1986 – Cœur d’Afrique !

Lorsque Karen Blixen publie ce roman en 1937, elle reçoit des demandes d’adaptation. Tyrone Power fait même le déplacement au Danemark pour la convaincre de lui céder les droits. Mais Karen Blixen s’est fixé une règle et s’y tiendra…De son vivant, aucune de ses œuvres ne sera transposée au cinéma. Ce souhait sera même respecté après sa disparition en 1962 avant que l’institution en charge de sa succession accepte d’en céder les droits sur différents projets Hollywoodien mais aucun ne verra le jour. Au début des années 1980 la situation va se débloquer. Sydney Pollack qui connaît La Ferme africaine pour avoir été impliqué dans un des projets d’adaptation, initiée par Jessica Lange. Le cinéaste hésite donc avant de replonger mais se montre emballé par le scénario qui convainc aussi Universal. Pour incarner Karen Blixen, Pollack craint que Meryl Streep ne soit pas assez sexy pour le personnage. Souhaitant incarner Blixen, Meryl Streep débarque aux essais avec un décolleté vertigineux et un soutien-gorge rembourré. L’effet est immédiat et Pollack, faisant encore fi de sa volonté première de n’engager que des acteurs européens, va lui associer Robert Redford qu’il a déjà dirigé à cinq reprises dans le rôle de son amant. Un temps envisagé à Hawaï…Le tournage va se dérouler pendant cinq mois dans la région de Nairobi, avec près de 10 000 figurants locaux dont certains descendants directs de Kényans ayant travaillé dans la plantation de Blixen. Mais la loi du pays interdisant de déranger la faune locale va obliger la production à faire venir de Californie six lions et un aigle. Un mouvement de grève va aussi paralyser le tournage, le temps que les figurants africains obtiennent gain de cause, celui d’un salaire équivalent aux figurants anglo- saxons. Pollack et son film décrochent sept Oscars sur ses onze nominations dont ceux des meilleurs film, réalisation, scénario et musique.

 

 

 

En adaptant le récit autobiographique de Karen Blixen, une jeune Danoise expatriée en Afrique, Sydney Pollack touche au sublime par sa peinture du pays et la beauté du récit font de Out of Africa une fresque romanesque intemporelle. Pollack a tourné un « classique », au sens où l’entendait la littérature française du XVIIe siècle. Au plus fort du désir qui la porte vers Robert Redford, Meryl Streep murmure une phrase presque racinienne «Si, dans ce moment, vous me disiez quelque chose, je le croirais.» Et, sur la musique romantique de John Barry, on soupçonne Pollack de n’avoir tourné ce film que pour la seconde où Redford, après un danger encouru, essuie la goutte de sang qui a perlé sur les lèvres de Meryl Streep. Beau et troublant.

 

 

 

C’est un formidable portait de femme volontaire, intrépide mais aussi sensible et amoureuse que nous offre Sydney Pollack. Il nous raconte à travers une épopée invraisemblable le destin d’une aristocrate danoise que rien ne préparait à un tel destin. Elle prend fait et cause pour les tribus afin qu’elles conservent leurs terres, malgré l’hostilité de certains coloniaux. Elle qui ne peut avoir d’enfant s’attache à la santé et à l’éducation de ceux de son village. Elle se donne entièrement à la vie des autres, elle qui n’attend plus rien de son époux. Et puis un autre homme apparaît, aventurier, fataliste, croquant la vie au jour le jour et vivant avec la nature. Lui ne peut être que sincère car il ne calcule pas. C’est alors une passion que va vivre Karen, sa vie de femme prend enfin son envol. Cette passion nous entraîne dans un final poignant et symbolique.

 

 

 

 

 

C’est vrai, le film décrit cette société dominante de l’époque coloniale avec ses privilèges, son insouciance, parfois son dédain mais aussi ses craintes et ses conflits internes notamment à propos de la guerre avec l’Allemagne. Toutefois le réalisateur a le ton juste et évite les clichés parfois faciles sur ces événements pour centrer l’intrigue sur la double passion de Karen pour l’Afrique et Denys. Une phrase merveilleuse de Karen résume cette passion pour l’homme qui enfin la respecte et se montre sincère envers elle ” Si dans ce moment, vous me disiez quelque chose, je le croirais “. A l’image de cette réplique, le scénario de ce film est brillant et émouvant.

 

 

 

 

 

 

Certains diront que cette œuvre n’est qu’une jolie romance dans un contexte historique passant au second plan. Peu importe, le film nous fait vibrer, les textes sont parfois shakespeariens, la mise en scène et les prises de vue fabuleuses, la musique et l’interprétation transcendantes. Ce cocktail nous fournit un chef-d’œuvre. La voix cassée et las de la vie de Karen, au soir de son existence, ponctuant les principaux “épisodes” de son histoire tourmentée, est bouleversante. Accompagnée par les musiques de John Barry et W.A.Mozart, majestueuses dans des grands espaces prodigieux et intimistes avec Denys auprès de Karen. Le fondu de ces deux musiques est remarquable. Et puis, il y a l’interprétation juste de Meryl Streep et de Robert Redford comme celle de Klaus Maria Brandauer, Michael Kitchen.

 

 

 

7 OSCARS

Meilleur film / Réalisateur / Scénario

Photo / Dir. artistique / Musique / Son

 

 

 

 

Sydney Pollack

 

40 ans de carrière…21 films…

1965…Premier film à 30 ans,

1969-1985…La période Créatrice !

7 films majeurs dont 5 en 6 ans,

2005…Dernier film…

26 Mai 2008…Mort à Los Angeles…

 

 

 

 

Acteur…1992-Maris et Femmes de Woody Allen /1999 Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick.

 

ROBERT REDFORD

De 30 à 50 ans…8 films majeurs.

 

 

A. Penn 1966 – La Poursuite impitoyable

R.Hill 1969 – Butch Cassidy et le Kid

A.J. Pakula 1976 – Les Hommes du président

Stuart Rosenberg 1980 – Brubaker

 

 

Par Sydney Pollack

1972 – Jeremiah Johnson

1973 – Nos plus belles années

1975 – Les Trois Jours du Condor

1985 – Out of Africa

 


 

1980- 44 ans… Des gens comme les autres. Premier film…Oscar du Meilleur Réalisateur

1998…L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux a 62 ans

Total de 9 films à la réalisation

 

 

MERYL STREEP

 

Période faste entre 1978 et 1985…30 ans elle joue dans 4 films importants et remporte l’oscar de Meilleure Actrice avec Le Choix de Sophie. Deuxième oscar en 2011 dans la Dame de fer. Retrouver une présentation complète en cliquant ICI. 

 

 

 

 

 

Les Larmes de l’Amour et de la mort…par Pascal Ide

 

C’est avant tout un splendide film d’amour et d’amour romantique, salué par pas moins de sept Oscars. C’est aussi l’histoire de deux conceptions antagonistes de l’amour…Incompatibles, sont-elles pour autant équivalentes ? La puissance unitive de l’affection ne peut-elle surmonter tous les obstacles ? Un film d’amour célèbre la rencontre et la communion de l’homme et de la femme, ici Karen et Denys. Trois scènes le disent admirablement.

 

 

 

 

La mémoire du don…Dans la scène initiale, Karen, maintenant âgée et revenue dans son Danemark natal, fait mémoire des deux plus beaux cadeaux que Denys lui ait octroyés. Le premier, inaugural « Il inaugura notre amitié par un cadeau » est le stylo que lui offrit Denys après la soirée où elle l’enchanta par ses contes et le second, sommital, est le baptême de l’air « Plus tard, il m’en offrit un autre, un incroyable cadeau. Un aperçu du monde à travers l’œil de Dieu ». Or, ces dons sont en étroite connexion avec la vocation de Karen, écrivain. Cela est clair pour le stylo qui est l’instrument avec lequel Karen écrit dans la première scène dans laquelle elle a donné un autre cadeau très précieux de Denys, la boussole. En revanche, elle a toujours gardé le stylo. L’échange entre Karen et Denys après leur première soirée le confirme « En Afrique, on paye les conteurs ». Mais Karen refuse le beau stylo doré qu’elle qualifie elle-même de ravissant…« Mes histoires sont gratuites (free) et vos présents bien trop chers ». Ce refus suscite une réponse encore plus admirable que le don, la prophétie de sa vocation future « Un jour mettez-les par écrit ». Mais cela est aussi vrai du vol en avion. En effet, l’aveu initial ajoute « Oui, je vois, c’est bien le chemin (the way) par lequel ceci fut conçu ». Or, proches, plus encore similaires sont création artistique et création divine lorsque la voix de Karen parle tandis que la caméra nous montre la silhouette de Denys face à un lever de soleil dans la brousse kenyane ? De plus, l’Afrique, berceau du monde, est aussi l’inspiratrice, la matrice de ses ouvrages, ouvrages dont parle la phrase suivante. Traitant des personnages qu’elle a inventés, elle affirme n’avoir jamais écrit sur Finch Hatton car il était moins clair, moins simple. Elle ajoute cette phrase mystérieuse « Lui, il m’attendait, là-bas ». Ainsi, cette première scène qui dit tout montre en Karen une femme qui, non seulement aime immensément et intensément un homme, mais reçoit de lui sa fécondité car n’ayant pas eu d’enfants, elle conçut des ouvrages qui lui valurent le prix Nobel.

 

 

 

 

La réalisation du don…Ce que le spectateur entend et pressent, il le vivra plus tard, lors de la scène du baptême de l’air. Cette scène fut justement célébrée pour ses paysages et la musique de John Barry qui, loin de l’accompagner, participe à la création. Mais, plus important encore est ce qui se déroule dans le cœur de Karen et qu’exprime son visage. En fait, trois physionomies vont se succéder. D’abord, la peur lorsqu’elle apprend que Denys ne sait piloter que depuis la veille ! La crainte laisse vite place à la jubilation face aux paysages fascinants qu’ils survolent. Karen ne sait plus où donner du regard pour admirer ici le serpent étincelant d’un fleuve, là les chutes monumentales dans l’immense caldeira, plus loin, la tache pastel continue d’un lac qui, à l’approche de l’avion, vire de couleur et s’émiette en une multitude innombrable de points qui s’avèrent être autant de flamands roses. Enfin, surtout, après avoir frôlé la terre, le biplan s’est élevé haut, toujours plus haut, au-dessus des nuages ; et la joie de Karen encore accrue, s’est métamorphosée dans « la joie plus que pleine » qu’on appelle parfois félicité car désormais, elle ne tourne plus la tête à droite ou à gauche, son bonheur n’est pas plus bas, mais tout près. Tendant la main vers Denys, elle passe du paysage au visage, du don au donateur. À l’image de son cœur qui déborde de reconnaissance, elle ne peut retenir et contenir en elle les larmes qui inondent son visage. En ce moment unique, fusionnent son triple amour pour l’Afrique, pour Denys et, selon son propre aveu, pour Dieu. Ou, plutôt, car ces moments de joie sont aussi toujours des moments de paix et d’unité, elle reçoit, par la médiation de l’homme de sa vie, le continent africain et leur source divine. En tendant la main à Denys dont tout le bonheur est, à cet instant, de le procurer à Karen, Karen fait plus que lui exprimer sa gratitude ; elle scelle une communion qui est au-delà des mots, du temps et de l’espace. C’est ce que confirme et scelle la scène suivante.

 

 

 

 

L’expression du don…Juste après cet épisode qui restera pour Karen non seulement un souvenir inoubliable mais le plus beau cadeau que lui fit Denys, les deux amants se retrouvent ensemble, allongés dans le lit conjugal, lui au-dessus d’elle. « Ne bouge pas (Don’t move), dit-il.  Je veux bouger, résiste Karen ». Denys réitère sa demande, silencieusement, dans un intense regard d’amour. Alors Karen, comblée, lâche prise. Comment mieux dire non pas la domination masculine, mais la très douce protection qui est la forme de l’amour exercée par un homme ayant pleinement intégré sa polarité anima, féminine ? Comment mieux révéler non pas la soumission féminine, mais l’abandon entre les bras d’un homme qui est la forme de l’amour vécue par une femme pleinement réconcilié avec sa polarité animus, masculine ? Comment, enfin, mieux exprimer, avec délicatesse et pudeur, la communion d’amour véritable entre l’homme et la femme révélée autant qu’effectuée par l’intimité des corps ?

 

 

 

 

Dernier voyage…Intentionnellement, le parallélisme antinomique proposé par le deuxième paragraphe sur l’amour romantique est demeuré inachevé. Nous n’avons rien dit du quatrième point, la relation à la mort, constitutif de la conception romantique de l’amour. La mort y apparaît comme la seule manière d’immortaliser l’amour porté à son acmé…Comment Rose de Witt, l’héroïne du Titanic de James Cameron (1997), n’idéaliserait-elle pas son amour pour Jack qui n’a duré que quatre jours et a donc ignoré tout nuage ? Mais comment cette passion aurait-elle pu continuer à doubler la mise à chaque instant s’il avait duré ce que durent les couples ? Toujours dans la perspective romantique, la mort présente un sens encore plus typique, dans la vallée de larmes où nous sommes exilés, tout amour humain déçoit, toute communion d’âme consommée physiquement leurre et déçoit nos attentes. Mais, renversant une dernière fois le schéma romantique, le décès de l’amant présente ici un autre sens, le seul véritablement positif car il va permettre à Karen Blixen d’accomplir sa vocation d’écrivain. Et ce faisant, elle réalise le vœu de celui qui fut l’amour de sa vie.