Star comme signe culturel

L’émotion qu’elle a ressentie en recevant la très convoitée statuette lors de la cérémonie des Oscars à Hollywood, ainsi que son Prix d’interprétation au Festival de Cannes de 1959. Deux récompenses obtenues pour son rôle dans Les Chemins de la haute ville de Jack Clayton…Cela a été bouleversant, c’est inracontable, c’était un soir extraordinaire. En plus parce que c’était l’Amérique et parce que c’était la première fois qu’une Française l’avait, je me sentais à la fois Jeanne d’Arc et Victor Hugo, et la prise de la Bastille et la Commune ! Les Américains ne connaissent pas les acteurs français, le grand public connait Bardot et puis c’est tout. Simone Signoret

 

Comment Simone Signoret incarna, de manière réflexive et contestataire, les changements de l’identité nationale de la France pendant une période très troublée de son histoire, depuis l’époque des Trente Glorieuses jusqu’à l’arrivée de Mitterrand au pouvoir de 1945 à 1981.

 

 

Simone Signoret. 1921-1985

 

La star comme signe culturel  par Susan Hayward

 

 

Quelle que soit sa réticence à se percevoir elle-même comme un star devenant par là une sotte d’anti-star Signoret en avait toutes les propriétés, et sa persona présente de multiples facettes. En tant que telle, elle fonctionne comme un signe de son temps du fait de son existence publique en tant qu’artiste et femme engagée, elle marqua politiquement quatre décennies, et fut aussi, bien sûr, marquée par elles. Elle fut cependant toujours en avance sur son temps, et cela dès la première partie de sa carrière (1945-1957) bien qu’elle fût avant tout dans les années 1950 une star du cinéma populaire, interprétant des rôles qui pouvaient paraître rétrogrades, elle avait une aura extrêmement moderne. Ne se contentant pas de rendre visible la condition féminine de cette époque, ni d’incarner le sujet politique féminin qui avait le droit de vote depuis 1944, elle soutenait des positions que la plupart des femmes de cette époque ne pouvaient pas défendre. Comme artiste, elle fut donc un complexe système de signes, certains de ces signes étaient facilement compréhensibles à l’époque, d’autres l’étaient moins, ou s’avéraient politiquement trop dangereux pour être lus ouvertement. Elle correspondait à une image multiple…La femme artiste engagée, émancipée, rivale discrète devenue, après l’épisode Montand-Monroe, l’icône de la supériorité féminine française…Signature du Manifeste des 121 contre la guerre en Algérie, et plus tard le Manifeste des 343 « Salopes » pour défendre le droit à l’avortement. Elle représentait un signe historique à double face, incarnant à la fois, surtout dans ses films des années 1950, le passé et le futur. Dans ce contexte, Signoret possède le double don d’incarner et en même temps de contester la position de la femme et au-delà le sujet politique féminin dans l’histoire de l’après-guerre en France. Par cette contestation, elle rendait visible ce qui à l’époque ne pouvait pas être explicité. En ce qui concerne la guerre d’Algérie, aucune référence ne pouvait y être faite à la télévision, à la radio ou dans les films, et ceux qui prenaient ce risque furent interdits ou censurés. Comment, dans ces conditions, Signoret pouvait-elle être perçue en tant que sujet politique ? Je ferai référence à deux de ses films en particulier…Les Sorcières de Salem (Rouleau, 1957) et Les Diaboliques (Clouzot, 1955).

 

 

 

Signoret était sans aucun doute en tant qu’artiste une femme/une star en avance sur son temps, et l’on peut se demander comment elle parvenait à subvertir l’effet voulu, que ce soit par le cinéaste ou les producteurs, et à proposer quelque chose d’autre, plus troublant, à l’intention de son public. Souvent représentée dans ses films comme une outsider, Signoret a un type de jeu qui la distingue d’autres stars françaises de son temps, comme Martine Carol, Michèle Morgan, et plus tard Brigitte Bardot, puis Jeanne Moreau et Anna Karina. Effectivement, selon la typologie des stars établie par Richard Dyer, Signoret fait partie de la catégorie des types anomiques c’est-à-dire quelqu’un qui est en marge de la loi et de la société. Cependant, son énorme popularité nous suggère que son image est plus qu’anomique. Aucun film de Signoret ne se conclut sur une concession à la loi patriarcale, jusqu’à la fin, son libre-arbitre s’exerce pour réaliser son désir, ce qui provoque souvent sa propre perte. Son image de star se caractérise par l’authenticité qu’elle incarne. Indépendance, force d’esprit et résolution définissent Signoret, la femme engagée, la femme qui signalait toujours, dans sa vie comme sur scène, les effets de la société contemporaine et de la culture politique sur l’individu. En d’autres termes, elle incarnait les contradictions idéologiques de son temps d’une façon plus perturbante et par là plus fascinante que ses homologues féminins. Dans les années 1950 en particulier, son image et sa personnalité furent souvent décrites comme « troublantes ». Les critiques percevaient le caractère exceptionnel de sa présence, sans pour autant parvenir à les identifier. C’est cette énigme que nous allons chercher à éclaircir dans ce qui suit. Signoret a joué dans le cinéma dit populaire, même si les distorsions de l’histoire l’ont le plus souvent associée au cinéma d’auteur. Parmi ses quarante-cinq films, moins d’un quart furent tournés avec des « auteurs », bien que la liste des cinéastes avec qui elle a travaillé soit illustre et internationale…Allio, Becker, Bunuel, Carné, Chéreau, Clayton, Corneau, Costa-Gavras, Kramer, Lumet, Melville, Mizrahi et Ophuls.

 

Sa carrière, si nous l’examinons de près, se divise en trois époques…Les premiers rôles jusqu’à sa canonisation comme star internationale (1945-1957) Les années de la maturité (fin des années 1950 / fin des années 1960) la dernière époque (début des années 1970 à sa mort en 1985). A chaque période, elle a travaillé avec un large échantillon de cinéastes, faisant quelquefois plusieurs films avec le même…Chéreau, Gavras, Lumet. Pourtant elle n’est jamais devenue la star « fétiche » d’aucun d’entre eux. Ceci est significatif, car la variété des cinéastes avec qui elle a travaillé lui a permis d’expérimenter différents styles dont elle a su se servir pour affiner son jeu.

 

Pendant la première décennie de sa carrière, la gamme de ses rôles, elle est tout à tour une prostituée au cœur d’or…Macadam-1946 / Dédée d’Anvers-1947/ Casque d’Or-1952. Une garce Manèges-1950. Une femme perfide et manipulatrice, meurtrière même Thérèse Raquin-1953. Les Diaboliques-1955. Quel que soit le rôle qu’elle joue, même quand elle est perdante, elle maintient néanmoins son point de vue et sait prendre parti. Ces rôles ont à voir avec une tradition du cinéma populaire des années 1930 dans laquelle la femme est représentée comme venant des bas-fonds. Pour ce qui concerne la première époque de sa carrière, ces rôles archaïques semblent en contradiction avec son image de modernité, Signoret consciente s’octroyait le droit de ne jamais être représentée en tant que victime, même lorsqu’elle était perdante, elle créait un écart avec cette image archaïque.

 

 

Dans les années de la maturité, avec l’Oscar de la meilleure actrice Room at the Top-1958 Signoret incarne des femmes intelligentes, souvent engagées politiquement et sexuellement épanouies. Toutefois, comme pour les rôles de l’époque précédente, elle est la plupart du temps perdante…Des Mauvais coups-1961 elle sombre et se suicide. L’Armée des ombres-1969 une des responsables de la résistance, lorsqu’elle est arrêtée par la Gestapo et remise en liberté, elle sait qu’elle n’a qu’à attendre d’être mise à mort par les siens. Dans la dernière période de sa carrière, riche et productive elle va tourner un tiers de ses films, « la Signoret » comme on l’appelle maintenant, devient la femme qui a tout vécu, la femme qui a aimé et perdu mais qui demeure stoïque et qui est capable de gestes suprêmement héroïques La Veuve Couderc-1971. Dans cette dernière catégorie de films, bien que vieillie prématurément et presque laide, elle est néanmoins capable de jouer le désir…Dans La Veuve Couderc, elle explique à son jeune locataire que même à son âge, elle ressent toujours du désir sexuel et ils deviennent brièvement amants.

 

 

 

Son jeu est marqué par un minimalisme et une sobriété qui se manifeste par de petits gestes avec les mains, en hochant très légèrement les épaules, le dos, qui du fait même d’être tourné vers la caméra, exprime mille choses. Elle est une femme qui parle peu, sa voix chuintante nous dit qu’elle est une femme qui a vécu. Finalement, dans son jeu, les yeux et la bouche disent l’essentiel. Dans cette économie où le silence exprime beaucoup Signoret se distingue de la plupart des stars françaises de son époque, et de là vient sa modernité. Sa trajectoire ne va pas seulement vers la vieillesse, mais aussi vers la laideur, sa déchéance physique a commencé en 1961, en partie à cause de son alcoolisme. Or la femme star est censée soigner et préserver sa beauté. La question donc devient double. Comment Signoret, prématurément enlaidie, a-t-elle pu continuer à plaire aux spectateurs, et comment peut-on lire son jeu et son physique comme un signe de l’époque ?

 

Commencer à répondre à ces questions suppose d’abord que l’on replace Signoret dans le contexte historique qu’elle traverse. Pendant la période 1940-1975, la France traverse une des époques les plus censurées de son histoire républicaine. Depuis l’Occupation jusqu’à l’après-gaullisme, c’est-à-dire jusqu’à l’abolition de la censure en 1974, la société française fur soumise à de nombreuses vagues d’interdiction et de répression, liées à des événements connus….L’Occupation avec la déportation des juifs, des résistants et des communistes, la Libération avec les femmes tondues et ses comités d’épuration, la Guerre froide, les guerres coloniales en Indochine puis en Algérie. En d’autres termes, cette période de trente-cinq ans fut vécue dans une atmosphère de répression. Rappelons que Signoret fut aussi victime d’interdictions à différents moments de cette période. Pendant l’Occupation, elle ne pouvait pas exercer sa profession d’actrice, née d’un père juif, elle n’aurait pas eu droit à une carte du COIC même si elle en avait demandé une. Pendant les années 1950, elle fut interdite d’entrée aux États-Unis en raison de ses sympathies pour le Parti Communiste dont elle ne fut jamais membre, et vis-à-vis duquel elle prit ses distances après la répression en Hongrie en 1956. Au début des années 1960, pour avoir signé le Manifeste des 121 contre la guerre en Algérie, elle fut interdite à la télévision et à la radio, deux médias qui à l’époque étaient sous contrôle étatique. Touchée, sans doute, par cette succession d’interdictions, Signoret demeura une femme engagée, et s’est servie de sa renommée pour appuyer des causes politiques et aider les victimes d’ostracisme, ce qui constitue un aspect essentiel de sa persona.

 

 

En tant que star, Signoret peut être comparée avec les autres stars de son temps, d’abord à l’époque de sa grande beauté et par la suite pendant les années de sa déchéance physique. Dans les années 1950, il y avait la voluptueuse Martine Carol et l’élégante Michèle Morgan. Mais surtout il y eut Brigitte Bardot et la propreté blonde de son corps. Plus tard Jeanne Moreau et Anna Karina devaient incarner des femmes intelligentes et libérées, des femmes de la Nouvelle Vague, certes, mais très éloignées du glamour de Martine Carol ou de BB. Le corps de Signoret se distingue des autres dès le début. Elle possédait déjà une certaine rondeur, elle était certes très sensuelle, mais elle n’avait pas la taille de guêpe ni le corps de l’époque. Ici encore Signoret était en avance sur son temps, bien qu’en termes chronologiques Signoret précède la Nouvelle Vague, elle propose déjà une figure de femme intelligente, dans son jeu comme dans sa vie. Ainsi, bien qu’issue des années 1950, elle annonce l’avènement à l’écran d’un nouveau type de personnages féminins, et la valorisation de la femme en tant qu’égale intellectuelle de l’homme. En d’autres termes, Signoret incarnait ce qui était à venir. Elle représente l’intelligence en une période la décennie 1950 où l’accent était mis sur le corps féminin et sa beauté, et non pas sur l’intellect féminin. Ce fut une époque où, la femme étant identifiée avec la nation, le corps féminin se devait d’être propre et domestiqué. À l’époque où la beauté de Signoret était éclatante, la France connaissait la décennie la plus répressive de l’après-guerre. Après l’Occupation, la femme fut diabolisée comme collaboratrice. Même une fois devenue citoyenne à part entière en obtenant le droit de vote, elle n’est pas pour autant considérée comme digne de confiance. En Algérie la guerre faisait rage, avec les viols de femmes algériennes et la torture, pratiquée non seulement sur les hommes mais aussi sur les femmes. Dans ce contexte répressif, la femme star n’était qu’un corps, non une raison ou une intelligence, si le corps de la femme désormais affranchie ne pouvait plus être tenu sous contrôle, son intelligence pouvait du moins être tenue sous le boisseau. Le corps féminin de la star ne pouvait donc qu’être le lieu de la beauté, il pouvait, comme dans le cas de BB, exprimer l’excès, mais seulement dans le sens où le corps doit être le spectacle de la beauté.

 

Que venait faire Signoret et son jeu minimaliste dans cette arène ? Comment fut-elle reçue à l’époque ? Comment se fait-il surtout que pendant les années 1950, les critiques en France et la presse des studios américains parlaient d’elle comme une actrice qui « en tant que pure femme enflamme les hommes et magnétise les femmes » ? BB a pu exprimer le désir et la lascivité, mais elle n’a jamais provoqué la curiosité dans le sens valorisant où la femme représente une énigme et un défi intellectuel. Signoret en revanche a souvent été décrite comme intelligente dans son jeu, perçue comme différente dotée en tant qu’intellectuelle, de caractéristiques masculines, elle se détachait des autres stars féminines et faisait patrie de la petite élite de femmes dont Simone de Beauvoir qui, dans une société très masculine, occupait le même rang que les hommes. Dans le contexte des années 1950, alors que les femmes venaient tout juste d’accéder au même statut civique que les hommes, ce fut un aspect remarquable de la persona de Signoret. Son jeu mini-maliste l’associait à une petite élite de stars masculines, notamment Jean Gabin à qui elle fut souvent comparée. Jeu minimaliste perçu comme un attribut masculin elle nous propose l’image d’une femme intelligente que l’on aime regarder, proposant des formes variées de féminité, elle élargit les possibilités de jeu pour une femme. Pourquoi réduire alors son jeu à une comparaison avec le masculin ? Est-ce parce que Signoret dans son minimalisme joue de son corps autrement que pour en faire un spectacle, contrairement à BB ou Martine Carol ? Car, avec Signoret, c’est le jeu, la présence totale que nous regardons, et non pas exclusivement les courbes corporelles. Mais ce jeu, pour les critiques, est troublant ou incompréhensible, d’où cette référence incessante au corps masculin.

 

Considérée comme un monstre sacré, Simone Signoret est comparé à l’autre monstre sacré du cinéma français, Jean Gabin. Le jeu de Signoret dans son minimalisme nous offre ce que nous appelons en anglais « gender fluidity » le caractère fluide des identités sexuées et que cette fluidité chez Signoret plaît à la fois aux spectateurs et aux spectatrices. Mais nous pouvons pousser cette lecture un peu plus loin et proposer, au sens bakhtinien du terme, l’idée que son jeu viole les bornes « naturelles », par lesquelles le jeu féminin se limiterait au corps aux dépens de l’intelligence. Dans cette perspective, on peut dire que Signoret a constamment transgressé ces limites tout au long de sa carrière, en particulier dans la dernière période, lorsqu’elle propose son corps déformé, boursouflé, son nez, ses paupières, ses joues bouffies, comme défi au concept de beauté lisse incarnée par BB ou Greta Garbo. Ce corps déformé à la différence de celui de BB ou Garbo n’a pas disparu mais a continué à attirer un public large, jusqu’à ses derniers films. On comprend mieux à présent la comparaison avec le masculin ce qu’évite cette comparaison, c’est l’idée qu’une femme star outrepasse les limites qui lui sont fixées. En d’autres termes la comparaison avec le masculin dont se sont servis les critiques a permis de réduire la vraie force du jeu de Signoret, elle incarnait l’évidence même d’une diversité des formes de féminité que l’idéologie dominante, surtout celle des années 1950, cherchait à nier. Dans ce sens-là aussi Signoret était un signe de son temps, l’incarnation d’une femme qui se veut libre et épanouie, en dépit du poids des discours hégémoniques qui cherchaient à nier cette évidence.

 

 

 

 

Le succès que Signoret a connu au cours des années 1970 jusqu’à sa mort, en dépit de la dégradation physique de son corps, suggère que nous sommes confrontés ici au paradoxe de l’attirance pour le corps grotesque et non pas à une posture malsaine de la part des spectateurs surtout lorsqu’on se rappelle que Signoret a refusé tout rapport masochiste avec sa déchéance physique. Elle a dit…Je suis grosse et moche, je vais m’en servir. L’excès dans ce contexte devient une source d’énergie créatrice. Ainsi une première raison du succès soutenu de Signoret est liée au fait que sa performativité/son corps en jeu renvoie à la notion bakhtinienne du rejet du fascisme de la beauté. Une seconde raison de l’attrait qu’elle exerce nous est fournie aussi par la théorie bakhtinienne. Son corps, en dépassant ses bornes, devient effectivement grotesque, obscène. Mais en même temps, il rend visible son essence et met en lumière sa vérité, le fait qu’elle boit trop. Cette vérité est à la fois personnelle et politique. C’est-à-dire qu’elle dépasse les bornes volontairement, elle assume une vieillesse prématurée et indigne…Son corps et sa voix sont mis au service de l’opprimé. C’est cette Signoret-là que nous voyons à l’écran, comme en témoigne le rôle de Madame Rosa La Vie devant soi-1977. Ici son corps fictionnel porte les signes d’une histoire à la fois personnelle et politique. Femme juive, rescapée d’Auschwitz, elle vit dans la pauvreté tout d’abord comme prostituée et, par la suite, comme gardienne d’enfants dont l’un est arabe dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris. Son corps fictionnel est une mise en abîme non seulement de l’oppression des Juifs, mais aussi de celle des Arabes. Mais son physique nous en dit long aussi sut son désir de se laisser aller, elle est grosse et moche, alors qu’elle a été très belle Madame Rosa est aussi une femme qui a souffert sut le plan personnel, et son corps en garde les signes. À cet égard, son personnage n’est pas si éloigné de la personne de Signoret elle-même. Par son physique, Signoret refuse, sur le front personnel autant que politique, l’idée selon laquelle le corps doit rester contenu entre les bornes du « naturel » et du propre. Elle rejette ainsi la censure idéologique du corps politique du citoyen, affirme son droit de parler, d’être entendue, de ne pas être conforme d’être excentrique, obscène.

 

 

 

 

Conclusion…

 

Les discours corporels de Signoret peuvent donc se lire comme une réaction contre les discours idéologiques, à la fois sexuels et politiques, de son temps. Son vieillissement prématuré et son corps dégradé offrent une image qui s’oppose aux constructions binaires de la sexualité fondées sur la différence. Certes, son corps a évolué, s’est transformé depuis ses premières représentations où son jeu minimaliste était déjà un défi aux normes idéologiques qui cherchaient à restreindre l’expression du corps féminin. Et ce corps a continué à montrer sa mutabilité pendant les deux dernières décennies de sa vie où sa performativité lança de nouveaux défis à d’autres normes, fondées sur le concept de la beauté féminine et la suprématie de la vue sur tous les autres sens. Vue à la lumière de la théorie bakhtinienne, la performativité de Signoret situe son corps comme démocratique et non-normé. Elle suggère la « fluidité des identités de sexe » et conteste la primauté de la vue, le narcissisme et le voyeurisme implicites dans cette hiérarchie des sens. Finalement elle propose une vision du corps qui n’est ni phallo- ni céphalo-centrique mais qui est centrée sur les marges, c’est-à-dire qui s’intéresse à la plasticité des bornes corporelles et aux résistances qu’elles peuvent produire. La performativité de Signoret défie les notions monadiste et dyadique de la sexualité comme seul indice de notre identité c’est-à-dire où la sexualité est fixée soit comme unique, soit dans une opposition binaire. Elle offre et bien avant que de tels discours n’existent dans le domaine de la théorie du cinéma une nouvelle sorte de politique culturelle qui va au-delà de la politique sexuelle. Voilà pourquoi Simone Signoret demeure effectivement une star qui ne ressemble à aucune autre.

 

Je ne crois pas que ce sont les rôles qui apportent quelque chose à l’acteur, je crois que c’est l’acteur qui apporte quelque chose au rôle grâce à sa vie et à ses rencontres. Je ne choisit pas que le rôle, il faut que le projet me plaise dans sa totalité. Je ne pourrais pas jouer dans un film dont l’esprit tendrait à prouver que la Gestapo a raison.