02-Tous au Paradis ?

Premier film d’Enya Baroux, On ira déploie un road trip inattendu, entre éclats de rire et émotions suspendues. La jeune réalisatrice de 34 ans puise dans l’histoire de sa propre grand-mère pour tisser ce récit singulier…Marie, bientôt 80 ans, a pris une décision irrévocable. Elle veut partir, en Suisse. Euthanasie programmée. Mais comment le dire ? Comment avouer à son fils, à sa petite-fille, que ce voyage n’a rien d’un pèlerinage ? Alors, Marie invente. Elle brode une histoire de notaire et d’argent à récupérer en Suisse. De quoi attiser la curiosité des siens. Et voilà tout le monde embarqué, direction la Suisse, sans trop savoir pourquoi, entassés dans un camping-car Rapido bringuebalant, entre haltes improvisées et dialogues à contretemps. Quatre personnages jetés sur la route, réunis par un mensonge plus grand qu’eux. Hélène Vincent prête son regard perçant à cette grand-mère insaisissable, tandis que Pierre Lottin, ex-Tuche à l’humour bien trempé, joue l’auxiliaire de vie complice, à la fois maladroit et touchant. Un duo qui fonctionne, tissant une relation à la fois tendre et pleine de non-dits. Face à eux, un père et une fille, contraints de se parler, enfin. Se confronter à ce qu’ils ne veulent pas voir…Une grand-mère qui s’efface, un avenir qui se réécrit sans elle. La fin de vie s’invite, mais sans jamais alourdir le récit. On ira joue avec cette frontière ténue entre gravité et légèreté, transformant chaque moment en instant volé. Une image reste en tête…Celle d’une vieille femme flottant dans la mer, portée à bout de bras par son aide-soignant. Des brassards d’enfant autour des bras, parce qu’elle ne sait pas nager. Un dernier bain, la joie d’un corps qui oublie tout de ses douleurs, l’espace d’une seconde.

 

 

 

 

ENTRETIEN AVEC ENYA BAROUXComédienne, scénariste et réalisatrice.

 

Comment t’es venue l’envie de te lancer dans le cinéma ? L’envie m’est venue vers 18 ans, quand il a fallu se décider à choisir des études supérieures ! Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire, mais je savais que je détestais rester assise de longues heures derrière un bureau. J’aimais beaucoup écrire, le seul truc dans lequel j’étais douée à l’école c’était les rédactions, alors je me suis dit qu’écrire des histoires pourrait me plaire. Je me suis donc inscrite à l’ESRA pour apprendre les métiers du cinéma, dont l’écriture du scénario, et ça m’a plu tout de suite.

 

On peut voir que dans « Papa rapido » et « Je suis grande maintenant » tu es réalisatrice mais aussi actrice, as-tu quand même une préférence entre les deux ? J’aime vraiment autant les deux, en ce qui me concerne, je ne pourrais pas faire l’un sans l’autre. Réaliser me permet d’être à l’initiative de mes propres projets, sans être constamment dans l’attente du désir des autres. Parce qu’être comédienne, pour 90% d’entre nous c’est…Passer des castings, attendre des réponses qui parfois ne viennent jamais, et se remettre en question à chaque audition qu’on rate, c’est très difficile. Les gens ont tendance à penser qu’être actrice c’est super cool, mais avant d’être Marion Cotillard il faut vraiment prendre son mal en patience, et ça peut durer des années. Quand ça fonctionne et qu’on est pris dans un film, ça tient du miracle. Il y a plein d’actrices talentueuses qui ne tournent pas, il y a beaucoup de candidates et très peu d’élues. On a souvent tendance à ne voir que le moment où ça fonctionne, en oubliant la partie cachée de l’iceberg. Chaque actrice ou acteur qui réussit a travaillé dur, c’est un marathon ! Personne n’est là par hasard. Quand je réalise, c’est tout le contraire, j’écris mes histoires, je dois bien sûr trouver des financements pour les mettre à l’image, mais je peux faire bouger les choses pour que ça avance, je suis à l’initiative du projet. Pour tenir le coup dans ce chemin sinueux de comédienne, j’ai ce besoin de prendre en main mon destin en réalisant des films.

 

Quelles sont tes inspirations cinématographiques pour tes films ? J’ai plein d’inspirations différentes, je suis une grande fan du cinéma de Xavier Dolan, un peu comme beaucoup de gens de ma génération. Parce qu’il a mon âge, et qu’il n’a attendu personne pour réaliser ses projets très jeune, il fait lui-même le montage de ses films, il décide de chaque élément de décor, de costume…Il m’impressionne à ce niveau-là, et ensuite ses films m’ont pratiquement tous mis une claque. J’aime bien prendre des claques au cinéma. En France, je suis complètement fan de Toledano et Nakache, ils ont vraiment réussi à trouver la recette parfaite pour faire « pleurire » ! Quand tu vois leurs films, tu ris, tu pleures, tu ressors et tu mets un petit temps à te remettre de tes émotions, c’est trop bien. Les films de Claude Sautet ont été une grande leçon également, j’aime la manière dont il traite les relations humaines, les sentiments et les émotions, avec simplicité et sans artifices. Ce que j’aspire à faire, de mon côté, c’est traiter de sujets assez graves ou difficiles sur le ton de la comédie. Inconsciemment c’est ce que j’ai toujours fait dans mes courts métrages, je parle du deuil, de la mort, de la recherche d’un père disparu, mais toujours avec un regard assez cynique. Je pense que c’est ma manière d’affronter les aléas de la vie, avec cynisme et humour, et ça se traduit dans ce que j’écris.

 

Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ? Pour l’instant, je pense que c’est le dernier jour de tournage sur mon dernier court-métrage « Papa Rapido ». C’est le premier film que j’ai réalisé seule, dans lequel je joue, on a mis 4 ans à le financer, j’ai cru qu’il ne se ferait jamais. Alors quand on a annoncé la fin de tournage, après 5 jours éprouvants, avec une équipe que je n’oublierai jamais, j’ai complètement craqué comme une enfant de 2 ans et demi. Je me suis surprise moi-même, trop d’émotions. J’étais tellement fière ! Réaliser un film c’est écrire une histoire, la faire lire à plein de gens qui vont la juger avant de potentiellement vous donner des sous, trouver des acteurs, former une équipe qui accepte d’être payée au lance-pierre pour vous aider à réaliser ce que vous avez pour l’instant uniquement dans votre tête…C’est le parcours du combattant, alors quand on clap le dernier plan du film, on peut être fier de soi. Maintenant j’ai qu’une hâte, c’est d’être sur le premier jour de tournage de mon premier long-métrage !

 

Votre père, Olivier Baroux est comédien et réalisateur (Safari, Les Tuches). Est-ce que ça aide d’être « la fille de » ou est-on attendue au tournant ? Il y a un peu des deux. C’est indéniable que le fait d’avoir un père qui travaille dans le milieu du cinéma, ça ouvre des portes. J’ai vraiment grandi dans cet univers. Mon père a aussi pu me payer une école de cinéma, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, et il m’a aidée à aller au bout de la passion qu’il m’a transmise. Mais il a fallu que je travaille dur et que je trouve mes propres sujets et ma façon de raconter mes histoires, qui est très éloignée de celle de mon père. J’espère que le projet parle pour lui-même et qu’on ne se pose pas la question de savoir si je suis la fille de quelqu’un.

 

Qu’a-t-il pensé du film ? Il a été très ému de le voir parce que ça parle de sa mère. Il était très fier aussi. Je suis vraiment très heureuse d’avoir pu graver ma grand-mère dans un objet qui va perdurer après nous. Je pense que c’est pour ça que mon père et moi, on aime ce métier-là. Parce qu’il nous permet de parler de choses qui nous tiennent à cœur.

 

Dans le contexte actuel, quels conseils donnerais-tu à celles et ceux qui veulent se lancer dans le cinéma ? Je pense que le contexte actuel ne change rien. La seule règle quand on veut se lancer dans le cinéma c’est de se lancer. Quand on sait qu’aujourd’hui on peut faire des courts métrages avec un iPhone, rien n’est impossible ! Il faut écrire, tourner des images, trouver des gens qui ont la même envie et créer des collectifs pour bosser en groupe, participer à des concours de courts métrages, et après si on veut vraiment apprendre la technique il y a des écoles, des formations, des stages. Mon seul vrai conseil et attention il y a un gros mot dedans c’est de Créez, et n’ayez pas peur de faire de la merde. Parce que, écrire des supers histoires, ça ne vient pas par miracle, il faut d’abord s’entrainer, et c’est en faisant qu’on trouve son univers.

 

 

 

 

Tes films sont portés sur des sujets de société poignants, cela fait suite à des expériences personnelles ou des sujets qui te tiennent à cœur ? Tout ce que j’écris part de quelque-chose de personnel. Pour l’instant j’ai du mal à écrire sur ce qui ne me touche pas personnellement. J’ai besoin de vider mon sac et ça me donne plein d’idées alors j’en profite ! Et il se trouve que les émotions dont je parle sont des émotions universelles, le deuil, la famille… Tout le monde se reconnait là-dedans. Après, je pars de ce que je connais et je grossis le trait. L’idée, ce n’est pas de raconter de ma vie, c’est de faire voyager les spectateurs dans une histoire qui fait écho en eux.

 

D’ailleurs, la thématique de la famille revient souvent dans tes films pourquoi cela ? Je suis très proche de ma famille et j’étais en particulier très proche de ma grand-mère paternelle qui, malgré elle, est à l’origine de pratiquement toutes mes idées de scénario. C’est la personne qui m’inspire le plus dans mon travail. Je trouve que « la famille », pour chacun, est un lieu inépuisable d’idées, d’émotions, de sujets. Il y a sa famille, qu’on ne choisit pas, puis nos amis, les familles qu’on se crée au cours du temps…L’idée de la transmission est importante pour moi, ma grand-mère m’a transmis un nombre incalculable de valeurs qui font que je peux vivre ma vie aujourd’hui et être qui je suis. Mon premier long-métrage va s’appeler « Partir un jour », et il racontera l’histoire d’Odette, une mamie un peu punk et malade qui a décidé d’avoir recours au suicide assisté en Suisse mais ne sait pas comment l’annoncer à sa famille. Elle va donc inventer un énorme mensonge pour les emmener avec elle malgré eux, dans son vieux camping-car qu’elle n’a pas utilisé depuis 20 ans. C’est un road-trip, et c’est une comédie sur une fin de vie un peu hors du commun.

 

C’est un sujet de taille le suicide assisté. Pourquoi ce thème ? J’ai abordé ce thème parce que je voulais rendre hommage à ma grand-mère paternelle dont j’étais très proche. Elle a eu un cancer, comme Marie dans le film, et j’ai pu l’accompagner jusqu’au bout avec ma famille. Malheureusement, elle a eu une fin de vie qui ne lui ressemblait pas du tout, parce qu’elle était très joyeuse et très autonome. Quand elle est partie, j’ai eu envie d’employer la magie de l’écriture pour lui réinventer une nouvelle fin de vie et lui en offrir une à son image.

 

L’humour est-il le meilleur moyen de parler des sujets compliqués ? Pour moi, l’humour est la meilleure manière d’affronter les choses qui nous font peur. Ça les désacralise. Je pense qu’on est tous prêts à rire de la fin de vie, il faut juste qu’on nous donne l’autorisation, qu’on nous tende la perche.

 

Le débat sur la fin de vie en France est un sujet qui crispe. Pourquoi selon vous ? La mort est le sujet qui angoisse le plus les gens, à juste titre. C’est une peur universelle, le tabou ultime. Je crois qu’on a aussi une culture de la mort qui très particulière, froide, dans le déni et le non-dialogue. La religion joue également un rôle. Il faut se réapproprier de ce moment de vie et décider ce qu’on veut. Peut-être qu’il est temps d’ouvrir la discussion sur ce sujet-là et d’apprivoiser nos peurs.

 

Espérez-vous que le film ouvre le dialogue dans les familles ? Oui, c’est le but principal du film. Je ne suis pas une militante pour le suicide assisté, je transmets juste mon point de vue à travers le personnage de Marie. Mais j’aimerais vraiment que le film pousse à la discussion, à la communication. Qu’il montre que le poids des tabous peut avoir des conséquences assez graves, comme le fait de ne pas oser dire les choses quand ça va mal. Dans le film, on a différents points de vue : celui de la petite fille qui comprend sa grand-mère, celui du fils qui n’est pas prêt à accepter, celui de l’aidant et de la personne concernée. Cela nous permet de nous projeter sur qui on veut.

 

 

 

 

 

Votre film fait beaucoup penser à Little Miss Sunshine avec cette famille dysfonctionnelle, mais attachante qui part pour un road trip. C’était voulu ? Oui, car c’est un de mes films préférés. Le road trip est un prétexte pour raconter le voyage intérieur des personnages et comment leurs liens vont se ressouder autour d’une aventure. C’est exactement ce que je voulais raconter.

 

Comme votre grand-mère, les autres personnages sont-ils inspirés de personnes de votre famille ? Oui, Anna est inspirée de moi quand j’étais adolescente. Rudy est le mélange de deux aides-soignantes qui s’occupaient de ma grand-mère. Et Bruno ressemble, à quelques mini-traits de caractère près, à mon père. Il hurle quand je dis ça parce que c’est un personnage vraiment pas possible ! Mais c’est de la comédie, donc on grossit les traits pour faire rire.

 

Hélène Vincent est bouleversante dans le rôle de Marie, c’était votre premier choix ? Oui, c’était mon premier choix depuis le début. Je lui avais proposé le film cinq ans avant le tournage. Je pensais qu’on allait le financer beaucoup plus vite que ça, mais ça a pris beaucoup de temps avec un sujet pareil ! Elle a accepté et elle ne m’a jamais lâchée alors qu’elle n’avait même pas vu mes courts-métrages. Elle y a toujours cru alors que personne n’y croyait.

 

 

 

 

 

 

 

Hélène VINCENT est une comédienne aussi à l’aise au théâtre que sur le petit et le grand écran. Elle a fait ses premiers pas, d’abord au sein du groupe théâtral universitaire du lycée Louis le Grand, dirigé par Patrice Chéreau et Jean-Pierre Vincent. Ses premières mises en scène et donc en lumière, lui ont permis d’épouser ce métier pour la vie, pour le meilleur et rarement pour le pire. Après avoir été refusée au concours d’entrée au Conservatoire, elle a reçu le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour le film La vie est un long fleuve tranquille, en 1989. Depuis le 12 mars 2025, elle est à l’affiche du film On ira d’Enya Baroux. Elle joue le rôle de Marie, une mère et grand-mère, qui en a assez de l’avancée de son cancer généralisé. Pour se soulager de ses souffrances et refuser de se voir diminuer de jour en jour, elle a décidé de mettre fin à ses jours en Suisse.



Ce rôle est beau, bouleversant, drôle, émouvant, vous avez 81 printemps. Est-ce que ce film occupe une place particulière ? Je suis dans une période où toutes les planètes sont alignées et il ne m’arrive que des choses absolument merveilleuses. Ce film-là, je l’ai attendu pendant sept ans et je voulais absolument le faire. Quand j’ai lu le scénario, je riais et je pleurais en même temps. C’est rare que la lecture de scénario vous mette dans cette émotion immédiatement. Ce qui est magnifique, c’est que ce personnage-là, il est dans la vie totalement jusqu’à la fin. Si c’était le dernier, mais mon Dieu, quelle chance j’aurais eue !



Enfant, vous étiez fasciné par votre grand-père qui était une figure très forte. Il a été au point de départ de votre envie de reprendre votre vie en main, parce que dans votre vie, vous aviez beaucoup de femmes qui n’ont pas choisi, qui subissaient plus qu’elles ne vivaient. Et vous ne vouliez pas ça pour vous. Oui, c’était un vrai voyou. Les femmes qui m’entouraient avaient des récits de vie qui étaient extrêmement tristes. Moi, très vite, je me suis dit que je ne voulais pas ça. Très vite aussi, j’ai compris que les garçons avaient une meilleure place dans la vie que pour les filles et il fallait se donner à fond. Mon grand-père avait fait du théâtre amateur et c’était un peu le héros, la star de la famille, même si c’était vraiment un voyou, mais ça m’a fait rêver. Tout ce que je voyais autour de moi, qui concernais les femmes, ne pouvait en aucun cas me mettre en appétit pour vivre.



Il fallait que je passe outre quelque chose que ma mère me répétait tout le temps : ‘Arrête de te faire remarquer, calme-toi’. Et j’ai choisi un métier où, pour se faire remarquer, ma foi, il n’y a pas mieux !

 

 

 

Jean Rochefort avait dit…« Tu vas faire une carrière formidable de seconds rôles jusqu’à la fin de ta vie, ne t’inquiètes pas. » Vous le faites mentir aujourd’hui, mais est-ce que par moments vous avez douté ? Je n’ai pas douté de mes capacités à jouer, mais très en colère qu’on ne s’en rende pas compte. Si bien qu’il y a eu un moment juste avant La vie est un long fleuve tranquille, où je n’avais pas travaillé depuis deux ans et j’étais prête à arrêter ce métier. Là-dessus, Romain Brémond parle de moi à Étienne Chatiliez. Une fois envoyé le scénario, je le lis, je pisse de rire dans mon lit en le lisant. Je rencontre Étienne et il me raconte son film en long en large, me demande de faire des essais et il m’engage. C’est un pur miracle. Il y a eu la rencontre avec Patrice Chéreau et Jean-Pierre Vincent et il y a cette rencontre avec Étienne qui m’a ouvert un chemin possible vers le cinéma. Et je l’ai attrapé et je ne l’ai pas lâché !

 

Le film On ira parle d’humanité, de douceur. Le thème principal, c’est effectivement la fin de vie, le droit de mourir dans la dignité et c’est encore un sujet tabou aujourd’hui. C’est ça, parce que ça n’engage pas que soi. Moi, j’ai adhéré à l’association Droit de mourir dans la dignité. J’ai demandé à mes fils d’être mes garants et ça n’a pas été simple de les convaincre. Ils ont signé le papier, mais ce qu’ils en pensent, je ne sais pas trop. C’est vrai que comme dans le film, partir en étant aimé, en étant accompagné et en transmettant comme ça le plus beau qu’on ait de la vie à ces enfants, je crois que c’est un cadeau.

 

Quel regard avez-vous sur le voyage que vous avez déjà accompli sur ces huit décennies passées ? Quelque part, j’ai le sentiment d’être une miraculée. Je pense que, quand j’ai commencé à me mettre en chemin, j’avais 17 ans et personne n’aurait misé un kopeck sur moi, c’est sûr. Je n’avais pas de dispositions particulières, mais j’avais une chose qui m’a sauvée, c’est de l’énergie. Alors ce qui est difficile un peu en ce moment, c’est que beaucoup de gens que j’ai aimés s’en vont, donc ça, quand même, ça fait un truc, mais on s’est aimés et c’était bien.



 

 

ON IRA…Là-bas…

 

Certains penseront forcément à « Little Miss Sunshine », en découvrant le concept de cette comédie dramatique française, par l’aspect voyage en famille, le van étant remplacé ici par un camping car. Pourtant « On Ira » s’en distingue par un décalage dans le personnage principal, reléguant la petite fille au rang de personnage secondaire. Le film résonne donc comme un requiem pour cette vieille dame attachante, qui enchaîne les mensonges pour éviter de faire de la peine à son fils et sa petite fille, mais dont le courage et la détermination resteront intacts. Transformant par cette ignorance de la vérité le voyage en des retrouvailles où la joie s’exprime à rythme régulier, le scénario d’Enya Baroux alterne avec délicatesse moments d’émotion et situations comiques, souvent engendrées par les personnalités de personnages complexes. En aide à domicile, Pierre Lottin confirme qu’il est l’une des valeurs sûres du moment, dans le rôle du fils, David Ayala joue parfaitement le mélange de maladresse et d’impulsivité, tandis que la jeune Juliette Gasquet fait des merveilles dans le rôle de la petite fille. Elle a d’ailleurs obtenu le prix d’interprétation féminine au Festival de l’alpe d’Huez, ex-æquo avec Hélène Vincent. La mise en scène d’Enya Baroux permet elle d’introduire délicatement le grand âge de l’héroïne comme, par la suite, de souligner l’énergie des moments de complicité entre les passagers. Mais c’est surtout la justesse des dialogues qui vient accompagner avec douceur la volonté farouche de Marie de faire ce qu’elle veut, de pouvoir mourir dans la dignité, son “projet” pouvant légitimement heurter la sensibilité de ses proches, faute d’échanges. Le choix de la forme de la conclusion, bouleversant, évoque comme l’ensemble du film, et la chanson récurrente qui l’accompagne (« Voyage Voyage » de Desireless), le désir de ne pas se voir imposer un chemin, comme de donner du temps aux bons moments. Un film qui s’avère un plaidoyer particulièrement efficace en faveur du droit à choisir sa mort.

 

Après le succès de Fleur bleue, savoureux programme court pour Canal+ qui raconte avec humour et décomplexion les tribulations intimes d’une trentenaire célibataire, Enya Baroux passe à la réalisation de son premier long-métrage, On ira, avec un sujet particulièrement d’actualité. En effet, pour sa première fiction pour le cinéma, elle explore la thématique du suicide assisté par le prisme d’un road-trip familial. Si le film réussit à susciter des émotions sincères par son approche intimiste et les performances de ses comédien-ne-s, il peine cependant à éviter quelques clichés et à approfondir véritablement ses sujets centraux. L’œuvre oscille entre moments de douceur et de tension, mais laisse parfois l’impression de ne rester qu’en surface pour conserver sa dimension feel good. À travers la relation dysfonctionnelle entre la mère malade, son fils et sa petite-fille adolescente, On ira retarde la question cruciale de la dignité et du droit de choisir les conditions de sa fin plutôt que de s’imposer la souffrance et le déclin. Si le film s’avère touchant en exposant la difficulté de se voir perdre son autonomie, il n’évoque que de manière disparate les enjeux éthiques qui entourent la fin de vie, sur laquelle la France tarde à légiférer à cause de nombreuses réticences conservatrices. Le film met toutefois très bien en avant la nécessité de respecter les choix de la personne malade, notamment dans une très belle scène où le personnage de Pierre Lottin (En fanfare) recentre le point de vue sur la première concernée.

 

Mais celle-ci n’arrivera que dans le dernier segment, puisque Marie (formidable Hélène Vincent) repousse inlassablement la révélation à ses proches, craignant leur réaction et voulant prolonger un peu ce voyage improvisé qui leur permet de profiter de moments partagés, trop rares à son goût. Le road-trip constitue bel et bien le cœur du film, le voyage en camping-car étant le moteur de l’intrigue et, quelque part, une métaphore de l’errance émotionnelle des personnages. Ce voyage sera l’occasion de retisser les liens familiaux, mais aussi de mettre en lumière les non-dits et de fissurer un peu les pudeurs. Mais si ce road-trip est un prétexte efficace pour explorer les relations intrafamiliales, il reste assez convenu dans sa mécanique, avec les passages obligés de conflits et de tentatives de réconciliation. Heureusement, la fraîcheur des comédien-ne-s offre au film quelques scènes drôles et/ou attendrissantes, en particulier lorsque le film illustre le rapport à la mort d’autres communautés, comme celle des gens du voyage. Ode à la vie, à l’altruisme et au libre-arbitre, On ira compense ainsi ses défauts par sa sincérité et sa qualité d’interprétation et d’écriture des dialogues.