QUI NE DIT MOT NE CONSENT PAS..QUI NE DIT MOT NE CONSENT PAS..QUI NE DIT MOT NE CONSENT PAS
En 2020, dans la lignée du mouvement MeToo, Vanessa Springora publiait Le Consentement. Son autobiographie, racontant sa liaison traumatisante avec l’écrivain Gabriel Matzneff dès ses 14 ans…Il en avait 50…Et l’emprise durable de ce prédateur pédophile durant son adolescence, est devenu un véritable phénomène de société. Trois ans plus tard, la cinéaste Vanessa Filho a adapté le livre au cinéma. Un film fort et violent qui devrait replacer encore un peu plus le principe de consentement au cœur des discussions, porté par Kim Higelin, Jean-Paul Rouve et Laetitia Casta.
Un pédophile pris à son propre piège.
par Alexandre Janowiak
ANGE ET DÉMON
L’autobiographie de Vanessa Springora était une véritable claque. Avec une écriture sans détour, le récit implacable de son adolescence prenait aux tripes, arrachait des larmes de dégoût et agrippait le cœur. Alors forcément, devant son adaptation cinéma, difficile de ne pas être légèrement insatisfait. Attention, l’entreprise était loin d’être simple. Au contraire, elle était même terriblement périlleuse tant les mots de Vanessa Springora et son histoire d’emprise auraient rapidement pu être romantisée entre de mauvaises mains, et ainsi rater totalement son objectif. Vanessa Filho évite, heureusement, cet écueil, le personnage de Gabriel Matzneff étant immédiatement révélé au grand jour…Derrière ce séducteur charismatique se cache surtout un prédateur avéré. Le doute n’existe pas dans Le livre et le film, c’est un pervers narcissique et un manipulateur se servant des mots, de son talent oratoire, pour attraper ses jeunes proies et futures victimes, dont Vanessa Springora. Cela dit, la transposition au cinéma était d’autant plus difficile pour la réalisatrice qu’il est complexe de s’approprier un tel récit. En en faisant trop, comment ne pas avoir peur de voler une histoire si personnelle ? En n’en faisant pas assez, comment ne pas risquer d’en assécher le propos ? Et justement, c’est sûrement sur ce point que Le Consentement dévoile son fragile équilibre.
Car si Vanessa Filho gravit des montagnes en comparaison de son premier film Gueule d’ange en 2018, drame maternel franchement ampoulé, elle souffle ici le chaud et le froid en permanence. Rien d’illogique pour une réalisatrice dont c’est seulement le deuxième film, mais cela diminue occasionnellement la force du récit. Capable de transcender des scènes profondément douloureuses et de confronter les spectateurs à l’insoutenable avec des scènes de sexe qui s’éternisent volontairement pour ne rien leur épargner, Vanessa Filho épate par son aplomb à plusieurs reprises. Et pourtant, à d’autres niveaux, son manque d’assurance est criant. Même si le jeu sur la voix-off persistante est ingénieux…Vanessa ne pense qu’à travers la voix de Matzneff jusqu’à un déclic final salvateur, le refus de plonger véritablement dans l’esprit de Vanessa (excellente Kim Higelin) dès le départ en donnant presque trop de place à Gabriel Matzneff (terrifiant Jean-Paul Rouve en grand méchant loup) est un petit aveu d’échec.
Le choix est compréhensible, mais indubitablement, il empêche le film de se fondre pleinement dans le point de vue de Vanessa (une volonté pourtant manifeste) et d’avoir une vraie cohérence scénique. Le film a beau user de plans à la troisième personne voire de plans subjectifs, la réalisatrice ne parvient pas vraiment à faire ressentir l’attirance physique de son héroïne envers Gabriel Matzneff. Le spectateur en a forcément conscience, la jeune adolescente l’affirmant régulièrement, mais l’écrivain étant dépeint comme un monstre calculateur rapidement, on reste forcément à distance et on ne peut pas éprouver son admiration. C’est d’autant plus frustrant que Vanessa Springora se questionnait aussi sur un point très précis dans son livre…Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? (citation tirée du livre). Cette réflexion intime sur l’idée même de consentement et du déni de réalité, Le film ne l’occulte pas totalement entre les disputes avec sa mère, les signaux d’alerte évincés…Pour autant, il ne la creuse pas vraiment non plus, son récit s’attardant avant tout sur le mécanisme d’emprise exercé par Matzneff plus encore que l’introspection, le courage et la résilience de son héroïne.
PRIS À SON PROPRE PIÈGE…
Le Consentement n’est donc pas un film parfait. Mais même si c’est forcément regrettable, ce n’est pas grave. Le film de Vanessa Filho est plus passionnant en tant qu’objet de société qu’en simple objet de cinéma. Et finalement, c’est peut-être ce qui était le plus important au vu de son sujet. Vanessa Springora le disait elle-même en interview, se remémorant ses souvenirs d’antan et une interrogation saisissante…Comment comprendre que ce qu’il se passe n’est pas normal quand Gabriel Matzneff se cache si peu ? Même si le film a des défauts au niveau de sa narration, de sa mise en scène…et ne vise pas toujours les bonnes cases, ce qu’il raconte d’une époque, celle des années 80 lui confère une aura indéniable. En décidant de mettre en scène les corps de Vanessa et Matzneff, de ne rien cacher de leurs ébats, Le Consentement permet de mettre en images ce que le Livre ne pouvait faire, lui qui laissait forcément l’imagination prendre le dessus sur ladite réalité. Une image vaut mille mots dit-on, et avec le medium cinéma, Vanessa Filho a le pouvoir de montrer l’horreur plus frontalement tout en pouvant s’adresser à un public encore plus large. Et c’est sûrement en montrant les atrocités de Matzneff avec autant de détermination que Le Consentement trouve sa vraie valeur…Dénoncer la complicité d’une société qui préférait ne rien voir et ne rien faire, voire l’acceptait. Pour quoi faire ? Pour que ce monde encore trop ignorant ne reproduise plus les mêmes erreurs. Matzneff ne cachait pas ses relations, sortait avec ses conquêtes mineures dans des soirées mondaines, les laissait l’accompagner lors de ses passages télévisés et racontait ses liaisons dans des livres salués par la critique. C’est ce que Matzneff voulait pour sa gloire et la complaisance de la société le lui a rendu pendant des années comme le Prix Renaudot essai en 2013.
Près de quarante ans après les faits, Le Consentement a gravé pour la postérité la réalité derrière ledit écrivain. Plus qu’un simple livre, Vanessa Springora livrait un véritable acte de résistance, voire un geste artistique inédit, avec son autobiographie en décidant de prendre son chasseur à son propre jeu et piège…L’enfermer dans un livre à tout jamais pour mieux dénoncer ses crimes odieux. Désormais, son déshonneur, sa monstruosité et son vrai visage seront aussi ancrés pour toujours sur un écran.
Vanessa FILHO est née en 1980 d’un père directeur commercial et d’une mère professeur de français puis inspectrice. Elle passe un bac littéraire option cinéma. Son premier choc cinématographique est Trois Couleurs : Bleu. Vidéaste, scénariste, musicienne et photographe française. Elle commence par réaliser des courts-métrages et des documentaires.
2001, âgée de 21 ans elle réalise un moyen-métrage autofinancé, Primitifs, avec Jackie Berroyer et Carole Laure.
2004 – Elle permet la rencontre de Simon Buret et Olivier Coursier. Les deux hommes décident de former le groupe AaRON et font de la jeune femme la responsable de leurs clips et leurs photos.
2006 – Elle qui réalise le clip de U-Turn, chanson qui remporte un grand succès grâce au film Je vais bien, ne t’en fais pas. Elle participe ensuite à divers projets dans la chanson, le théâtre, la photographie et le clip.
2017 – Elle tourne Gueule d’ange avec Marion Cotillard, ce qui lui vaut d’être retenue dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes 2018.
Sortie du Consentement en 2023…
Entretien avec Vanessa Filho par Juliette Goudot
Qu’avez-vous éprouvé en découvrant Le consentement à sa parution en 2020 ?
J’étais bouleversée et en terminant le livre, j’ai éprouvé une colère très forte liée à un sentiment d’impuissance. J’ai ressenti alors l’urgence d’en faire un film et de prolonger le combat de Vanessa Springora à travers un autre médium. On ne peut pas dissocier le film de cette démarche de protection des mineurs. Le livre de Vanessa a eu un impact majeur et direct sur la loi du consentement en France. Comme celui de Camille Kouchner La familia grande par rapport à l’inceste, son livre a été utilisé comme un objet de réflexion d’un point de vue juridique. Ce sont des livres qui ont fait bouger les lignes.
Pourquoi avez-vous tenu à développer la relation entre la jeune fille et sa mère dont le rôle semble être ambigu ?
Lors de la réception du livre en France, les gens ont été extrêmement durs vis-à-vis de la mère et je peux le comprendre. Pourtant quand je l’ai lu, quelque chose m’a touchée dans ce personnage…Mon film n’est pas là pour l’excuser mais pour pousser à s’interroger. Comment une mère qui aime autant sa fille a-t-elle pu laisser faire cela ? A-t-elle cherché à garder le contrôle sur cette situation en tolérant l’intolérable ? Vanessa Springora n’avait pas tout dit sur sa mère. Le film interroge donc aussi le consentement maternel et celui d’une société. On peut aussi se demander si la mère de Vanessa n’est pas une victime collatérale de Gabriel Matzneff. J’avais envie que le spectateur puisse se projeter de manière intime dans cette situation et sorte du film en continuant à réfléchir.
Comment avez-vous abordé la mise en scène des scènes d’abus physique ? Que montrer ou pas pour éviter le voyeurisme ? Est-ce que le regard féminin vous a guidée ?
J’ai écrit le scénario selon les sensations intimes et le langage du corps de mon héroïne, c’était déjà ma règle fondamentale et mon moteur. L’écriture s’est mise à hauteur de ses émotions et de sa vulnérabilité pour traduire sa trajectoire psychologique et physique, de la dépossession progressive de son libre arbitre jusqu’à sa prise de conscience. Je n’ai pas ressenti le besoin d’avoir une coordinatrice d’intimité car j’avais déjà fait tout ce travail dans ma réflexion de mise en scène et installé un rapport de confiance très fort avec Jean-Paul Rouve et Kim Higelin. Je leur avais expliqué le découpage des scènes de manière très précise, ils savaient tout ce qui serait montré ou pas afin que ces scènes soient non traumatisantes. Ce qui a été le plus dur pour Kim, ce sont les scènes de violence psychologique plus que physique.
Souhaitez-vous que le film soit montré à la jeunesse, aux scolaires en secondaire ?
Oui, mais avec un accompagnement. Nous parlons avec les producteurs de l’idée de montrer le film à des classes. Les jeunes savent beaucoup de choses mais il est important qu’ils puissent comprendre la mécanique de l’emprise. Il y a l’emprise des mots mais aussi du corps. Entendre les mots prononcés par un acteur amène une identification directe, mais la mécanique d’emprise dépasse le contenu des mots. Le film montre comment le prédateur se met en scène, place son verbe, trafique sa voix, la rend persuasive, raconte l’amour, convainc sa victime puis remet de la froideur et pareillement dans son geste. Il la rend unique puis la désaime et la met dans l’insécurité. Il y a toute une dimension physique à décrypter. Quand on tombe sous emprise, c’est très difficile de décrire le mode opératoire de son prédateur. Je pense vraiment que de voir les scènes permet de ressentir, décrypter puis mettre à distance la manipulation et rendre visibles les symptômes de détresse bien réels qui suivent mais qu’on a toujours du mal à voir. Si ce film permet de faire œuvre de prévention et d’ouvrir le regard de la jeunesse, le but sera atteint.
Gabriel Matzneff était encore présent lors d’une réception chez Gallimard. Comment réagissez-vous ?
Les complices de Gabriel Matzneff sont toujours présents. On entend pas mal de monde dire, en parlant de ce que raconte Le consentement, que c’était une autre époque, que les années 80 étaient très permissives, mais la complaisance est toujours là. En 2013, Matzneff a reçu le prix de l’essai Renaudot. Je continue d’être très en colère sur la question des abus de pouvoir en général qui continuent de régner, dans le monde de la culture en particulier. Matzneff n’aurait plus de tribune aujourd’hui pour faire l’apologie de la pédophilie, mais l’hypocrisie est toujours là.