2006 – des L’ Armes…

 

On estime à environ 550 millions le nombre d’armes à feu actuellement en circulation, autrement dit, il y a 1 homme sur 12 qui est armé sur cette planète.

 

La seule question c’est…Comment armer les 11 autres ?

 

 

 

Lord of War ne manque donc pas de phrases choc…La Kalachnikov est le produit russe le plus exporté après la vodka, le caviar et les écrivains suicidaires…Ni de séquences coup de poing, mais peu ont autant marqué les mémoires que les toutes premières minutes du film et son générique glaçant, surnommé Life of a Bullet, et dans lequel on peut suivre toutes les étapes de la conception d’une balle, de sa fabrication en usine à son impact mortel, en passant par tous ses intermédiaires. Un exemple parfait de storytelling en trois minutes, qui retrace la ” vie ” d’une balle de fusil à travers les différents trafics et champs de guerre à travers le monde. Cette séquence de générique est l’œuvre d’un studio français, l’E.S.T. Pour arriver à ce résultat à l’écran, les équipes d’effets visuels supervisées sur le film par Yann Blondel ont dû essentiellement travailler à partir d’images composées et générées par ordinateurs ainsi qu’avec des techniques d’imagerie à grande gamme dynamique. Une nécessité pour des plans aussi complexes et minutieux à créer, mais qui ont à l’époque créé quelques problèmes supplémentaires…Tout ce qui est à l’intérieur de la machinerie est en images de synthèse jusqu’à ce que l’on ressorte sur le tapis roulant. Le tapis roulant et les balles le sont aussi. Mais toutes les images en arrière-plan ont également dû être reconstruites en images de synthèse car la caméra bougeait un peu trop, et nous voulions que la balle conserve une trajectoire parfaitement droite. Sur les plans où l’on voit la balle être prise à la main, l’acteur et sa main ont été filmés contre un fond vert puis incrustés dans un arrière-plan en images de synthèse. Lorsque le coffre arrive en Afrique, c’est encore une autre histoire. On a été obligé de tout refaire en images de synthèse lorsque la balle tombe et roule sur le sol. On avait réussi à tourner un bon mouvement, mais on n’arrivait pas à bien se positionner par rapport au sol. On a dû recréer tout l’arrière-plan en images de synthèse, juste à cause de quelques centimètres !

 

Aujourd’hui, si ces effets numériques peuvent avoir un peu vieilli, ils participent encore pour beaucoup de l’effet ironique de ce générique. En trois minutes, il résume l’esprit du film d’Andrew Niccol, qui expose avec souvent beaucoup d’humour grinçant, tous les rouages des trafics d’armes clandestins à travers la planète. L’utilisation à contre-emploi du très pacifique For What It’s Worth de Buffalo Springfield, protest song emblématique des opposants à la guerre du Vietnam et hymne de la contre-culture écrit à l’époque des émeutes entre hippies et policiers sur la Sunset Strip des années 60, y est évidemment pour beaucoup. Dans son analyse du générique de Lord of War, le site Art of the Title pointe une comparaison inattendue mais pourtant formellement très ressemblante entre le générique du film et ceux de la série des Y a-t-il un flic, classiques parodiques du trio Zucker – Abrahams – Zucker. Dans les trois premiers volets de la saga des Naked Gun, on peut suivre tout au long du générique le trajet d’un gyrophare de police, un trajet qui finissait généralement dans des situations absurdes. Cette comparaison est à l’image du générique dans son ensemble, qui fait appel à un sens de la référence pop appuyé, entre l’esthétique et les images numériques des first-person shooters et le plan final filmé de l’intérieur du canon d’un fusil rappelant le “gun barrel shot” signature de tous les James Bond. Un générique clinquant, pop et virtuose, qui n’éclipse cependant jamais la cruauté de la réalité qu’il dépeint. Un générique à l’image de Yuri Orlov/Nicolas Cage le « Bad Héro ».

 

 

 

1997 / Truman show et 2004 / The Terminal Scénariste

1997 / Gattaca – 2002 / S1m0ne – 2005 / Lord of War

2011 / In Time – 2013 / The Host – 2014 / Good Kill – 2018 / Anon

 

 

 

ENTRETIEN AVEC ANDREW NICCOL



C’st l’un des très bons scénaristes, points forts du cinéma Hollywoodien, à son actif… Gattaca – The Truman Show – The Terminal. Il a écrit et vient de réalisé Lord of War. C’est toujours intéressant d’avoir le point de vue d’un réalisateur sur son travail.

 

Votre film est plus dur que vos précédents. Travail plus personnel pour vous, ou y avait-il une dimension morale ?  J’étais juste attiré par ce monde. Vous voyez beaucoup de choses sur le trafic de drogue, mais pour une raison quelconque, vous n’obtenez pas la même attention au trafic d’armes, même s’il a un impact beaucoup plus meurtrier dans ce monde. Je voulais aussi explorer ce côté sombre de la nature humaine, parce que Le personnage central est intéressant en ce qu’il peut vendre des armes comme s’il s’agissait d’aspirateurs et je voulais explorer comment cet être humain peut fonctionner.

 

Était-il important que le personnage ne semble pas en conflit ? Un gars sympa même quand il fait des choses horribles. Je pense qu’il y a des gens dans le monde qui peuvent faire ça. Nous disions « écoutez, vous êtes responsable de centaines de morts » et il disait: « Je n’en suis pas responsable parce que je n’appuie pas sur la gâchette, je réponds à un besoin, je réponds à une demande ».

 

Essayez-vous de tracer cette ligne de responsabilité ou essayez-vous simplement de poser une question ? Je ne vais pas porter ce jugement, mais pour lui, il a ce code moral pervers. D’une certaine manière, il ne se considère pas comme faisant partie de cela. Ce n’est pas un homme violent, mais il reconnaît la violence chez les gens mais il veut juste l’exploiter.

 

Il semble le rationaliser en disant que quelqu’un d’autre le ferait s’il ne le faisait pas, n’est-ce pas ? Est-ce que c’est le sien ? Oui et c’est ce qui nous donne une chance étrange. Nous sommes aussi des marchands d’armes, que vous viviez aux États-Unis ou au Royaume-Uni, nous profitons indirectement du trafic d’armes. Je suis sûr que c’est la raison pour laquelle les gouvernements et les grandes entreprises sont motivés par le fait que s’ils ne le faisaient pas, quelqu’un d’autre le ferait.

 

Pouvez-vous parler de la complicité du gouvernement dans ce domaine, comment il «fait un clin d’œil» au processus ? J‘ai bien peur que ce soit vrai. Une grande partie de cela est basée sur des événements réels. Beaucoup de ces marchands d’armes sont plus précieux pour les gouvernements de l’extérieur que de rester dans une cellule. J’ai peur que quand quelque chose rapporte tellement d’argent pour tant de gens, il est difficile de l’arrêter. Ils font avancer le programme qu’ils ont à l’époque, et ils ont besoin de ces types (marchands d’armes) pour négocier ces accords.

 

Le frère (Jared Neto) de Nicholas Cage a une dépendance à la cocaïne. Les dépendances sont-elles si différentes ? Non, j’ai toujours pensé que Yuri (Nicholas Cage) était plus accro au trafic d’armes. Le frère semble être un flocon, un perdant, mais il fait un sacrifice que Yuri ne pouvait même pas envisager.

 

Avez-vous des idées sur la direction du trafic d’armes ? Non, je voulais juste faire la lumière sur un monde que nous ne voyons pas souvent. Pour moi, c’était une exploration intéressante de cela et d’un personnage plus sombre. Ce n’est pas traité dans les médias. J’ai déniché beaucoup de trucs sur les marchands d’armes, mais normalement, c’est enterré à la page 12 dans un tout petit article, même si ces types sont responsables d’un tel chaos dans le monde. Ce n’est jamais vraiment discuté et je ne peux pas vous dire pourquoi. Vous pouvez créer un certificat d’utilisateur final sur votre photocopieur dès maintenant. Il y a tellement de gouvernements corrompus prêts à en tirer profit. Le nombre de navires avec un registre libérien est stupéfiant, vous pouvez obtenir un registre pour un navire sur Internet. Il y a beaucoup de sanctions de l’ONU mais il n’y a aucune volonté d’arrêter. Il y a tout ce discours sur les armes de destruction massive, mais 9 victimes de guerre sur 10 sont tuées par des armes légères. Les gens se font tuer lorsque des gens comme Yuri (Nicholas Cage) inondent l’Afrique avec des armes.

 

Comment était le cycle d’écriture ? Assez rapide. J’avais rassemblé des références mais quand je me suis assis pour l’écrire, ce n’était que 6 mois, ce qui pour moi a été assez rapide. Cela peut même avoir duré 4 mois. Ce fut une expérience fascinante pour moi de rencontrer ces personnes. L’avion que nous utilisons dans le film appartient à un marchand d’armes, et cet avion faisait voler de vrais fusils au Congo la semaine avant qu’il ne soit loué par nous pour de fausses armes.

 

Pourquoi pensez-vous avoir réussi à faire travailler des marchands d’armes avec vous ? Parce que tous ces types disent ” nous utilisons pour utiliser des armes, mais tout ce que nous faisons maintenant est tout à fait légitime “.Ces types dorment mieux la nuit que nous, c’était fascinant et effrayant pour moi.

 

 

 

 

PRISE DE CONSCIENCE ?

 

Troisième film en tant que réalisateur, Andrew Niccol nous fait pénétrer dans un monde ahurissant d’immoralité. Celui des trafiquants d’armes. Film alarmant, très documenté, qui fait froid dans le dos. Il dépeint avec beaucoup de conviction l’absurdité du système dans lequel nous évoluons en assaillant sans le moindre détour les gouvernements. Un film engagé, très courageux. Pas étonnant qu’il dû aller jusqu’en France pour trouver un producteur. Nicolas Cage apparaît dans un rôle taillé sur mesure. Le sarcasme et la froideur dont il fait preuve démontrent une fois de plus qu’il est un acteur remarquable, contrairement à ce qu’auront pu démontrer ses prestations ultérieures. On est heureux de retrouver le très talentueux Ethan Hawke, que l’on avait déjà pu apprécier dans Bienvenue à Gattaca, la toute première réalisation d’Andrew Niccol. Jared Leto est lui aussi parfait dans son rôle de frère complètement égaré, sombrant une fois de plus pour l’acteur, après son rôle dans le difficile Requiem for a Dream, où il incarnait un jeune victime de ses illusions destructrices dans la drogue. Le casting du film est donc exemplaire, mis en valeur par des répliques vraiment intelligentes, toutes aussi mémorables les unes que les autres. La bande originale est elle aussi parfaite, avec des artistes comme Buffalo Springfield, David Bowie ou encore les très grands Eric Clapton et Jeff Buckley. Avec ce chef-d’œuvre de plus, le scénariste du Truman Show témoigne une nouvelle fois de sa virtuosité et nous traîne dans un monde où l’argent et le pouvoir ont depuis longtemps pris le pas sur les sentiments. Plus de passion, plus le moindre amour-propre. Lord of War est une réelle prise de conscience qui opère avec intransigeance et cynisme la dissection d’un monde croupissant dans les appétits cruels et immodérés du pouvoir. Vraiment alarmant, absolument consternant.

 

 

 

 

 

 

LA FAÇON LA PLUS RAPIDE DE METTRE FIN A UNE GUERRE

EST DE LA PERDRE…      par Nicolas Plaire

 

Bien que, à travers son film, il démontre que le trafic d’armes est lucratif, ce n’est pas par profit personnel que le réalisateur a été amené à cette situation. Andrew Nicoll a simplement dû acheter pour le film une quantité très importante d’armes, 3.000 Kalashnikovs réelles, car les armes factices étaient bien plus onéreuses ! Il les a ensuite revendues sans faire le moindre bénéfice, mettant fin à sa très courte et très peu rentable carrière de trafiquant d’armes. De même, pour certaines scènes, il prit contact avec de réels trafiquants, qui lui louèrent, en plus d’armes à feu, 50 Tanks russes T-72. Le réalisateur dut contacter l’OTAN pour les prévenir du tournage. Il craignait que les images satellites puissent faire croire à la préparation d’une guerre. Quel chemin suit la balle d’un fusil d’assaut ? Où finit la vie d’une arme ? A-t-elle un sens ? Combien d’existences sont reliées à une munition anonyme ? Le monde tourne autour de l’axe du canon d’une mitrailleuse. Prenant une fois de plus son sujet à bras-le-corps, Andrew Niccol, réalisateur et scénariste émérite, livre sa peinture d’un univers à peine maquillé par la révérence. Des gens polis qui parlent de gros sous et d’armes destructrices, injectés dans un milieu où les morts et le profit font bon ménage. En s’éloignant des peintures poético-philosophiques qui définissaient ses précédentes œuvres, Niccol dessine au métal et à l’hémoglobine le portrait d’une dure réalité, celle du trafic d’armes. Extrêmement documenté, le réalisateur va suivre le chemin d’un jeune caïd dans les bouleversements géopolitiques de l’histoire récente. Mieux, il va se servir du contexte non pas pour livrer une unique dénonciation convenue de la guerre et de ceux qui la décident, mais pour en retour construire un personnage déchiré par ses ambitions, sa famille et ses contrariétés. Youri Orlov est-il un guerrier, un immonde salopard sanguinaire? Certainement pas, et c’est ce qui risque de faire grincer des dents. C’est avant tout un type simple, profondément humain, qui a enterré son éthique et sa déontologie sous trente tonnes de plomb et de billets verts sans odeur. Soucieux de ne pas juger son personnage, Niccol construit son histoire en ajoutant une à une les couches de sa déchéance sans les nommer. Depuis ses parents ayant fuit les communistes jusqu’à son frère junkie, tout en passant par sa femme, qui ne se laisse pas berner par le rideau de fumée qui entoure ses activités, l’environnement d’Orlov multiplie les alarmes. Qu’importent toutes les conséquences pourvu qu’il ait l’argent et la vie ad hoc.

 

Avec un sujet délicat révélant les conflits d’intérêt des grandes puissances, capables à la fois de fournir l’arme et la leçon de morale qui va avec, Andrew Niccol canarde tous azimuts. Certes le thème n’est pas nouveau et le réalisateur ne propose rien de révolutionnaire juste la confirmation de ce que l’on aurait pu voir dans Bowling for Columbine et pourtant la stratégie est payante. Documenté et sérieux, Lord of War est avant tout un constat sur la déliquescence du monde pré-11 septembre, la chute de la puissance bipolaire, qui maintenait l’illusion d’une stabilité mondiale basée sur l’opposition de forces s’annulant…Pour finalement se fragmenter en cellules indépendantes trop petites pour êtres contrôlées. En parfait caméléon, Nicolas Cage par ailleurs producteur du film baroude de l’ex-URSS jusqu’en Afrique, monte les échelons du juste trafiquant, embobine, tchatche comme un marchant de tapis, se vend à toutes les causes pourvu que l’on achète sa marchandise, et joue au chat et à la souris avec un agent américain. Le tout chemisé par une mise en scène de haut calibre et efficace qui fait passer la pilule de la réflexion par une amorce de divertissement. Car si tout cela ressemble à un jeu aux yeux de Orlov, choisissant consciemment de ne pas se soucier des conséquences de ses actes, il n’en est pas moins en première ligne, sous le feu de ses propres armes. Et si le film choisit de ne pas offrir ouvertement morale et solution mais pourquoi le ferait-il ?…Ce n’en est pas moins un pamphlet light contre toute forme de massacre et de barbarie, qui dérange un certain establishment Niccol ayant dû chercher ses financements notamment en France, Hollywood refusant de le produire. Et c’est déjà vraiment beaucoup.

 

 

 


Un avis contraire…

 

COUP FUMANT     par Raphaël Le Toux-Lungo

 

Le réalisateur s’attaque frontalement au délicat propos du trafic des armes à feu. Andrew Niccol nous place avec le personnage de Nicolas Cage au cœur d’un immense rouage, pour s’interroger sur l’état chaotique du monde. Malgré ce thème louable, le cinéaste semble rater sa cible en incriminant plus volontiers la vile nature de l’homme que la vision politique qui la soutient. La démonstration qui se déploie dans un style tout à fait insupportable, un long clip de deux heures à la bande originale risible, finit par enterrer définitivement son sujet. Yuri Orlov (Nicolas Cage), immigré ukrainien vivant à New York, est un jeune homme en quête d’identité. Pris entre un frère alcoolique, une mère catholique, un père qui se croit juif, il veut devenir « quelqu’un » pour l’amour de miss Long Island, qui le fait rêver. Et il le fera par le trafic d’armes, commerce juteux bien qu’illégal. À travers les grands conflits qui ont secoué et secouent encore notre monde des années 1980 à aujourd’hui, il ne connaîtra que réussites et succès mais perdra ses illusions, devenant un roc inébranlable. Pour finalement se rendre compte qu’il n’est pas hors du système, mais qu’il est le système lui-même dans sa logique destructrice et foutrement rentable.

 

Andrew Niccol s’attaque à un sujet délicat et peu exploité au cinéma, surtout en France, alors que les armes sont la première exportation de notre cher pays. Dés le générique -la vue subjective d’une balle, de sa fabrication jusqu’à la tête d’un enfant dans laquelle elle vient se loger-, nous sommes au cœur du sujet pour ne plus le quitter. Le cinéaste veut dénoncer une véritable industrie de la mort, hypocrite (ils fabriquent les armes, les vendent mais se défendent d’appuyer sur la gâchette) et puissante. Cette intrusion dans un des rouages les plus diaboliques du monde capitaliste (l’entretien de la guerre à des fins commerciales) se dessine principalement à travers le personnage de Nicolas Cage. À la fois personnage principal, mais aussi voix off qui couvre de ses commentaires distanciés et pas toujours tendres la totalité du film, Yuri se dédouble pour permettre au spectateur l’identification à cette ambition démesurée et profondément cynique. Mais plus que le système qui le voit émerger (un court début de jeunesse d’immigrant dans Little Odessa), c’est sa nature profonde d’humain qui est mise en accusation. Certes la nature de l’homme n’est pas forcément reluisante, mais les questionnements que provoque le film s’orientent vers une confondante naïveté et un manichéisme insupportable. Le film affiche une candeur qui nous fait alors douter de son bien-fondé. Le fatalisme dont fait preuve le cinéaste est aussi assez racoleur. On trouve bien ici ou là quelques brimades contre le président libérien ou les élections truquées du premier mandat de George W. Bush, ainsi qu’un carton final dénonçant les quatre plus grands exportateurs d’armes du monde (à savoir les USA, la Russie, la France et la Chine) et leur place au conseil de l’ONU…qui semble plus résulter d’un désir de bonne conscience que d’un réel engagement. Le film sombre alors dans un pessimisme assez douteux et attentiste. Le monde est pourri et nous ne pouvons rien y faire. Légale ou illégale, la loi du marché brise tout sur son passage et la non-condamnation du personnage qui clôt le film nous fait bien comprendre qu’avec lui ou un autre, le système continuera à tourner. Pas d’échappatoire possible. Seul règne ici le dégoût des règles de la société, qui met en lumière le désert idéologique que traverse notre époque. Embourbé dans le principe de fiction parfois peu crédible, comme le prouve l’épisode du bateau, que Yuri fait repeindre en quelques minutes ou celui de l’avion en Sierra Leone, qui atterrit sur un chemin de terre au milieu de la foule, Niccol n’arrive pas à se détacher de ce destin personnel traversé de doutes, sûrement peu représentatif de la réalité de la violence de ces marchands. Ces scènes, si elles fonctionnent dans un James Bond ou dans Mission : impossible, apparaissent ici totalement grotesques. De la même manière, le commencement de l’activité de Yuri est totalement éludé. Une poignée de mains à la synagogue, et le voilà dans une chambre d’hôtel à vendre des armes israéliennes. Ce qui semble manquer à Lord of War, sur ce terrain, c’est une hybridation plus proche du documentaire, et au réalisateur-scénariste une plus grande connaissance de ces milieux pour donner un accès plus véridique et plus instructif pour le spectateur. Si le rôle, et le talent, d’un cinéaste est d’uniquement divertir, qu’il l’assume mais qu’il ne prenne pas ainsi la pose d’agitateur de problèmes de société, pour finalement ne donner qu’un film contestataire à l’emporte-pièce.

 

Ce constat cynique et monstrueux aurait eu pourtant une chance de fonctionner à travers le personnage de la femme de Yuri. Cette dernière ne sait rien des agissements de son mari et, avant qu’on ne vienne lui montrer des preuves du commerce de son mari, elle ne cherche pas à comprendre. Ce protagoniste semble pouvoir symboliser l’embourgeoisement généralisé de notre société, qui laisse agir, du moment qu’on ne vient pas déranger son confort opulent. Elle aurait gagné ainsi à être traitée avec plus d’attention. Une seule scène nous montre son désarroi, lorsqu’elle apprend la vérité sur les activités de son mari, trop facile et surtout pur ressort de scénario. Niccol la traite avec tiédeur et finalement ne montre rien qu’une femme assez soumise, sans réelle épaisseur, une ménagère d’intérieur sans volonté propre. Passons sur les prestigieuses références de Niccol, de Leone à Scorsese, pour traiter de son style. Car si le film pèche aussi par un autre aspect, c’est bien son univers visuel. Car c’est plus du côté du travail d’un David Fincher, du mauvais clip ou de la publicité, que lorgne Niccol. Une esthétique faite de coups fumeux numérisés et de scènes choc, à la limite du tire-larme ridicule, comme la séquence du massacre du camp libérien qui se finit par une trace de main ensanglantée sur le drap blanc d’une tente. Ce style dominant, clinquant et fun, en complète déconnexion avec la dureté du sujet, montre sûrement le vrai visage du film. La bande-son ne sauve rien non plus. Niccol singe le travail mi-ironique, mi-empathique, fourni par Scorsese sur Les Affranchis et Casino, à partir de la musique populaire. On peut citer la scène de drague risible, au son de la reprise de Grace Jones de «La Vie en rose», plus proche pour l’occasion d’un des plus mauvais élèves du réalisateur de Raging Bull, Paul Thomas Anderson, que du maître lui-même. Lord of War n’est finalement qu’un produit de plus qui se veut dérangeant mais qui ne l’est nullement. Enfonçant des portes ouvertes, Niccol nous emballe ses pseudo-informations et réflexions sur la vente des armes dans un joli paquet cadeau, pour ne pas trop heurter les personnes à qui le film est destiné. Comme David Fincher a vendu l’anarchie dans Fight Club et Michael Moore la résistance à Bush dans Fahrenheit 9/11, Niccol montre un système capable de se dénoncer lui-même, signe d’un cynisme suprême.