La tâche de transposer sur grand écran une histoire racontée à la première personne du singulier à travers des correspondances par lettres uniquement, n’était pas facile. Mais l’œuvre cinématographique est une réussite, car à la fois très proche du roman tout en se permettant quelques libertés et réajustements. Le changement majeur concerne l’interaction entre Madame de Merteuil et le Vicomte de Valmont, lesquels ne se rencontrent jamais face à face dans le roman contrairement au film. D’autres petits changements sans importance concernent l’ouverture et la fin du film et le destin réservé à Madame de Merteuil…Un autre ajout apporté par le film c’est l’humour grâce au dialogue, et notamment à l’interprétation de John Malkovich et celle de Glenn Close. Un humour et une légèreté absents du roman. Ce rajout peut être perçu comme un défaut ou un avantage selon les goûts. La réalisation de Stephen Frears est un sans faute, élégante et osée à la fois. Aidée par l’un des chefs opérateurs les plus talentueux du monde, Philippe Rousselot, et la musique de George Fenton qui participe à l’atmosphère à la fois légère et sérieuse du film. Le casting est très réussi, avec des comédiens tels que John Malkovich, Glenn Close, Michelle Pfeiffer, la très jeune Uma Thurman, Keanu Reeves. Mais c’est bien John Malkovich et Glenn Close qui portent ce film par leur talent à camper deux personnages totalement machiavéliques et pitoyables à la fois. Enfin, même si l’adaptation cinématographique est une réussite, elle enlève tout de même quelque chose d’unique que seul le roman épistolaire possède, c’est ce doute de l’authenticité de l’histoire. Le style épistolaire, précédé de la mise en garde de l’éditeur font en sorte que le lecteur se demande s’il n’y a pas une part de vérité dans cette histoire.
Le point de départ de leur plan diabolique, et de leur chute, est une proposition de la première au second. Dans la France du XVIIIe siècle, la marquise de Merteuil charge son ancien amant de séduire Cécile (Uma Thurman), la très jeune fille de sa cousine, afin de se venger d’une autre de ses conquêtes avec laquelle elle est censée se marier. Valmont refuse dans un premier temps, préférant tenter de ravir le cœur de la vertueuse madame de Tourvel (Michelle Pfeiffer). Le libertin accepte la requête de la marquise de Merteuil dans un second temps, lorsqu’il apprend que la mère de Cécile a tenté de mettre en garde madame de Tourvel sur sa nature fourbe. Un défi qui provoque un engrenage où seule la cruauté pourra l’emporter.
L’écriture et la lecture mises en scène
L’adaptation d’un roman épistolaire est un véritable défi car il faut exprimer la correspondance écrite à travers des dialogues et des actions entraînantes. Dans le cas du roman de Laclos, il est indispensable pour le réalisateur de faire comprendre l’importance des lettres dans la dynamique de l’intrigue. On peut se demander par quels outils cinématographiques Stephen Frears réinvestit les atouts de l’épistolaire dans son film Les Liaisons dangereuses. On pourra aussi éclairer comment le film s’écarte de l’esthétique épistolaire et du roman de Laclos. La première technique pour montrer l’importance de la correspondance épistolaire dans l’intrigue est de montrer à l’image des personnes en train de lire et d’écrire. Les échanges de lettres ne manquent pas…Madame de Tourvel reçoit les lettres de Valmont à table, Valmont écrit sa lettre à Madame de Tourvel sur le dos de la prostituée Émilie sur fond d’orage, et il dicte à Cécile les lettres qu’elle enverra à Danceny. Autant de moments clés dans le livre qui sont reconstitués comme tels dans le film. Stephen Frears décide donc de donner de l’importance à la lettre en tant que personnage à part entière, qui est décisif dans la dynamique de l’intrigue et son explosion finale.
La polyphonie…
Une caractéristique de l’épistolaire que le film respecte et reconstitue indirectement par le jeu de l’enchaînement rapide des séquences. Valmont écrit sa lettre à Madame de Tourvel sur le dos de la prostituée en parlant à voix haute, et la séquence d’après montre Madame de Tourvel lisant sur un banc dans le jardin. La cohérence des deux séquences est soutenue par la voix de Valmont qui fait le pont entre l’écriture et la lecture. Par cette technique, la lettre acquiert deux significations…La sulfureuse qu’Émilie perçoit avec notamment le jeu de mots sur « jouir », et l’amoureuse perçue par Madame de Tourvel. L’effet polyphonique est aussi produit par la technique d’identification des spectateurs aux personnages. Dans le livre, le lecteur s’identifie par l’utilisation de la première personne et le style propre à chaque personnage ; dans le film, on retrouve cette idée à travers les gros plans sur regards perçants ou les gestes poignants des personnages qui touchent fortement les spectateurs. Citons les premiers moments du film où la marquise et le vicomte se regardent dans un miroir en direction de la caméra…Les spectateurs deviennent les miroirs des deux personnages. et deviennent les reflets de Merteuil et Valmont.
Stephen Frears respecte l’ambiance des lettres.
Le roman de Laclos s’étale sur à peine cinq mois. En deux heures, Frears s’est chargé d’exprimer l’urgence qui caractérise les échanges dans le roman. Dans le livre, les personnages ont toujours l’air de n’avoir pas le temps d’écrire…« j’aime mieux vous quitter brusquement » (Merteuil refuse de parler avec Valmont de retrouvailles amoureuses qui n’auront jamais lieu, lettre 131) « Je cours tenter ce grand événement » (Valmont doit s’arrêter d’écrire à Merteuil pour aller demander pardon à Madame de Tourvel, lettre 138) « Voici l’heure où il a promis de venir » (Tourvel coupe court à sa lettre pour Madame de Rosemonde à l’heure où Valmont doit lui rendre visite, lettre 132). Dans le film, cette urgence permanente se retrouve dans le tumulte des carrosses dont les roues frappent bruyamment les pavés, la rapidité de l’enchaînement des séquences à la fin, notamment à la mort de Valmont, où les images de Tourvel et de Valmont s’enchaînent pour exprimer la tragédie engendrée par les lettres. Il récupère donc le dynamisme du roman de Laclos, en se réappropriant la capacité des lettres à être de véritables actes. Toutefois, cela ne suffit pas à faire de son film un objet convaincant. Stephen Frears a dû compléter ce que l’épistolaire ne peut pas exprimer en faisant des choix. Des mystères laissés sans réponse dans le roman font l’objet d’un parti pris dans le film. L’épistolaire est utilisé par Laclos pour permettre un flottement dans la signification du livre. Stephen Frears donne des avis plus clairs sur ces questions laissées en suspens. La mort de Madame de Tourvel ressemble à la mort d’une sainte, orchestrée par une mélodie dont la force ne cesse de croître, et par son visage blanc et pur. L’amour de la marquise pour Valmont semble plus clairement suggérée, à travers ses pleurs quand elle apprend la mort du vicomte, ou encore plus justement dans les débuts du film quand elle exprime une grande peine à résister lorsque Valmont, à quelques centimètres de son visage, lui propose une avance.
Stephen Frears donne plus de force à l’humiliation de la marquise. Son sort est expédié dans le roman, refroidi par le récit d’une femme secondaire, Madame de Volanges, qui n’a rien vécu du drame et qui continue à trouver exagérés les propos qu’elle entend dans Paris. Au contraire, la scène finale de l’opéra dans le film érige l’humiliation de la marquise comme véritable morale du film, et comme le présage de sa mort prochaine, quand l’image s’obscurcit avant le générique de fin, on a l’impression que le fondu transforme le visage de la marquise en crâne de vanité. Elle ne perd pas seulement son masque de maquillage et ses soutiens dans la société, elle perd aussi tout souffle vital. Les récits épistolaires sont toujours des récits interprétés, alors que les films peut les exposer dans le feu de l’action, remplacer des échanges de lettres par des dialogues, avoir recours à des coups de théâtre plus prononcés. La déclaration de guerre entre le vicomte et la marquise est ainsi transformée en dialogue, ce qui rend la tension dramatique plus forte car la spontanéité y est remise à l’honneur. Cette tension dramatique multipliée se retrouve aussi dans les jeux de dissimulations et d’aparté, alors que dans le roman, tous les projets du couple s’écrivent sur papier, dans le film on aperçoit Valmont se cacher derrière un sofa pour entendre la conversation entre Madame de Merteuil et Madame de Volanges. Une exigence cinématographique car le spectateur doit toujours être nourri de rebondissements, alors que dans un roman on en exige beaucoup moins car une lecture est rarement linéaire. Le film accentue l’importance des décors et des costumes, en créant des effets baroques et spectaculaires. Le film est une source d’information historique plus complète que le livre. Stephen Frears ne s’écarte pas du roman mais en éclaire certains éléments grâce aux techniques du cinéma.
L’adaptation de Stephen Frears du roman de Laclos répond aux exigences du roman qui hisse la lettre au centre du drame. Toutefois, elle a aussi recours aux techniques spécifiques au cinéma afin de développer des éléments percutants restés à l’état marginal dans le roman. Ce que le film retire au roman, c’est l’activité du lecteur. L’épistolaire force le lecteur à participer activement à la construction du sens, alors que le film fait vivre les événements et ressentir les émotions des personnages. Ce sont donc deux versions complémentaires.
1989, 30 ans après la version Française, Stephen Frears transpose à l’écran la pièce de Christopher Hampton basée sur le roman épistolaire de Choderlos de Laclos et remporte trois Oscars…Meilleur scénario adapté, direction artistique et Meilleurs costumes. Glenn Close et John Malkovich sont les deux conspirateurs déterminés à semer le trouble dans les vies sentimentales.
Roger Vadim en 1959 signe une adaptation moderne du défi entre le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil joué par Jeanne Moreau et Gérard Philippe.
VIE PRIVÉ…VIE PUBLIQUE…
Dans le film, une passion dévorante naît progressivement entre madame de Tourvel et le vicomte de Valmont, au point de les consumer tous les deux. Une relation passionnante qui doit beaucoup à l’alchimie entre ses interprètes. En coulisses, une attirance entre Michelle Pfeiffer et John Malkovich voit d’ailleurs le jour. Les deux acteurs se retrouvent au cœur d’une véritable liaison. Une situation dont se souvient Stephen Frears interrogé par le New York Times en 2003, le cinéaste déclare à propos de John Malkovich, avec lequel la collaboration a souvent été mouvementée…Son mariage était en train de se briser. Et pendant le film, il avait une liaison avec Michelle Pfeiffer. Les Liaisons dangereuses parle de trahison, de mensonges et de relations qui se dénouent. C’était l’un de ces moments où la réalité et l’art se croisent. C’était bouleversant pour John. Le comédien adepte de la Méthode évoque un tournage éprouvant, duquel il reste malgré tout satisfait en raison du résultat. Questionné sur ses rapports avec Stephen Frears, qu’il avait qualifié de « cauchemar » et de « pervers », John Malkovich assure alors…Nous pouvions nous disputer beaucoup, mais tout ce qui est bien dans le film, je le lui attribue. Je n’ai jamais été défié comme ça auparavant. Je n’ai pas toujours aimé ça les gens n’aiment pas les défis. Cela bouleverse leur équilibre et c’est ce que Stephen fait à merveille. Il m’a beaucoup rendu fou, mais et alors ? Un rôle marquant dans lequel l’acteur s’est donc totalement investi. Peu de temps après le tournage des Liaisons dangereuses, John Malkovich et son épouse Glenne Headly divorcent.
ENTRETIEN
Les personnages de Valmont et de Merteuil sont tellement ambigus, vous êtes complètement repoussé par eux et complètement attiré par eux. Pourquoi est-ce le point de vue que vous avez décidé d’adopter dans le film ? La personne normale aime les gens comme ça. Ils aiment voir les gens agir et être cruels les uns envers les autres. Peut-être parce que nous le voulons, à un certain niveau. Ils l’apprécient.
Avez-vous eu le sentiment de vous identifier d’une manière ou d’une autre à Valmont, et que faisait-il ? Je suis d’accord avec Tennessee Williams que la seule chose impardonnable au monde est la cruauté délibérée. C’est complètement impardonnable. Je ne peux donc pas dire que je m’identifie à lui du tout à ce niveau parce que lorsque vous jouez un rôle, vous en tirez un certain plaisir par procuration, que ce soit un plaisir par procuration par amour ou luxure ou sexe ou culpabilité ou tragédie ou humour. Ou tout simplement une simple attention.
Pensez-vous que Valmont agissait juste par désir d’attention ? Ou était-ce parce qu’il sentait que les gens autour de lui n’étaient pas dignes de son intellect ? Il semble y avoir ce sentiment qu’il sait qu’il est meilleur que ces gens, il sait qu’il peut manipuler ces gens et donc ça devient un jeu entre lui et Merteuil pour voir qui peut le faire mieux. Je pense que c’est en partie vrai, mais mon sentiment personnel est que cela découle de quelque chose de beaucoup plus profond et de plus cynique, une sorte de fatalisme sur la possibilité de l’amour d’un amour durable ou réel, ou d’un épanouissement sur cette planète.
Il semble qu’il soit presque impossible pour Valmont d’avoir de l’amour dans ce monde à cause de la façon dont il a mené sa vie. C’est vrai, mais à l’inverse, la façon dont il a mené sa vie découlait vraiment de cette croyance. Il est difficile de dire lequel est venu en premier. Mais ce que Valmont découvre au cours de l’histoire et ce qui cause sa destruction, parce que cela va à l’encontre de ses sentiments, de ses pensées et de son image de soi, c’est que non seulement il est capable d’inspirer un véritable amour et une véritable passion chez quelqu’un et de vraiment le détruire, mais il est capable de ressentir de l’amour, et il peut être digne de le ressentir. C’est ce qui le détruit. Il ne peut pas vivre avec ça parce que ça va à l’encontre de tout ce qu’il pensait de lui-même.
Il essaie de changer votre personnalité à tout moment. Cela ne peut tout simplement pas fonctionner. Et surtout dans une société comme la France du XVIIIe siècle, où tout reposait sur la pose et la manière, sur ce que l’on paraissait être. L’une des répliques les plus intrigantes du film est celle où Valmont dit à Merteuil…« Je dois penser à ma réputation. » Lorsque la plupart des gens disent cela, ils veulent dire qu’ils sont perçus comme une personne bonne et digne. Avec Valmont, c’est être perçu comme le séducteur et le débauché. La réputation dont il parle dans cette partie est que si quelqu’un n’est pas difficile à séduire, vraiment, à quoi ça sert. Il dit à propos de cette femme qu’elle serait sur le dos avant que vous ne déballiez le premier bouquet de fleurs. C’est trop simple. Il dit du personnage de Tourvel que pour séduire une femme célèbre pour la rigueur de ses mœurs, sa ferveur religieuse et le bonheur de son mariage, quoi de plus prestigieux. Et ça le résume en quelque sorte.
J’ai lu récemment que vous avez qualifié le réalisateur Stephen Frears de cauchemar, de pervers et d’homme affolant qui ne savait pas quand se taire. Nous pourrions être très argumentatifs les uns avec les autres, mais tout ce qui est bon dans le film, je le lui attribue. Je n’ai certainement jamais été défié comme ça auparavant. Je n’ai pas toujours aimé ça je veux dire, de toutes les manières dont les gens n’aiment pas un défi. Cela perturbe leur équilibre. Cela les fait dévier de leur plan de match. Cela leur fait voir quelque chose d’une manière qu’ils ne l’avaient pas vue auparavant. Et c’est ce que Stephen fait à merveille. Il m’a beaucoup rendu fou. Mais alors quoi ?
Valmont est quelqu’un dont vous avez vous-même dit que vous ne le trouviez pas du tout attirant. Beaucoup d’acteurs diraient que c’est difficile à jouer. Mais on dirait que Frears a fait sortir ça de toi. En partie cela, et en partie que j’avais des idées différentes sur la façon de faire ressortir cela. C’était la chose la plus collaborative que j’aie jamais faite, même si cela signifiait parfois être combatif.
45 ANS DE CINÉMA / 70 FILMS
Un an après les « Liaisons… » elle revient avec son regard de braise dans Susie et les Baker Boys et dans la Maison Russie Sean Connery tombe pour nous amoureux de sa fragilité et sa fidélité en amitié. Deux ans plus tard c’est Al Pacino qui ne la quitte plus des yeux.
50 ANS DE CINÉMA / 90 FILMS
Un an avant les « Liaisons… » je retiens le film Liaison Fatale 1987 d’Adrian Lyne , elle est Alexandra celle qui va faire vivre « l’Enfer » à Michael Douglas. Un film marqueur dans sa carrière !
JOHN MALKOVICH
50 ANS DE CINÉMA / 120 FILMS
Si je dois retenir un film de son immense carrière mais jamais honorée je prends son rôle de photographe dans la Déchirure…Il est très jeune, son 2ème film et incroyablement présent dans un rôle secondaire avec une scène culte à l’ambassade de France lorsqu’il essaie de développer et fixer une photo d’identité sur le passeport de leur ami et sauveteur de sa vie face au Khmer rouge quelques heures auparavant.