L’Empire, un cinéma décrépit du bord de mer dans l’Angleterre de Thatcher, siège des souvenirs adolescents de Sam Mendes. Délicat et émouvant. Insoupçonnée vertu des confinements par le temps retrouvé pour penser à soi, aux siens, au présent et à l’imparfait. Moments de pause et d’introspection que certains cinéastes, d’ordinaire happés par un engrenage hollywoodien soudain grippé, mirent à profit pour dévoiler des bribes de leur intimité jusque-là farouchement tenue secrète. Après l’autobiographique The Fabelmans, de Steven Spielberg, Sam Mendes signe ainsi son premier scénario original, et originel. Lui qui avait déjà osé révéler les traumas enfantins de James Bond dans Skyfall ravive ici ses propres souvenirs d’adolescent dans un film éminemment proustien sur les vestiges des jours et le pouvoir consolateur du septième art.
Comme Stephen le dit dans le film « Ce petit rayon de lumière est une évasion ». Nous ressentons tous ce besoin très humain d’échapper à la vie, de laisser libre cours à notre imagination pour découvrir un autre nous-même dans les livres, la musique, le théâtre et dans le cas présent au cinéma. Le film est né de la crainte que les gens n’aillent plus dans les lieux de culture. Nous avons créé ces temples, pour découvrir des rêves illuminés, des sortilèges jetés par des cinéastes. Vont-ils désormais rester vides ? Ils sont un phare dans la nuit, un lieu de communion, c’est ce à quoi le cinéma peut et devrait servir. C’est un endroit où vont les gens qui ne se sentent pas à leur place ailleurs. Là, ils peuvent trouver un foyer et la joie d’une expérience partagée, celle de regarder un film ensemble. Dans EMPIRE OF LIGHT des personnes se retrouvent ensemble dans un endroit extraordinaire et se lient d’amitié. Au fond, le film traite des familles que nous créons et qui nous aident à traverser l’existence, de la manière dont les gens se rapprochent pour prendre soin les uns des autres, en faisant le choix de la gentillesse, de la compassion et de l’empathie. Cela vaut la peine qu’on s’en souvienne dans le nouveau monde où nous nous trouvons…Sam Mendes
Le vrai héros d’Empire of Light est une salle de cinéma. Un paquebot Art déco en brique majestueusement décrépit et ancré face à la mer du Nord, sur la promenade de Margate, station balnéaire au nord de Douvres prisée par le peintre Turner pour l’éblouissante blafardise de son ciel. D’infinies nuances de gris que Roger Deakins, le chef opérateur attitré de Mendes et des frères Coen sait lui aussi sublimer. En cette année 1980, six personnes, six solitudes, ont trouvé refuge à l’Empire, temple du divertissement déjà en sursis. Sur cette famille recomposée veille un patron paternaliste, qui entretient une liaison abusive avec Hilary jouée par une prodigieuse Olivia Colman, sa plus dévouée et consciencieuse employée, vieille fille borderline tellement éteinte qu’elle se contente parfois de la maigre chaleur de ces étreintes non consenties. L’arrivée d’un nouveau factotum dans cette équipe soudée par le cafard vient apporter un soupçon de gaieté…et de couleur. Il s’appelle Stephen, la vingtaine, beau comme un dieu. Il est Noir. Ce qui est loin d’être un détail dans l’Angleterre sinistrée par le chômage, le racisme et la rigueur de Margaret Thatcher. Entre Stephen et Hilary, une idylle naît, d’une délicate évidence. Même s’il a l’âge de la fuite et elle, celui du déjà-vu, comme dans une chanson d’Anne Sylvestre. Déraison et sentiments. Ils se retrouvent pour faire l’amour dans la partie désaffectée du cinéma, une immense salle de bal envahie de pigeons et de poussière où trône toujours un piano à queue réduit au silence, fantôme d’un lustre perdu que le réalisateur convoque sans nostalgie.
Il sera paradoxalement très peu question de cinéphilie dans ce film qui sacralise la salle, mais pas les auteurs. Hormis le vieux projectionniste dont la cabine est tapissée de photos de stars, les employés parlent plus volontiers du dernier vinyle des Specials et autres pépites punk du label 2 Tone Records que des films à l’affiche, dont on aperçoit furtivement les titres sur la devanture de néon avec Raging Bull, Les Chariots de feu, The Blues Brothers…sans que jamais la caméra ne s’immisce à l’intérieur de la salle pendant la projection. À une bouleversante exception près. Le cœur à marée basse, une fois de plus, Hilary décide de s’abandonner, enfin, aux sortilèges du grand écran. Ivresse immédiate. L’empire de la lumière n’a pas de frontières.
Directeur de la photographie Roger Deakins
(1917, BLADE RUNNER 2019, SKYFALL, LES ÉVADÉS) 15 fois nommé et deux fois primé aux Oscars. cinquième film ensemble…Je lis le scénario comme si c’était un roman, sans penser à la mise en scène. Je me plonge dans l’histoire et ne me concentre sur rien d’autre, jusqu’à ce que je parle avec le réalisateur, car c’est sa vision qui prime, pas la mienne. Sam et moi avons passé plusieurs jours à discuter de la façon d’aborder ce film. On aurait pu tourner caméra à l’épaule, comme pour un docudrama. En réaction à 1917 où la caméra n’arrêtait pas de bouger, il nous a paru plus approprié d’opter pour un film plus stylisé, plus calme et plus statique, afin de donner de l’espace aux personnages à l’intérieur du cadre.
LES DÉCORS…Le film a été tourné à Margate, une ville située sur la rive nord du Kent…J’ai été attiré par cet endroit particulier parce qu’il offrait de nombreuses possibilités par l’ampleur visuelle des paysages, C’est là que Turner a peint ses toiles les plus célèbres, parce que, disait-il, le ciel y était le plus beau d’Europe. C’est là que T. S. Elliot a écrit « La terre vaine », assis sous un abribus juste à l’extérieur du cinéma, donnant sur la plage et la mer grise. Son envergure confère à ce lieu une poésie et une dimension toute cinématographique. Sam Mendes
Mais Sam Mendes a surtout choisi Margate parce que le chef décorateur Mark Tildesley (MOURIR PEUT ATTENDRE, PHANTOM THREAD, AU CŒUR DE L’OCÉAN, 28 JOURS PLUS TARD) y a déniché un parc d’attractions avec un ancien cinéma et une salle de bal et sa façade impressionnante en art déco. Lorsque Sam Mendes a découvert les lieux, il a réécrit son scénario pour l’adapter aux décors. Des scènes qui avaient été prévues sur un balcon désaffecté, ont été remaniées pour tirer parti de la salle de bal, et une scène a été ajoutée dans la patinoire de la fête foraine. La salle de spectacle est devenue le magnifique cinéma Empire, à l’intérieur, des sièges au matériau recouvrant les murs en passant par l’arc de scène, ont été installés. La salle de bal a fait l’objet d’un lifting bien nécessaire et les toilettes des dames Art Déco ont été reconstruites puis, ces décors ont été patinés pour coller à la période…Ce bâtiment glorieux est une splendeur du style Art Déco on a le sentiment qu’il a été construit dans les années 1930 et en 1980, il commence à se fissurer et à s’effondrer, On relève de nombreuses analogies avec l’histoire des personnages principaux sont des gens usés et brisés qui ont besoin d’être soignés, guéris, réparés.
Il manquait à Dreamland un seul élément, mais capital, pour satisfaire la vision et l’histoire de Sam Mendes un grand hall Art Déco donnant sur la mer. Un peu plus bas dans la même rue, un grand espace ouvert a permis au chef décorateur de construire le décor...Le foyer est une pièce centrale c’est là que tous les personnages se rencontrent. Il devait en mettre plein la vue, c’est une incroyable sensation de pénétrer dans le cinéma par le front de mer, froid et orageux en hiver, pour se retrouver dans ce foyer délicieux rempli de bonbons et de popcorns, avant d’aller découvrir un film qui vous transporte dans un autre monde. Il s’agissait de tourner sur un seul lieu mais sur le front de mer, la lumière est toujours changeante et la plupart du tournage se déroulait de jour, Sam aurait pu construire un décor sur une scène avec un écran vert, mais qui aurait manqué de naturel. Nous n’aurions pas obtenu le même réalisme si nous avions été en studio…Nous avons ôté tous les néons et les avons remplacés par les nôtres, puis nous avons reconstruit la façade avant, qu’ils appellent canopée, Roger se demandait comment diable nous allions éclairer ces scènes nocturnes, alors sur ses instructions, nous avons installé des guirlandes lumineuses sur tout le front de mer. C’est également dans le studio de fortune construit sur le front de mer que sont construit les décors des bureaux. La cabine de projection ceinte de murs mobiles pour accueillir le tournage, et les intérieurs des appartements de Hilary et Stephen, ont été montés dans un hangar de l’aéroport de Manston tout proche…Sam voulait filmer autant que possible en plan séquence. Nous devions donc tout préparer à l’avance, puis remettre le décor en place en fonction du déroulé du scénario, le décor évolue en même temps que l’histoire et reflète les combats intérieur d’Hilary. Sam a imaginé qu’elle a un jour décidé de repeindre sa pièce avec des couleurs extraordinaires du violet et du vert foncé mais qu’elle a abandonné à mi-chemin. Nous avons aussi décidé qu’elle commencerait à écrire certaines de ses réflexions sur le mur. Plus qu’une simple pièce en désordre, ces détails révèlent l’état mental du personnage.
Toby Jones tient le rôle de Norman, le projectionniste. Aujourd’hui, les films sont projetés en numérique, mais avant pour projeter un film, il fallait un professionnel qualifié qui utilisait deux projecteurs, faisait passer le celluloïd par un arceau, à l’affût des signaux secrets pour changer de bobine…C’est un projectionniste de la vieille école c’est un travail qui réclame des compétences particulières et qu’il prend incroyablement au sérieux. Parce qu’il doit changer de bobine toutes les quinze minutes, il vit presque constamment dans la salle de projection, d’où il voit chaque film. Ce que nous découvrons c’est que comme beaucoup de personnages il a trouvé refuge dans ce cinéma. Il faut être synchrone pour passer d’un projecteur à l’autre, et accrocher le celluloïd lorsqu’il passe dans le projecteur est une opération minutieuse. Impossible d’acquérir 20 ans de savoir-faire, mais j’en ai appris suffisamment pour avoir l’air meilleur que je ne le suis ! TOBY JONES
Les gens parlent beaucoup de la mort des films sur pellicule, mais ce qui constitue une perte selon moi, c’est la manière dont on les projetait, Le projectionniste donnait le film au public, même s’il n’y avait qu’une seule personne dans le noir, elle savait que quelqu’un là-haut lui montrait le film, le lui donnait. Quand vous discutez avec les projectionnistes, ils avaient le sentiment de faire partie de l’univers du cinéaste. Ils se voyaient comme le dernier maillon de la chaîne. S’ils projetaient LAWRENCE D’ARABIE, ils avaient le sentiment de représenter David Lean. SAM MENDES
LA MUSIQUE D’EMPIRE OF LIGHT
Le film est rythmé par les musiques de l’époque des chansons clés soigneusement sélectionnées par Sam Mendes, dont beaucoup datent de son adolescence au Royaume-Uni, et que Stephen et le jeune personnel de l’Empire écoutent. Ces morceaux du début des années 80 ainsi que des titres folks de la fin des années 60 et du début des années 70 qu’Hilary passe à la maison, accompagnent la bande son composée par Trent Reznor et Atticus Ross, qui ont été couronnés à deux reprises aux Oscars...J’ai toujours pensé que les années 80 constituaient une période musicale d’une extraordinaire richesse, avec ces courants différents qui se sont télescopés à peu près en même temps. Chacun appartenait à une bande, il y avait les Nouveaux Romantiques aux cheveux souples, ceux qui portaient des costumes bicolores, des fans de Heavy Metal, et même des Gothiques comme Janine dans le film, écoutant Joy Division, Siouxsie and the Banshees et The Cure. » Les chansons qui figurent dans le film telles que « Do Nothing » et « Too Much Too Young » des Specials, ou « Mirror In The Bathroom » de The Beat représentent la scène musicale du label Tone qui a émergé à l’époque et changé la donne au Royaume-Uni, aussi bien sur le plan musical que culturel et politique. On peut aussi entendre dans le film « Love Will Tear Us Apart » de Joy Division et « Spellbound » de Siouxsie and the Banshees qui reflètent la scène gothique de l’époque. « C’était la musique des jeunes qui avaient grandi à Londres. Un peu comme le mouvement punk-rock qui a précédé, elle a constitué un vecteur de changement, pour le meilleur. L’aspect inclusif de cette musique a transformé la culture en Grande-Bretagne. Chacun faisait partie d’une tribu et on avait le sentiment de défendre quelque chose. La musique et la culture n’étaient pas aussi accessibles qu’aujourd’hui, il fallait faire un effort pour bouger, écouter, regarder. Il fallait sortir de chez soi pour les trouver dans le monde. Sam Mendes
La partition musicale est de Trent Reznor et Atticus Ross, dont c’est la première collaboration avec Sam Mendes, après avoir été acclamés pour leur travail sur des films aussi divers que THE SOCIAL NETWORK, 90’S, BIRD BOX, SOUL, MANK et la série télévisée «Watchmen»…Nous admirons Sam et étions intrigués par son travail. Nous étions impatients de voir comment ça allait se passer et comment il allait déteindre sur nous. C’est inspirant de se retrouver avec de gens qui fonctionnent à plein régime et mettent tout en œuvre dans un projet. Son intégrité et son intelligence ont dépassé nos attentes. Le cinéaste a intégré Trent Reznor et Atticus Ross très en amont dans le processus de production car il en était encore à l’écriture…Nous avons eu l’impression d’être invités dans la chambre secrète, déclare Trent Ross. Nous avons parlé à Sam au moins une fois par mois, sinon toutes les deux semaines, pendant six mois avant qu’il ne s’empare de la caméra. Il a partagé avec nous beaucoup d’informations intimes et personnelles, qui nous étaient nécessaires pour les exprimer émotionnellement en musique. Les compositeurs ayant « tous les sons du monde » à leur disposition, la première étape a donc consisté à fixer des limites pour EMPIRE OF LIGHT…Nous avons débuté les sessions de composition avant que la moindre image ne soit filmée. Nous avons absorbé autant d’informations et de pistes que possible, puis nous nous sommes assis et avons réfléchi sur le plan éditorial à la couleur que nous souhaitons donner à la partition. Quel est l’ADN de ce monde ? Nous avons sélectionné certains instruments, certaines approches, nous avons passé plusieurs semaines à improviser, à composer, et nous avons tout mélangé dans le shaker de la musique pour la connecter à ce monde. Sam Mendes s’est montré précis dans sa direction, constructif dans ses remarques, inspirant les autres à élever leur niveau d’exigence. il sait très clairement ce qu’il veut dire et exprimer, nous gardions notre liberté de composer, il ne nous tenait pas la main mais en termes de récit, de sensation et de voyage émotionnel, il était concentré exclusivement sur le sentiment à faire passer. Trent Reznor&Atticus Ross
Cette exigence dans l’inspiration a fait d’EMPIRE OF LIGHT, la partition la plus exigeante que les deux musiciens aient eu à composer à ce jour…Quand nous nous sommes lancés dans ce projet, nous pensions que ce ne serait pas trop difficile à réaliser. Mais cela a été un défi sur le long terme. On ne pouvait pas faire semblant. Les enjeux étaient élevés. Et c’était intimidant à bien des égards. Mais c’est ce qui en a fait une expérience précieuse. Nous en sommes sortis meilleurs compositeurs. Le morceau dont ils sont le plus fiers accompagne l’une des premières scènes du film, quand Hilary ouvre les portes de l’Empire. Dans le scénario, Sam Mendes avait indiqué une chanson particulière du pianiste de jazz Bill Evans. raconte…Quand je l’ai entendue au début du film, j’ai ressenti de la nostalgie, du réconfort et ça a bien fonctionné. Mais en tant que compositeurs, nous nous sommes demandé si nous pouvions la remplacer par une composition originale moins ostensiblement nostalgique, qui puisse donner le ton de la partition et changer dès le début les attentes du public sur le film qu’il découvre. A tort ou à raison, la chanson de Bill Evans donnait certaines indications aux spectateurs sur le film, avec l’ouverture que nous avons composée, ils ignorent ce qui va suivre. Sam n’était pas sûr de la placer au début, mais 24 heures plus tard, il nous a dit « Je l’ai regardée dans un vrai cinéma, et vous aviez raison. Cela donne au film une tout autre envergure.
La partition essentiellement jouée au piano, ne raconte que la moitié de l’histoire. En plus des compositions pour piano, les deux musiciens ont ajouté des voix humaines, des cordes et d’autres instruments, qui fournissent un cadre au piano selon une méthode qui n’appartient qu’à eux…Notre partition est classique, elle n’est pas expérimentale par nature, mais si vous écoutez attentivement, une orchestration chaleureuse et agréable brode autour du thème principal au piano. Nous avions un microphone dans une pédale de looper permettant de jouer en boucle pendant deux heures ce que nous avions enregistré, et dans ce micro, je captais un violoncelle qui s’intégrerait dans la texture musicale, ou bien une ligne de cordes, des voix, ou tout ce qui se trouvait dans le studio à ce moment-là. Le rendu final est très organique et naturel, il semble familier, confortable. C’était excitant de façonner ainsi le son pour obtenir l’atmosphère que nous souhaitions. Le voyage émotionnel d’Hilary consiste à passer d’un type d’amour à un autre, et à s’accepter elle-même. Nous espérons que le public sera complètement transporté au point d’oublier ce qui l’entoure pour se perdre dans le film.
Cinéma d’ombre et lumière par paul Greard
Sam Mendes Oscarisé pour American Beauty, Skyfall et 1917, confère à des sujets aussi hostiles que communs, une forme d’art et des émotions fortes. Avec EMPIRE OF LIGHT, le réalisateur britannique propose un cinéma plus humain sous les traits d’une ode à son art, personnelle et engagée. Usines à rêves et échappatoire à la réalité, les hommages au cinéma se multiplient en cette période post-pandémie ayant secoué les coutumes du 7e art. Après Babylon et The Fabelmans, EMPIRE OF LIGHT se révèle plus discret en la matière. Inspiré de son enfance dans les années 80 et de sa mère aux troubles bipolaires, Sam Mendes combine pouvoir du cinéma et souvenirs d’enfance. Une richesse d’idées qui joue partiellement en la justesse de l’hommage attendu.
Hiver 80-81, Margate, station balnéaire de la côte sud-est de l’Angleterre. Hilary Small (Olivia Colman) est la responsable d’équipe du cinéma l’Empire dont les néons jaunes éclairent les bordures d’une ville souvent grise. Si elle maintient un visage attentionné avec son équipe, Hilary est fragile, enchaînant les traitements, et malléable, ne sachant pas dire non aux actes dégradants de son patron incarné par Colin Firth. L’arrivée de Stephen (Micheal Ward), jeune homme d’origine antillaise, marque chez elle, un regain de vie, au sein d’un cinéma dont la fonction première semblait oubliée. Le réalisateur offre cette fois un cinéma plus intime et marqué par des engagements sociétaux toujours d’actualité. EMPIRE OF LIGHT s’apparente à un drame social, probablement plus beau et sage qu’il devrait l’être.
Noirceur et beauté…Parler de beauté revient ici à parler du travail de Roger Deakins…1917, No Country For Old Men, Prisoners, Skyfall et de sa photographie. Loin de toute technologie, le film marque par sa subtilité et sa précision de l’image. Le cadre du film semblerait suffire à lui seul et uniquement par des éclairages et des silhouettes, Roger Deakins transcende cette ville côtière vieillissante et surtout son cinéma. Les bâtiments, les fenêtres, les couleurs semblent guider naturellement les décisions du photographe avec une composition entre le fonctionnel et le grandiose, proche du magnifique. Un contraste fort émerge, celui de cette lucidité de l’image et de la cruauté du message. Tantôt soignée, tantôt monotone, la musique du duo Reznor-Ross contribue à la somptueuse mise en place du cinéma l’Empire, cadre exclusif du récit. Une partition en symbiose avec l’image, un jeu de ton et de température, de la ferveur de la salle et la froideur des coulisses, l’introduction du cinéma est faite avec une belle délicatesse. Mais progressivement, on comprend que ce doux regard sur le cinéma fait en réalité partie d’un panel d’intrigues bien plus vaste, celui d’un tableau d’une époque. Au sein d’un cinéma dont on devine l’apogée passée, Mendes dépeint le portrait d’une nation britannique dans la tourmente, préférant célébrer les gloires du passé avec, dans ses cinémas, Les Chariots de Feu.
Drame éclectique…Pour réellement apprécier EMPIRE OF LIGHT, il faut finalement autant le considérer comme un récit social qu’un hommage au cinéma. Les thématiques sociétales évoquées dans le film sont nombreuses, traitées de façon séquentielle. Ainsi, si le cinéma est au centre du film par le déroulement de son histoire, il ne révèle son véritable potentiel que tardivement, celui de réunir et de guérir des âmes blessées. Avant cela, il est le lieu où s’expriment tous les maux d’une époque marquée par une perte de lien culturel, d’aliénation sociale et de racisme. Les relations entre les personnages, à l’image du lien entre Hilary et Stephen, évoluent dans le but de donner du sens à ces thèmes mis en scène de façon brutale. L’oppression croissante que subit Stephen, la fragilité sentimentale grandissante de Hilary, tous deux occupent une place importante dans EMPIRE OF LIGHT, avec leurs climax successifs avant de se nouer à l’univers du cinéma. Lui semble trouver le réconfort à créer cette magie depuis les coulisses, elle semble retrouver la paix en renouant avec l’obscurité de la salle. Les deux personnages se lient très vite, leur relation va évoluer tout au long du film, de la passion à l’amitié, leur lien va et vient avec les émotions du personnage d’Olivia Colman. Un amour impossible, qui s’apparente plus en réalité à un besoin mutuel de l’autre, un besoin de se retrouver entre marginalisés. Le déni de la santé mentale, le racisme, la solitude, le cinéma en tant qu’exutoire, toutes ces thématiques se juxtaposent avec la justesse et la dramaturgie nécessaires. EMPIRE OF LIGHT, perd, en contrepartie, de cohérence en raison du peu de temps accordé au développement des personnages et de leur intimité.
Joyau d’émotions…Malgré sa beauté sage et le poids de ses thématiques, EMPIRE OF LIGHT peut souffrir d’une narration assez pauvre, parfois trop crue. Il touche par sa pudeur d’écriture et de dialogues, rendant chaque histoire complexe et profonde. L’émotion vient souvent de la performance d’Olivia Colman, qui aussi bien dans sa plénitude que son déchirement, relie le tout avec brio. Emphatique, on observe sa déchéance dans son discours au bord du craquage, du rouge à lèvres sur les dents, on admire sa renaissance, les larmes aux yeux alors qu’elle semble découvrir l’illusion de vie qu’est le cinéma. Micheal Ward, de son côté, s’affirme, bien qu’il n’ait pas tant l’occasion de briller en raison d’un script un peu réduit. Il arrive cependant à donner une complexité à son personnage, aux souffrances discrètes à l’écran, mais suffisantes pour comprendre son lien qui va se forger avec Hilary. En parallèle, Colin Firth dans son rôle de directeur véreux, matérialise toute la cruauté de ce monde en montrant sa mainmise sur les plus faibles. Toby Jones, quant à lui, est le personnage à l’importance insoupçonnée, projectionniste réservé, il est empreint d’une grande sincérité, faisant ouvrir les yeux aux protagonistes principaux sur l’expression de leurs sentiments. Il est l’âme et le cœur du cinéma, le seul à véhiculer directement sa magie. La façon d’aborder les troubles d’Hillary est probablement l’un des éléments les plus touchants du film. La pathologie n’a encore pas de nom ou du moins, n’est pas reconnue. Hilary est soutenue, mais beaucoup ne semblent pas savoir comment l’aider, Stephen le premier. Comme un enfant observant la déchéance d’un proche, le spectateur comprend et compatit avec ces deux personnages bien que leurs troubles ne soient jamais clairement identifiés. L’émotion n’a pas besoin de mots, la maladie d’abord discrète se manifeste alors par des crises qui se vivent de plus en plus intensément. Mendes arrive à construire son univers intime autour du personnage d’Hilary. Lorsqu’elle sombre, c’est tout le cinéma qui semble à l’arrêt. En privilégiant la pure fiction à l’autobiographie partielle, EMPIRE OF LIGHT aurait perdu de sa puissance émotionnelle et de son regard innocent porté sur ses thèmes lourds. Une célébration du cinéma dont la splendeur tient dans sa mise en scène et ses performances fortes.
20 ans de carrière / Une soixantaine de films TV / séries / Films.
Parcours d’étude classique puis une école de theatre et son diplôme en 1999. Elle travaille depuis toujours pour la télévision et le cinéma au départ des rôles tres secondaires dans des séries et films. 2011 apres 10 ans de métier elle joue dans Tyranosaure avec Peter Mulan le film a de nombreux prix qui lui amène de la reconnaissance surtout professionnelle. Elle attendra 2018 à 44 ans pour enfin être reconnue par le grand public grace à La favorite dans son rôle de reine d’Angleterre du début du 18ème siecle. Prix d’interprétation à Venise. Oscar de la meilleure actrice en 2019. Sam Mendes lui offre un rôle à la hauteur de son immense talent.
40 ans de carrière…100 Films & Séries
2022 La ruse / 2015-2017-2023 Kingsman – Blockbusters
2011 Le Discours d’un roi Oscar du meilleur acteur
2009 Single man Prix interprétation à Venise
Il est Mark Darcy dans les 3 films du journal de Bridget Jones 2001/2004/2016
1998 Shakespeare in love / 1996 Le patient anglais / 1989 Valmont
30 ans de carrière…100 Films & Séries
Très nombreux seconds rôles mais en 2007 il est Truman Capote dans Scandaleusement célèbre et Hitchcock dans un film TV en 2012.
25 ANS repéré par Sam Mendes dans plusieurs séries. Nous devrions le voir souvent dans les prochaines années.
FILMOGRAPHIE COMPLETE