Nabokov à Pouchkine, sans oublier Tolstoï, Lemontov ou Tchekhov. Le grand Clint vient de lancer sa maison de production Malpaso. Il confie à Cimino les clefs de la réalisation du Canardeur/Thunderbolt and Lightfoot. Le premier film de Cimino est une ode aux paysages sauvages des États-Unis. Les deux braqueurs doux dingues que sont Eastwood et Jeff Brigdes, traversent les plaines de l’Ouest, en semant le chaos et en faisant parler la poudre, dans une sorte de synthèse étonnante entre le western à la John Ford et le thriller façon Don Siegel. Fruit atypique du Nouvel Hollywood, Cimino poursuit sa route avec un authentique chef-d’œuvre, Voyage au bout de l’enfer/The Deer Hunter réalisé en 1978. La guerre du Vietnam hante alors l’Amérique. En suivant le destin de trois personnages Robert De Niro, Christopher Walken et Meryl Streep pris dans la tornade de cette effroyable guerre, Cimino signe un film aussi violent que magistral, salué par le Tout-Hollywood, et qui récoltera cinq Oscars, dont celui du meilleur réalisateur. C’est un peu l’anti-Apocalypse Now de Coppola. On se souviendra longtemps de la séquence de la roulette russe, dont Spielberg avoua un jour à Cimino qu’elle resterait pour lui un grand moment de mise en scène et de tension cinématographique.

 

Vient alors le temps de La Porte du paradis/Heaven’s Gate. Cimino est considéré comme le «wonder boy du cinéma américain». On lui alloue un budget exceptionnel de 40 millions de dollars pour son western allégorique de 3h39, avec Isabelle Huppert, Chris Kristopherson et Christopher Walken. Fresque ambitieuse suivant la vie de James Averille et sa participation à la «guerre du comté de Johnson» qui vit se dresser en 1890 de pauvres immigrants d’Europe de l’Est face à de riches propriétaires de bétail du Wyoming, le film sera un cuisant échec, tant commercial que critique. Cimino entre alors dans la catégorie des cinéastes maudits. D’aucuns disent qu’il vient à lui seul d’enterrer le cinéma américain d’auteur, et qu’il met fin à l’ère du Nouvel Hollywood. Après une longue période de purgatoire, Cimino revient aux affaires comme on renaît de ses cendres, avec un polar crépusculaire, explosif et violent L’année du Dragon, sorti en 1985. Adapté du livre de Robert Daley paru en 1982, le film met en scène un flic revenu de tout, Stanley White, magnifiquement incarné par Mickey Rourke, qui débarque à Chinatown pour mettre un terme à la vague de violence qui s’abat sur le quartier chinois de New York durant les fêtes du Nouvel An. Oliver Stone et Cimino troussent un script implacable, lyrique, violent, sans concession. La mafia chinoise issue des Triades y est décrite comme beaucoup plus dangereuse que la mafia italienne. C’est ainsi que le héros du film, immigré polonais revenu traumatisé par le Vietnam, même s’il est le « flic le plus décoré de la ville », se comporte comme un va-t-en guerre. Sa phrase fétiche, « Je veux le chaos ! », en dit long sur le personnage: Stanley White mène un combat qui ressemble à une croisade purificatrice contre le crime organisé. C’est sans doute pour cela que le film créera à nouveau la polémique à sa sortie, étant taxé de film « raciste ». Cimino, revenu de tout, déclara lors d’une interview en 2014 pour le magazine Sofilm…Moi, on m’a collé toutes les étiquettes. J’ai été traité d’homophobe pour Le Canardeur, de fasciste pour Voyage au bout de l’enfer, de raciste pour L’année du Dragon, de marxiste pour La Porte du Paradis et de violent pour La Maison des otages…» Même si le film provoqua un scandale, L’année du Dragon reste le dernier grand sursaut du Cimino. Le Sicilien (1987), La Maison des otages (1990) et The Sunchaser (1995) sont des œuvres mineures en regard des autres films qu’il aura signé tout au long de sa carrière. Ses dernières années, Cimino qui vivait retiré des plateaux de cinéma, songeait à revenir derrière la caméra. Celui qui mettait au pinacle John Ford, Akira Kurosawa et Luccino Visconti rêvait de mettre en scène un film sur le Tour de France, d’adapter le roman de Malraux La Condition humaine, et formait même le projet de réaliser un film en langue sioux. Le chaos aura eu raison de tout cela. Reste une œuvre fondatrice, dérangeante, puissante. Une œuvre cinématographique aussi précieuse qu’accidentée qui aura marqué le cinéma américain au fer rouge.

 

 

 

 

En 2012, au festival Lumière de Lyon, à l’occasion de la réédition triomphale de La Porte du paradis, fraîchement restauré. Il avait savouré en tremblant la standing ovation des 5000 spectateurs accroché aux bras d’Isabelle Huppert et de Jo Ann Carelly, sa productrice de toujours. Michael Cimino fut le temps de deux ou trois films un immense cinéaste travaillé par le classicisme américain, la modernité européenne et le romanesque russe, le digne descendant de John Ford, de Samuel Fuller, de Clint Eastwood, mais aussi de Visconti et Leone, l’égal de ses pairs générationnels Coppola, De Palma ou Scorsese. De son parcours de cinéaste, il confiait lors de cette rencontre lyonnaise de 2012…

 

Vous êtes la dernière merveille, puis on vous écrase, puis on vous remonte à nouveau. Ce rituel américain est tellement archétypal qu’on en fait même des films…Montée, chute, remontée, on pourrait citer mille titres ! Ce schéma exige que vous soyez traîné dans la boue puis que vous renaissiez couvert de sang.

 

 

 

 

Pour Michael Cimino, c’est, après Voyage au bout de l’enfer et La Porte du Paradis, la poursuite de son exploration explosive des fondations de l’Amérique. Pour le scénariste Oliver Stone, c’est le retour au Vietnam et à ses démons personnels avec le héros est un vétéran salement marqué qui a une revanche à prendre. Et pour la star Mickey Rourke, c’est l’occasion unique d’égaler le charisme et la pugnacité de Humphrey Bogart. Quant à l’essence du film, c’est la conquête et la guerre dans un « pays de Cocagne » à la fois libre et fermé sur lui-même, l’Amérique, comme terre épique de combats. A l’origine du film, il y a un roman policier de Robert Daley, paru en 1981, dont le producteur Dino De Laurentiis achète les droits, rêvant de faire son Parrain à lui, avec comme arrière-fond, non pas la mafia italienne mais les triades asiatiques et leur implantation à New York. Il engage rapidement Cimino pour développer le projet, n’ayant pas oublié, contrairement aux producteurs hollywoodiens, que ce cinéaste génial n’est pas seulement l’auteur d’un échec commercial historique La Porte du Paradis mais aussi et surtout l’auteur d’un succès couvert d’Oscars Voyage au bout de l’enfer. On peut penser ce qu’on veut du De Laurentiis des années soixante-dix/quatre-vingt, avec ses King Kong et Flash Gordon balourds, ou son Dune tronqué, mais on peut lui être reconnaissant d’avoir remis Cimino en selle. Dans un premier temps du reste, Cimino rechigne à prendre en charge l’adaptation de L’Année du Dragon, arguant que les personnages du roman sont trop vieux. Puis il se prend au jeu et parvient aisément à convaincre De Laurentiis de rajeunir les protagonistes songeant d’ailleurs à Nick Nolte et à Jeff Bridges avant de prendre Mickey Rourke, alors en pleine ascension grâce à Rusty James et au Pape de Greenwich Village.

 

Cimino prend Oliver Stone pour le seconder dans son travail d’adaptation et pour accentuer toutes les références aux vétérans du Vietnam. Cimino tient Stone en haute estime comme scénariste et il appuie auprès de De Laurentiis son projet de réaliser Platoon. Cimino et Stone, comme à leur habitude, s’immergent pendant de longues semaines dans l’univers qu’ils veulent dépeindre, mais ce n’est pas sans peine, car l’omerta dans le milieu des triades est la plus élevée qui soit. Un informateur, en rupture avec un parrain local, leur fournira cependant la matière nécessaire. Pour faciliter son travail, Cimino fait reconstituer Chinatown en studio par Wolf Kroeger…Il paraît que Kubrick lui-même n’y a vu que du feu !)et engage le grand directeur de la photo Alex Thomson…Excalibur, La Forteresse noire, Legend, connu aussi pour sa rapidité d’exécution il est son propre opérateur, sauf quand un Ridley Scott l’en empêche pour tenir lui-même la caméra. Le récit de L’Année du Dragon est classique, dans le meilleur sens du mot comme dans Les Incorruptibles, autre chef-d’œuvre qui viendra deux ans plus tard, il s’agit du combat sacré entre un homme du peuple incorruptible et un criminel hautain, parrain sans scrupules mais qui ne manque pas d’audace et de panache. Cependant Cimino va plus loin que De Palma et ne recherche pas uniquement le gangster movie de prestige, Stanley White/Mickey Rourke et Joey Tai/John Lone ne sont pas aussi clairement opposés que Ness et Capone. Ils se ressemblent même dangereusement. Ce sont deux ambitieux qui gravissent ensemble les échelons, deux stratèges qui vont de l’avant et bousculent tout…Les convenances, les étapes, la hiérarchie. Comme tous les héros d’Oliver Stone, ce sont des têtes brûlées, des combattants à demi-fous, des hommes en manque de reconnaissance et de respect qui foncent droit dans le mur pour se fracasser volontairement la cervelle, pour en finir une bonne fois pour toutes avec leurs démons. White est le démon de Tai, Tai est le démon de White. Le stupide racisme anti-Chinois de White n’est que le refoulement inavoué du racisme qu’il a lui-même vécu en tant que petit-fils d’immigrés polonais, au point de changer son nom en « White » ! Et c’est ce même racisme que connaissent les Chinois en Amérique depuis toujours, y compris Joey Tai auprès de la mafia italienne par exemple, racisme que le film prend soin de dénoncer hautement avec le beau personnage sacrificiel de Herbert Kwong (Dennis Dun), qui évoque avec émotion la souffrance de ses ancêtres durant la construction du chemin de fer américain. 

 

A l’évidence, mais cette évidence est ici ce qui confère au film sa dimension d’affrontement légendaire, Stanley White et Joey Tai sont un seul et même homme, et le reflet persécuteur qu’ils se renvoient ne peut que les mener à l’autodestruction. L’un est l’Ombre jungienne de l’autre, son potentiel honni, comme le signale leur attirance magnétique tout au long du film, ils se retrouvent sans cesse, dans tous les endroits, et comme le montre surtout leur affrontement final, sur le pont ferroviaire, un affrontement aux frontières du fantasme et du désir…Nuit noire trouée de faisceaux lumineux, fuite de Tai dans un premier temps, puis coup de folie, retour en arrière et précipitation vers White en hurlant. Hurlements de souffrance et d’exaspération de part et d’autre. Hurlements de désir et essoufflement, soulagement presque, au moment de se faire « sauter le caisson ». Tous, Oliver Stone, Cimino, Rourke et Lone ont pété un plomb cette nuit-là. Une ligne a été franchie…La ligne à franchir, celle des peuples, celle des territoires ennemis, celle du pardon aux autres et à soi-même, est le motif thématique et visuel principal de La Prisonnière du désert, ce grand chef-d’œuvre de John Ford qui a obsédé, on le sait, quelques cinéastes du Nouvel Hollywood comme Martin Scorsese, Paul Schrader, George Lucas et Michael Cimino et l’on peut, certes à retardement, rattacher Oliver Stone à ce mouvement, c’est sa génération, même s’il rate le coche au début des seventies et doit attendre 1985 pour éclore en tant que cinéaste. Mais Cimino est bien sûr celui qui est allé le plus loin en réalisant sans cesse, de part et d’autre de son immense western officiel La Porte du Paradis, des fresques westerniennes « officieuses », du Canardeur à Sunchaser, en passant par Le Sicilien et Desperate Hours. Pour L’Année du Dragon, son seul « western » entièrement urbain à part une séquence grandiose dans les montagnes d’Asie du Sud-Est, à la source du trafic de drogue, une séquence avec chevaux du reste. Cimino a voulu une caméra à l’ampleur épique, y compris dans les intérieurs. C’est une caméra qui va de l’avant, embrassant l’espace et les combattants, c’est une caméra défricheuse et pionnière, avançant en contre-plongée et se jetant dans la mêlée. Voir White, « le nouveau shérif en ville », faire ses descentes de police suicidaires, seul contre tous, voir White passer en revue ses troupes au commissariat, mouvement épique reproduit, de l’autre côté du miroir criminel, par Joey Tai passant en revue ses propres « troupes » des jeunes tueurs amateurs dans un immeuble délabré, voir White explorer une cave inondée et pourrie à la recherche d’un cadavre, voir White se jeter à corps perdu dans les ruelles de son quartier, à la poursuite des tueurs de sa femme Connie. Sur les accords agressifs de David Mansfield, Cimino joue le jeu du film de genre et le transcende de manière ébouriffante. Il ne fait plus dans le contemplatif du type « Nouvelle Vague », comme lorsqu’il observait longuement, presque en temps réel, les cérémonies des petites communautés de Voyage au bout de l’enfer et de La Porte du Paradis. Tout juste se permet-il de ponctuer son film d’obsèques marquantes, se faisant écho…Obsèques chinoises au début et à la fin de l’aventure, Obsèques chrétiennes au milieu. Pour ce New York en ébullition, un rappel de la condition humaine…En dehors de ces séquences faussement calmes, où l’implosion menace constamment, Cimino est saisi d’une fureur proprement fullerienne, et pas seulement dans la scène dantesque de la fusillade au restaurant asiatique qui a fait l’admiration de Tarantino, avec son aquarium géant qui explose et ses tueurs frénétiques, pas seulement non plus lors du duel sur le pont déjà cité, on pense aussi à cette série de plans inouïs où White poursuit l’une des tueuses de Joey Tai à travers une salle de boxe, la caméra englobant en travelling latéral rapide le combat acharné des boxeurs et celui du flic, avant de suivre la criminelle au beau milieu de l’avenue nocturne, Alex Thomson mettant soudain son objectif au ras du sol, avec les écrasants buildings en arrière-plan, et filmant les taxis jaunes fonçant et percutant sauvagement la jeune femme, tandis que cette dernière trouve encore la force d’insulter son poursuivant…Ouf !

 

N’y allons pas par quatre chemins avec L’Année du Dragon, Cimino a réalisé La Prisonnière du désert des années quatre-vingt, c’est-à-dire l’épopée d’un raciste transfiguré par sa plongée dans le territoire « ennemi », un territoire surtout incompris et nié bêtement par sa haine première. Le personnage de Tracy Tzu est en quelque sorte son fil d’Ariane, sa Natalie Wood…La sagesse féminine qui lui sert de boussole morale et le réoriente vers la lumière, in fine. Let’s go home, Debbie…Tu avais raison et j’avais tort.

Claude Monnier