1985 – The ” Fantasm ” !

Cet article “spolie” l’histoire du film alors à lire après l’avoir vu. C’est le film pour comprendre qu’il faut aller au cinéma ans rien connaître de la dramaturgie d’un film pour vivre pleinement une séance de cinéma seul ou accompagné dans une salle obscure face à cet écran qui peut parfois devenir magique…Malheureusement les Critiques écrites et télévisuelles passent leur temps à raconter l’histoire du film car souvent incapable de mettre des mots, des idées sur la démarche profonde et réelle d’un réalisateur (trice).

 

 

 

 

Allan Stewart Konigsberg, dit Woody Allen est un réalisateur, scénariste, acteur et humoriste américain, né le 1er décembre 1935 à New York. Auteur de plusieurs pièces de théâtre et nouvelles, et se produit régulièrement en tant que clarinettiste de jazz. Un des cinéastes américains les plus connus et les plus prolifiques de ces quarante dernières années. Les comédies de mœurs, souvent sur fond de psychanalyse, sont incontestablement son domaine favori bien qu’il s’essaye parfois à d’autres genres. Il se met lui-même en scène comme acteur dans un grand nombre de ses films, incarnant souvent un personnage proche de lui-même, caricature de l’intellectuel juif new-yorkais en proie à des affres tragi-comiques, principalement sexuelles, existentielles et/ou métaphysiques. Il a obtenu de nombreuses récompenses, dont quatre Oscars en tant que Meilleur Réalisateur et Meilleur Scénario Original, catégorie pour laquelle il détient le record de victoires (trois) et de nominations (seize).

 

 

 

Woody Allen, d’où vous vient ce goût pour les longs plans-séquences ?

 

C’est une scène avec toi ou quatre personnages. Je ne vais pas la filmer avec un plan sur deux personnages, puis un plan sur deux autres personnages, et encore deux, puis un personnage seul, et ensuite un gros plan, et puis un plan par-dessus l’épaule. ça va nous prendre la journée, et la journée de demain. Je n’ai pas la patience ni la concentration suffisantes. Je ne supporterai pas de passer aussi longtemps à répéter la même scène. Je vais dessiner un plan, y mettre toutes les informations, on le tournera, et on passera à autre chose. Je fais ça depuis des années. C’est pourquoi j’ai fait tant de films sans m’en lasser. Aucune raison artistique à cela. Il y a mille façons de raconter une histoire, avec beaucoup de plans ou sans jamais couper, les deux solutions ont leurs avantages. J’ai choisi de pencher pour les avantages du plan-séquence, parce que je suis flemmard. Mais Eisenstein, ou Hitchcock, ne tournaient pas de plans longs. Ils faisaient vingt millions de collures, et c’était magnifique.

 

 

 

 

Réalisation 50 longs métrages

Plus court 78 minutes / Plus long 124 minutes

 

Acteur dans 49 films de fiction

33 films de lui + 16 films qu’il n’a ni écrits ni réalisés

Participation à plus de 20 documentaires

 

Trouve absurde la compétition en art. Aucune cérémonie pour accepter une récompense. Exception, la 74e cérémonie des Oscars, en 2002 où il fit une déclaration d’amour à New York, six mois après les attentats du 11 septembre. Il se déplace dans les festivals avec ses films, demande le plus souvent qu’ils soient projetés hors compétition. Au cours de sa carrière, il a reçu plus de 70 récompenses. Woody Allen a souvent déclaré que La Rose Pourpre du Caire était son film favori.

 

 

 

 

FILMOGRAPHIE TRES SELECTIVES…

 

 

 

 

 

Phantasme “Absolu” du cinéphile   par Fré­déric Grolleau

 

En mon­trant à plu­sieurs reprises dans son œuvre Purple Rose of Cairo son héroïne qui va au cinéma voir le film La Rose pourpre du Caire, Woody Allen utilise le pro­cédé de la mise en abyme pour interroger le cinéma. Cette intro­duc­tion d’un film à l’intérieur de son film ne vise pas seule­ment à plon­ger le spec­ta­teur dans l’univers du cinéma avec des acteurs, pro­duc­teurs, spec­ta­teurs, salles de cinéma, etc. mais vaut comme point de départ d’une réflexion sur le pou­voir de l’illusion ciné­ma­to­gra­phique. L’ambiguïté du rap­port entre écran et réa­lité, image et illu­sion, est en effet cen­trale dans la démarche du réa­li­sa­teur, ren­dant la sur­face de l’écran per­méable à tous les désirs et insis­tant sur un écar­tè­le­ment au-delà du réel, plus ou moins consenti par ceux qui consomment du cinéma, entre la magie de la liberté du sep­tième art et les dés­illu­sions de la vie et les dif­fi­cul­tés de la société. Soit entre le pou­voir d’évasion du cinéma et les envies ou rêves de tout spec­ta­teur de films d’aventures pro­pices à l’évasion. Se réfu­giant dans le cinéma face à la moro­sité ambiante, l’histoire se déroule lors de la crise de 1929. Ceci­lia qui incarne la misère du petit peuple condamné aux bou­lots sans len­de­main fran­chit sans ver­gogne les limites du rêve, elle entre lit­té­ra­le­ment dans l’écran avec son aven­tu­rier et pousse le pro­cédé à son comble, elle trouve ainsi plai­sir à évo­luer dans une comé­die roman­tique où la fête est per­ma­nente, où l’argent et les sou­cis n’existent pas, même si les stu­dios sont aler­tés par la fuite de Bax­ter et que la panique s’empare des res­pon­sables de la RKO, que se passerait-il si…les per­son­nages déci­daient de quit­ter tous les écrans et, sur­tout, qui serait res­pon­sable de leurs agis­se­ments dans la vie réelle ?. Ce qui per­dure, qui plus est, lors de son ultime décep­tion à la fin du film. Elle n’est mal­heu­reu­se­ment pas récom­pen­sée de sa déci­sion, le bel acteur, qui ne veut pas gâcher sa car­rière avec une pauvre ser­veuse de bar, la quitte sans beau­coup de remords, sitôt le per­son­nage Bax­ter ren­tré dans son écran. Ayant constaté que le rêve ne se concré­ti­sera pas dans la réa­lité, il ne reste plus à Ceci­lia que la pos­si­bi­lité d’être émue par Top Hat, le film avec Fred Astaire et Gin­ger Rogers qui dansent « Cheek to Cheek ». Le cinéma demeure, envers et contre tout, son seul refuge pos­sible. Alors que les années 1980, ne cessent de faire l’apologie du réel et du cynisme éco­no­mique, Allen chante encore la seule morale qui reste, celle du cinéma voué à ceux qui ne sont pas les déci­deurs du réel. La folle éva­sion des déshé­ri­tés et désen­chan­tés n’aura de lieu que le monde gra­ti­fiant de la fic­tion ciné­ma­to­gra­phique.

 

Hors de l’image, point de salut !

 

 

 

 

Le film éta­blit clai­re­ment que l’imagination nous sauve d’un réel déce­vant et per­met d’explorer d’autres pos­si­bi­li­tés jusqu’alors inaper­çues. Sans les uto­pies, les fic­tions de toute sorte, aucune grande entre­prise humaine ne ver­rait le jour. Le monde est une scène « The world is a stage », disait Sha­kes­peare, ici en une sorte de miroir inversé, c’est plu­tôt la scène qui est le monde. Trop déçue par la vie, il ne reste à Ceci­lia qu’à se plon­ger in fine et éper­du­ment dans ce monde de la comé­die musi­cale. Alors qu’on lui deman­dait pour­quoi il n’avait pas fait ici de happy end, Woody Allen répon­dait « C’est un happy end » Ce qui ne s’explique, au regard de la fin de La Rose pourpre du Caire, que si l’on admet que le cinéma est en soi ce happy end.  Lorsque Ceci­lia, aban­don­née par Gil, de retour au cinéma, admire Fred Astaire chan­ter « Hea­ven, I’m in hea­ven », elle appa­raît certes vain­cue par la réa­lité comme par l’illusion, mais on doit sur­tout entendre qu’elle n’a fait somme toute que reve­nir à la case départ. Elle s’est à nou­veau réfu­giée dans le cinéma, son « para­dis » à elle.

 

Le réel face au vir­tuel...Reste que ce monde magique du rêve pos­sède aussi un carac­tère illu­soire et éphé­mère. S’abandonner au rêve, vivre une his­toire d’amour avec des êtres qui sont tout à la fois c’est tout le pro­blème des pri­son­niers de la caverne pla­to­ni­cienne, ombres et réa­li­tés, pal­pables et fuyants dès lors que nous croyons les tou­cher, ne dure, las, qu’un temps. Aucun des ins­tants que Ceci­lia par­tage avec Bax­ter ne peut durer. Son choix de s’en retour­ner dans la vie réelle où elle croit pou­voir entre­te­nir la magie pro­voque contre toute attente une plus grande décep­tion encore. Car l’homme « réel » que choi­sit la jeune femme au détri­ment du per­son­nage vir­tuel n’est qu’un acteur, autre­ment dit un illu­sion­niste par­ti­ci­pant d’un monde de trom­pe­rie et d’artifice. Ceci­lia, qui se décrète « réelle », est fina­le­ment som­mée de choi­sir entre l’illusion… et l’illusion. Le fort roman­tique Bax­ter, apôtre de la fac­ti­cité, lais­sant appa­raître nombre de fois les limites dues à la vir­tua­lité de son corps, en dépit du fait qu’il « embrasse comme un dieu , il va payer le res­tau­rant avec des billets de Mono­poly…La rai­son semble donc l’emporter chez la spec­ta­trice assi­due de Purple Rose of Cairo…Gil, qui a l’incontestable avan­tage comme il l’affirme lui-même d’être « vrai », lui offrant dans le même temps son amour et la pos­si­bi­lité de deve­nir une vedette à Hol­ly­wood, elle se pro­nonce pour le réel effec­tif au regard du vir­tuel qui n’est que poten­tia­lité. La décon­ve­nue de l’héroïne ensuite tend alors à éta­blir, à titre de morale, que le réel est sou­vent sinon tou­jours déce­vant, à la dif­fé­rence de la fic­tion qui se veut enchan­te­resse et par­vient, elle, et à moindres frais, pour reprendre la for­mule de Mal­larmé au sujet de l’art, à « rétribue[r] des imper­fec­tions de la vie ». Le confirme le réa­li­sa­teur explo­rant ici de part et d’autre d’un écran blanc les innom­brables miroirs de l’art magique du cinéma, et qui confie…D’une manière géné­rale, le monde tel qu’on le voit à l’écran m’a tou­jours paru plus vivable que le monde réel. Contre la per­fec­tion dés­in­car­née des fic­tions, dont les per­son­nages sont sans épais­seur et se réduisent à leur appa­rence, l’éloge du réel, quand bien même impar­fait, l’emporte donc. Tom Bax­ter en témoigne, que l’on voit fas­ciné par la réa­lité com­plexe qui déborde la repré­sen­ta­tion qu’on peut s’en faire. A ses yeux, la réa­lité contient infi­ni­ment plus que la fiction.

 

 

 

 

Même si l’on peut oppo­ser à ce qui pré­cède que l’opium du cinéma est autant un moyen de fuir le réel que de le com­prendre, cette réflexion sur le cinéma se trans­mue en un doux plai­doyer atten­dri en faveur de l’aliénation par l’exploration ver­ti­gi­neuse du miracle de l’art, plus pré­ci­sé­ment de l’artifice, laisse en effet place à une médi­ta­tion sur le sens de la vie. Le para­doxe pro­posé par Woody Allen tient dès lors tout entier dans la thèse sui­vant laquelle la « vraie vie » ne peut être qu’« ailleurs », soit la fausse vie offerte par le spec­tacle ciné­ma­to­gra­phique. Cela amène à cor­ri­ger la ten­dance à consi­dé­rer que le réel désigne ce qui existe indé­pen­dam­ment de nous, dans son « objec­ti­vité », et à l’opposer à la fic­tion, aux fan­tasmes qui sont, croit-on alors, de simples créa­tions de notre esprit. À l’inverse, on observe ici que ces créa­tions spi­ri­tuelles sont à ce point réelles qu’elles jouent un rôle essen­tiel dans le deve­nir du monde. Ainsi comprenons-nous que ce que nous nom­mons réa­lité n’est jamais atteint direc­te­ment, mais se réduit tou­jours pour nous à une repré­sen­ta­tion men­tale. Le rôle du cinéma, tel que révélé par La Rose pourpre du Caire, tient à ce que cet art de la com­po­si­tion s’appuie sur le réel comme son objet mais par­vient à créer une réa­lité seconde pro­je­tée sur l’écran, à la fois sem­blable et dif­fé­rente de la réa­lité pre­mière. Attes­tant ainsi qu’il s’agit moins en défi­ni­tive de repré­sen­ter le monde que de le frag­men­ter pour le réas­sem­bler d’une façon autre.

 

 

 

Un art cri­tique de la figu­ra­tionIns­piré de la pièce de Piran­dello Six per­son­nages en quête d’auteur (1921), La Rose pourpre du Caire trans­cende le reproche fait en géné­ral au cinéma comme art mimé­tique…l’on se sou­vient que Pla­ton, dans le livre X de La Répu­blique, sou­tient la thèse que l’art, en par­ti­cu­lier celui de ce trompe-l’œil qu’est la pein­ture, reste pri­son­nier de la sur­face, inca­pable qu’il serait de dépas­ser la par­tie la plus super­fi­cielle des choses. L’artiste ne pourrait atteindre les choses que telles qu’elles appa­raissent et non pas telles qu’elles sont dans leur essence. L’art illu­sion­niste cri­ti­qué par Pla­ton est rejoint par le cinéma, simple acti­vité com­mer­ciale, il ne ten­drait qu’à ren­for­cer l’appétit de diver­tis­se­ment du spec­ta­teur réduit à n’être tout au plus qu’un consom­ma­teur d’images. C’est donc le sta­tut de l’image, c’est-à-dire de la repré­sen­ta­tion, qui fait dif­fi­culté ici. Défini éty­mo­lo­gi­que­ment comme l’écriture ou la trans­po­si­tion du mou­ve­ment, le ciné­ma­to­graphe ou « sep­tième art » serait alors par prin­cipe le contraire d’un art. Cet outil du confor­misme, que Paul Valéry réduit à un « rêve arti­fi­ciel », ne vau­drait qu’en tant que paran­gon de la « dis­trac­tion », passe-temps dont les images mou­vantes se sub­sti­tuent aux pen­sées des spec­ta­teurs et tout juste bon à cap­ti­ver l’attention au lieu de la sti­mu­ler. Tan­dis que la pein­ture invite au contraire à la contem­pla­tion des images. Le cinéma, comme toute figu­ra­tion, est une image d’image…Une image de l’image per­cep­tive, sur le modèle de la pho­to­gra­phie. Pire encore, c’est une image ani­mée et vivante qui par­vient à atteindre une plus grande pro­fon­deur que l’original. L’imitation est en effet un moindre être du point de vue onto­lo­gique selon le philosophe.

 

L’art est un simple effet de miroir…Il ne livre que l’extérieur des choses, leur appa­rence sen­sible. Mais il vient intro­duire un autre ordre dans le réel, celui de la pure appa­rence car l’objet sen­sible est bien une appa­rence mais il est l’apparence de quelque chose, d’une idée. Le lit réel est appa­rence de l’idée du lit. Le lit peint est appa­rence de l’apparence du lit réel. Il faut donc éta­blir une hié­rar­chie des réa­li­tés sous peine de confondre les ordres. « Il y a trois sortes de lits, l’une qui existe dans la nature des choses et dont nous pou­vons dire, je pense, que Dieu est l’auteur. Une seconde est celle du menui­sier. Et une troi­sième, celle du peintre ». Don­nant ainsi l’illusion du réel, les images en mou­ve­ment du cinéma concourent à créer un uni­vers paral­lèle à celui de la vie quo­ti­dienne. elles nous extirpent de celle-ci et nous font rêver à un monde dif­fé­rent, rem­pli d’aventures et de grandes pas­sions. Ce qui tend par contre­coup à rame­ner la réa­lité quo­ti­dienne à une décep­tion fade et laide. On peut dire alors que le cinéma cesse de faire du cinéma.

 

Je pré­fère,  l’imaginaire à la réa­lité, mais il n’y a que dans la réa­lité que l’on peut trou­ver un bon steak. Woody Allen.

 

 

 

 

Aliénation ou bien Libération ?

 

Inter­ro­geant sans relâche la puis­sance de l’image de même que les rap­ports du réel et de la fic­tion, la ques­tion posée par La Rose pourpre du Caire est donc bien de savoir si l’évasion par la fic­tion est une alié­na­tion ou, au contraire, une forme de libé­ra­tion. On pense en par­ti­cu­lier à cette cocasse séquence du film où, pri­vés de Tom Bax­ter qui ne peut plus leur don­ner la réplique, les acteurs du film se mettent à dis­cu­ter à par­tir de l’écran avec les per­sonnes qui sont dans la salle de cinéma. Petit à petit, les per­son­nages dés­œu­vrés du film se retrouvent dans la même pièce à ne plus savoir quoi faire, en fumant ciga­rette sur ciga­rette tout en orga­ni­sant des par­ties de cartes. Par exten­sion, Woody Allen nous invite ici à une réflexion abys­sale sur la valeur et la fina­lité de l’art incarné par le cinéma, cette « péda­go­gie de la per­cep­tion » à quoi sert l’art ? Pour­quoi regardons-nous des films ? Que cherchons-nous au contact des œuvres d’art, grandes ou petites ? S’agit-il sim­ple­ment de se dis­traire ou de par­ve­nir par ce tru­che­ment, au risque de l’illusion, à affron­ter, voire chan­ger, le monde ? La fonc­tion de cette acti­vité dés­in­té­res­sée qu’est l’art, c’est-à-dire au sens strict du terme l’ensemble des pro­cé­dés et des œuvres qui portent la marque d’un talent par­ti­cu­lier, ayant pour but la beauté, l’expression, l’émotion et étant gui­dées par un idéal de vérité, de connais­sance, voire de recon­nais­sance, n’a pas à voir qu’avec le loi­sir. Il s’agit bien plu­tôt dans ce besoin essen­tiel, comme dans le cas de Ceci­lia, de rendre la vie enfin sup­por­table. De l’enrichir, dans un sens autre qu’économique.