1963 – Souffle du désert

 

C’est au cinéma que les films ont un sens, pour vivre pleinement des sensations uniques. Excepté les 3 premiers films de cette liste, les 30 autres sont liés à des émotions vécues à leur sortie au cinéma dans la magie difficilement explicable d’une salle obscure. Je n’ai pas découvert Lawrence d’Arabie à sa sortie, j’avais 8 ans mais c’est un film qui repasse parfois au cinéma et qu’il faut voir absolument sur un grand écran pour ses plans incomparables du désert à différentes heures du jour. Le chef d’œuvre de David Lean symbole de la grande époque Hollywoodienne des années 50/60 qui a nécessité deux ans de tournage et une aventure humaine pleine d’exaltation.  JP

 

 

 

David Lean 1908-1991 Réalisateur, Producteur, Scénariste Britannique. 40 ans de carrière et 15 films. Après 10 films en 10 ans, le Pont de la rivière Kwaï lance ses plus grandes années avec des films à grands spectacles qui vont rencontrer le public. Ses 5 derniers films reçoivent de nombreux et une vraie reconnaissance internationale. A partir du livre autobiographique “les 7 piliers de la sagesse” son film Lawrence d’Arabie est une adaptation à grand spectacle de la vie de Thomas Edward Lawrence paru en 1926. Né en 1888, le lieutenant britannique T.E. Lawrence mena une vaste opération en Arabie durant la première guerre mondiale en menant la révolte des Bédouins contre les Turcs. Surnommé “le libérateur de Damas”, il fut l’un des principaux artisans de l’unité arabe. Suspecté par certains d’exercer une influence occulte sur la politique internationale, ce personnage complexe est une figure incontournable de l’histoire du XXème siècle. Mort à moto en 1935 à 46 ans.

 

Fils illégitime d’un noble et d’une gouvernante, il n’était pas spécialement beau, ni grand et chercha toute sa vie à reconquérir cette légitimité manquante. Passionné d’archéologie, il part à la recherche de ses héros sur les routes de France, dans les châteaux avant de prendre le chemin des croisés vers le Moyen-Orient. Archéologue au Caire, sa connaissance de la langue et de la culture arabe lui permettent d’intégrer les services secrets britanniques. Sa mission était de trouver un leader aux tribus. Il trouva dans le prince Fayçal Ibn Hussein le chef pour fédérer les bédouins. Promettant une grande nation arabe unie avec Damas pour capitale, il fut l’âme de la révolte arabe contre les Ottomans de 1916 à 1918. Mais ses rêves se heurtèrent à l’histoire et aux volontés des empires coloniaux de faire main basse sur l’Arabie et ses richesses. Du désert de Jordanie, il emporta la gloire de ses victoires, l’amertume de la trahison et surtout la tragédie marquée dans sa chair et son esprit.

 

 

7  Oscars en 1963. Meilleur film, réalisation, photographie, direction artistique, montage.

Maurice Jarre emporte l’oscar de la musique mais aussi sur le Docteur Jivago – La Fille de Ryan et La Route des Indes.

 

 

 

Lawrence d’Arabie marque la première collaboration du réalisateur David Lean et du chef opérateur Freddie Young, trois ans avant Le Docteur Jivago. Les deux hommes retravailleront une dernière fois ensemble en 1970 sur La Fille de Ryan. Bilan pour le chef opérateur, trois Oscars. Film tourné au Maroc, Jordanie, Syrie. Dans le désert d’Almeria, en Espagne des palmiers avaient été plantés pour les besoins du film. Par la suite, ces palmiers se sont multipliés dans une petite zone du désert d’Almeria, aujourd’hui appelée “l’Oasis”. Le réalisateur David Lean souhaitait à l’origine engager l’acteur Albert Finney pour le rôle-titre de Lawrence d’Arabie. Le nom de Marlon Brando fut également mentionné. Au final, c’est Katharine Hepburn qui incita le producteur Sam Spiegel à engager Peter O’Toole. Pour incarner le rôle, Anthony Quinn s’est fait poser un faux nez. Il a incarné des personnages de différentes nationalités tout au long de sa carrière, d’origine mexicaine il incarne l’Arabe Auda abu Tayi, il s’est également glissé dans la peau d’un Grec dans Zorba le Grec, Les canons de Navarone, d’un Basque pour Passeur d’hommes, Les Centurions ou encore d’un Indien avec Buffalo Bill et les Indiens, La Charge fantastique. Pour Omar Shariff acteur Egyptien c’est un premier film international qui va le faire connaître dans le monde entier et quelques années plus tard il sera le docteur Jivago.

 

 

Le film permet à l’équipe du “Pont de la rivière Kwaï” de se reformer. Après le succès de ce dernier film, le producteur Sam Spiegel et le réalisateur David Lean désiraient mettre en chantier un projet d’envergure. Ils trouvèrent matière à cette ambition dans le récit de T.E. Lawrence dont ils acquirent rapidement les droits. Robert Bolt fut ensuite engagé, Sam Spiegel ayant fortement apprécié sa pièce de théâtre “Un homme pour l’éternité”. Deux personnages permettent de prendre un peu de recul par rapport à cette grande épopée, d’avoir un regard extérieur avec le personnage du diplomate Dryden, incarné à l’écran par Claude Rains, et celui du journaliste Jackson Bentley, joué par Arthur Kennedy quis est le seul personnage spécialement inventé pour le film. La majorité des mouvements de caméra présente la particularité d’aller de la gauche vers la droite. David Lean explique son choix par la volonté d’insister un peu plus sur la notion de “voyage” dans le film. Sur les 216 minutes du film, aucun personnage féminin ne parle, même si des femmes sont visibles à l’écran. Le long métrage ne laisse la parole qu’aux hommes.

 

 

 

Peter O’Toole est un comédien et producteur irlandais 2/08/1932-14/12/2013 considéré comme un « monstre sacré » du théâtre et du cinéma britannique. Enfance dans le Kerry en Irlande, puis à Dublin. 1946/14 ans, il travaille comme garçon de bureau puis journaliste à Leeds pour le Yorkshire News. 1949/17 ans il débute une carrière théâtrale à Leeds. 1950/8 ans Service militaire Royal Navy pendant 2 ans. 1952/20 ans Il obtient une bourse pour suivre pendant deux ans les cours de la prestigieuse Académie royale d’Art dramatique de Londres, avec Alan Bates et Richard Harris comme camarades de promotion. 1954/22 ans il devient membre, élève et comédien shakespearien de la prestigieuse Royal Shakespeare Company du Bristol Old Vic, joue une soixantaine de pièces de théâtre. 1959/27 ans il obtient son premier grand triomphe et il apparaît dans plus de 80 rôles de répertoire. Sacré meilleur acteur de la scène anglaise.

 

 

1960/28 ans premiers grands rôles au cinéma L’Enlèvement, Les Dents du diable de Nicholas Ray. 1962/30 ans Sam Spiegel et David Lean cherchent désespérément un acteur pour leur film. Après le refus de Marlon Brando, il obtient le rôle de Lawrence d’Arabie, incarnation cinématographique qui lui vaut d’entrer dans la légende du cinéma mondial. Le tournage dure deux ans. La consécration de sa vie. Ensuite c’est grande carrière avec de nombreux grands rôles très diversifiés, partagés entre les planches du théâtre et le cinéma, des comédies. Avec plus de 80 films des plus épiques aux plus insignifiants, et plus de 80 rôles au théâtre en passant par les grands classiques, notamment Hamlet et Macbeth de William Shakespeare. 2003/71 ans après avoir été nommé sept fois aux Oscars depuis Lawrence d’Arabie sans avoir obtenu cette récompense, il reçoit un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. En 2004 il incarne le roi Priam dans le peplum à succès Troie. Publie son autobiographie…10 juillet 2012/90 ans…Il se retire du cinéma et du théâtre. Meurt 1 an plus tard.

 

Filmographie très sélective…


1962 : Lawrence d’Arabie de David Lean

 

1964 : Becket de Peter Glenville

 

1965 : Lord Jim de Richard Brooks 

 

1967 : Casino Royale de John Huston

 

1967 : La Nuit des généraux d’Anatole Litvak 

 

1971 : La Guerre de Murphy de Peter Yates

 

1987 : Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci 

 

2004 : Troie de Wolfgang Petersen

 

 

 

MAGIE DU DESERT…David Lean réalise une fresque épique, tragique, mégalomaniaque, touchante et enivrante. Son film incarne une sorte de perfection. il est le cinéma. Le vrai Lawrence fut un rêve, un fantasme et David Lean en a parfaitement saisi cette dimension. C’est un homme qui a construit sa légende en nous laissant sa prose. Lawrence adorait le désert, mais il méprisait autant qu’il les appréciait ces Arabes dont il se servait pour forger sa propre gloire, pour donner vie à son rêve. Pour s’en convaincre, il suffit de le lire…

 

Ma guerre était trop méditée, parce que je n’étais pas soldat, mes actes étaient trop travaillés parce que je n’étais pas un homme d’action. Je n’ais eu qu’un grand désir dans mon existence, pouvoir m’exprimer sous quelque forme imaginative, mais mon esprit trop diffus n’avait jamais su acquérir une technique. Le hasard, avec un humour pervers, en me jetant dans l’action, me donnait une place dans la révolte arabe contre l’occupant turc et m’offrait ainsi une chance en littérature, l’art-sans-technique !

 

Il m’apparut que la révolte arabe pourrait être d’une certaine façon un pèlerinage de retour, pour rapporter dans le nord, en Syrie, un idéal en échange d’un idéal. Une foi en la liberté en échange de leur foi en une révélation.

 

 

Lawrence d’Arabie est un poète, idéaliste, mais il prend goût à la violence et participe dans sa folie, à un carnage épouvantable. Fin connaisseur, il se fait Mohamed pour mieux embarquer les Arabes dans sa folle course. Peter O’Toole, de son regard azur porte en lui cette flamme destructrice, cette Hybris si chère aux Grecs. Ce héros est un esthète implacable et Lean a su traduire cette trajectoire avec une rare acuité. Considérer cette œuvre comme un film à la gloire de T.E. Lawrence est une erreur mais dans sa forme le film lui est un chef d’œuvre.

 

 

 

L’histoire, romanesque de cet officier méprisant de certitudes, de connaissances et de rêve, désireux d’écrire sa propre gloire en pleine première guerre mondiale, constitue déjà une base solide. David Lean s’est arrangé avec une partie de la réalité mais heureusement, le contraire eût été moins puissant. Une épopée mérite qu’on se détache de nos simples contingences mortelles. Quant à l’écriture, aux dialogues, ciselés, ils rendent un bel hommage à la langue de l’universitaire qu’il fut. Anthony Quin et Alec Guinness forment une base très solide. Rajoutons le jeune Omar Sharif, véritable perle du héros. Quant à Peter O’Toole, préféré à Marlon Brando, il trouve le rôle de sa vie. La musique de Jarre incarne l’esprit des personnages au cœur d’un désert magnifié à l’extrême. Aux paysages grandioses succèdent des scènes spectaculaires telles cette attaque de train ou ce bombardement de campement par l’aviation turque, ou ces focus sur le regard illuminé d’O’Toole. Un film, une séquence…Lawrence regarde son allumette se consumer puis vient le soleil, irradiant, écrasant, surgissant du néant sur le désert. L’un des plus beaux plans de cinoche. Un rêve pour mes yeux. Des nuits étoilées, froides, des jours écrasés et azurs, même la poussière prend vie.

 

 

Lawrence d’Arabie est un film sublime. Par son héros principal, par cette faculté à créer un film intimiste en plein désert, en pleine fureur guerrière. O’Toole, habité, nous emporte dans une sorte d’introspection d’un homme qui écrivait…Les rêveurs du jour sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts et le rendre possible. C’est ce que j’ai fait. Peter O’Toole-Lawrence est de la trempe de Conan ou d’Excalibur. il arrache des émotions irrationnelles, à force de musique, de plans et de regards. Avec Lean et O’Toole là-bas dans le désert, il y a le meilleur de nous…Nos rêves.