2017 – Jeunes en Israël…

La réalisatrice palestinienne Maysaloun Hamoud, 35 ans, est née à Budapest et a grandi à Dir-Hana, en Israël. Elle a étudié le cinéma à la Minshar School of Art de Tel-Aviv. Son premier film montre une volonté farouche de vivre comme les autres, a égalité et sans le poids des religions et de la famille. Le film a obtenu de nombreux prix l’année de sa sortie en 2016. L’origine du film vient de l’impasse dans laquelle la cinéaste palestinienne se trouvait à l’époque de ses études de cinéma à l’université de Tel-Aviv. La nouvelle résistance palestinienne était en train de se mettre en place et les soulèvements populaires du Printemps arabe étaient très prometteurs. Elle se rappelle…Ces grands changements étaient aussi annonciateurs d’une révolution culturelle. Il était évident que le moment était venu de faire entendre une nouvelle voix. On s’est dit que l’ancien ordre était en train de s’effondrer et qu’on pouvait désormais se reconstruire et bâtir des sociétés plus saines et plus heureuses que celles qu’on avait connues à l’époque des États-nations. On était dans cet état d’esprit. Je savais que je voulais tourner un film pour le peuple qui s’attaque également au système.

 

 

 

 

 

PAROLES DE REALISATRICE…

 

Avec le directeur de la photo Itay Gross, Mahmud Shalaby a visionné de nombreux films avant le tournage et rapidement décidé que le mot d’ordre serai le réalisme avec une caméra à l’épaule et des couleurs vives accompagnées d’ombres subtiles…

 

Notre objectif était de mettre en scène les thématiques très dures de manière légère et accessible, presque à l’américaine, pour ainsi dire, ce qui correspond à la langue commune des personnages féminins. Elles sont dominées par le monde extérieur avec les pressions familiales, les diktats de la communauté. Leur point de vue est celui de femmes libérées, comme celles qu’on voit au cinéma. Les pionniers ont tous connu les événements d’octobre 2000 quand ils étaient adolescents lorsque des Arabes israéliens ont manifesté en solidarité avec leurs camarades de Cisjordanie et de la Bande de Gaza. 13 civils ont été tués par la police et aucun officier de police, ni chef d’unité, n’a été jugé pour ces crimes. Octobre 2000 a marqué un tournant et nous avons acquis une conscience politique au cours de la deuxième Intifada. Quand nous avons fait nos études, nous étions marqués par cet esprit militant et nous ne nous sommes pas limités aux questions d’ordre national : les questions d’égalité des sexes et d’accès à la culture faisaient aussi partie de nos préoccupations. Notre propos était aussi radical sur un plan social que politique.

 

Cette vision occidentale est probablement un stéréotype. Nous sommes comme ces jeunes femmes, nous voulons être nous-mêmes et non pas vivre d’une seule façon. Nous sommes des êtes humains différents les uns des autres ! Ce que nous voyons dans le film est la vie menée par la jeune génération palestinienne en Israël, pourtant peu représentée au cinéma. Je fais partie de cette réalité, comme la majeure partie des acteurs du film, et je voulais précisément capturer cette réalité. L’hypocrisie se retrouve partout, et non pas seulement dans le monde musulman. Les religieux veulent tout gouverner au nom d’un  » Monde meilleur « , mais ils utilisent la foi religieuse pour en tirer des avantages personnels. Mon film propose un thème plutôt universel. Il ne concerne pas seulement les femmes arabes. Ces comportements et ces problèmes sont les mêmes dans le monde entier, que ce soit en Europe, au Moyen-Orient, aux États-Unis, en Amérique latine ou en Afrique. Le monde occidental peut penser qu’il est au-dessus de cela, mais les statistiques sur les femmes ne mentent pas !

 

Il n’y a pas de personnages bons ou méchants dans mon film, seulement des êtres humains qui se comportent selon les traditions de la culture de laquelle ils viennent. J’ai voulu montrer un panel d’hommes arabes et je ne veux pas alimenter les stéréotypes, au contraire, je souhaite les briser, et montrer la nature humaine avec toutes les nuances des personnages. Certains comportements envers les femmes ne sont qu’une question de croyances religieuses. Le père de Salma, un arabe chrétien, réagit exactement comme le ferait un juif ou un musulman. C’est une question de tradition culturelle.

 

Je suis de nationalité palestinienne et de citoyenneté israélienne, comme 20 % de la population, j’ai droit à un financement, car je paie des impôts. Mais les choses ne sont pas si simples pour les réalisateurs et les artistes, car en Israël, les Palestiniens sont discriminés. Je n’ai pas de problème avec les juifs, ce sont les sionistes qui en ont un avec moi. Le producteur du film, Shlomi Elkabetz est juif et a été mon professeur de cinéma à Tel-Aviv. C’est un véritable génie et un homme généreux avec qui j’entretiens une relation très forte. Il a été une vraie bénédiction pour le film et notre collaboration a été puissante, grâce à lui, les financements ont été plus simples à obtenir .

 

 

 

 

 

Ces filles me ressemblent et nous ressemblent, elles sont ma génération mais personne ici ne les voit, regrette la cinéaste. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de mauvaise publicité. Certes, un leader conservateur a voulu faire interdire la sortie, certes, j’ai reçu des menaces de mort. Mais tout le monde en a parlé et après plusieurs jours de ce grand n’importe quoi, des voix plus sensées ont commencé à résonner. Des textes féministes ont été écrits, des discussions ont eu lieu dans les écoles, dans les familles, partout. C’est merveilleux !

 

 

 

 

 

 

TROIS FEMMES LIBRES   par Romain Blondeau

 

Jeune cinéaste palestinienne Maysaloun Hamoud frappe un grand coup avec son premier long métrage. Ce film de bande labellisé girl power s’est imposé au sommet du box-office en Israël, où il a fédéré un public de confessions multiples et provoqué un vaste débat national sur la condition des femmes. Inspirée par sa propre expérience, la réalisatrice dresse le portrait de trois jeunes Palestiniennes émancipées de leurs familles et villages conservateurs, qui partent à la rencontre de leurs désirs dans la bouillonnante Tel-Aviv. Il y a Laila, l’avocate aux mœurs libres, Salma, la bar-tender et DJ lesbienne qui peine à sortir du placard, et Nour, la plus religieuse, étouffée entre une promesse de mariage forcé et ses aspirations professionnelles. Trois profils de femmes aux origines diverses, à travers lesquels Maysaloun Hamoud ausculte la société israélienne et recueille les nouvelles revendications nées des “printemps arabes”, dont le souffle n’est jamais tout à fait retombé. A mi-chemin entre l’efficacité narrative des séries télé et le documentaire, restituant les codes et la langue d’une jeunesse noctambule et frondeuse, le film saisit avec un certain panache l’état de colère d’une communauté de femmes arabes victimes de discriminations raciales et sexistes. Il manque sans doute un peu de mise en scène, mais elle compense ses limites par la radicalité et l’audace neuve de son regard, qui ose aborder sans pudeur la question du patriarcat, du viol domestique et de l’homophobie religieuse, autant de vieux tabous brisés qui ont valu au film la condamnation sans appel des réacs palestiniens. Dans la foulée de Much Loved de Nabil Ayouch, Mustang de Deniz Gamze Ergüven et Sur la planche de Leïla Kilani, il confirme aussi l’émergence exaltante d’une nouvelle vague de films de résistance au féminin.

 

 

 

 

 

FÉMINISME PROGRAMMATIQUE   par Clément Graminiès

 

À Tel-Aviv, trois jeunes femmes palestiniennes se retrouvent à partager un appartement à la suite d’un drôle de concours de circonstances. Chacune d’elles incarne une problématique de l’affirmation féminine au sein d’une culture patriarcale écrasée par le poids des traditions. Le petit groupe se retrouve à faire front commun pour braver la quantité d’obstacles et les regards réprobateurs qui les privent d’accéder à leur pleine liberté. Il fait peu de doute que la réalisatrice ait voulu faire de son film une œuvre militante et sensibiliser son public aux combats contre les comportements archaïques qu’il reste encore à mener pour les femmes de sa génération. Malheureusement, aussi altruiste et sincère soit-il, le résultat ne sort jamais des sentiers battus, enchaînant les scènes comme autant de passages obligés qui ne donnent jamais à ces trois destinées la puissance dramatique espérée. On reste le plus souvent dans un inventaire de situations diverses que la mise en scène et le montage ne parviennent jamais à transcender pour que le film puisse devenir une vraie proposition de cinéma. On peut regretter que cette histoire de vies ne soit pas capable de sortir de son périmètre de sécurité établi par un scénario trop balisé. À distance de la bruyante Tel-Aviv qui ne reste qu’une toile de fond, la mise en scène n’offre pas beaucoup d’espace au tempérament de ses actrices. Même le rapport au corps, pourtant au centre de nombreuses problématiques puisque la sexualité est ici choisie ou subie, reste superficiellement traité. Mais ce qui pose le plus problème dans le film à l’esthétique documentaire, c’est la manière dont la question du viol est abordée par le prisme de l’image-symbole, en un plan sur l’entrejambe ensanglanté de Nour, ses colocataires comprennent immédiatement ce dont elle a été victime, sans qu’elle n’ait à faire l’effort de rendre compte du calvaire qu’elle a vécu. Pas plus de mots ne seront nécessaires pour que se mette en place un stratagème visant à piéger le coupable, séduit, filmé à son insu et ensuite menacé, l’homme n’aura pas d’autres choix que de céder en libérant sa fiancée du mariage auquel elle était condamnée. C’est particulièrement déconcertant, pour ne pas dire simpliste et contreproductif, de faire d’un sujet aussi complexe que celui du viol un simple nœud dramatique qui se résout aussi facilement. Mais la réalisatrice ne semble pas vouloir s’embarrasser des subtilités, tant elle se range du côté de ses trois personnages féminins sans pour autant nous donner la possibilité d’accéder à leur intériorité. Au bout du compte, le film finit par plier sous le poids de son didactisme programmatique.