Une presse libre ?

A chaque voyage dans de nombreux pays, je prends plaisir à saisir ce moment sous les lumières du matin…Photographier les lecteurs de journaux. En Inde, chez les jeunes le smartphone remplace le journal mais encore présent et si vous ne voyez pas de femmes sur les clihés, c’est qu’elles sont introuvables dans les rues…L’occasion pour moi de vous présenter les meilleurs clichés de notre voyage accompagnés par le dernier rapport très alamant de Reporter sans Frontières sur la liberté de la presse en Inde.

 

 

 

 

Violences contre les journalistes, concentration des médias, alignement politique…La liberté de la presse est en crise dans “la plus grande démocratie du monde”, gouvernée depuis 2014 par le Premier ministre Narendra Modi, figure centrale du Bharatiya Janata Party (BJP) et incarnation de la droite nationaliste hindoue.

 

 

 

 

Le paysage médiatique indien est à l’image du pays…Immense et foisonnant. On compte plus de 100 000 journaux d’information, dont 36 000 hebdomadaires, ainsi que 380 chaînes télévisées d’actualité. Pourtant, cette profusion cache des tendances lourdes à la concentration, avec une poignée de groupes tentaculaires au niveau national. Quatre quotidiens se partagent les trois quarts du lectorat en hindi, la principale langue du pays. La concentration est encore plus prégnante au niveau régional pour les publications en langue régionale. Cette concentration dans la presse écrite se décline à travers de grands réseaux de télévision, comme NDTV. Les radios d’information sont détenues à 100 % par le réseau d’État All India Radio.

 

 

 

 

Dans l’histoire, la presse indienne, issue du mouvement décolonial, est perçue comme plutôt progressiste. Les choses ont radicalement changé au mitan des années 2010, avec l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, et le rapprochement de son parti, le BJP, avec les grandes familles régnant sur les médias. L’exemple le plus saillant est sans doute celui du groupe Reliance Industries, du magnat Mukesh Ambani, ami personnel du Premier ministre et propriétaire de plus de 70 médias suivis par au moins…800 millions d’Indiens. Le Premier ministre a très tôt développé une doctrine qui critique les journalistes comme un “corps intermédiaire” polluant la relation directe qu’il entend tisser avec ses supporters. De fait, les journalistes indiens un peu trop critiques sont l’objet de campagnes d’attaques et de harcèlement tous azimuts des bhakts, les dévots du chef Modi.

 

Sécurité nationale, diffamation, sédition, outrage à la cour…La loi indienne, théoriquement protectrice, est instrumentalisée à une échelle toujours plus grande contre les journalistes critiques du gouvernement, accusés d’être “anti-nationaux”. Au prétexte de la lutte contre le coronavirus, le gouvernement et ses supporters ont engagé une guérilla juridique en attaquant en justice chaque média rapportant des informations différentes de la parole officielle. De nombreux journalistes qui tentent de couvrir des mouvements sociaux hostiles au gouvernement sont arrêtés par la police et, pour certains, maintenus en détention de façon arbitraire. Ces attaques répétées tendent, progressivement, à miner les organes d’autorégulation des médias, comme le Conseil de la presse (PCI) ou le Centre d’études des médias électroniques (EMMC).

 

 

 

 

La presse indienne est comme un colosse aux pieds d’argile…La survie des organes de presse dépend très largement des contrats publicitaires passés avec les gouvernements locaux et régionaux. Faute d’une frontière étanche entre l’éditorial et le commercial, le journalisme est souvent réduit à une variable d’ajustement. À l’échelle nationale, le gouvernement central a compris l’intérêt d’exploiter cette faille pour imposer son propre récit, il dépense ainsi plus de 130 milliards de roupies (5 milliards d’euros) chaque année en annonces dans la seule presse écrite et en ligne. Ces récentes années ont aussi vu l’avènement des « médias godi »…un jeu de mot désignant les « toutous » de Modi, qui mêlent le populisme à la propagande pro-BJP. À force de pressions et d’influence, le vieux modèle indien d’une presse pluraliste est sérieusement remis en cause.

 

 

 

 

La très grande diversité de la société indienne se retrouve peu dans le paysage médiatique. La profession de journaliste, a fortiori dans les fonctions managériales, reste l’apanage des hommes hindous issus des castes supérieures, un biais qui se répercute sur les angles et les sujets des articles ou des reportages. Par exemple, dans les grands talk-shows du soir, les femmes représentent moins de 15 % des intervenants. Au plus fort de la crise de la Covid-19, certains animateurs de ces débats accusaient la minorité musulmane d’avoir provoqué la propagation du virus. Le paysage indien est aussi riche de contre-exemples, comme le média Khabar Lahariya, composé uniquement de journalistes femmes issues de zones rurales et de minorités ethniques ou religieuses.

 

 

 

 

Avec trois à quatre journalistes tués pour leur travail chaque année, l’Inde est un des pays les plus dangereux dans ce domaine. Les journalistes sont l’objet de tous types d’attaques…Violences policières, embuscades fomentées par des militants politiques, représailles commanditées par des groupes mafieux ou des potentats locaux corrompus. Les tenants de l’hindutva, l’idéologie matrice de la droite radicale hindoue, conduisent de véritables purges de toute pensée non conforme à leur doctrine dans le débat public. À ce titre, d’effrayantes campagnes coordonnées de haine et d’appels au meurtre sont menées sur les réseaux sociaux, des campagnes particulièrement violentes lorsqu’elles visent les femmes journalistes, dont les données personnelles sont souvent livrées en pâture. La situation au Cachemire reste également très préoccupante, les reporters y sont souvent la cible de harcèlement de la part des forces policières et paramilitaires, et certains croupissent en détention dite « provisoire » depuis plusieurs années.

 

 

 

 

Liberté de la presse…

 

TEMOIGNAGE…

Modi continue de saper la liberté de la presse. Le gouvernement indien a bloqué la diffusion d’un documentaire réalisé par la BBC questionnant le rôle de l’actuel Premier ministre lors des violentes émeutes qui ont ensanglanté en 2002 l’Etat du Gujarat, dans l’ouest du pays. A cette époque, le leader hindou occupait le poste de ministre en chef du Gujarat. Des heurts intercommunautaires avaient fait plus de 2.000 morts, principalement musulmans. Les violences avaient éclaté en représailles au décès de 59 pèlerins hindous dans l’incendie d’un train dans la ville de Godhra. Selon les différents témoignages recueillis par les journalistes de la BBC, Narendra Modi aurait empêché la police d’intervenir pendant les trois jours qu’ont duré les émeutes, décrites par certains historiens comme des « pogroms » ou relevant du « nettoyage ethnique ». Le premier épisode du documentaire, diffusé le 17 janvier 2023 au Royaume-Uni sur la chaîne BBC Two, révèle pour la première fois les conclusions d’un rapport du gouvernement britannique jusqu’ici tenu secret.

 

Réalisé par des diplomates dépêchés sur place après les émeutes, le rapport explique que Modi est « directement responsable » des violences.« Il s’agissait d’affirmations très sérieuses, selon lesquelles le ministre en chef Modi a joué un rôle actif en empêchant la police d’intervenir et en encourageant de manière tacite les extrémistes hindous », explique dans le documentaire Jack Straw, ministre des Affaires étrangères britannique entre 2001 et 2006. Le 20 janvier, Arindam Bagchi, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères indien, a qualifié le documentaire de « propagande », estimant qu’il manquait « d’objectivité » et reflétait un « état d’esprit colonial persistant ». Les caciques du BJP, le parti de Modi, ont également rappelé que la Cour suprême avait validé, en juin 2022, une enquête ayant conclu à l’innocence de Modi. Les autorités, ayant visionné le documentaire et considérant que celui-ci « sapait la souveraineté et l’intégrité de l’Inde », ont décidé de recourir à la loi sur l’information et les technologies de 2021. Cette loi, décrite par beaucoup comme portant atteinte à la liberté d’expression, permet au gouvernement de bloquer la publication de certaines informations sur les réseaux sociaux « en cas d’urgence ». Le gouvernement indien a donc ordonné à YouTube, qui hébergeait le premier épisode du documentaire, de supprimer la vidéo. Il a également demandé à Twitter de supprimer plus de 50 tweets contenant le lien vers le documentaire. Les deux plateformes ont obéi aux directives de l’exécutif. Désormais, il est donc nécessaire d’utiliser un VPN pour visionner la vidéo depuis le territoire indien.

 

L’opposition indienne dénonce…Une censure, Narendra Modi a toujours peur que la vérité sur 2002 éclate 21 ans plus tard, le blocage du documentaire de la BBC pointant directement sa responsabilité dans le pogrom est un acte lâche et antidémocratique, montrant clairement l’attitude dictatoriale de Modi. Le gouvernement indien n’a pas compris que le souvenir de 2002 n’allait pas disparaître de l’écran radar international aussi facilement. Ce régime attache une importance considérable à l’image démocratique du pays à l’étranger. Or, ce documentaire montre que l’État de droit n’a pas fonctionné. Le mettre en évidence, c’est porter atteinte à l’image de l’Inde comme plus grande démocratie du monde. Ne plus pouvoir bénéficier de ce label l’année où l’Inde préside le G20 , cela fait tache. »

 

Depuis l’accession au pouvoir de Modi en 2014, la liberté de la presse ne cesse de reculer. Certains journalistes jugés trop critiques vis-à-vis du pouvoir sont régulièrement la cible de campagnes d’intimidation et de harcèlements de la part des dévots du leader hindou. L’exécutif instrumentalise d’ailleurs régulièrement la loi indienne pour poursuivre des journalistes accusés d’être « antinationaux ». Classée 142e sur 180 par Reporters sans frontières en 2021, la « plus grande démocratie du monde » a reculé à la 150e place l’an dernier.