Dans la vie, j’ai eu le choix entre l’amour, la drogue et la mort.
J’ai choisi les deux premières et c’est la troisième qui m’a choisi…
Jim Morrison
Je n’ai pas peur d’aller au bout des émotions, ni à l’écriture, ni pendant le tournage, ni pendant le montage. On est toujours un peu sur la corde raide, quand on veut montrer des émotions très fortes, sans tomber dans un sentimentalisme gratuit. Felix Van Groeningen
Né en 1977, il intègre l’Académie royale des beaux-arts de sa ville natale, Gand. Diplômé en 2000 il écrit et réalise le court métrage 50CC. Premier long métrage Dagen Zonder Lief en 2006. 2009, second long métrage avec La Merditude des choses. Cette plongée à la fois drôle, trash et émouvante dans la Belgique profonde séduit. Sélection, au Festival de Cannes, Prix Art et Essai. Il revient en 2013 avec Alabama Monroe, au sujet plus grave, obtient le César du Meilleur film étranger, sélectionné aux Oscars 2014 catégorie Meilleur film en langue étrangère. 2016, réalise Belgica, 5ème film présenté à Sundance, prix de la meilleure réalisation « World dramatique ». Ce film, fait la part belle à des scènes de fêtes excessives. Avide de nouveaux défis, il réalise aux Etats Unis en 2019 My Beautiful Boy. En 2022 dernière réalisation avec Les huits montagnes adaptation du roman au même titre de Paolo Cognettti.
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Comme a débuté pour vous l’aventure américaine ?
J’étais à Los Angeles pour Alabama Monroe qui était dans la course aux Oscars, l’occasion de rencontrer l’industrie pour les réalisateurs étrangers. J’y ai rencontré les représentants de la la structure créée par Brad Pitt, qui m’ont parlé d’un projet qui leur tenait à coeur, l’adaptation de deux livres, deux mémoires d’un père et son fils, David et Nic Sheff, et de leur combat contre l’addiction à la drogue du fils. Lire ces deux livres m’a ouvert les yeux sur pas mal de choses, j’ai ressenti beaucoup d’amour pour cette famille. C’était une expérience très forte pour moi. J’ai vécu presque un an et demi aux Etats-Unis, et si je n’ai pas du tout l’intention de m’installer là-bas, ce projet a été très fort en sensations.
Adapter non pas un, mais deux livres, c’est un défi ?
Travailler sur l’adaptation d’un seul livre, c’est déjà une gageure, il faut beaucoup élaguer, du coup évidemment, quand on en a deux, c’est drastique. Cependant, le trajet du père était très clair dès le début. C’était lui qui était au cœur du récit, et le fait d’accéder dans le même temps à la tragédie de Nic de l’intérieur permettait d’enrichir considérablement l’expérience. Je voulais que le spectateur ait de l’empathie pour le personnage de Nic, et donc le montrer dans les moments pivots, pas seulement quand il se drogue, mais aussi quand il va mieux, ou quand il rechute, pour mieux comprendre l’engrenage au coeur duquel il se trouve. Et mieux comprendre du coup la détresse du père. Les livres m’ont vraiment ouvert les yeux sur ce que représente cette lutte, pour les malades, mais aussi pour leurs accompagnants. L’amour inconditionnel qui règne dans cette famille, c’est tellement inspirant. C’est une histoire vraie, dure et authentique.
Steve Carell et Timothée Chalamet, ça fait aussi partie du luxe de l’aventure américaine ?
Oui, évidemment. Steve Carell, c’est un génie. Il peut tout faire, c’est un comique incroyable, mais il a une force dramatique tellement profonde aussi. Quant à Timothée Chalamet, son génie, c’est qu’il n’a peur de rien, et évidemment, il a un talent fou.
La famille est une fois de plus au cœur de votre film ?
Oui, je viens d’une très belle famille, mais où les choses étaient compliquée. Ma famille nucléaire, mon père, ma mère, mon frère et moi, ça a peu duré, car mes parents se sont séparés quand nous étions assez jeunes. Je leur suis reconnaissant de toutes les vies que j’ai vécues à cause de ça. C’est vrai que j’ai tendance à créer des familles idéales dans mes films… et puis de leur faire vivre l’enfer! C’est forcément en résonance avec mon vécu.
La musique a toujours beaucoup d’importance dans vos films, via des B.O très fortes. Là, vous travaillez uniquement avec des chanson pré-existantes…
La musique a toujours eu beaucoup d’importance dans la vie de Nick et David Sheff, elle les a souvent réunis, alors j’ai eu envie de partager moi aussi leurs musiques. Et au montage, mon monteur, Nico Leunen, m’a vraiment encouragé à envisager ces chansons intra diégétiques comme une bande originale, et à travailler la BO en ce sens. Et puis il faut dire que si en Belgique, on n’a pas vraiment les moyens de se payer les droits de ces chansons, qu’on doit toujours avoir cette question budgétaire à l’esprit, ici soudain, le champ des possibles s’ouvrait complètement! On a même pu utiliser les chansons sur la longueur, sans s’embarrasser des questions de budget, ce qui nous a apporté une vraie liberté artistique, du moins à ce niveau. Avec la chanson de Sigur Ros, qui dure 7mn, on l’a vraiment utilisée pour accompagner le personnage dans son trajet, et raconter toute une séquence d’espoir, et de rechute.
REJOINDRE LE REVE AMERICAIN…
Le sixième long métrage de Felix Van Groeningen, Beautiful Boy, pour la première fois réalisé aux États-Unis en anglais et avec des acteurs américains, nous amène à nous poser une double question…Celle des clichés et de la manière dont ils sont utilisés dans un cinéma d’auteur mondialisé, industrialisé et celle qu’ils ont de traverser les genres et les frontières, en se transformant et en s’adaptant aux milieux tout en conservant leurs propriétés intrinsèques. Si l’on peut parfois se demander pourquoi des producteurs américains confient un projet à un réalisateur étranger, repéré pour sa singularité, son « originalité », mais dont on attend finalement qu’il se conforme à une certaine norme d’un cinéma anglo-saxon qu’il soit commercial ou « indépendant », force est de constater que ce qui « doit » rester est finalement contenu dans les thèmes abordés et dans l’écriture scénaristique, beaucoup plus que dans la mise en scène ou dans un travail esthétique global.
Ainsi, ce que Felix Van Groeningen conserve de son cinéma lors de ce passage à l’économie de grande échelle, c’est l’idée du mélodrame et, surtout, de l’histoire « véridique », conforme à la réalité telle qu’il se la représente probablement. À savoir, un personnage écrasé par une forme de déterminisme social dans La Merditude des choses et dans Belgica, psychologique dans Beautiful Boy qui se retrouve constamment plombé par celui-ci, malgré ses vains efforts pour s’en défaire. Et, comme dans les films belges tournés en flamand qui servent désormais de mètre-étalon de ce que doit être un « bon » Van Groeningen, lors d’une fin sortie de nulle part, grâce à on ne sait quel deus ex-machina, ce personnage finit malgré tout par s’en sortir et par trouver un chemin hors du trou que lui avait creusé son « destin ». Dans le cas de Beautiful Boy, ce personnage est Nic, joué par Thimothée Chalamet, qui, pris dans une spirale infernale, s’enferme dans un cercle d’addiction à toutes sortes de substances, jusqu’à sombrer de manière apparemment irréversible dans l’addiction aux cristaux de meth.
Ce qui change dans Beautiful Boy, par rapport aux films précédents de Van Groeningen, c’est que ce n’est pas le personnage enfermé dans cette spirale qui tente de s’en sortir, mais bien un second personnage le vrai personnage principal du film à savoir son père, l’héroïque David (interprété par Steve Carrell), qui fait tout pour l’en extirper. Le plus étrange, c’est que, le temps de quelques séquences vers la fin du film, le récit, la mise en scène et le montage dans un grand exercice de grandiloquence surjouée conspirent pour faire croire au spectateur que, cette fois-ci, Félix Van Groeningen va aller jusqu’au bout de ce qu’il semble vouloir faire depuis le début de son cinéma…Laisser le personnage broyé à sa place de victime exemplaire de la société ou de ses démons intérieurs, et utiliser pour ce faire l’autre personnage, à travers un processus d’acceptation, afin de mieux faire avaler ce destin tragique, cette fin désespérée, à son spectateur. Même si son projet initial et sa manière de procéder pour l’atteindre sont fondamentalement malsains et rebutants il faut reconnaître que cette démarche aurait eu pour elle de porter une certaine forme de cohérence. Enfin, Van Groeningen aurait assumé la misanthropie qui sous-tend son œuvre, et l’aurait affichée clairement. Mais, par une porte de sortie dérobée, posée là comme une échappatoire des plus malhonnêtes, le réalisateur parvient une fois de plus à se dérober et à se cacher derrière un pseudo-humanisme bien pratique et profondément hypocrite. Le personnage s’en sort, bien évidemment, mais non sans l’aide d’une ellipse abracadabrante, ce fameux deus ex-machina ici incarné par le montage et l’utilisation d’un intertitre explicatif final, disant que tout va bien, que tout s’est arrangé. Comme si le « coup-de-force » final, ce climax en forme de coup de poing que Beautiful Boy nous aura imposé violemment, n’était qu’une farce, une fausse piste destinée à jouer avec nos nerfs.
Par cette pirouette finale, Beautiful Boy prouve deux choses…Que le passage à une économie et à un modèle hollywoodiens n’est pas forcément castrateur pour un cinéaste européen, qu’il peut au contraire le conforter dans ses travers ou accentuer ses tares, ensuite que les clichés que véhicule un cinéma d’auteur formaté peuvent être largement conservés lorsque l’on déplace ce cinéma d’un terrain vers un autre d’un genre vers une autre, d’un espace géographique vers un autre moyennant finalement assez peu d’adaptations, si ce n’est peut-être le recours à un certain euphémisme visuel, à une atténuation de ce qui rendait le coup de poing particulièrement traître et abasourdissant. Le cinéma de Felix Van Groeningen semblait de toute façon promis à ce destin et taillé pour sa récupération industrielle. Il suffit de revoir The Broken Circle Breakdown, sorti en 2012, pour s’en convaincre définitivement.
BIEN PLUS QU’UN FILM SUR LA DROGUE.
par Sarah Cerange
Avec Steve Carell en père protecteur et Timothée Chalamet qui confirme son statut d’étoile montante, MY BEAUTIFUL BOY s’annonçait comme une véritable claque cinématographique. Sept ans après Alabama Monroe, Felix Van Groeningen poursuit ses portraits de familles déchirés aussi bien par leurs membres que par les trames narratives déconstruites des histoires. Adapté de Beautiful Boy: A Father’s Journey Through His Son’s Addiction, le long-métrage peut sembler long et répétitif mais révèle une part sentimentale et psychologique plus importante. Le plus intéressant dans MY BEAUTIFUL BOY, c’est sa manière d’aborder la drogue. Les chutes et les guérisons de Nic Sheff s’enchaînent inlassablement, véritable cercle vicieux. Au bout d’un certain moment, le spectateur finit même par s’ennuyer de cette répétition interminable. Il attend, patiemment, hésitant entre les deux seules fins possibles à ses yeux…La guérison du jeune garçon ou sa mort par overdose.
MY BEAUTIFUL BOY repousse les limites d’un père, poussé au désespoir par les récidives de son fils, à essayer de sauver ce dernier seulement en vie dans ses souvenirs. Steve Carell se démarque alors dans ce rôle qui lui permet d’exprimer toute la carte de ses émotions, confirmant son virage dramatique entamé depuis sa nomination à l’Oscar du meilleur acteur en 2015 pour Foxcatcher. Il incarne ici à la perfection un père obligé à voir son fils et « à pleure[r] les vivants c’est comme [s’il] n’était pas vivant ». Tel Prométhée condamné à avoir le foie continuellement manger par un aigle, David Sheff s’accable du fardeau d’essayer de sauver Nic à chacune de ses rechutes. Car malgré ses nombreux souvenirs merveilleux avec lui, il n’a pas vu la lente déchéance de ce dernier, grand lecteur de « misanthropes et des écrivains déprimés ». Un poster de Nirvana, un roman de Scott Fitzgerald Kennedy, un poème de Charles Bukowski. Un chanteur décédé à 27 ans, un personnage qui sombre dans l’alcoolisme et la dépression, un auteur ivrogne et instable. Certains verront dans ces éléments des signes annonciateurs, d’autres seulement un jeune homme mélancolique, fasciné par les beaux mots et les âmes tourmentées. Peut-être qu’en repensant à leur passé commun, David Sheff voit les choses différemment. Peut-être qu’en examinant son passé il cherche à trouver une explication et une solution à un problème bien plus complexe. Peut-être que ce joint partagé il y a tant d’années n’était pas qu’un simple moment de complicité père-fils ? Comment savoir… Comment le sauver et ainsi sauver toute sa famille ? Felix Van Groeningen exprime ici un ensemble de sentiments ambigus et paradoxaux, ceux d’un père cherchant à sauver inlassablement un fils qui ne s’en sort pas.
Malgré un formalisme et une spirale infernale (rémission, rechute) qui peut être fatigante, MY BEAUTIFUL BOY encourage avant tout une réflexion sur la famille, l’addiction et ses dommages. Loin du pathos, le film n’est peut-être certainement pas aussi addictif que son sujet, mais il reste donc touchant grâce au jeu incroyable de ces acteurs. Père, mère, belle-mère, frères et sœurs, tous les proches sont touchés par l’addiction de Nic Sheff. Ainsi, MY BEAUTIFUL BOY est définitivement très loin du mélodrame et du moralisme qu’on peut souvent voir sur la drogue au cinéma mais questionne les limites de l’amour familial et témoigne d’une violence psychologique intense.
Un film magnifique, émouvant, intelligent, et très marquant.
Un film essentiel et magnifique pour comprendre l’addiction.
par Loïse Delacotte
Il y a de nombreux films qui parlent de drogue et d’addiction. On pense en premier lieu à Requiem for a Dream avec Jared Leto, ou à Trainspotting avec Ewan McGregor. Pourtant, My Beautiful Boy est totalement novateur et réellement essentiel. L’histoire de Nick est celle d’un adolescent comme les autres, qui a connu une enfance heureuse, et une scolarité brillante. Il a toutes les cartes en main, mais tombe pourtant dans la drogue dure. Le postulat du film est clair…Tout le monde peut devenir la proie d’une addiction mortelle. Sa descente aux enfers est progressive, mais irrémédiable. Être issu d’un milieu privilégié ne lui permet pas de s’en sortir plus rapidement, après un simple passage en cure de désintoxication. My Beautiful Boy montre sans voile et sans fard la réalité d’une spirale infernale qui entraîne et tue chaque année des centaines de milliers de personnes dans le monde. La noirceur dans laquelle s’enfonce Nick n’est illuminée que dans les moments qu’il passe avec ses proches et notamment avec son père. L’autre aspect essentiel de ce film est la relation fusionnelle qu’entretiennent les deux hommes. Père et fils ne se reconnaissent plus l’un l’autre mais restent liés dans les épreuves. Le film montre aussi avec force l’impact dramatique de l’addiction sur l’entourage du drogué.
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