Cédric Kahn n’a pas voulu faire un film hagiographique sur Pierre Goldman, militant d’extrême gauche condamné pour divers braquages, mais acquitté pour le meurtre de deux pharmaciennes lors d’un procès mémorable, en 1975…Ce qui m’intéresse chez lui, c’est sa parole. Dans Le Procès Goldman, qui a ouvert la Quinzaine des cinéastes à Cannes, le réalisateur donne la parole à toute cette France des années 1970…Les avocats, les policiers, les Français de droite, de gauche, les Parisiens, les provinciaux…Une France coupée en deux, difficilement réconciliable. Les assises d’Amiens deviennent le théâtre d’affrontements entre ces deux France. Un lieu où s’exprime, non pas une, mais plusieurs vérités. Il en résulte un grand, un très grand film de procès qui résonne dans la France d’aujourd’hui. Une fiction aux allures de documentaire où l’on croise au côté de Pierre Goldman, accusé incontrôlable magnifiquement incarné par Arieh Worthalter, plusieurs avocats de renom, dont Georges Kiejman, qui vient de disparaître.

La France de droite contre la France de gauche.
Son réalisateur, également acteur, Cédric Kahn, aura débuté comme stagiaire monteur pour Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, ça vous fixe un CV. Le cinéaste nous propose donc un film/procès, toujours propice à l’exacerbation des névroses parfois les plus puissantes. C’est aussi l’exhumation d’une époque qui va bien au-delà de l’affaire en question, en ravivant ainsi les passions françaises, avec à n’en point douter des réminiscences, attendu que l’assertion de l’histoire qui se répète inlassablement ne se dément jamais. D’autant que Le procès Goldman est présenté à Cannes au moment où Georges Kiejman vient de nous quitter, ce qui apporte une résonance et un symbolisme tout particulier à l’œuvre. Le procès Goldman est un film de procès, à savoir que son intégralité se déroule au tribunal, ce qui pourrait potentiellement laisser craindre une impression de déjà vu tant le genre a été maintes et maintes fois exploré avec plus ou moins de succès. Sauf que la brillante réussite de l’entreprise repose sur le fabuleux film de parole qu’est Le procès Goldman. Une véritable œuvre de puissance oratoire, tant les dialogues élèvent et vu le niveau d’intelligence de chaque réplique. Chacun dans son couloir de nage, les avocats, et en particulier bien sûr Kiejman, le dandy des prétoires, se distingue par sa vivacité d’esprit, mixée à une délicieuse maitrise de l’art de la roublardise.
Factuellement, mais aussi psychologiquement, sa façon de faire tomber un à un des témoignages certes qui semblent orientés, est à chaque fois un pur moment de grâce. Il nous régale autant qu’il dézingue avec férocité et humour toutes celles et ceux qui vont tenter de faire croire au jury qu’ils ont vu Goldman au moment des faits. C’est d’une jouissive cruauté. Le réalisateur en profite pour jongler avec nos émotions, car il nous laisse plus qu’à penser que les témoignages sont autant politiques et à charge que Kiejman prend un malin plaisir à les exploser ! Et puis il y a Goldman. Insupportable d’une forme d’arrogance qui se combine avec une évidente droiture. Un provocateur né. Il ne veut pas d’effets de manche, comme quand il refuse qu’on plonge dans son enfance chaotique pour mieux comprendre comment il pourrait être le putatif meurtrier. Il démontre avec génie que le pire des salauds a toujours un fond de moralité si on fouille dans son passé traumatique, et qu’ainsi le concernant, ce jeu de dupes est parfaitement inutile. Il veut les faits, rien que les faits qui à coup sûr l’innocentent. C’est un peu tout ça Le procès Goldman, un huis clos où l’on ne s’ennuie jamais, tant c’est le règne de l’acuité cérébrale, et de la célébration du verbe. C’est aussi un film psychanalytique où les colères d’un homme sont ainsi disséquées. C’est aussi justement le rapport entre les deux, Goldman et Kiejman. Tout est dans la lettre initiale que le premier écrit au deuxième. Un véritable amour vache. Ils se décrivent l’un l’autre avec presque une forme d’admiration sadique. Ils sont interdépendants dans cette affaire et ils le savent. Les mimiques désabusées de Kiejman quand dans son box, Goldman fait son show, sont irrésistibles. Et puis Le procès Goldman, c’est une mise en scène. Au-delà d’une forme de sacre de dialogues littéraires, sans effets, sans musique, c’est aussi toute la reconstitution d’une époque. Dans un jeu de caméra d’une prodigieuse habileté, vu que tout se passe en un lieu, Cédric Kahn avec des jeux de plan fixes, d’arrières plan, où rien n’est laissé au hasard, nous replonge dans les années 70 avec une totale vérité. On est dans la salle et on se régale, on ne décroche jamais, c’est impossible. C’est tout sauf du classicisme.
La passion sociétale, politique, psychologique, qu’a suscité le deuxième procès est parfaitement retranscrite notamment quand on nous fait comprendre que Simone Signoret est dans la salle. Pour autant, c’est également une vraie intrigue judiciaire avec ses alibis, ses témoignages douteux, ses vraies ou fausses preuves. Les amateurs du genre ne pourront être déçus. Et puis bien sûr, c’est aussi une résonance terrible. Sur la passion face à l’autorité, et sur comment l’insoumission ne mène pas forcément systématiquement à la violence. Comment l’art de la contestation, poussé à un haut niveau d’exigence morale et intellectuelle défie le pouvoir. Et la violence n’en est pas toujours le corolaire, n’en déplaise précisément aux institutions ainsi contredites et remises en cause. Le procès Goldman est un vrai film d’actualité ! C’est aussi le culte de l’altérité, tant il est ici question du regard méprisant qu’il soit conscient ou pas, porté sur le juif, le noir, l’autre…Par celui qui comme disait Coluche n’est ni juif, ni noir, ni belge, le normal quoi ! Pour porter ces grands dialogues, de grands interprètes. Un grand duo dans la vie, un grand duo dans le film. Arthur Harari pour Kiejman, qui épouse avec l’audace de son instinct l’incarnation du jeune avocat qui va devenir grand. Son non verbal, ses mouvements, sa diction, tout ce qu’il dit et fait dans un huis clos où le spectateur ne manque rien, accroche nos papilles et crédibilise le film avec une plus grande force encore. Arieh Worthalter est un Goldman fabuleux d’intériorité autant qu’il peut se mettre à hurler soudainement. Il fait vivre son personnage avec l’art des grands numéros d’acteur. Lui aussi donne l’impression d’avoir totalement épousé la cause de son personnage, avec la force des meilleurs. Le procès Goldman, une affaire mythique, un film forcément théâtral, mais jamais dupe de l’exercice, jamais dans un excès de cabotinage qui nuirait à l’ensemble. C’est à la fois sobre et très fort. C’est à voir sur un mode jubilatoire.
JM Aubert


PAROLES DE CEDRIC KAHN
Je me suis vraiment plongé dans son histoire en lisant son bouquin, durant son incarcération, et peu avant son second procès, Pierre Goldman a écrit son autobiographie, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, qui avait obtenu un grand succès public et critique. Accusé de vols et du meurtre de deux pharmaciennes à Paris en 1969, Pierre Goldman a reconnu les premiers chefs d’accusation, mais a toujours nié les homicides. En 1974, la Cour d’Assises l’a condamné à la réclusion à perpétuité. Il a fait appel en 1976, et c’est ce second procès, qui conduira à son acquittement, qui est reconstitué dans le film. Mais j’avais dû en entendre parler avant. J’ai été élevé dans un milieu de juifs de gauche, soixante-huitards. J’ai le souvenir d’avoir vu ce bouquin dans la bibliothèque de mes parents. Donc voilà, être éduqué dans cette ambiance, ça a forcément joué un rôle c’est rare de faire un film qui n’ait pas de source d’intime. Mais en tout cas, c’est la première fois que je fais un film sur un personnage juif, pour qui c’est important.
J’arrive au procès par un questionnement scénaristique. C’est la part d’ombre de Pierre Goldman qui m’intéresse. Je ne voulais pas en faire un héros. Mais je lui reconnais des qualités intellectuelles et un charisme de dingue. Son acte de bravoure est d’avoir réussi à être innocenté du meurtre des deux pharmaciennes. D’être sorti de ce traquenard. J’en viens ainsi naturellement au procès, lieu du langage. Les procès sont fascinants car il n’y a pas d’images. Les photos y sont interdites et nous n’avons que des dessins. J’adore en regarder comme spectateur. Il y a notamment En cas de malheur, avec Brigitte Bardot. Mais j’ai plutôt pensé au procès d’Adolf Eichmann. Je voulais faire un film très documentaire, très immersif. Rentrer dans cette arène est captivant.
La sociologie du procès est très binaire. Il y a l’avocat Garraud, pour la partie civile, qui flirte avec l’extrême droite, les policiers…En face, il y a Pierre Goldman l’ultragauchiste, Georges Kiejman, socialiste qui a été plus tard ministre de François Mitterrand. C’est la France de droite contre la France de gauche. Les gens simples, la province contre Paris. Les témoins sont tous accusés de racisme. Aujourd’hui, la société reste très binaire. La situation s’est même radicalisée. Entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, il n’y a plus grand-chose sur le plan politique. Tout a été atomisé. On cherche toujours à opposer le peuple aux élites. Le procès Goldman, c’est cela. Il y a l’élite, l’intelligentsia parisienne de gauche, « bobo », qui défend Pierre Goldman et les témoins traversés par ces faits et dont la parole est remise en cause. Pierre Goldman politise ce procès en disant que parce qu’il est juif, il est le coupable idéal. Mais si on reste aux faits, il n’y a pas d’antisémitisme.
En 1976, on est huit ans après Mai 1968. La passion est un peu retombée. Probablement que Goldman ravive quelque chose. Et je dirais aussi que le phénomène autour de Goldman dépasse Goldman, dépasse les faits. Mon film revient aux faits, c’est-à-dire un peu basiquement à l’affaire et au contradictoire. Alors que là, quand on entend les gens de cette époque parler avec emphase de Goldman, on n’est pas du tout dans le contradictoire. Je montre dans le film que Goldman est un peu une popstar. J’ai remarqué que les jeunes adhèrent au film. Beaucoup sont venus vers moi. Je ne sais pas comment le comprendre. Si c’est quelque chose qui a à voir avec de la nostalgie, le goût du vintage…Il y a un intérêt pour cette époque, et pour cette espèce de mythe qu’a été Mai 1968.
Ces deux France sont difficilement réconciliables On le voit lors du verdict. Les parties civiles, qui restent convaincues de la culpabilité de Pierre Goldman, sont accablées. Tous les témoins reconnaissent Pierre Goldman. C’est troublant. L’intérêt de cette affaire est qu’elle n’est pas résolue. Elle reste un mystère.



Nous n’avons pas réussi à avoir les minutes de procès, qui n’existaient pas à l’époque, mais nous avons récolté tous les articles de presse et les interviews ainsi que le livre de Pierre Goldman Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France. On a essayé d’être au plus proche de ce qui s’est dit. Georges Kiejman était l’avocat des éditeurs. Le procès Goldman constitue un tournant dans sa carrière. C’est son premier procès aux assises et le début de sa notoriété. On a repris sa plaidoirie, raccourcie pour les besoins du cinéma. Je l’ai rencontré pour le scénario. C’était un homme charmeur, très intelligent, accueillant, mais aussi mystérieux. Il contrôlait beaucoup sa parole.
J’aimerais que mon film rende hommage à la justice. Dans un procès, il n’y a pas qu’une mais des vérités. Chacun est dans la survie et défend sa position. Appréhender la vérité est un exercice difficile qui demande temps et rigueur. L’État de droit est compliqué à accepter. Accepter qu’on puisse relâcher des coupables. Georges Kiejman le dit très bien…Un État qui n’accepterait plus la présomption d’innocence n’est plus un État de droit. Or, aujourd’hui, la présomption d’innocence est beaucoup bafouée, notamment par la presse. Il y a aussi une avidité du public de savoir et de transparence et de rapidité. Tout cela s’oppose, car la justice et le débat contradictoire prennent du temps.

Il n’y a que la complexité des personnages qui m’intéresse ce qui n’est pas la voie la plus simple pour toucher le grand public. Chez Goldman, si on ne s’intéresse pas à la complexité, on ne peut pas y aller. Je me suis basé sur une intuition, celle qu’il allait rencontrer le personnage. Et moi je fais confiance à ce qu’amène naturellement un acteur, par son tempérament, ce qu’il est, je crois beaucoup à la musique intérieure. Un acteur qui est sur la bonne note, il ne faut pas trop le perturber. Arieh Worthalter est un garçon qui est aussi assez secret, avec des zones d’ombre. Il a beaucoup travaillé de son côté, il connaissait le texte sur le bout des doigts, la seule consigne donnée aux acteurs, parce qu’il y avait une langue à respecter de manière absolue. Il était extrêmement habité, concentré. Presque une confusion entre sa concentration et celle de l’accusé. Parfois il défendait Goldman comme il se serait défendu.



Georges Kiejman est un avocat pénaliste très médiatique, disparu le 9 mai 2023, il a notamment défendu la famille de Malik Oussekine, cet étudiant tué en 1987, en marge d’une manifestation contre le projet de loi Devaquet, « Charlie Hebdo » en 2007, lors du procès des caricatures de Mahomet publiées dans le journal, mais aussi de nombreuses figures du cinéma français. Le procès Goldman était sa première grande affaire. Il commence à cette époque le pénal et Goldman le traite alors avec peu de respect. On peut dire qu’il doit beaucoup à l’affaire Goldman, mais on peut dire aussi qu’il l’a bien mérité, parce qu’il en a chié ! Il était un peu éprouvé. Il m’a dit « Vous êtes sûr ? » Mais au final, il m’a ouvert ses portes, Avec bienveillance il m’a raconté plein de choses. Arthur Harari s’est totalement investi dans le personnage de cet avocat hors du commun.
Pour moi, ce n’est pas une opposition idéologique. Pour moi, ce sont deux façons différentes de survivre à cette histoire. C’est évidemment deux héritiers de la Shoah, deux enfants de Juifs polonais, qui ont traversé cette histoire terrible. Et ils représentent assez bien les deux grandes tendances…D’un côté il y en a un qui a transformé ça en force, c’est Kiejman le « Juif résilient » et Goldman, c’est le « Juif maudit ». C’est dépression, fêlure, tragédie…C’est quelqu’un qui a accepté le tragique et qui sait qu’il ne sortira pas du tragique. Pour moi, c’est la sous-intrigue. Quand j’ai attaqué le truc, je ne connaissais pas bien le truc entre Goldman et Kiejman. Je m’intéresse d’abord à l’affaire en tant qu’affaire, puis après j’apprends que Goldman a viré Kiejman avant son procès. On fouille et on se rend compte qu’il y a un antagonisme, une jalousie profonde, surtout de Goldman pour Kiejman. Cette sous-intrigue elle me passionne, parce que je la connais bien cette frontière. Parce que dans toutes les familles ashkénazes, il y a ces deux tendances très fortes. Mais moi, d’ailleurs, je ne sais pas trop quel juif ashkénaze je suis. Sur le papier, je suis plutôt résilient, parce que je transforme ça tous les jours en quelque chose. Et puis dans ma génération, cette question de transmission est plus atténuée, ça concernait plutôt la génération de mes parents. Reste qu’il y a quand même une énorme dépression chez les ashkénazes à laquelle j’essaie d’échapper !

J’avais envie du format carré pour que ça ressemble à des images de l’INA. Mais ça permet aussi de resserrer les plans sur les visages, et donc sur la parole. Tout d’un coup ça fait que le regard est moins éparpillé. Parce qu’en France, on n’a pas d’image de procès, on n’a pas le droit. J’avais envie que ce soit immersif. Les oreilles de spectateur, c’est souvent de l’ordre de la soustraction. Mais on est tellement habitués à l’addition que la soustraction devient stylistique. Les gens le remarquent, mais c’est un paradoxe. On est tellement habitués à être gavés, à être remplis…On ne sait plus écouter. Je voulais vraiment que les gens qui écoutent le film soient comme des jurés, très sollicités. Le public d’une salle et l’auditoire d’un procès, c’est la même chose. Et puis les figurants qui jouent les personnes venues assister au procès étaient laissés complètement libres dans leurs réactions. Aucune improvisation sur le texte, mais totale liberté dans la salle. Ce qui fait que parfois on n’entend rien, parfois un énorme rire…
Je trouvais ça bien que ça soit interactif avec l’énergie des acteurs. Je pense que ça aide le spectateur à être dans cette situation. J’ai tout filmé tout le temps. J’ai refusé ce vieux principe économique qui consiste à filmer le procès avec les trois quarts de la salle vide. Je voulais que la salle soit tout le temps pleine pour que les acteurs du procès soient toujours en bagarre avec la salle. Et j’avais trois caméras en permanence, pour ne rien perdre. On était totalement dans la captation et en même temps totalement dans la mise en scène puisque tout est reconstitué. C’est comme une fausse captation. Ou la mise en scène d’une fausse captation.
Je ne sais pas pourquoi je filme des personnages masculins troubles comme Roberto Succo…Dans « trouble », il peut y avoir quelque chose qu’on ne comprend pas, quelqu’un d’un peu fou, un peu marginal, un peu parano, un peu en crise. Mais tout ça, ce n’est pas la même chose, même si ça peut se rejoindre. C’est peut-être que je prends des personnages qui sont en moment de crise, ou d’autres qui ont un vrai problème. Je ne me défile pas devant la question, hein. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose qui m’émeut chez eux. On en revient à moi forcément, ou à mon histoire. J’ai quand même une forme de tropisme pour la marginalité, c’est vrai que ça m’attire peut-être parce que la marge nous parle de nous. Si on me raconte une histoire de collégien harcelé, je vais prendre fait et cause pour lui. Je vais être l’avocat des causes perdues.






Pierre Goldman est rejugé en 1976, par jeu de réduction de peine, il sort de prison. Trois ans plus tard, le 20 Septembre 1979, il est abattu de sept balles dans le 13e arrondissement. Qui a tué Pierre Goldman ? Des caïds, des agents secrets ou le SAC, service d’action civique ? La vérité sortira t elle un jour.. ?










