Yves Montand était un chanteur et acteur français né le 13 octobre 1921 en Italie (à Monsummano Terme, en Toscane) et mort le 9 novembre 1991 en France (à Senlis dans l’Oise). Son nom d’origine est Ivo Livi car Yves Montand était d’origine italienne. Ivo Livi, qui est la vraie identité d’Yves Montand, est né à Monsummano Alto en Toscane (Italie) le 13 octobre 1921. Il est le benjamin d’une fratrie de 3 enfants (un frère et une sœur). La famille Livi est une famille très pauvre issue du monde ouvrier. Son père est un militant du Parti communiste italien qui lutte contre la montée du régime fasciste de Mussolini.
En 1923, la famille Livi décide de quitter l’Italie et son régime fasciste pour rejoindre la France. Ivo n’a alors que deux ans. Les Livi s’installent dans un quartier pauvre de Marseille. Le père crée une fabrique de balais et son frère et sa sœur arrêtent rapidement l’école pour aller travailler et gagner ainsi de l’argent. Ivo connait une enfance difficile car il est considéré comme un immigré rital. En 1929, la famille Livi se voit accepter la nationalité française. Ivo devient alors Yves. Comme son frère et à sa sœur, Yves va très vite travailler. Le problème est qu’il n’est âgé que de onze ans et la loi française interdit le travail avant quatorze ans. Mais comme il a l’avantage de faire plus vieux que son âge, il arrive très facilement à mentir sur son identité pour se faire embaucher dans une usine de pâtes. Passé quatorze, il réalise un CAP coiffure et travaille dans un salon de coiffure avec sa sœur. Depuis son plus jeune âge, Yves s’intéresse au cinéma, notamment les comédies musicales. En 1937, il obtient une place de chauffeur de salle dans un cabaret de music-hall à Marseille. Il enchaîne de nombreux petits rôles dans des spectacles d’amateurs. Il se choisit un nom de scène, Yves Montant (avec un “t” au début), en souvenir de sa mère qui l’appelait pour qu’il monte à l’appartement : « Yves, monta ! », mélange de français et d’italien. En 1939, il monte sur la scène de l’Alcazar à Marseille où il chante « Dans les plaines du Far-West ». C’est le premier vrai gros succès d’Yves Montand qui ne se produisait jusqu’alors que dans des petits spectacles de banlieues marseillaises. Le début de la seconde guerre mondiale en 1939 vient interrompre cette ascension fulgurante. Après avoir passé quelques mois comme manœuvre de chantier en Provence, Montand décide de reprendre sa vie d’artiste commencé d’avant guerre. Il enchaîne les succès et il est remarqué par le producteur Émile Audiffred. Nouvel arrêt dans sa carrière, il est envoyé aux chantiers de la jeunesse créés par Vichy. Il n’y reste qu’une seule année et reprend très vite la scène. Malgré l’occupation allemande, il gagne relativement bien sa vie. Il doit cependant prouver régulièrement que son nom Livi ne dissimule pas en fait celui de Lévy, nom juif. Avec son producteur, et pour éviter d’être envoyé en Allemagne, il rejoint Paris. Fraîchement arrivé dans la capitale en 1944, Yves Montand continue de se produire dans différents théâtres (ABC, Bobino, Moulin Rouge …) grâce aux relations de son producteur Émile Audiffred.
En juillet 1944, il est même la première partie d’Edith Piaf, qui est déjà très célèbre. Il y aura d’ailleurs entre ces deux artistes une histoire d’amour secrète. Montand joue donc devant des publics importants et de connaisseurs. Il cherche son style et a du mal à le trouver. Il prépare ses entrées en scène, abandonne son accent italien et se construit un nouveau répertoire. La réussite n’est pas immédiate. Il faut attendre février 1945, toujours en première partie d’Edith Piaf, au théâtre de l’Etoile, pour voir le public répondre présent. Sur des textes écrits pour la plupart par Edith Piaf, Yves Montand remporte l’unanimité du public. Le succès au théâtre de l’Etoile lance la carrière du chanteur. En 1945, il enregistre pour la première fois pour la marque Odéon. Il jouera pendant 7 semaines consécutives à l’Etoile et prolongera le plaisir à l’Alhambra. Toujours en 1945, il débute au cinéma dans « Etoile sans lumière » avec encore et toujours Edith Piaf en vedette.
En 1946, il remplace Jean Gabin dans le film « Les portes de la nuit ». Le film est considéré comme un désastre. Henri Jeanson parle de « la plus grosse déception de l’année » dans Cinémonde. 1946, c’est aussi l’année où Piaf met un terme à sa relation avec Montand. Elle juge que le talent de l’artiste-chanteur peut nuire à sa propre carrière. Yves Montand se console de sa rupture avec Edith Piaf en multipliant les performances sur scène. En 1947, Jacques Prévert écrit pour Montand et perturbe les habitudes de l’artiste. Il lui présente Francis Lemarque. Ce dernier donnera à Montand quelques unes de ses plus belles chansons. Lemarque lui présente aussi Henri Crolla, un des plus grands guitaristes au monde. Cette rencontre apporte une tonalité plus jazzy, plus swing à Montand. Cette année là, il engage le pianiste Bob Castella qui restera son partenaire de scène et ami tout au long de sa carrière.
Prévert fait également découvrir à Montand l’auberge « La colombe d’or » située à Saint-Paul-de-Vence. C’est un lieu où de nombreux artistes s’arrêtent entre deux tournées ou deux films pour se reposer. Le 19 août 1949, Yves Montand y fait la rencontre de Simone Signoret. Ces deux là ne se quittent plus, c’est un vrai coup de foudre ! L’actrice est à l’époque mariée avec le réalisateur Yves Allégret. Elle décide de divorcer et de mettre sa carrière entre parenthèses pour Yves Montand. Yves Montand continue son ascension fulgurante. En 1951, le chanteur triomphe seul sur scène avec un tour de chant de 22 chansons. Montand marque l’histoire du music-hall. Beaucoup de chanteurs tenteront comme lui l’expérience du one-man-show. En 1953, ce tour de chant reste à l’affiche à l’Etoile pendant 8 mois à guichets fermés, un record. Ce sera également le premier double album 33 tours enregistré en live.
Fin décembre 1951, Yves Montand et Simone Signoret décident de se marier. Ils forment l’un des couples les plus en vogue du moment. En 1953, Montand joue dans le film d’Henri-Georges Clouzot « Le Salaire de la peur ». Il obtient ainsi son premier grand rôle marquant au cinéma. Le film obtient d’ailleurs le Grand Prix du Festival de Cannes. Après la réussite dans le monde de la musique, Montand connait la consécration au cinéma.
En 1954, le couple Montand-Signoret achète une propriété en Normandie, à Autheuil-Authouillet. Yves Montand a gagné une fortune grâce au succès de son one-man-show au théâtre de l’Etoile qui s’est joué plus de 200 fois. Leur nouvelle maison en Normandie est le lieu de rencontres avec de nombreux artistes comme Pierre Brasseur, Jean-Paul Sartre, Serge Reggiani et Simone de Beauvoir. Début 1955, Montand et Signoret sont les deux vedettes de la pièce de théâtre « Les Sorcières de Salem » de l’écrivain Arthur Miller. C’est une pièce largement inspirée de l’affaire Rosenberg. Adaptée par Marcel Aymé et mise en scène de Raymond Rouleau, elle est présentée pour la première fois au Théâtre Sarah Bernhardt à Paris. Elle connaît un tel succès que les représentations durent jusqu’à décembre 1955. L’année suivante, en 1956, Yves Montand décide de réaliser une tournée de music-hall en URSS. L’invasion des chars de l’Armée Rouge à Budapest (Hongrie) ne l’empêchent pas de se produire devant les Soviétiques à Moscou. Il joue devant le Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique Nikita Khrouchtchev. Les deux hommes s’entretiennent d’ailleurs pendant de longues heures après la représentation pour parler politique. En 1957, accompagné de Simone Signoret, Montand entame une tournée dans les pays de l’Est. L’artiste revient cependant en France avec un sentiment de déception concernant ses convictions politiques communistes et l’application qu’il en a vu dans ses pays.
En 1959, Montand et Signoret décident de partir vivre aux Etats-Unis. Dès leur arrivée, le chanteur se produit pendant trois semaines à Broadway devant plusieurs célébrités comme Montgomery Clift, Lauren Bacall, Ingrid Bergman et Marilyn Monroe par exemple. Il obtient un énorme succès du public américain. Cela se manifeste par de nombreux rappels à la fin de chaque spectacle. La presse américaine est conquise. Il joue dans toute l’Amérique : San Francisco, Hollywood, Montréal et New-York. Montand devient une star internationale et se produit un peu partout dans le monde. Grâce à une apparition sur la chaîne BBC où il danse en avec Dinah Shore, il se fait remarquer par le réalisateur George Cukor pour le film « Le milliardaire ». Il partage l’affiche avec Marilyn Monroe. Une brève liaison nait de cette rencontre entre Montand et Monroe mais Simone Signoret ne perd pas son honneur face à la presse people. Cette infidélité va profondément déséquilibrer l’harmonie du couple mais ils resteront unis jusqu’à la mort de Signoret en 1985. Yves Montand, fort de son succès dans « Le milliardaire », tourne dans le film « Sanctuaire » de Tony Richardson. Il décline cependant de nombreuses autres propositions de films. Montand décide de rentrer en France. En 1963, il chante à Paris de nouveau à l’Etoile. Son public répond toujours présent à chacune de ses représentations mais le chanteur peine à se renouveler et à trouver de nouveaux titres. Il remarque le métier a changé et que la concurrence devient dure. L’artiste constate qu’une autre génération, celle de Johny Halliday notamment, est en train de s’installer. Sa carrière dans le music-hall touche à sa fin.
A partir de 1964, il se consacre donc très logiquement à sa carrière d’acteur. Et c’est en 1965 qu’il s’impose réellement dans le monde du cinéma. Sa rencontre avec Costa-Gavras est l’élément déclencheur de sa réussite. Il tourne avec lui le film « Compartiment tueurs » qui est le début d’une longue série de films à succès. Il joue avec les plus grands acteurs, Alain Resnais, René Clément, Claude Lelouch, Philippe de Broca, Jean-Pierre Melville, Gérard Oury, Jean-Luc Godard. Montand alterne les films engagés, les comédies et les drames. Il s’impose comme l’un des acteurs français les plus populaires. Parallèlement à sa carrière d’acteur aboutie, il s’engage dans la vie politique. De convictions communistes, il rompt pourtant avec le parti communiste français suite au Printemps de Prague. En 1974, il condamne ouvertement le coup d’état du général Pinochet. En soutien au peuple chilien, Yves Montand donne un récital de chansons à l’Olympia, ce qui débouche sur un film de Chris Marker « La Solitude du chanteur de fond ». Il devient indirectement un acteur politique très présent dans les médias français. Le titre « Montand président ! » fait la une de nombreux journaux. Il ne se présentera jamais à une élection présidentielle.
Les années 80 sont certainement les années les plus prolifiques pour Yves Montand. 1981 symbolise son grand retour sur scène en tant que chanteur. Il enregistre un album intitulé « Montand d’hier et d’aujourd’hui ». C’est un vrai succès. Il triomphe à l’Olympia en 1982, multipliant les spectacles à guichets fermés. Il part en tournée en Province et connait le même succès. Il réalise également une tournée mondiale aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil et au Japon. en1985 l’artiste tourne dans l’immense succès de « Jean de Florette » et « Manon des Sources » de Claude Berri. Le lendemain du tournage de ce dernier film « IP5 », alors âgé de 70 ans, Yves Montand meurt d’un infarctus du myocarde. Film dans lequel le personnage interprété par Montand meurt également d’une crise cardiaque. Il aurait fait un malaise sur le tournage et aurait eu cette phrase…Je sais que je suis foutu mais ce n’est pas grave, j’ai eu une très belle vie. Il décède à l’hôpital de Senlis et est inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris aux côtés de sa femme Simone Signoret, décédée en 1985.
ENTRETIEN AVEC YVES MONTAND
Est-ce que d’avoir quitté pendant plusieurs années le métier de chanteur a été une épreuve ? Non, pas du tout. Je sais bien qu’en annonçant le spectacle de Jean-Christophe Averty, on va parler de mon « retour » à la chanson. En apparence, c’est évidemment une reprise de contact avec le music-hall, le cinéma constituant quelque chose comme un chemin de traverse dans une longue carrière de chanteur. Je cite pour mémoire et sans pavoiser outre mesure mes trois « one-man-show » de six mois chacun au Théâtre de l’Étoile, en 53, 58 et 63. J’ai peut-être fait un peu l’école buissonnière par rapport au music-hall, mais ça n’a jamais été une rupture. Cela dit, depuis deux ans j’ai envie de chanter et je me surprends à chanter pour moi, pour mon plaisir, dans la salle de bains, ce qui ne m’était jamais arrivé de ma vie. Lorsque vous avez chanté toute la soirée après une préparation mentale et physique de plusieurs heures, le lendemain matin vous ne voulez surtout pas que l’on vous parle encore de chansons. Parlez-moi de football, de films, de livres, mais pas de chansons. Et puis, il faut ménager ses cordes vocales, préserver sa fraîcheur avant d’entrer en scène. C’est très curieux, en scène je me sens toujours très bien, mais pendant les deux heures qui précèdent, il y a la trouille, le malaise, une grande tristesse. Ce n’est pas ce qu’on appelle le trac, mais une sorte d’appréhension, la peur de la solitude. C’est épouvantable. Une sorte de désespoir. L’angoisse. L’envie de chialer, vraiment. Elle me quitte juste avant le spectacle. Là, on fait son travail et c’est une autre forme d’angoisse, normale, professionnelle. Après, c’est l’euphorie, la détente, comme lorsqu’on échappe à un cauchemar comme une grande jouissance…Au cinéma cette trouille n’existe pas. J’ai peur, mais pour le film lui-même. Il y a peut-être un vague petit malaise le premier jour du tournage. On se demande si on sera à la hauteur. On n’a aucune certitude et heureusement.
En vacances, vous pensez ? Non, je ne pense à rien. Je vis avec cette douce menace dans la poitrine et sur la tête, mais je refoule les idées, les projets. Je récupère. Je joue aux cartes, je sors, je mange, je lis, je vis comme tout le monde. Quand je rentrerai à Paris, je me mettrai sur scène avec Bob Castella, pour voir si tout fonctionne. Il peut y avoir de mauvaises surprises, auquel cas je renoncerai, mais, en cas contraire, je voudrais que ce soit la fête. Je ne tiens pas à entrer en religion. Je signerai probablement pour quarante représentations, plus quelques visites en province pour reprendre contact, ce que j’appelle revenir à la base.
Retrouver le plaisir de savoir que le public éprouve du plaisir à vous retrouver ? Il y a un très grave danger scénique. Tout le monde a un côté plus ou moins exhibitionniste, égocentrique. Ce n’est pas l’apanage des comédiens. Voyez les hommes politiques, les journalistes, les jeunes femmes, les moins jeunes, les enfants, tout le monde. Est-ce un défaut ? Non, c’est un moyen de prouver que l’on existe, pas autre chose. Un certain penchant, chez moi, à l’exubérance. Mon goût de vivre même quand les choses sont moches, a probablement pour but d’écarter l’angoisse. Donc, ce maquillage est un phénomène normal, humain, moindre chez les acteurs que chez les autres, car les acteurs, qui ne cessent de se contempler, se lassent vite d’eux-mêmes. Professionnellement, le nombrilisme est d’une tout autre nature. Quand je sais que je dois me produire sur une scène, ce qui équivaut à courir un 10 000 mètres, je suis obligé de penser toute la journée à moi-même, à cet autre moi-même qui va entrer en scène. Donc, je m’écoute, je surveille ma petite santé, mes aliments, tout ce qui risque d’avoir des répercussions sur les cordes vocales. Cette attention à soi-même risque de devenir insupportable. Le plaisir de la vraie chaleur, de la vraie communion avec le public. Cette fraternité dont tout le monde a besoin doit être payée de ce prix : moi, moi, moi, moi…Les gens en ont déjà un peu marre de l’audiovisuel. Les cinémas sont souvent presque vides alors que les music-halls sont toujours pleins. Raison de plus pour ne pas s’en éloigner. Il faut prendre du recul. Il faut que l’oreille se déshabitue à vous écouter vous-même, pour savoir si votre voix ne devient pas agaçante, à la longue. Le disque que je viens de faire, j’avais vraiment envie et besoin de le faire. Si je l’ai enregistré comme un professionnel, je l’ai écouté comme un profane. Je me surprends moi-même, je me dis…Tiens, il chante bien, ce con-là. Mais le vrai tempo, c’est sur scène qu’on le trouve. C’est comme le jazz, on ne l’apprécie vraiment que le soir ou au milieu de la nuit. Duke Ellington à dix heures du matin, c’est impossible. Enfin, pour moi.
Est-ce que le plaisir d’être en scène se retrouve de quelque manière dans un show télévisé comme ceux que vous avez tournés avec Averty ? Dans n’importe quel cas devant un public ou des caméras que doit chercher un interprète ? La vérité, ce que l’on croit être sa vérité par rapport à une chanson ou au personnage d’un film. Trois mille personnes dans une salle ou bien une caméra froide, c’est la même chose : un trou noir, un œil unique qui regarde, et ce regard n’est pas passif. Quand on est à côté de la plaque, l’œil répond par une sorte de frémissement comme ces animaux marins qui ont des ergots rétractiles. Personne ne dit rien, mais on sent comme un retrait, une réserve, une réticence. Disons que sur scène vous pouvez changer imperceptiblement de rythme en fonction de l’atmosphère et de l’attente visibles, sensibles de la salle, tandis que devant une caméra le rythme imprimé à une scène ou à une chanson ne pourra plus être modifié que par le réalisateur, au montage. C’est pourquoi je ferais davantage confiance à un metteur en scène qui a le sens du rythme, qui connaît la musique. Averty, c’est le grand défricheur, le pionnier de la télévision. Il a été pillé non seulement en France mais dans tous les pays. Ce qu’il a inventé entre autres choses, c’est cette façon irréaliste de traduire en images les textes des chansons. L’œil du spectateur s’amuse tandis que l’oreille écoute. Le seul danger, c’est l’excès. Je suis aussi à l’aise avec Averty qu’avec Alain Resnais ou Costa-Gavras, ou Claude Sautet. Il y a une connivence entre nous. On en est à notre quatrième show. Je lui ai même demandé de ne pas être présent à l’image dans certaines chansons, pas constamment en tout cas. Dans certains cas, il donne libre cours à son imagination et à son exubérance, par exemple pour la chanson Hollywood. Là, il y va à fond et moi, je suis un élément secondaire. Il a fait aussi un travail phénoménal sur Sir Godfrey alors que pour d’autres titres, il s’est révélé très sobre. Il a aussi du génie dans la sobriété. Sanguine, de Prévert, était un grand moment de télévision. Ça oui. De même pour Les Bijoux, de Baudelaire. Il montre seulement le nu classique de Manet. Je l’ai laissé faire, complètement. Ce qui est tout à fait normal. Il dessine tous les plans préalablement avec une précision remarquable. Il a la correction de me montrer ses projets. Il n’y a aucune discussion. Pas de problèmes.
Ce qui n’empêche pas les coups de gueule ? Ça, c’est autre chose. Ce qui est insupportable quand on tourne chez Averty, c’est la chaleur inhumaine des projecteurs. Le costume est brûlant. Alors, parfois, ça agace. Pendant les huit jours de tournage, il n’y a eu qu’un coup de gueule. Et pour rien ! Pour dégager l’atmosphère. Lui aussi gueule mais les techniciens le savent. C’est une forme de fébrilité, un remède physique à l’inquiétude, pas de la vraie colère. Averty, c’est quelqu’un de gentil, de tendre, un écorché vif qui ne peut pas se résoudre à voir la télévision partir en lambeaux. Il en est malade. Quand il voit la vétusté du matériel, il devient fou. Comme tous les tendres et tous les timides, il a tendance à en rajouter dans la violence verbale, l’agressivité, la provocation. Sur le plateau, il menace les techniciens du goulag ! Il fait le salut hitlérien…Il est contre la bêtise d’où qu’elle vienne. Quand il dit d’un ouvrier qu’il est con, les gens pensent qu’il est fasciste ou aristocrate. C’est idiot parce qu’il traite aussi de cons des personnalités du plus haut niveau.
On vous reproche vos prises de position. Est-ce si grave de dire ses opinions ? Malgré tout ce que l’on vient de traverser au cours de ces vingt ou trente années, malgré toutes ces certitudes qui volent en éclats, toutes ces philosophies qui s’effilochent ce qui fait mal parce que l’on se retrouve tout nu mais ce qui est un bien parce que enfin la voie est dégagée, je sens que tout d’un coup se forment de nouvelles cristallisations de chapelles. À nouveau les « gens bien » jugent les autres, ceux qui « pensent mal. On m’a presque insulté parce que j’ai accordé ma présence d’une minute trente, présence muette, dans un show de Michel Sardou. Autre chose avec les metteurs en scène des Muppets, qui ont eu comme invités Orson Welles, Danny Kaye…me demandent de paraître deux minutes dans le Top club de Guy Lux. J’accepte. Mais qu’est-ce que j’ai fait là ! Comment ai-je pu me prêter à de telles opérations ! J’essaie d’expliquer à ces imbéciles que d’abord je ne prétends pas être un homme irréprochable. D’ailleurs dans ces deux cas, je n’ai vraiment rien à me reprocher et je les emmerde. D’autre part, je me refuse à entrer en religion, à éviter de saluer telle personne pour ne pas « me compromettre ». Ceux qui m’adressent ces reproches et que je considère comme des gauchistes staliniens pratiquent l’intolérance la plus stupide. Guy Lux sait parfaitement ce que je pense de ses émissions, je le lui ai dit en face. Michel Sardou sait aussi ce que je pense de certaines de ses chansons et je ne dis pas, là non plus, que j’ai raison de penser ce que je pense, mais je comprends qu’il les chante parce qu’il a envie de le faire. Le problème est moins de savoir si monsieur Sardou est de droite ou fasciste ou Dieu sait quoi que de se demander pourquoi un enfant de Mai 68 éprouve le besoin de chanter ce qu’il chante. Mais au nom de quoi vais-je couper le contact avec lui ? C’est une bonne chose, le contact.
Est-ce que les journalistes ne commencent pas à vous agacer en vous contraignant à vous expliquer sur votre comportement privé ? Si c’est agaçant. C’est pourquoi je n’ai plus envie de donner d’interviews à la presse. Et pourtant, j’ai des amis dans la presse, des gens sérieux, corrects, compétents, qui ne comprendraient pas que je refuse de m’entretenir avec eux.
Ne pensez-vous pas que votre célébrité, et le fait que l’on vous admire et que l’on vous aime, vous confère des responsabilités morales ? Vous me parlez exactement comme Simone. Je lui réponds toujours que j’ai peut-être, c’est vrai, une certaine responsabilité, mais j’ai quand même envie de ruer dans les brancards. Je veux aussi vivre en tant qu’homme avec mes pulsions, mes défauts. Là, il y a un piège. Certaines personnes me portent une certaine estime et une certaine affection. Soit. Suis-je pour autant obligé de me conformer à l’image qu’ils se font de moi ? J’ai connu des artistes qui, par ce respect du regard d’autrui, sont devenus secs, se sont châtrés. Il y a, je l’espère, certaines frontières que je ne franchirai pas. Mais je ne vais pas entrer en religion. Quand il m’est arrivé de parler publiquement, c’est parce que je voulais donner la parole à des gens qui n’y avaient pas accès. Ce n’étaient des déclarations ni de droite ni de gauche mais, je crois, de bon sens.