2018 – Les Misérables !

Film coup de poing, c’est la première expression qui me vient, ensuite c’est le souvenir de sortir de la salle un peu sonné par ce que je venais de vivre…Peut-être un peu trop…Un peu trop facilement…Toute la force et le danger du cinéma…Vous êtes assis dans une salle obscure face à cet écran immense qui capte toute votre énergie pendant 2 heures…Ce qui peut parfois altérer, fausser votre analyse…C’est le cas pour ce film ? à vous de vous faire une opinion. JP

 

Il faut que ce système change…Rien n’est noir ou blanc, les parents sont des victimes au même titre que Zain. ils vivent dans un système qui ne leur donne pas leur chance, qui ne les laisse même pas respirer. N.Labaki, réalisatrice

 

 

 

Quatre ans de recherches, six mois de tournage et deux ans de montage auront été nécessaires pour que Capharnaüm apparaisse sur le grand écran. Un travail de titan pour un résultat bouleversant. Le film vous plonge dans la quête d’identité de Zain, un enfant libanais sans-papiers qui finit par traîner ses parents en justice pour l’avoir « mis au monde ». Son périple, croisé à d’autres destins d’enfants, montre une réalité où des innocents sont obligés de survivre à l’eau et au sucre, et se retrouvent à la merci des passeurs. Une œuvre d’une extrême justesse, rendue authentique par des acteurs jouant à peu de choses près leur propre rôle. Capharnaüm a déjà été récompensé du prix du public du Festival de Cannes et du festival du film de Gand. 

 

La réalisatrice a choisi des acteurs non professionnels pour la plupart d’entre eux, comme c’était déjà le cas dans son précédent film. L’acteur qui joue le garçon de 12 ans, Zain Al-Rafeea, est un réfugié syrien arrivé au Liban à l’âge de 7 ans et pour tous les commentateurs une révélation. L’actrice qui incarne la mère éthiopienne, Yordanos Shiferaw, est elle-même une immigrée sans-papiers. Arrêtée puis relâchée pendant le tournage, comme c’est le cas pour le personnage de Rahil dans le scénario du film. « Entièrement porté par un casting de sans-papiers, le film mêle réalité et fiction ».

 

Zain al-Rafeea, né le 10 octobre 2004, est un acteur syrien, réfugié au Liban de 2012 à 2018. Débute dans “Capharnaüm” dans le rôle d’un garçon de 12 ans sans-papiers, vivant dans un quartier pauvre de Beyrouth. Film inspiré de son expérience en tant que réfugié non scolarisé vivant de petits boulots. En 2018, il part vivre avec sa famille en Norvège, où celle-ci obtient l’asile politique.



 

Nadine Labaki

 

Passe son baccalauréat à Beyrouth en 1993. Diplômée en études audiovisuelles à l’université Saint-Joseph de Beyrouth (IESAV), a aussi participé au concours télévisé Studio el Fan au début des années 1990 dans la catégorie réalisation. Elle tourne ensuite des publicités et de nombreux clips musicaux pour de célèbres chanteuses du Moyen-Orient comme Nancy Ajram ou Carole Samaha, pour lesquels elle obtient des prix en 2002 et 2003. En août 2007, elle sort son premier film en tant que réalisatrice, Caramel, présenté à la sélection de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes la même année. Il est projeté dans plus de 65 pays à travers le monde et est devenu le plus grand succès international du cinéma libanais. Son film Et maintenant, on va où ? sorti en 2011, a été choisi pour représenter le Liban aux Oscars 2012. Il remporte le prix du public au Festival international du film de Toronto en 2011. FILMOGRAPHIE…

 

2007 / Caramel – 2011 / Et maintenant, on va où ?

2014 / Rio, I Love You  – 2018 / Capharnaüm

 

 

ENTRETIEN AVEC NADINE LABAKI.

 

Comment décririez-vous la situation des droits de l’enfant au Liban ?

On ne peut pas faire de généralité. Il y a au Liban des enfants qui sont dans des situations très différentes, vous le voyez dans le film. Et oui, il y en a qui sont privés de leurs droits élémentaires. Mais ça dépend de situations, de l’histoire de chacun. Le film parle des enfants du monde entier. Ils sont libanais mais aussi syriens, américains, indiens, mexicains et même français. Dans le monde, on parle de 280 millions d’enfants qui travaillent ou qui sont dans des situations très difficiles. Et je ne parle pas uniquement de situations financières compliquées : il y a des enfants qui sont dans des situations très aisées mais qui ne reçoivent ni amour, ni affection et qui sont en fin de compte aussi dans des situations de privation. Le film, il parle des droits de l’enfant en général, et il y a beaucoup de choses à faire. Car si la Convention internationale des Droits de l’Enfant des Nations unies affirme que les enfants ont droit dès leur naissance à l’amour, à l’identité, dans plein de pays ces droits continuent d’être bafoués.

 

Quel cheminement vous a amenée à mettre en parallèle ces problématiques ?

On a commencé par faire énormément de recherches, qui ont permis de mener à bien cette aventure. Celles-ci nous ont amenés dans les régions du Liban les plus difficiles, dans les quartiers les plus durs, dans les prisons ou encore les centres d’accueil. Nous avons parlé à des enfants, leurs familles, assisté à beaucoup de procès. Le plus important était que le film se base sur des réalités.

 

Quel impact espérez-vous avoir avec votre film ?

En général, les réactions sont très positives, viscérales par rapport à la situation des enfants. Je sens que l’impact commence, que le film crée déjà un débat. Plein de gens me disent que quelque chose a changé en eux après ce film, qu’ils n’en sont pas sortis complètement indemnes et qu’ils ont envie d’agir. Et ils se demandent « qu’est-ce qu’on peut faire pour changer les choses » ? Et c’est ce que j’espère, comme réaction. J’espère que le film changera les choses pour certaines personnes vis à vis de ces enfants-là. C’est ce qui est important pour moi.

 

Et pour vous, c’est cela votre rôle en tant que réalisatrice ? D’ouvrir le débat ?

Je sens que c’est ma responsabilité, non seulement en tant que réalisatrice, mais surtout en tant qu’être humain. Je veux m’investir et sentir que finalement je ne reste pas silencieuse vis à vis des injustices. Et que j’essaye de bouger les choses vis à vis de ces problématiques. Je veux être à la hauteur de la responsabilité que je peux avoir en tant qu’être humain, vivant dans ce monde. Et pour y parvenir, j’utilise ce que je sais faire. Et ce que je sais vraiment faire, c’est du cinéma. Je fais du cinéma pour faire bouger les choses, pour changer les choses, et au moins ouvrir le débat. Et je sens que c’est ce qui est important, finalement, de se sentir investie d’une mission.

 

 

 

 

Pourquoi avoir choisi des acteurs qui jouaient leur propre histoire ? Pour l’authenticité du film ?

Oui, c’est l’idée de donner une réflexion de la vérité. On n’a pas la même vision du film quand on sait que les gens sur ce grand écran vivent la même situation que celle du film. Quand c’est comme ça, ça donne un autre impact. Donc oui, c’était une envie de vraiment relater la vérité de ce qu’il se passe à travers des gens qui la vivent.

 

Combien temps cela vous a pris pour les trouver ?

Le casting a représenté trois ou quatre mois de travail. On a même commencé à tourner avant d’avoir trouvé tout le monde. C’était important de rester ouverts à ça. On voulait vraiment trouver pour chaque personnage la bonne personne, et aller jusqu’au bout.

 

Quel a été l’impact du film dans la vie des acteurs ?

Le film a eu plein d’impacts dans la vie des acteurs. Zain a été en Norvège avec sa famille. C’est un changement de vie drastique ! Et par rapport à Yonas aussi qui est une fille dans la réalité [il joue un garçon dans le film, ndlr] Il vit maintenant au Kenya. Elle va à l’école, a un tout autre destin. Plein de choses sont arrivées aux familles qui jouent dans le film. Le changement il a déjà commencé, et j’espère qu’il va continuer.

 

Pourquoi vous être attribué ce rôle d’avocate dans le film ?

Dans la vie je me suis sentie un peu proche de ce personnage. Quand je faisais mes recherches, je jouais un peu ce rôle de l’avocate dans le sens où j’étais tout le temps en quelque sorte en train de plaider. Je parlais à des juges, des avocats, comme si j’étais dans ce processus d’investigation, et tout le temps en colère, en disant « Il faut que ça change. Il faut que ce système change ». Mais, à la base, le rôle était plus développé que ça. Puis on a enlevé une bonne partie des interventions du personnage car j’étais la seule actrice au milieu tous ces non-acteurs et donc la seule personne qui ne jouait pas son propre rôle. Donc j’ai senti que le personnage était un peu décalé et surtout qu’il y avait une sorte de manipulation, de mensonge.

 

Quelle image vouliez-vous donner aux parents de Zain ? Vouliez-vous que le spectateur les condamne ? Non, le film ne les condamne pas. L’idée n’est pas de porter un jugement. C’est d’ailleurs presque impossible de prendre position. Rien n’est noir ou blanc, les parents sont des victimes au même titre que Zain car ils vivent dans un système qui ne leur donne pas leur chance, qui ne les laisse même pas respirer.

 

 

 

 

DÉROUTANT BEYROUTH  par Anne Diatkine

 

C’est une caméra portée à l’épaule, des plans brefs, des plongées, des contre-plongées, des ralentis, un filmage qu’on décrit parce qu’il se voit et que son maniérisme s’interpose entre les spectateurs et les acteurs, empêche parfois qu’on les regarde malgré leur ciné génie et la gravité du sujet…La misère exponentielle des enfants des rues à Beyrouth. Ce sont des acteurs non professionnels qui jouent plus ou moins leur propre rôle. Et c’est une ode revendiquée à la caméra vérité et au pouvoir dénonciateur du cinéma. Le film, ovationné lors de sa projection en compétition à Cannes, est reparti avec le prix du jury.

 

Sans que la sincérité de Nadine Labaki ne soit en cause, c’est justement sur son rapport à la vérité et à la place de la cinéaste que le film interroge, puisqu’elle n’intègre pas ces questions à sa mise en scène. C’est donc l’histoire de Zain, garçonnet de 12 ans qui intente un procès à ses parents, c’est-à-dire au monde pour l’avoir conçu sans avoir les moyens de l’élever et de l’aimer. Le film est construit en flash-back. Lorsqu’il débute, Zain, conduit au tribunal, est menotté. Gros plan sur les menottes. Le spectateur suppose qu’il est le petit criminel, et non l’accusateur. Puis, on revoit l’enfant chez lui, avec ses multiples frères et sœurs et notamment Sahar (Cedra Izam), mariée contre finances dès qu’elle a eu ses règles.

 

Nadine Labaki ne contextualise aucun élément, les parents odieux et misérables sont saisis sans jamais accéder au statut d’individus un tant soit peu nuancés. Le quartier périphérique où ils vivent pourrait être celui de n’importe quelle ville au développement anarchique. Pétri de colère après la disparition de sa sœur préférée, Zain se fait la malle…Le film s’ouvre à l’aventure, se décloisonne, liberté toute relative de Zain qui déteint sur lui, le filmage s’apaise, et la cinéaste prend plus de temps pour regarder ce que voit le garçon, et notamment ses interactions avec une mère éthiopienne sans papier qui lui offre l’hospitalité avec une petite piscine gonflable en guise de lit dans son bidonville et s’éclipse, laissant le garçonnet seul avec son bébé. Lequel pleure, sourit, fait ses premiers pas au bord d’une voie express dans un jeu avec la mise en danger et sa dénonciation mélo.

 

Zain rencontre dans le souk une autre enfant mendiante, qui vend des gerbes dans un cimetière, c’est rentable, explique-t-elle. Cette mini-relation n’est qu’effleurée. Un enfant clochard et un bébé…C’est le Kid de Chaplin qui remonte à la surface. Un enfant qui erre à proximité dans une fête foraine…Voici le Petit Fugitif, le film culte de Morris Engel et Ruth Orkin, qui revient. Mais quelque chose manque terriblement à Capharnaüm pour qu’il empoigne sans références et provoque la crise de conscience salutaire que la cinéaste appelle de ses vœux comme lorsqu’on découvre qu’au Liban, il faut payer pour inscrire son enfant à l’état civil…