C’est un film qui prend le temps de regarder les immenses paysages de la Mongolie…Le temps d’admirer les lumières du couchant grâce à une photo maîtrisée…Il y a elle, la bergère…Unique, solide, pleine de vie et solitaire à la fois. Trop vraie pour être un rôle de composition…Juste découverte au cœur de cette steppe Mongole au milieu de ses bêtes. L’histoire comme souvent dans les grands films est simple, voir classique mais surtout un prétexte pour regarder notre bergère avancer sans bruit ou avec lorsqu’elle fait parler la poudre…Progressivement elle nous rassure dans ce pays qui nous semble si inhospitalier, rien nous surprend même lorsque elle doit utiliser son test de maternité, tous est si simple et naturel. Sans oublier l’humour dans des choix musicaux décalés, des dialogues savoureux et des situations parfois assez surréalistes. Jusqu’à la dernière scène avec ce plan séquence « Magique » qui débute par la naissance d’un veau et montre deux êtres isolés mais solidaires pour nous donner de l’espoir et croire encore à l’amour. Inoubliable et digne des plus grands du cinéma. JP
Öndög est avant tout un film sur la matière première du cinéma le temps. Les dialogues restent moins importants, purement fonctionnels- ils racontent ce que l’image ne transmet pas ou poétiques et quelque peu naïfs, ils lient les longues scènes contemplatives. La symbolique biblique de la fin, n’alourdit pas considérablement la perception globalement positive du film. Quant aux images de matières primaires de la nature, elles sont tout à fait justifiées, même si peut-être choquantes pour un public sensible : le sang et la poche des eaux lors de la naissance d’un veau ; on tue la louve pour la défense, un mouton pour se nourrir. Difficile de ne pas penser aux célèbres images du mouton égorgé dans le prologue de Persona (1966) de Bergman, mais aussi à celles dans Les Saisons (1975) de Artavazd Pelechian. C’est également un film aux aspects anthropologiques sur une population en voie de disparition face à la globalisation du monde et un film qu’on peut qualifier de féministe. En bref, un film qui donne à penser autant qu’il montre. Un film à ne pas rater.
Mon équipe de production est arrivée en Mongolie le 8 janvier 2018. Nous avons tout préparé pendant un mois, puis nous avons tourné en 20 jours, en surmontant d’innombrables difficultés. Lorsque j’étais dans la salle de montage à Pékin, j’ai enfin pu voir mon film terminé. J’ai compris que c’était un film sur la vie, la mort et l’amour. Pendant la période que j’ai passée en Mongolie, j’ai véritablement ressenti leur concept du temps. La vie, la mort, l’amour n’étaient pas comme ce que j’avais perçu jusqu’à présent. Tout avait une signification différente. J’ai toujours pensé que les dialogues contribuaient à la bonne compréhension d’un film. Mais cette fois-ci, le langage paraît superflu. Contentons-nous de regarder l’image. WANG Quanan réalisateur
Académie du Film de Beijing en 1991. Ecrit tous ses films. A remporté de nombreux prix à Berlin. Emblème de la sixième génération de cinéastes chinois. Plusieurs de ses films mettent en scène une Chine rude et rurale, secouée par la modernisation.
FILMOGRAPHIE
2019 – LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’ŒUF
2011 – BAI LU YUAN
2010 – APART TOGETHER
2009 – LA TISSEUSE
2006 – LE MARIAGE DE TUYA
2003 – THE STORY OF ERMEI
1999 – ÉCLIPSE DE LUNE
Quel a été le point de départ pour ce film ?
Comme vous le savez, ce n’est pas la première fois que je tourne en Mongolie. J’y avais déjà tourné Le Mariage de Tuya. J’aime beaucoup le genre d’espaces que l’on trouve là-bas. Les Mongols ont un mode de vie nomade, ils ont donc une relation très étroite avec la nature. Or, c’est quand on se trouve dans une telle nature qu’on a assez d’espace pour enfin pouvoir réfléchir sur nous-mêmes. De plus, le film est basé sur une histoire vraie, mais les événements en question se sont déroulés en Chine. Le protagoniste était un policier chinois, or c’est très difficile de faire des films sur la police chinoise, même si La Femme… n’est pas un film politique à proprement parler.
L’un des vos personnages dit « ce que l’on voit avec nos yeux humains, ce n’est pas forcément la réalité ». Est-ce une idée que vous avez en tête quand vous faites des films ?
Cette idée ne surprendra pas quiconque a quelques connaissances sur les cultures et les spiritualités orientales. Pour nous, le monde est une illusion. Ce que l’on voit n’est pas la vérité, et la vérité est différente de ce que l’on voit. Cela signifie qu’on doit toujours porter un regard ouvert sur le monde. Les humains pensent souvent qu’ils sont au-dessus des choses, au dessus de la nature. Ce que montre le film, c’est qu’au contraire nous ne sommes pas grand chose face à la nature, qu’elle peut nous apprendre des choses, et surtout nous changer.
Vous racontez tout ça avec beaucoup d’humour.
C’est indispensable. Je ne voulais pas être trop sérieux. En Mongolie, on voit loin dans l’espace grâce aux immenses étendues. On voit aussi loin dans le temps car dans ces paysages intacts, on comprend mieux qu’ailleurs que l’histoire de la présence humaine ne représente qu’une petite partie de ce qui s’est passé sur terre. Cela aide à prendre du recul, et toutes les histoires, aussi graves soient-elles, deviennent dérisoires.
Est-ce une idée que vous essayez de traduire par la manière particulière don vous composez et travaillez vos images ?
J’ai voulu que la nature soit la plus majestueuse possible. Pour de nombreux Chinois, ces steppes ont l’image d’une zone morne et désolée. Je voulais leur rendre leur splendeur. C’est pour ça que j’ai voulu travailler avec un chef-opérateur qui n’était pas familier de ces paysages, et que j’ai choisi un Français. Les images possèdent une teinte dorée et on y a ajouté presque un filtre rose. Au final, ces images ne sont pas ternes du tout, même si le film parle de la mort. Je voulais éviter toute mélancolie et traduire l’idée que la mort et la renaissance sont toujours liées.
Quelles décisions avez-vous prises avec votre chef opérateur Aymerick Pilarski ?
On a voulu utiliser le matériel le plus léger possible afin de pouvoir capter au plus vite la lumière changeante. On n’a utilisé que des lumières naturelles, pour ainsi dire. L’éclairage vient des lampes frontales ou des lampes de poche de personnages. On a fait en sorte de ne pas rajouter de lumière en dehors de l’histoire. On s’est amusé à créer de la lumière de plusieurs manières possibles. Il était tellement doué pour ça que j’ai décidé de travailler à nouveau avec lui pour mon prochain film, que je tournerai aux États-Unis.
Aviez-vous en tête des références picturales, orientales ou occidentales, pour la composition de vos plans ?
Oui, c’est bien normal d’être influencé par d’autres artistes. Ici, ce sont les cinéastes européens qui m’ont apporté le plus de références, notamment Fellini et Godard. Godard disait que n’importe quel événement pouvait servir de base à un film, ça veut dire que politiquement et socialement, le cinéma a sa place partout. C’est révolutionnaire, c’est d’une sagesse extraordinaire. Pour moi le cinéma doit refléter la réalité, même si ce n’est que la réalité du point de vue du cinéaste.
Certains plans du films, où ne sont cadrées qu’une bande de terre et une bande de ciel, m’ont rappelé les toiles de Mark Rothko. Est ce que c’est une référence qui vous parle ou vous inspire ?
Lui et moi avons une idée communes, plus c’est épuré, plus c’est beau. La simplicité peut permettre d’exprimer le plus de choses, y compris le plus de beauté. Il faut enlever, enlever, revenir au point d’origine, et on se rend souvent compte que tout état déjà contenu dedans. Je suis d’accord avec votre comparaison. On en revient également à la philosophie orientale. Dans la peinture chinoise, l’une des idées prépondérantes c’est de laisser du blanc. Laisser du blanc, du vide, pour permettre au spectateur d’imaginer des choses. C’est ça pour moi le sens de l’abstraction: inviter.
C’est votre septième film, que vous avez réalisé après plus de six années de silence. Que s’est il passé ?
En 2011, j’ai réalisé une adaptation du roman de Chen Zhongshi « Au pays du Cerf blanc ». Même si nous avons renoncé à une partie du livre pour évoquer seulement la période qui va de 1912 à 1938, c’était une production très lourde, une reconstitution historique complexe, avec une figuration importante, et le tournage fut épuisant, d’autant plus difficile que j’étais aussi producteur. C’est un livre important en Chine, un très grand succès, qui porte sur l’histoire du pays, et donc l’adaptation inquiétait grandement le bureau de la censure. La logique des censeurs est de toujours chercher à prévenir les reproches possibles, elle les a donc conduits à exiger de très nombreuses coupes. J’ai livré sept versions successives, la dernière de cinq heures. Mais quand le film a été sélectionné pour le Festival de Berlin, en 2012, les censeurs ont vraiment paniqué et ont demandé encore des coupes, toujours des coupes. J’ai été obligé de m’exécuter, et le film montré à la Berlinale était comme vidé de toute sa substance, d’une durée d’à peine trois heures, plus de deux heures de la version la plus récente avaient été éliminées. Pour moi ce fut une expérience terriblement traumatisante. Toute cette énergie dépensée pour un résultat si dérisoire…La preuve par l’absurde que le livre de Chen Zhongshi ne pouvait décemment pas être réduit dans ces proportions a été donnée lorsqu’une série en a été tirée, qui compte soixante-seize épisodes…Pour ma part, j’avais laissé dans cette expérience toute ma motivation, je n’avais même plus envie de penser à un projet. Pendant six ans, j’ai voyagé, en me demandant si je réaliserais jamais un autre film.
D’où vous est venue l’idée qui allait donner naissance au film ?
Elle est née de plusieurs histoires d’inspiration très différente. Au tout départ, il y avait un policier, et puis, logiquement, un meurtre, une enquête. Mais mettre en scène des policiers en Chine est une entreprise très délicate et en plus du bureau de la censure, vous avez affaire à la police elle-même, qui a son mot à dire sur le scénario, sur la moindre péripétie de l’intrigue et le moindre détail des personnages. Je me suis souvenu alors que Wong Kar Wai avait réalisé HAPPY TOGETHER en Argentine, et j’ai pensé que cette histoire, comme beaucoup d’autres, pouvait se passer n’importe où dans le monde. C’est ainsi que, d’un voyage à l’autre, je me suis retrouvé en Mongolie. Comme pour LE MARIAGE DE TUYA, en 2006, mais cette fois-ci la Mongolie extérieure, donc pas en Chine. Je suis parti avec l’équipe de tournage, sans scénario terminé, pour un mois de préparation, puis vingt jours de tournage enchaînés directement. En tout, nous étions une cinquantaine de personnes, parmi lesquelles beaucoup de gens recrutés sur place.
Pourquoi Aymerick Pilarski et pas un directeur de la photo chinois ?
Les chefs Ops. chinois veulent imposer leur propre style et ne se mettent pas au service du film et ne répondent pas à cette rapidité à laquelle je tiens, pour me permettre de capter la réalité. J’attends qu’un chef Ops sache improviser, réagir aux situations, aux imprévus, tout en respectant une exigence esthétique. La beauté que je recherche vient de l’intérieur, qu’il se concentre sur ce qu’il filme. J’apprécie ce qu’apporte un technicien étranger, cette forme de point de vue, de regard de l’extérieur. Je souhaitais montrer la beauté de cet environnement et de donner une forme romantique. Or, qui est plus romantique qu’un Français ? Ce n’est que deux mois avant de partir pour la Mongolie que j’ai fait la connaissance d’Aymeric. Sa technique correspond précisément à ce que j’attends, il est absolument parfait et parle couramment le chinois ! La steppe est très difficile à filmer, il faut équilibrer sans cesse le chaud et le froid, et Aymeric a eu l’idée géniale d’ajouter des touches de rose.
C’est ainsi qu’il a donné au film cette coloration romantique que je souhaitais. Grâce à Aymeric, c’est d’une certaine manière un film français ! Nous avons tourné avec une toute petite équipe, un choix pour être libre, en recherche permanente de la simplicité. Des ailes légères sont nécessaires et pour la première fois, je n’étais pas épuisé à la fin du tournage, j’étais comme porté par une énergie nouvelle, née pour une large partie de l’harmonie dans laquelle Aymeric et moi avons travaillé.
Comment avez-vous trouvée votre actrice principale ? J’aime profondément la Mongolie, ses paysages, ses lumières, ses habitants, qui entretiennent avec la nature une relation qui me touche infiniment. Chercher les personnages dans la vie réelle est comme chercher l’eau dans la mer, on ne peut que trouver, c’est donc ce qu’il faut faire. À l’écran, ces personnes se révèlent toujours infiniment meilleures qu’on ne les imaginait. Pour trouver l’actrice, plusieurs équipes ont sillonné la steppe sur des centaines et des centaines de kilomètres, visitant toutes les yourtes, rencontrant toutes les bergères du pays et puis un jour, deux semaines avant le tournage, j’ai reçu des photos de cette femme, j’ai su d’emblée qu’elle était celle que je cherchais. Et quand j’ai appris qu’elle était célibataire et qu’elle avait déjà quatre enfants de quatre pères différents, j’ai compris qu’elle avait assez de personnalité pour n’avoir peur de rien, surtout pas de faire l’actrice. Cette femme a une confiance en elle exceptionnelle, et elle attend toujours l’amour.
Il ne fallait pas lui dire que son personnage était le plus important pour éviter une trop grande pression. Elle a découvert le caractère central de son rôle à Berlin ce qui l’à fait beaucoup rire ! Probablement n’avait-elle jamais vu de film sur un écran de cinéma. Il y a moins de cent salles en Mongolie, pour trois millions d’habitants. Une relation de confiance s’est vite établie entre nous, au point que désormais je peux parler d’elle comme d’une amie.
J’attends des interprètes qu’ils soient eux mêmes, qu’ils se jouent eux-mêmes. Dulamjav n’a fait aucune difficulté pour les scènes plus compliquées, les moments d’amour notamment. Cela ne lui posait aucun problème, pour elle c’était juste normal. Nous n’avons jamais fait de répétition, sauf pour la scène d’amour près du chameau, j’ai lui ait demandé de faire le geste avec le fusil, sans lui dire que l’homme serait tout près d’elle. Elle est si parfaite qu’à Berlin, beaucoup pensaient que ce n’était pas une vraie bergère, mais une actrice de Mongolie. Pour elle, rien n’a changé, sa vie est toujours la même.
Avez-vous le sentiment que le regard que vous portez sur le monde est différent dans ce qu’il était dans vos films précédents ? Mes films associent la cruauté, l’humour, l’absurde, parce que c’est ce que j’éprouve chaque jour au spectacle de la vie. Mais avec l’âge, je suis devenu plus doux, et surtout je veux exprimer d’une manière plus tendre tout ce qui fait la vie et que personne ne peut changer. Je pense vraiment que le monde ressemble à qui le regarde, et la joie qu’exprime le film est celle que j’ai ressentie là-bas, avec ces gens. Aujourd’hui, je perçois le ridicule de situations qui, hier, m’aurait mis en colère. Je croyais que l’on devenait de plus en plus triste en vieillissant, mais pour ce qui me concerne, c’est exactement le contraire. Je suis plus heureux maintenant, et je me sens infiniment plus libre.
Deux modes du visible…Hors du temps
Par Elena Tyushova
Dans l’étendue d’une steppe sans fin, le corps dénudé d’une jeune femme est découvert. Ce moment déclencheur du film est un prétexte surréel pour la rencontre fructueuse du jeune vierge et de la bergère, dont le nom reste inconnu et seul son pseudonyme, dinosaure, est donné. Le corps de la femme, bien centré dans l’image, est un objet étrange. Il dérange le paysage, sublimé par cette sauvagerie, partagé par une ligne d’horizon entre le bleu du ciel et le jaune de l’herbe. L’histoire de la jeune femme morte reste d’ailleurs irrésolue. Le début du film annonçant un drame policier aux allures comiques, passe à une réflexion proprement cinématographique sur la matière et le temps. Au début du film, dans la scène de séduction au milieu du désert glaçant, le couple de la bergère et du policier parle d’amour. La bergère raconte au policier comment procéder pour séduire une femme…Il doit devenir un animal, non pour lui faire peur, mais pour se rendre désirable. Devenir animal est un travail sur soi qui nécessite un isolement, lors duquel on se « déterriorise », comme le formulent le philosophe Gilles Deleuze et le psychiatre Félix Guattari. Il faut partir loin hors de soi et c’est dans ces étendues de steppe au milieu de la nuit, lorsque le danger est imminent une louve erre autour du couple que le policier perd sa virginité. Le moment où le germe se pose dans l’utérus de la bergère est le moment de la mort de la louve par sa main. Le premier cercle de la vie et de la mort est bouclé. Ajoutons que la bergère est une femme forte, indépendante et les hommes qu’elle rencontre ne représentent que le début et la fin. Immature ou alcoolique, ils servent à engendrer la vie,le flic et donner la mort, son copain. Pour évoquer le féminisme dans le désert, La femme des steppes, le flic, l’œuf est l’exemple parfait.
Une double dichotomie règne sur le visible, celle de la vie sur la mort et intrinsèquement de l’animal ou de la nature sur la civilisation. C’est ce double rapport que nous retrouvons dans les scènes qui pudiquement mettent l’image en flou et la scène corporelle où nous voyons la bergère uriner. Évoquons d’abord les deux scènes où la caméra opère des passages du net au flou. La première fois survient lorsque la bergère se change pour rejoindre le jeune policier. Tournée de dos vers nous, elle enlève son pull. Les contours pulpeux de son corps généreux deviennent flous. La deuxième fois, l’image se floute très lentement jusqu’à devenir telle une peinture abstraite, lors de l’autopsie de la jeune femme trouvée dans les steppes. Pourtant, lorsque la bergère rejoint à cheval l’arrêt de bus et urine devant nous sur le test de grossesse, aucun flou ne gêne notre vue. Les choix du net ou du flou soulignent esthétiquement et éthiquement la séparation, déjà sensible dans la construction du film, de la société par la vie des policiers et de la nature avec la vie de la bergère dans la steppe. Certes, la société est relative dans ces décors marqués par l’ère soviétique avec le wagon de train typiquement vert et en plus il n’y a qu’un seul !, l’intérieur abîmé de la morgue, la voiture des policiers qui, ironiquement, ne démarre plus une fois arrivée au milieu de la steppe. La nature, en revanche, est sans tabou et lorsque la bergère urine au milieu de la steppe, il n’y a pas de raison de le dissimuler. D’un côté, elle est une partie intégrante de cette nature et en plus, être enceinte, revendique « l’animal » chez la femme. Face à la nature, le spectateur se trouve dans un mode du visible complètement diffèrent de celui de la société. Parallèlement, lorsque le jeune policier dans la steppe couvre le fessier du cadavre, ce sont les mœurs sociétales qui guident son geste. Son initiative est à la fois comique et touchante ce qui le qualifie de timide mais elle est également inutile. Il est seul dans le désert et avec l’angle de prise de vue il ne le voit pas. C’est pour nous, qu’il effectue ce geste, en créant un rapport de conscience de la présence des spectateurs dans la salle du cinéma.. La steppe est sans fin, mais elle est également hors temps. À la première rencontre de la bergère et des policiers, sa figure majestueuse avançant lentement sur le chameau contraste avec leurs mouvements toujours précipités et mal adaptés. La lenteur qui règne sur la steppe est bien évidemment aménagée. On montre une scène longue dans laquelle le policier attend le retour de la bergère. Au lieu de faire un feu pour repousser la louve et se réchauffer, ce jeune citadin danse en écoutant de la musique sur son portable, qui va probablement bientôt s’éteindre en manque de batterie. En même temps, la bergère appelle son copain. Celui-ci arrive de loin sur sa moto. Il l’aide à tuer un mouton, qu’elle cuit ensuite et enfin ramène au jeune. Le policier est presque gelé à ce moment. Pendant tout ce temps, un interminable coucher du soleil change la palette des couleurs du paysage. Cette lenteur semble se ralentir davantage, lorsque la bergère se rend à cheval à l’arrêt du bus, toujours au milieu de la steppe. Elle effectue le test de grossesse et puis attend le bus qui ne vient jamais. Elle repart.
Enfin le temps s’arrête. Dans sa yourte, la bergère annonce à son copain, qu’elle est enceinte, sa joie est manifeste, malgré le fait qu’il n’est pas le père. La trotteuse de l’horloge est immobile en nous indique que le temps est arrêté. Il lui offre des pommes qu’elle accepte et comme Adam et Eve, les deux premiers ou derniers de leur espèce, ils regagnent l’espoir de fonder une famille, voire une forme de l’immortalité.