1994-Run Forrest Run !

En 1994, le monde découvrait un homme assis sur un banc, une boite de chocolats en main, le regard perdu dans le vide. Cet homme s’appelait Forrest Gump. Il était connu pour avoir traversé l’Amérique de fond en comble en courant, pour sa bravoure lors de la Guerre du Viêtnam, mais aussi pour ses crevettes Bubba Gump, son amitié sans borne avec le lieutenant Dan et sa relation passionnelle avec une certaine Jenny. Forrest Gump a apporté beaucoup pour chacun de nous et dans le monde entier. Il est simplement impossible de le cantonner à un simple personnage de fiction, tant il nous a accompagné à chaque étape de nos vies. Car oui, le film, sorti en 1994, fut un miracle pour bien des gens…

 

 

 

Un film culte devenu miracle   par Christopher Poulain

 

 

 

 

...Promenez-vous donc la rue. N’entendez-vous pas ici et là des « Cours Forrest, cours » ? Lointains échos d’autres petites perles cultes parmi lesquelles…« La vie, c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber », « y a des fois, comme ça, y a pas assez de pierres », « n’est stupide que la stupidité »…Il était comme ça, Forrest, sympathique mais naïf. Un Mr Chance qui nous apprenait à voir la vie avec philosophie, au point que nous avons fini par nous amuser à reprendre les bonnes leçons de sa propre mère. C’est que dans les années 90, les gens avaient bien besoin d’un héros…les films à succès constituent le meilleur moyen pour prendre le pouls de l’Amérique. Dans les années 30, le cinéma nageait littéralement dans la comédie musicale avec notamment Busby Berkeley ou dans des films sociaux à succès façon Frank Capra. En 1940, Autant en emporte le vent domine les écrans. Et pourtant, de l’autre côté de l’Atlantique, la guerre embrase l’Europe toute entière. Par la suite, les films patriotiques envahissent les salles de cinéma, allant de Casablanca aux films de John Wayne. La paix des nations nécessite alors d’étaler sur le tapis des problèmes qui innervent la société…L’alcoolisme, l’antisémitisme, la corruption voire l’adultère que l’on retrouve dans de nombreuses productions de l’époque. Les années 50 s’annoncent en revanche bien plus radieuses, et particulièrement à Hollywood, malgré l’émergence de la télévision. Des grosses productions comme Chantons sous la pluie (1952), Ben-Hur (1959), West Side Story (1962), Cléopâtre (1963) ou encore La mélodie du bonheur (1965) font les riches heures du CinémaScope et du Technicolor.

 

 

LE POULS DE L’AMÉRIQUE…

 

 

A la suite du conflit vietnamien, les années 70 accueillent sur les écrans des fleurons du film de guerre…Patton (1971), Voyage au bout de l’enfer (1978) ou encore Apocalypse Now (1979). Disparition des moguls, émergence du Nouvel Hollywood, réalisateurs mégalomanes, scandale du Watergate…Tout ça n’augure rien de bon pour la décennie suivante. Ces bouleversements désorientent l’Amérique. Rien d’étonnant donc à découvrir des œuvres devenues cultes comme Kramer contre Kramer (1980), Des gens ordinaires (1981) et Baby Boom (1987). A la Maison Blanche, Ronald Reagan mène tant bien que mal sa barque en plein milieu de la crise économique de 1982. Les spectateurs paniqués tournent le dos à la réalité pour trouver une once d’espoir procuré par Steven Spielberg et ses émules (Joe Dante, Robert Zemeckis etc). Il faut désormais regarder vers l’avenir, pour retrouver les valeurs d’une Amérique forte. Certains s’en remettent aux outsiders Weinstein (Quentin Tarantino), quand d’autres préfèrent dynamiter le système de l’intérieur (David Fincher). C’est l’Amérique néo-classique des années 90 avec ses westerns Danse avec les loups (1991) et Impitoyable (1993), à mille lieux des fantaisies indé de Sundance (Quentin Tarantino, Kevin Smith…). L’homme providentiel que tout un chacun attend s’incarne d’abord en Dustin Hoffman le Héros malgré lui (1992) déjà croisé dans Rain Man en 1989. Le rôle finira par échouer en 1994 à Tom Hanks dans Forrest Gump, nouveau héros de l’Amérique.

 

 



En 1986, Winston Groom publie un romain intitulé Forrest Gump. Le roman relate l’histoire mouvementée des États-Unis entre les années 1950 et les années 1980 à travers le regard d’un « simple d’esprit », Forrest Gump, qui devient involontairement l’acteur central, voire l’instigateur des principaux événements de cette époque en Amérique. Le livre est un succès mitigé mais intéressera pourtant Sherry Lansing, présidente de Paramount Pictures qui voit là un succès. Il faut savoir qu’à cette époque, le studio sort à peine d’une grosse crise économique et financière. Le succès inattendu de Ghost de Jerry Zucker lui permet de sortir un temps de la tête de l’eau, grâce à la présence de Patrick Swayze, nouvelle coqueluche hollywoodienne. La Paramount intègre alors le groupe Viacom. Dans les couloirs du studio, l’ambiance reste très tendue. Chacun s’accroche à son poste. Forrest Gump pourrait donc s’imposer dès lors comme une bénédiction, si seulement les droits n’appartenaient pas déjà à la Warner…Après le triomphe de Rain Man en 1988, comment le studio pourrait croire à un second succès du même genre car bien trop providentiel ? Warner cède donc finalement les droits du roman à Sherry Lansing en échange d’une autre histoire Ultime Décision (1996) qui sera un échec cuisant au box-office. Cette dernière confie le projet à Barry Sonnenfeld et le rôle principal à Tom Hanks, après avoir essayé le refus de Bill Murray comme l’acteur en a l’habitude. De son côté, le succès phénoménal de La famille Addams (1991) l’encourage à replonger aussitôt dans la production d’une suite. La réalisation revient un temps à Penny Marshall avant de se faire écartée par « manque d’expérience »…Les bureaux de la Paramount, eux, résonnent d’un nom célèbre depuis quelques temps, Robert Zemeckis, l’homme de toutes les situations, le père de Retour vers le Futur (1985) et de Roger Rabbit (1988) Tous semblent d’accord pour laisser les mannettes à ce bon « faiseur ». Sa réputation n’est plus à démontrer. Le cinéaste a toujours su incontestablement mettre en avant ses histoires par-delà une technique cinématographique plus que rodée. Forrest Gump s’impose comme une magnifique aventure à raconter.

 

 

La principale leçon que je pense avoir apprise, c’est que la mise en scène doit être toujours au service du scénario. Et pour moi, un bon metteur en scène est obligatoirement scénariste qu’il soit crédité ou non. Hitchcock, par exemple n’a jamais été crédité en tant que scénariste sur ses films. Pourtant, il passait des journées, des semaines, parfois des mois, enfermé dans une pièce, à travailler avec ses scénaristes.

Robert Zemeckis

 

 

Robert Zemeckis entame l’adaptation avec le scénariste Eric Roth focalisé sur les onze premiers chapitres du roman. En plus d’avoir éludé certains passages du livre, le film ajoutera plusieurs aspects de la vie de Gump, comme ses tiges en fer sur les jambes quand il est enfant, ainsi que sa course à travers les États-Unis. Sa personnalité se voit également « remodelée ». Le film estompe quelque peu le syndrome du savant qui le caractérise pleinement au contraire dans le roman. Forrest Gump se démarque ainsi dans une classe de physique avancée dans l’oeuvre de Winston Groom, puis devient astronaute, lutteur professionnel et joueur d’échecs. Côté budget, le studio accorde au réalisateur 40 millions de dollars pour raconter l’histoire palpitante de son personnage sur pas moins de trois décennies. Robert Zemeckis, habitué aux gros budgets, négociera jusqu’à la dernière minute avant le premier clap. Au terme de négociations houleuses, le film se tourne en moins de quatre mois. Malgré une oeuvre relativement simple sur le papier, de nombreuses scènes posent quelques soucis du côté des effets spéciaux. Le hic ? Robert Zemeckis dispose de très peu de temps entre le tournage et la sortie officielle pour accomplir des prouesses techniques encore jamais réalisées. Incruster Forrest Gump aux côtés de Kennedy, Nixon ou Lennon, effacer les jambes du lieutenant Dan, créer l’illusion d’un vrai match de ping-pong…Ces artifices donnent bien du fil à retordre à l’équipe d’ILM qui s’occupent des effets spéciaux du film, à grand renfort d’images de synthèse. Tom Hanks a ainsi d’abord été filmé devant un écran bleu avec des marques de référence pour le synchroniser correctement avec les archives vidéo. Les mouvements des lèvres des personnalités sur les images d’archives ont même été modifiés numériquement pour se synchroniser avec les nouveaux dialogues. Deux procédés vont ensuite permettre de parachever ces quelques trucages avec le morphing et la rotoscopie. Le premier consiste à fabriquer une animation qui transforme de la façon la plus naturelle et la plus fluide possible un tracé initial en un tracé final totalement différent. La rotoscopie, quant à elle, est une technique qui permet de relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en retranscrire la forme et les actions dans un film d’animation. Ce procédé permet de reproduire avec réalisme la dynamique des mouvements des sujets filmés. Par conséquent, l’acteur a pu être intégré parfaitement à ces images d’archives.

 

 

 

 

Lorsque le lieutenant Dan se retrouve amputé des jambes, de nombreux spectateurs ont ainsi pensé que Gary Sinise avait été doublé par un véritable infirme. En réalité, l’acteur avait des chaussettes bleues masquant entièrement ses avant-jambes jusqu’aux bandages ou bouts de pantalons simulant la limite des amputations. Les avant-jambes de l’acteur ont été, par la suite, effacées par ordinateur en rajoutant des éléments comme un morceau de drap du lit d’hôpital, un touret disposé sur le sol de l’appartement du personnage ou encore un morceau du bord du crevettier. Idem pour le ping-pong? Tom Hanks est en fait guidé par des sons de balles qui lui permettent de reproduire les gestes adéquats. Les balles ont ensuite été rajoutées numériquement. Reste cependant un point que Robert Zemeckis refuse de négocier avec le studio. La longue course de Forrest Gump pose problème à la production qui souhaite couper cette partie du scénario. Rappelons que les effets spéciaux ont déjà coûté une fortune à la Paramount et que l’argent vient donc à manquer. Zemeckis décide alors de partir en vadrouille avec une équipe réduite pour tourner ces moments de grâce indispensables au message du film. Ces quelques péripéties vaudront à Forrest Gump de devenir une référence dans son domaine, après avoir reçu notamment l’Oscar des Meilleurs effets visuels en 1995.

 

 

 

 

L’avantage d’avoir fait un certain nombre de films, c’est que l’on arrive, petit à petit, à se constituer une équipe parfaite. Il n’y a rien de plus frustrant que de devoir refaire une prise par l’assistant caméra qui ne parvient pas à maintenir le point sur les acteurs.  Robert Zemeckis

 

 

 

 

 

 

 

UN VOYAGE DANS LA MUSIQUE AMÉRICAINE

 

Arrivé au terme de la production, Robert Zemeckis, fidèle à son équipe donc, fait à nouveau appel à son compositeur fétiche, Alan Silvestri. Les deux artistes savent employer la musique à bon escient, au point de laisser le silence s’installer pendant de longues minutes. Aussi, comment oublier le long travelling avant sur Tom Hanks assis chez lui dans un silence total ? Et a contrario, comment oublier le magnifique thème joué lors du générique d’ouverture qui suit la longue chute d’une feuille ? Passés les premiers émerveillements, la bande-originale du film révèle un défi de taille pour raconter plus de deux décennies d’histoire américaine en musique. Robert Zemeckis s’enthousiasme donc à l’idée de placer ses influences musicales, parmi lesquels Elvis Presley, le rock sudiste de Creedence Clearwater Revival ou encore la soul syncopée des Doobie Brothers. L’immense succès de la bande-originale du film amènera l’album à la seconde place du billboard américain dans sa meilleure semaine et se vendra à près de 800 000 exemplaires en Australie, 500 000 exemplaires au Canada, 150 000 en France…Pour atteindre finalement les 6 millions aux États-Unis. Alan Silvestri décrochera même l’Oscar de la meilleure bande-originale malgré sa courte durée de 37 minutes qui fera l’objet d’une polémique par la suite.

 

GUMP & CIE

 

Peu importe, l’harmonie est parfaite en tout point et le public ne sera pas dupe. Le succès s’annonce au rendez-vous. Le film récoltera plus de 670 000 000 de dollars au box-office, pour un budget total de 55 millions de dollars. Forrest Gump traverse cette fois-ci le monde de festival en festival…Deauville, BAFTA, Golden Globes…Cette véritable pluie de récompenses s’achève en 1995 lorsque le film reçoit pas moins de cinq statuettes aux Oscars en 1995…Meilleurs film, réalisateur, acteur, scénario adapté, montage et effets visuels. De nombreuses lignes de dialogue deviennent très vite culte parmi les spectateurs. Tom Hanks accède ainsi au rang de héros national dix ans après ses débuts dans Splash (1984) de Ron Howard. De son côté, l’auteur du roman, Winston Groom livre une suite à son roman, Gump&Cie, sortie un an après le film. L’histoire du roman se passe dans les années 1980, dans un monde où Forrest Gump a eu droit à son biopic avec Tom Hanks. Le personnage principal élève seul son fils dans un monde grignoté par le libéralisme, ce qui le pousse sans doute à vouloir lui aussi profiter de son dû. Forrest se lance donc d’abord dans la vente d’encyclopédies avant de rencontrer Reagan et Bush. Il invente ensuite une recette miracle pour Coca Cola, prend part à la chute fortuite du mur de Berlin et même à la capture de Saddam Hussein. Mais le cœur de l’histoire, réside dans la relation entre un père retardé et son fils, véritable génie, qui ne parvient pas à communiquer avec Gump senior. L’histoire intéresse à nouveau la Paramount jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001 qui mettent un terme à tout semblant de projet, aussi bien pour Robert Zemeckis et Eric Roth, que pour Tom Hanks qui refuse radicalement de s’impliquer dans une suite aujourd’hui perdue dans les limbes du development hell. Peu importe, Forrest Gump doit rester et restera dans l’histoire grâce à l’initiative du National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès américain qui décide de le conserver en 2011 en tant qu’oeuvre culturellement, historiquement et esthétiquement importante.

 

 

 

 

 

UN HÉRITAGE ASSUMÉ

 

Depuis plus de vingt ans, Forrest Gump poursuit sa longue itinérance dans le quotidien de tout un chacun. Les restaurants Bubba Gump Shrimp s’attachent ainsi à rendre hommage au film en proposant à ses clients des fruits de mer à travers le monde. On compte aujourd’hui pas moins d’une quarantaine d’enseignes de la chaîne à l’international, des États-Unis au Mexique, en passant par l’Angleterre, le Japon, la Malaisie et même les Philippines et l’Indonésie. Il faut également compter sur les fan clubs répertoriés à travers la planète, les goodies et autres produits dérivés devenus aujourd’hui des perles rares pour les collectionneurs. Forrest Gump et ses répliques deviennent également des gimmicks par-delà un héritage assumé dans nombre de films, publicités, productions audiovisuelles, séries TV…C’est ainsi qu’on peut déceler des références au personnage dans pas moins d’une semi-dizaine d’épisodes des Simpsons…La plume volant au gré du vent, la boîte de chocolats, la conversation sur un banc, l’épisode du bus…

 

 

 

 

 

LE CAS ROB POPE

 

En 2018, un britannique de 39 ans, fan de Forrest Gump, a battu un record particulier à l’occasion du marathon de Londres. Le coureur a battu un record, déguisé comme Forrest Gump, en bouclant sa course en 2 heures et 36 minutes. Il faut savoir que Rob Pope n’était alors pas à son premier coup d’essai. Dès son enfance, sa mère l’invite à faire quelque chose d’extraordinaire de sa vie. Le déclic vient en regardant Forrest Gump un soir à la télévision. Rob traversera les États-Unis en courant pour recréer au plus près le parcours du personnage éponyme. Au terme d’une centaine de revisionnages du film, il se prend en photo sur le banc devenu célèbre pour marquer son départ. Nous sommes alors le 15 septembre 2016. La course débute à partir de Mobile, en Alabama. Chaussé de la célèbre Nike Cortez, Rob passe par Bayou le Batre, ville originaire de Bubba, puis continue jusqu’à la Californie, le Maine, l’Oregon, la Caroline du Sud, Monument Valley et ainsi de suite. Il lui faudra 409 jours pour parcourir 59 km par jour, là où Forrest Gump met 3 ans, 2 mois, 14 jours et 16 heures en quelques 7 minutes de film. Contrairement à son héros qui ne court ni pour la paix dans le monde, ni pour les sans-abri, ni pour l’environnement, Rob s’engage pour la WWF et Peace Direct. Son périple s’achève finalement au bout de 24 000 km par le marathon de Boston plié en 2h58 avec une bière à la main. Mais l’aventure américaine ne s’arrête pas là quand on sait qu’il envisage de reprendre sa course à Monument Valley pour rejoindre Santa Monica où réside un certain Tom Hanks…

 

 

 

 

Ce voyage était incroyable. J’ai entendu énormément de « Run, Forrest, Run », et quelques personnes m’ont appelé Jésus…Mais la plupart m’ont appelé Forrest !

Rob Pope

 

 

 

 

 

 

LE FILM PRÉFÉRÉ DE TOUS LES TEMPS

 

Forrest Gump…Le film préféré de tous les temps selon les lecteurs du site Allociné, dépassant de loin les franchises Marvel et Disney. L’odyssée initiatique de ce naïf au grand cœur suscite un grand enthousiasme malgré quelques détracteurs acharnés comme Les Cahiers du Cinéma qui souligneront à l’époque que « le souci du défi technique, de la performance supplante chez Zemeckis toute mise en scène. » (n°484 – octobre 1994). Ces derniers, des années après, réviseront ce jugement bien trop sévère. Car le film ne renferme rien d’autre qu’une véritable ode à la vie. Il est en effet difficile de trouver film plus emblématique que Forrest Gump. A la fois fable émouvante et chronique d’un homme au cœur de l’histoire, l’œuvre de Robert Zemeckis s’avère tendre, sensible et drôle. Les adjectifs finissent par manquer tant le spectateur adhère à un parcours pourtant hors du commun. Forrest Gump narre donc l’histoire, touchante au possible, d’un petit garçon au cerveau quelque peu lent et aux jambes prisonnières d’orthèses, vivant seul avec sa mère dans l’Alabama. Voué à une vie peu facile, le personnage va pourtant explorer tous les recoins du monde, du fin fond de son Alabama natale jusqu’à l’enfer du Viêtnam. Devenant tour-à-tour héros de guerre, champion de ping-pong et crevettier millionnaire, Forrest ira même jusqu’à rencontrer trois présidents des États-Unis, mettant à jour le fameux Watergate tout en inspirant bon nombre d’artistes tels John Lennon, Elvis Presley ou encore les créateurs du smiley et des autocollants Shit happens. Notre héros va ainsi vivre un parcours initiatique gigantesque tout au long de sa vie, explorant différents horizons et s’émerveillant de toute chose malgré son retard mental évident. Forrest Gump devient ainsi un héros national. La conception d’un certain rêve américain selon Zemeckis demeure la preuve incontestable que les espoirs d’un grand destin restent ouverts à chacun de nous.

 

 

 

Je me dis souvent que ça serait formidable, une fois le film monté, de pouvoir être hypnotisé pour tout oublier et le découvrir avec un œil neuf. Mais bon, c’est là, le paradoxe d’un film, on le fait avant tout pour soi, mais ce sont les autres qui l’apprécieront le plus. Robert Zemeckis

 

 

 



Tom Hanks a failli être payé une misère pour tourner dans Forrest Gump…Mais soyez tranquille, tout s’est très bien terminé pour l’acteur, qui a juste tenté un énorme pari à plusieurs millions de dollars ! Nous sommes en 1993. En août prochain, débutera le tournage du film culte Forrest Gump, réalisé par Robert Zemeckis et porté par l’un des comédiens américains les plus aimés au monde om Hanks. Le film retracera l’histoire de l’Amérique des années 50 aux années 80, à travers le destin d’un « simple d’esprit » qui va constamment se retrouver au centre de l’Histoire avec un grand H. Il s’appelait Forrest Gump. Si aujourd’hui, le succès du film pourrait paraître prévisible comme sa pluie d’Oscars, ce n’était pas la même affaire à l’époque, bien au contraire. La Paramount, qui produisait le film, ne croyait pas vraiment au potentiel d’un film avec un « simple d’esprit » en héros. Aux États-Unis, le maître mot est « identification ». Pour Hollywood, il est extrêmement important que le spectateur puisse s’identifier au héros d’un film et avec un simple d’esprit comme héros, autant dire que le studio ne sentait pas le triomphe venir. La Paramount a commencé à paniquer et ses pontes n’y croyaient tellement pas, qu’ils ont entamé des démarches pour réduire un peu le budget histoire de pas trop perdre d’argent dans cette affaire. En gros, soit la réduction demandée était faite soit le projet n’avait pas le feu vert pour aller en tournage. A l’origine, le budget de Forrest Gump était de 50 millions de dollars, ce qui était plus que confortable pour l’époque et pour resituer, The Mask, sorti la même année et bourré d’effets spéciaux, n’a coûté que 23 millions, Les Evadés 25 et Pulp Fiction seulement 8,5. Mais la sanction est tombée, Paramount abandonnait le projet si le budget n’était pas réduit d’au moins 10 millions pour tomber maximum à 40 M$. Où économiser 10 millions comme ça, dans l’urgence ? Très simple, en furetant du côté des salaires de l’acteur et du réalisateur. Pour Forrest Gump, Tom Hanks avait signé un contrat à hauteur de 7 millions de dollars et Robert Zemeckis, 5 millions. A eux deux, ils représentaient 12 M$ dans le budget, soit quasi un quart. C’est alors qu’est venue la bonne idée…

 

Tom Hanks et Robert Zemeckis, visiblement confiant dans la qualité et le potentiel du futur film, ont accepté de différer une partie de leur salaire. En gros, si le film était un bide, le duo toucherait une petite partie de leur salaire convenu au départ. Mais si le film était un succès, en lieu et place de leur salaire, ils toucheraient un intéressement sur les recettes. Persuadé que le film allait se vautrer, Paramount a cru signer là un deal très avantageux puisqu’au final, ils ne payeraient que des petites portions de salaires aux deux gugusses qu’ils regardaient de haut. Pas de bol pour eux, dire que Forrest Gump a été un succès est un euphémisme. Le film a rapporté près de 700 millions de dollars dans le monde. En tenant compte de l’inflation, cela voudrait dire pas loin du milliard de dollars aujourd’hui. Résultat, Tom Hanks a touché…environ 40 millions de dollars au titre de son pourcentage négocié sur les recettes !! Soit près de six fois son salaire de départ. Le studio qui espérait le payer à minima s’est retrouvé à lui verser ce qui, à l’époque, était l’un des plus gros « cachets » jamais vu à Hollywood. Ce joli coup marquera tellement Tom Hanks qu’il réitérera à plusieurs reprises ce genre de deal par la suite. A commencer sur Il faut Sauver le Soldat Ryan quatre ans plus tard…pour le même jackpot puisque le triomphe du film de Steven Spielberg lui rapportera entre 30 et 40 M$. Et dire qu’à la base, Tom Hanks avait failli ne même pas jouer dans Forrest Gump !! En effet, les deux comédiens initialement approchés pour le rôle étaient Bill Murray et John Travolta. Tous les deux avaient décliné et Travolta avouera qu’il s’en est mordu les doigts pendant longtemps.

 

 

 

 

 

 

FORREST GUMP…UN HÉROS SI DISCRET par Nico PRAT

 

Il y eut ce type, habillé comme Forrest Gump, et se lançant à son tour dans une gigantesque course aux quatre coins de l’Amérique. Il y eut le lancement de véritables restaurants Bubba Gump, infâmes lieux où il est donné aux plus audacieux d’ingurgiter ce qui s’apparente à des crevettes. Il y eut, et il y aura encore, durant des années, ce réflexe, hurler « Cours Forrest, cours ! » à une amie tentant d’attraper son bus ou réalisant son retard. Si Forrest Gump est la vie, alors la boîte de chocolat contient mille souvenirs, influences, audaces et réussites. Forrest Gump, monument pop aujourd’hui pris de haut, fut aussi un petit miracle. Récit…« J’arrive à penser clairement aux choses, mais quand je veux les dire, alors les mots sortent de ma bouche comme de la gelée ». Forrest Gump n’est pas le plus malin des hommes, ainsi l’a voulu Winston Groom dans son roman du même nom, publié en 1986. L’histoire d’un savant idiot, ou l’inverse, amené à vivre plusieurs vies au sein d’une même enveloppe corporelle, celle d’un grand nigaud apprécié de tous, aimé de peu. Tout au long de ces 228 pages, Groom imagine un physique à la John Goodman, qui jure, qui a une vie sexuelle. Autant de choses que l’adaptation adoucira, ou gommera tout simplement, sans parler de John Goodman, totalement absent du générique. Mais de générique, pour le moment, il n’y a point. Le livre est un succès pour le moins modeste, avec seulement 30 000 copies écoulées. Pourtant, Sherry Lansing pense tenir ici un hit. Et d’un hit, elle a bien besoin, puisque la compagnie dont elle est alors la présidente, Paramount Pictures, est en train d’être rachetée par Viacom. Chacun s’accroche donc à son poste, et les résultats doivent jouer en leur faveur. Lansing le sait. Elle mise donc sur Forrest Gump. Seul problème les droits ne lui appartiennent pas. Pas encore.

 

 

 

 

Quatre Oscars, dont celui du meilleur film, Ours d’or du meilleur film, Golden Globe du meilleur film dramatique…Quand Rain Man sort en salles en 1988, il rafle tout sur son passage. Dustin Hoffman imprime dans les mémoires de chacune et chacun la juste et classieuse interprétation d’un autiste. Dès lors, Warner Bros. a un souci, ils possèdent les droits de Forrest Gump et, Hollywood étant tout simplement Hollywood, considère que le public ne se déplacera pas pour aller voir un nouveau film mettant en scène une personne mentalement déficiente. Peu importe que les deux histoires n’aient absolument rien en commun, Warner Bros. considère l’adaptation comme un poids mort dont il faut se débarrasser. Là, Lansing se manifeste. Elle veut Forrest. Que souhaiteraient-ils en échange ? Ultime Décision, avec Kurt Russell et Steven Seagal. Deal. Lansing respire, d’autant plus que Warner allonge également 400 000 dollars. Sans savoir, pour le moment, qu’ils viennent de signer un échange qui n’ira pas, loin de là, en leur faveur. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Sherry Lansing, en plus des droits, récupère la participation acquise de Tom Hanks après les refus de Bill Murray, John Travolta, et Chevy Chase, pas encore oscarisé pour Philadelphia, mais déjà connu du public, reconnu par la profession, et bénéficiant d’un vrai pouvoir décisionnaire. Reste donc à trouver un réalisateur qui convienne aux deux parties en présence. Lansing propose immédiatement le poste à Barry Sonnenfeld, tout auréolé du succès de son premier long métrage en temps que réalisateur après une belle carrière de directeur de la photographie La Famille Addams. Lansing le veut, Sonnenfeld est d’accord, mais…191 millions de $ de recettes au box-office mondial plus tard, la tentation de la suite est grande, et ces personnages, Sonnenfeld ne compte pas les laisser tomber. Lansing, elle, ne compte pas attendre. Exit donc Barry, puis, très rapidement, exit aussi Penny Marshall, réalisatrice de Big, jugée peu compétente pour une telle entreprise. Peu importe après tout, car quelques kilomètres plus loin et plus haut, lors d’un vol au long cours, Robert Zemeckis entame le script de l’adaptation, signé Eric Roth. En récupérant sa valise, il sait qu’il tient là son prochain projet.

 

À partir de là, tout s’enchaîne. Jodie Foster, Demi Moore et Nicole Kidman refusent un rôle, Dave Chappelle en décline un autre, mais très rapidement, tout se met en place. Sally Field accepte, bien qu’elle n’ait que dix ans de plus que celui qui incarne son fils. Haley Joel Osment, vu dans une publicité Pizza Hut, est choisi. Kurt Russell consent même à doubler le King, reprenant ainsi son rôle du Roman d’Elvis (1979). Budget accordé : 40 millions de dollars, mais Zemeckis connaît son affaire…À la poursuite du diamant vert, la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et souhaite obtenir dix millions de plus. Et il le fait savoir, jusqu’à la dernière minute. En effet, quelques jours à peine avant le premier clap, l’agent du réalisateur, aidé de l’agent de l’acteur Hanks et Zemeckis s’entendent bien, très bien même, sont encore en train de négocier avec le studio. Sherry Lansing n’apprécie pas du tout la méthode, et propose donc que le binôme sacrifie une partie de son salaire, en échange d’un pourcentage sur recettes plus élevé. 8 millions de dollars sont ainsi débloqués. Le tournage peut commencer…Quatre mois, c’est tout. Le timing est serré. La date de sortie est cruciale, le 4 juillet 1994. Jour de fête nationale. Quatre mois de tournage donc, seulement six de post production, suicidaire, quand on y pense…Incruster Forrest aux côtés de Kennedy, Nixon, Lennon…Effacer les jambes du Lieutenant Dan…Créer la balle de ping-pong, totalement absente lors des scènes de matchs…Pressé, Robert Zemeckis annule certains plans, comme celui dans lequel Forrest Gump devait croiser la route de Martin Luther King lors d’une manifestation au cours de laquelle des chiens lâchés par des policiers tentent de s’en prendre aux manifestants, avant que Forrest ne parvienne à les amadouer. Cependant, Forrest qui court durant trois ans, cela, il refuse de couper. Problème l’argent vient, de nouveau, à manquer. Alors Tom Hanks et lui-même sacrifient encore un peu plus de leurs salaires, et partent sur la route, les week-ends, accompagnés d’une petite équipe, afin de shooter les plans d’un Forrest barbu contemplant l’horizon et tentant d’oublier Jenny. 4 juillet 1994, donc. Le succès est immédiat. Avec un budget total de 55 millions de dollars environ hors frais de promotion, qui auront leur importance quelques semaines plus tard, et plus bas dans cet article, Robert Zemeckis a livré un drame ambitieux, une comédie légère, un film d’action rythmé, tout cela à la fois. Le mélange des genres fonctionne à merveille, mené par une performance sobre et juste d’un Tom Hanks au sommet de son art. La bande originale se vend comme des petits pains. Le film rapporte près de 700 millions de dollars dans le monde entier. Oscar du meilleur film, du meilleur acteur…Sherry Lansing garde son poste de présidente de Paramount et elle ne le quittera qu’en 2005 pour rejoindre Fox, Robert Zemeckis signe, encore à ce jour, son plus grand succès.

 

Forrest Gump…

 

 

 

C’est l’Amérique. Ses grands mythes fondateurs, d’une part. Ses Présidents, ses icônes décédées, ses conflits, ses vétérans, ses États, ses hippies… Forrest Gump, c’est autant l’Amérique dans ce qu’elle fut, que dans ce qu’elle pense être…The land of opportunities, la contrée des possibles. Un pays au sein duquel peu importe votre physique, votre aura, votre mentalité, vos capacités, vous pouvez, vous pourrez devenir quelqu’un de plus grand, un héros moderne, une inspirante figure. Forrest Gump guidant un peuple de paumés, comme lui, sur des kilomètres d’asphalte…Forrest Gump entrepreneur, Forrest Gump marin, Forrest Gump sportif, Forrest Gump soldat…En Forrest Gump, c’est toute l’Amérique qui est contenue. Et pourtant…Chaque belle chose de la vie du héros est ici un accident…Il ne contrôle rien…Il ne sait pas…Jenny le quitte, lui cache l’existence de son fils, revient chez lui pour mourir…Les critiques, régulièrement, s’élèvent contre la douce innocence, ici qualifiée de niaiserie, du film, et donc du personnage. Et pourtant, ce cynisme est déjoué, par un héros, justement, totalement dénué de cynisme. Certes, il ne semble pas choisir sa destinée, mais il en est l’acteur, le pivot. Il est là, et nous non. Il est un héros qui s’ignore.

 

 

 

Pas le héros que nous méritons, mais un héros méritant.