Le 19 juin 1986, Coluche mourait contre un « putain de camion ». Trois décennies plus tard, son influence est toujours là mais l’irremplaçable pantin qui a réinventé l’humour politique et la générosité civique manque toujours plus !
Enfoiré, reviens !
Coluche, d’utilité publique. par Myriam Perfetti
Il est plus que jamais dans toutes les têtes. Même dans celle du chef de l’Etat, comme le rapportait récemment le Canard enchaîné, révélant les vaines moqueries de François Hollande sur Emmanuel Macron…Il y a toujours un personnage mythique qui sort comme ça, à un an de la présidentielle, un personnage qui vient expliquer que la politique telle qu’elle est conduite n’est pas la bonne. Avant 1981, c’était Coluche mais, ensuite, tout ça se dégonfle parce que c’est hors sol.
Hors sol ? Tout juste comme la trajectoire de , petit gars de Montrouge, né en 1944 à Paris, dans un milieu modeste, qui, en l’espace de douze années de service public, de 1974 à 1986, a bousculé la bien-pensance, dynamité l’humour, réveillé la solidarité, pour finir par devenir, avec la création des Restos du cœur, l’un des saints laïques les plus révérés de France. Et que l’on peut désormais, à l’occasion du trentième anniversaire de sa disparition, saluer et remercier. Lui qui adorait bousculer les idoles aurait peut-être peu apprécié, c’est vrai. Disons qu’il faut le saluer comme Zag et Sia, deux street artistes, qui l’ont récemment peint, anamorphosé et rigolard, le long de l’escalier de la rue Lemaignan dans le XIVe arrondissement parisien…Au-delà du comique, c’est l’homme qui nous intéresse. Par ses convictions et son humanisme, il a démontré que l’on pouvait changer les choses lorsque l’on s’en donne les moyens. Il y a beaucoup de questions concernant la pauvreté en France, qui ne sont pas résolues avec les années, alors que l’on sait très bien qu’il s’agit d’agir pour que tout change. Son histoire, c’est l’histoire d’un mec qui était entré dans la vie des Français par effraction, au soir du second tour de la présidentielle de 1974, alors que François Mitterrand tardait à prendre la parole. Oh, ce soir du 19 mai 1974 ! Sur le plateau de Guy Lux, un drôle de bonhomme aux lunettes rondes, aux manières empruntées et au pull blanc, qui affiche son nom brodé d’une écriture enfantine, fait se gondoler pendant dix minutes une salle très policée avec une histoire proprement inracontable. Vous la connaissez ? Non ? Oui ? Non, parce que si…Grâce à ce premier personnage issu d’une savoureuse galerie d’abrutis comme le rocker de banlieue, le baba parasite, le philosophe de comptoir, le père alcoolique, le beauf raciste…qu’il affectionne tant et qu’il a commencé à croquer au Café de la Gare, avec son complice Romain Bouteille, dès 1971, l’amuseur public, en se révélant le porte-parole d’une génération, est entré dans nos cœurs pour n’en plus sortir. Ses détracteurs, tous ceux, de droite, de gauche et d’ailleurs, qui le trouvaient vulgaire se rassembleront en une union sacrée autour de sa dépouille, pour honorer l’« impertinence » et le « grand cœur ». Aujourd’hui, le temps, à sa bonne vieille habitude, a réussi à gommer ses débordements, ses outrances et ses sorties de route, cela aussi l’aurait probablement fait rire.
26 Septembre 1985 naissance des Restos du Coeur
Mais, au moment de sa prise de parole subversive et provocatrice, la France pré-giscardienne, qui connaît son premier choc pétrolier et qui découvre les affres du chômage ainsi qu’un borgne au bandeau noir nommé Jean-Marie Le Pen, est un pays moralement et humoristiquement bien étriqué. Bien sûr, il y avait Fernand Raynaud, Francis Blanche, Raymond Devos et…Pierre Dac, sa dérision et son parti poil à gratter le Mouvement ondulatoire unifié, que le satiriste avait eu l’audace de présenter à la présidentielle de 1965. Mais, dans cette France du mitan des années 70, on n’avait pas encore l’outrecuidance de s’en prendre directement aux institutions, à la classe politique, aux journalistes, aux bonnes mœurs. Coluche, lui, comme Guy Bedos et Pierre Desproges, fait voler en éclats les conventions, professant l’humour, le seul humour qui vaille, celui qui n’épargne personne.
Je suis pas raciste. Les Blancs, les Français, les Noirs, les juifs. Hein, non…Pas les juifs. Bon, alors, à part les juifs, tous les autres sont égaux. Oui, les Arabes plus que les autres. Devant Dieu, tous les hommes sont frères. Les dieux entre eux, ils sont frères, non ? Ils mangent à la même cantine…raille-t-il, dans « Le CRS arabe », en 1974, le premier sketch à s’emparer du racisme rampant de la société française. Ou…Il paraît que la presse a tué un ministre. Par rapport à ceux qu’elle fait vivre, c’est pas très grave…A propos du « suicide » du ministre du Travail Robert Boulin, en 1979. Ou encore…Rose promise, chômedu, alors que les socialistes accèdent au pouvoir en 1981. 35ans plus tard, ce discours désacralisateur et ces petites phrases assassines, qui ont pu éclore à la faveur de la contestation post-soixante-huitarde, entre les pages d’Hara-Kiri et de Charlie Hebdo à travers les dessins de Reiser et de Wolinski, sont devenus le fonds de commerce de la descendance artistique de Coluche, tendance humour grinçant. Celle que revendiquent Christophe Alévêque, Gaspard Proust ou Jamel Debbouze. Leur corrosif et brillant chef de file, Stéphane Guillon, a même été débarqué en 2010 de l’antenne de France Inter pour avoir demandé à sa direction dans l’un de ses derniers billets matinaux quelle devait être la limite de l’humour si on commençait à vouloir la restreindre. Mais là où Coluche pouvait tout pulvériser de son verbe ravageur et populaire, qui le faisait apprécier à la fois des élites et des Français dits moyens, à la fois à la droite et à la gauche, là où il pouvait taper avec une égale virulence sur les puissants et les faibles, ses successeurs, les « mutins de Panurge », comme les appelait méchamment l’essayiste Philippe Muray, tombent un à un sous les coups de canon du politiquement correct. En effet, plus personne n’ose, comme se le permettait joyeusement et irrévérencieusement le rondouillard hilare à la salopette rayée et aux croquenots jaunes, s’en prendre, pêle-mêle, aux religions, aux femmes, aux handicapés…
L’humoriste libertaire, qui entra, le 19 juin 1986, en collision frontale avec un semi-remorque, arrachant un rageur Putain de camion ! à Renaud, s’est fait, lui, couvrir d’opprobres, en osant se déclarer candidat à la présidentielle de 1981. Démarrée comme une « plaisanterie à caractère social », alors qu’il vient, en février 1980, de se faire débarquer de RMC, après seulement dix jours d’antenne pour l’avoir prise en disant…Des nouvelles du Rocher aux putes. T’as vu monter Carlo ? Non j’ai vu monter Caroline, sa candidature reçoit le soutien de prestigieux intellectuels, tels que Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze, Alain Touraine et Félix Guattari. Sa campagne est orchestrée par le cinéaste Romain Goupil et le journaliste Maurice Najman. Ses slogans « Coluche : un président bleu-blanc-merde », « Roulez bourrés », « Vos parents sont des cons : refusez l’hérédité » et son fameux appel aux « fainéants, crasseux, alcooliques, pédés, femmes, parasites…Tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques », relayés dans Hara-Kiri et Charlie Hebdo, lui apporteront plus de 16 % d’intentions de vote. Des chiffres qui inquiètent alors la classe politique. Le ministre de l’Intérieur, le fait placer sous surveillance. Coluche aura reçu des douilles et des menaces de mort signées « Honneur de la police », un commando qui avait revendiqué, quelques mois plutôt, l’assassinat de Pierre Goldman, le demi-frère de Jean-Jacques, qui signera, en 1985, l’hymne des Restos du cœur. Le leader du PCF, Georges Marchais, affolé par l’ampleur du phénomène « Coluche, président », fait disparaître les sondages des comités politiques. Et même François Mitterrand confie que, malgré la sympathie qu’il lui inspire, ses 16 % risquent de lui faire perdre cette élection historique. Ereinté par les coups bas, séparé de sa femme Véronique et éloigné de ses deux fils, Romain et Marius, le clown, devenu triste, annonce, le 7 avril, son retrait définitif de la campagne. Trente-cinq ans plus tard, tous ceux qui se sentent ignorés par les politiques en place restent orphelins de cette parole démesurément libre. Le 26 septembre, en pleine lune de miel de cette spectaculaire union couverte par tous les JT et toutes les radios, ce génie comique, qui aura voulu être le porte-parole des sans-voix, traîne sa détresse causée par un divorce, le suicide de son ami le comédien Patrick Dewaere et par ses adieux à la scène. Tout cela se soigne à grands coups d’héroïne et de cocaïne, mais aussi grâce à l’amour du public et à la reconnaissance de la profession, qui l’honore d’un César pour son jeu habité de pompiste solitaire dans Tchao pantin de Claude Berri.
Sur l’antenne d’Europe 1, dont il avait été débarqué en juin 1979 parce qu’il ridiculisait quotidiennement Valéry Giscard d’Estaing, empêtré dans l’affaire des diamants de Bokassa, et dont il booste l’audience, depuis juillet 1985, avec sa nouvelle émission, « Y en aura pour tout le monde », celui qui n’a jamais oublié son enfance difficile lance une petite idée qui, trente ans plus tard, n’en finit plus de faire son chemin…S’il y a des gens qui sont intéressés pour sponsorer une cantine gratuite. Nous, on est prêt à aider une entreprise comme ça, qui ferait un resto par exemple qui aurait comme ambition de faire 2000, 3000 couverts par jour, gratuitement. Alors, tous ceux qui sont intéressés, qui voudraient nous contacter pour ça, on est prêt à recevoir les dons, de toute la France d’ailleurs…Cette idée « provisoire », comme il la qualifiait, est désormais pérenne. Hélas…Et tant mieux. Elle a servi la saison dernière plus de 130 millions de repas. C’était juste 1 million il y a trente ans. La mort…Si on est touché soi-même, on a intérêt à en rire et, si on n’est pas touché, on n’a pas de raison de ne pas en rire. J’ai mis dans une enveloppe ce que je mettrai sur mon épitaphe en partant. C’est : « Démerdez-vous ! Répétait celui qui voulait mourir de son vivant. Trente ans après la dernière mauvaise blague de cet enfoiré d’utilité publique, qui d’humoriste indétrônable se sera transformé en humaniste indispensable, on ne sait toujours pas comment faire sans lui. On se débrouille. Mais c’est moins drôle.
TCHAO PANTIN Claude Berri ,1983
Pompiste de nuit, solitaire, alcoolique, Lambert (Coluche) s’est échoué là, venant d’on ne sait où. Sa vie, c’est la routine morne de la station-service, le métro aérien, son seul horizon. Il y végète, la quarantaine usée, le regard absent. Son destin bascule la nuit où il rencontre Bensoussan (Richard Anconina), un jeune dealer, orphelin. Ils unissent leur solitude et nuit après nuit, Bensoussan prend l’habitude de venir parler avec Lambert. Une étrange amitié naît entre les deux hommes. Jusqu’au jour où Bensoussan est abattu devant les yeux de Lambert…A l’origine de cette histoire, il y a un roman publié en 1982 par Alain Page, qui en co- signe aussi le scénario. Et celui- ci n’en était pas à son coup d’essai sur grand écran. Quatorze ans plus tôt, en 1968, il y avait fait ses premiers pas en co- signant le scénario de La Piscine de Jacques Deray avec Jean- Claude Carrière, sous le pseudo de Jean- Emmanuel Conil. Et celui qui créera pour la télévision les personnages de la célèbre série Les Cordier, juge et flic, passera même une fois derrière la caméra en 1986, le temps d’un long métrage pour le cinéma : Taxi boy avec Richard Berry et Claude Brasseur.
C’est l’histoire d’un film…dont personne ne voulait. A commencer par Claude Berri qui ne voit pas bien quoi faire de cette histoire quand le producteur Christian Spillmaecker la lui propose. Berri imagine parfaitement Coluche dans le rôle du pompiste dépressif un comédien qu’il a déjà dirigé à deux reprises dans Le Pistonné et Le Maître d’école. Mais ce dernier aussi commence à botter en touche, explique qu’il n’a pas envie d’un rôle aussi noir, alors que dans sa vie il est sur le point de toucher le fond. Depuis sa candidature avortée à la Présidentielle de mai 1981, tout va de mal en pis pour lui. Sa femme a quitté le domicile familial avec leurs deux enfants Marius et Romain, Patrick Dewaere s’est suicidé avec l’aide de la carabine qu’il lui avait offerte et lui, l’amuseur public numéro un miné en outre par d’énormes soucis d’argent, a sombré dans la drogue. Ce personnage de pompiste usé par la vie a donc tout du miroir dans lequel il refuse de se regarder. Et quand il va enfin accepter de l’incarner, Coluche va emmener ce personnage et le film encore plus loin que le scénario ne le laissait deviner. La critique saluera la performance, le public sera au rendez- vous et le métier lui offrira son seul César de sa carrière avec un show mémorable sur scène pour fêter le triomphe de ce Tchao Pantin qui repartira en tout avec 5 statuettes dont deux pour le seul Richard Anconina Espoir et Second rôle masculin.
Tchao pantin, c’est l’histoire de deux personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer…Un pompiste, incarnation du Français moyen, et un jeune dealer, mi-arabe, mi-juif. Le pompiste Lambert, homme sans passé, développe une connivence père-fils avec le jeune Bensoussan. Une relation taiseuse mais sincère, l’homme déjà mort renaît au contact de Bensoussan. Et c’est la mort violente du jeune dealer qui met le feu aux poudres, et lève le voile sur le passé de Lambert, ancien flic, il a tout lâché à la mort, par overdose, de son fils. En voulant venger la mort de Bensoussan, c’est avec son propre passé qu’il veut régler ses comptes. Film noir devenu culte, Tchao pantin impose un univers lugubre, une ambiance crépusculaire. Loin de son image de carte postale, Paris est gris et sale. La photo de Bruno Nuytten qui a beaucoup traîné dans la ville avec Claude Berri pour y trouver ses ambiances fait baigner le film dans des teintes gris-bleu, et les décors d’Alexandre Trauner, et surtout cette station-service aménagée près du boulevard de La Chapelle, ajoutent au glauque avec ses néons blafards…Et voici que le réalisme poétique renaît dans les tristes paysages urbains d’un Paris contemporain…Par Jacques Siclier, Le Monde, 24 décembre 1983. Évoluant lentement dans ces nuits sans fin, deux acteurs exceptionnels. Richard Anconina, perdu dans sa parka, habite le personnage de Bensoussan, éclatant de jeunesse et de subtilité, il tient un des plus beaux rôles de sa carrière. Et il y a Coluche avec sa fine moustache, rouflaquettes, regard mort, il crève l’écran avec un jeu tout en intériorité. Dans ce rôle à contre-emploi, il dévoile des talents d’interprétation inoubliables. Celui que le public ne connaît que comme l’humoriste provocateur est à un moment-clé et extrêmement difficile de sa vie personnelle, seuls ses proches savent qu’il ne s’agit pas d’un rôle de composition.vColuche ne lira jamais le scénario de Tchao pantin. Les producteurs lui raconteront l’histoire et devront le convaincre…Sa peur de ne pas être à la hauteur lui fera d’abord refuser cette offre. Mais il se ravise et accepte ce qui restera le rôle de sa vie. Figurants, silhouettes et petits rôles seront choisis in situ, c’est sur place, dans les bistrots de Belleville comme au Gibus, que Claude Berri recrute. Il écrit rôles et dialogues en fonction de ses rencontres avec les comédiens amateurs. De leur côté, les rôles principaux se sont immergés dans leurs milieux respectifs, Agnès Soral a vécu plusieurs semaines dans un squat punk et Richard Anconina a traîné des jours et des nuits dans des bistrots repaires de dealers. Le tournage de nuit de Tchao pantin dura neuf semaines. L’ambiance est tendue, car le quartier est une place centrale des trafics nocturnes. Tchao pantin sera nommé pour douze récompenses ! Au César 1984 Il en recevra cinq…Meilleur acteur pour Coluche, Meilleur second rôle et Meilleur espoir pour Richard Anconina, Meilleur son et photographie.