« Nous ne nous arrêterons que quand le drapeau français flottera aussi sur Metz et Strasbourg. »
Leclerc et le serment de Koufra, Raymond Dronne. Philippe Marie de Hautecloque, dit Leclerc, sera élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume, en 1952.
Ce matin 8 juin 2021, nous roulons au cœur des marais et des premiers combats en terre de France il y a 77 ans. Ici, tout l’évoque…Deux jours après les commémorations du débarquement nous sommes à UTAH BEACH avec ses monuments et ses nostalgiques habillés et transportés sur des véhicules de l’époque. A lire en suivant…Le récit du 6 Juin 1944 sur UTAH BEACH,
L’histoire d’une photo,
Le destin incroyable d’un G.I,
Un film et ses 20 premières minutes.
Demain, nous visitons l’île de Tatihou, deuxième objectif de notre voyage et 1er désir pour Chris. Aujourd’hui, nous l’admirons de loin avant de rejoindre notre hébergement pour nos deux prochaines nuits.
UTAH BEACH
Les Alliés n’avaient pas prévu de débarquer sur les côtes du Cotentin. La proximité du port de Cherbourg et la nécessité de disposer d’une solution de repli au cas où la situation tournerait mal sur les plages du Calvados, décidèrent les responsables du haut commandement allié à ajouter une cinquième plage. L’endroit retenu reçut le nom de code d’Utah Beach. Il s’étend de Sainte-Marie-du-Mont jusqu’à Quinéville, avec une zone d’assaut d’environ deux kilomètres à hauteur de Varreville. Afin de permettre une sortie de plage des troupes fraîchement débarquées et qu’elles ne se trouvent pas bloquées entre la plage et les marais, les Alliés décidèrent d’engager deux divisions parachutistes, la 82e et la 101e divisions aéroportées américaines qui devront pour cela établir un point de fixation sur la zone de Sainte-Mère-Église et Chef-du-Pont et contrôler les quelques routes d’accès aux plages.
Ils doivent également prendre le contrôle de la N 13, route nationale reliant Paris à Cherbourg via Caen et d’importance stratégique, cela afin d’éviter tout mouvement de troupes ou contre-attaque ennemis par cette voie et aussi de couper la liaison avec la forteresse de Cherbourg. Dans ce même but, ils doivent également contrôler la ligne de chemin de fer reliant Caen à Cherbourg, les ponts de la Douve et le contrôle du canal de Carentan à la mer. L’assaut aéroporté porte les noms d’opérations Albany et Boston.
C’est la 4e division d’infanterie américaine, appartenant au VIIe corps américain, qui fut chargée de prendre d’assaut Utah Beach. Ce débarquement bénéficie de l’appui feu du groupe de bombardement et d’un écran de fumée lancé par le squadron 342, groupe Lorraine des ex-forces aériennes françaises libres. En tout ce sont plus de 865 navires, la « Force U », de convoyage, de protection ou d’appui aux troupes à terre qui seront impliquées dans le débarquement sur Utah Beach.
6H30/ Après une intense préparation d’artillerie et un bombardement aérien efficace, la 4e division d’infanterie US est engagée. Deux escadrons de chars DD amphibies sont mis à l’eau à 3 kilomètres du rivage. Ils rejoignent la plage par leurs propres moyens grâce à deux hélices et une jupe de caoutchouc. Ils s’approchent en deux vagues d’assaut, 12 chars pour l’une, 16 pour l’autre, de la plage où ils commencent à tirer sur les positions des Allemands alors que ceux-ci peinent à réorganiser leur défense après le terrible et efficace bombardement allié. En raison d’une erreur de navigation, les premières vagues d’assaut prirent pied à environ 2 kilomètres au sud de l’endroit prévu. Heureuse erreur pour les Alliés puisque les défenses allemandes étaient là nettement moins redoutables. Pendant le début du débarquement de la division d’infanterie américaine, les tirs allemands sont nourris mais peu précis et peu à peu, les positions de mitrailleuses allemandes sont rapidement neutralisées. Il y aura toute la journée des tirs aléatoires et meurtriers des canons et mortiers allemande située dans les terres mais l’avancée des troupes à terre et les tirs guidés des navires alliés réduiront progressivement. La plage est aux mains des Alliés assez rapidement. La marée se retirant, découvre les défenses des plages que les unités du génie commencèrent à éliminer moins d’une heure après le début du débarquement, afin d’ouvrir des passages aux chalands de débarquement de matériels et véhicules lourds. Deux heures après le débarquement, le mur antichar est dynamité et les chars purent commencer leur progression à l’intérieur des terres. La jonction des troupes débarquées et des parachutistes se fit en début d’après midi du côté de Pouppeville.
Les pertes de la 4e division en tués, blessés et disparus étaient de moins de 200 hommes le 6 juin. Comparativement à Omaha Beach, Utah Beach fut un succès, et ce dû à plusieurs facteurs…Moins de fortifications allemandes comparé à d’autres plages. Leur défense était fondée sur l’isolement du littoral de l’intérieur du pays par les zones inondées. Des grands blockhaus, comme la batterie côtière près de Saint-Martin-de-Varreville, furent détruits par les B-26 Marauder, bombardiers moyens de la 9e US Air Force, volant à moins de 1 600 m et fournissant aussi un appui aérien rapproché aux forces d’assaut. 28 des 32 tanks amphibies ont atteint le rivage car ils ont été mis à l’eau 2 fois plus près de la plage qu’à Omaha et furent aussi capables de se diriger dans le courant de manière plus efficace pour éviter la houle. Un débarquement plus au sud que prévu se révélant une des zones la moins fortifiée.
La différence la plus significative fut les 13 000 hommes de la 101e et de la 82e division aéroportée qui combattaient déjà dans l’intérieur des terres lors du début du débarquement. Cinq heures avant la première vague d’assaut, les troupes parachutées ou arrivées par planeurs combattaient au-delà des plages, éliminant l’ennemi des positions le long des sorties de plages et créant la confusion parmi les Allemands, prévenant ainsi toute contre-attaque organisée de la part de l’ennemi vers les zones de débarquement. Mais ce succès doit être relativisé par les lourdes pertes subies par les troupes aéroportées. La 101e perdit 40 % de ses effectifs le jour J, dus à une dispersion au largage (plusieurs tombèrent dans les marais) et à de durs combats au sol.
Dans les 12 premières heures, ce sont 23 250 hommes, 1 700 véhicules de combats et 1 695 tonnes d’approvisionnement qui seront débarqués sur cette plage. Par la suite, une véritable logistique d’approvisionnement va être mise en place à Utah Beach par la brigade spéciale de génie américain, forte de 19 500 hommes, brigade qui sera portée dans les semaines qui suivent à près de 70 000 hommes. Cette unité, permettra de juin à novembre 1944 le débarquement sur la plage et l’acheminement jusqu’au front de 836 000 hommes, 220 000 véhicules de la jeep à la locomotive, 775 000 tonnes d’approvisionnements. En effet, privé rapidement de leur port artificiel de Saint-Laurent-sur-Mer détruit par la tempête du 19 juin, les Américains durent imaginer des solutions de rechange, la plage sera donc utilisée par des chalands mais aussi par des échouages volontaires de bateaux de plus fort tonnage, repris ensuite par la marée montante. Le quartier général de cette unité du génie sera durant les premières semaines établi dans le premier blockhaus pris aux Allemands à Utah Beach. Sur celui-ci s’élève aujourd’hui le monument à la mémoires des hommes de la 1re brigade de génie. Elles vont déminer la plage. Peu à peu, les défenseurs sont réduits par les tirs de canons de marine. Les bulldozers US commencent à dégager la plage en face de ce qui reste du WN5. Les parachutistes allemands n’ont pas pu s’approcher du WN5 pour prêter assistance et ont été repoussés. Les pertes américaines parmi les troupes débarquées furent faibles (300 hommes) alors que les pertes en péniches de débarquement furent importantes.
UNE PHOTO…
Il a fallu un demi-siècle pour identifier le soldat flou pataugeant dans les vagues de la plage d’Omaha Beach. Cette photographie de Robert Capa, publiée par Time magazine, est devenue la plus emblématique du 6 juin 1944. Il accompagnait la première vague arrivée sur la côte vers 7h30. Huston Riley était dans la première vague dans la compagnie Fox et s’est retrouvé au même endroit que l’Easy compagnie avec laquelle se trouvait Robert Capa. Il se souvient aussi avoir été aidé à sortir de l’eau par un photographe. Il venait de recevoir quatre balles dans l’épaule…
« Les vagues étaient vraiment fortes et descendre du bateau par les échelles de corde dans les barges sans passer à l’eau ou se blesser était du sport. J’étais l’instructeur de la compagnie pour la natation et le sauvetage en mer et donc j’aidais les autres. On est monté dans les barges vers 4h du matin et on a attendu deux longues heures. Nous étions encore dans la première vague comme en Afrique du nord et en Sicile. On était ballotté dans tous les sens et presque tous malades, de trouille et du reste. On est parti, les canons des destroyers tirer sur la plage. Notre barge a heurté un banc de sable à 100m du rivage. Ils ont ouvert la rampe et je me suis précipité dehors pour me retrouver submergé dans plus de trois mètres d’eau. Il faisait presque jour. J’ai coulé et après une éternité, j’ai touché le fond. Je pouvais voir au-dessus de moi les balles de mitrailleuses heurter la surface de la mer perdre de la vitesse et tomber. J’ai gonflé mes bouées à la ceinture, je suis remonté à la surface et j’ai commencé à nager vers la plage. Une cible parfaite. La barge avait dû recevoir un coup direct. Elle avait disparu et il y avait des débris et des corps partout. J’ai nagé jusqu’à la côte en cherchant à être le moins visible possible…J’ai été touché à plusieurs reprises, mais dans le sac à dos, les chaussures et cela ne me faisait pas mal. Et puis presque arrivé sur la plage, j’ai reçu une rafale dans l’épaule droite. Quatre balles, deux sont passées à travers et deux sont restés. Deux gars m’ont aidé à sortir de l’eau, un sergent de l’Easy compagnie et un photographe avec un appareil autour du cou. Ce devait être Robert Capa. Il n’y en avait pas d’autre. Je me souviens très bien m’être dit…“ mais que diable ce dingue de photographe fait ici ”. J’avais du sang sur le dos. Un infirmier m’a un peu soigné et j’ai rejoint ce qui restait de ma compagnie. Les trois quarts ne sont jamais arrivés. Avec d’autres survivants de la première vague d’autres compagnies, on s’est réorganisé en un groupe de combat. Sous les ordres des officiers survivants, on a fini par avancer et percer les défenses en milieu de journée. On a fait pas mal de prisonniers. Il a fallu attendre 3 ou 4h de l’après-midi pour sortir de la plage et avancer à l’intérieur des terres. Les Allemands nous tiraient dessus avec de l’artillerie et des mortiers, mais nos chars sont enfin arrivés et cela a été plus facile. »
Omaha Beach, le 6 juin 1944, 1 465 Américains ont péri en débarquant. Le bilan est lourd…Aux morts s’ajoutent 3 184 blessés, 1 928 disparus et 26 prisonniers. Alors que les fantassins ont survécu à la mer houleuse parfois seulement parce qu’ils avaient dégagé l’eau des pontons de débarquement avec leur casque, ils ont dû reconnaître que le bombardement préalable des positions sur la plage n’avait servi à rien. Cependant, l’opération était un succès pour les Alliés. Les 43 250 fantassins alliés ont sécurisé la plage et ainsi créé une base pour les opérations terrestres sur le continent européen.
INCROYABLE AVENTURE…
Jumpin’Joe… le GI du Débarquement qui a fini la guerre avec les soviets Joseph Beyrle avait 20 ans le jour J, quand il a été parachuté en Normandie puis capturé par les nazis. Il est le seul soldat américain à avoir combattu aux côtés de l’armée rouge, au terme d’une longue odyssée.
Joseph Beyrle n’a alors que 20 ans, mais c’est tout sauf un « rookie » qui plonge dans le ciel normand, en cette nuit du 5 au 6 juin 1944. Quelques semaines avant le déclenchement du plan Overlord, le jeune GI, venu des lointaines rives du lac Michigan, avait déjà effectué deux sauts dans l’ouest de l’Hexagone. Deux missions clandestines auprès de la Résistance française, pour lesquelles il avait été sélectionné pour ses aptitudes physiques et son courage. En avril, il avait apporté aux FFI d’Alençon des cartouchières emballées avec de l’or. Et récidivé un mois plus tard dans la région. « Jumpin’Joe », le surnom dont ont fini par l’affubler ses copains du régiment, décolle le 5 juin au soir à bord d’un des Douglas C 47 « Dakota » de la 101e division aéroportée, à laquelle son régiment a été affecté en prévision du D-Day.
Le jour tant attendu est enfin arrivé. Comme les nuées d’autres coucou qui fondent vers la Normandie, les ailes du bimoteur ont été striées de lignes blanches et noires pour s’identifier plus facilement. Et pour les hommes ? Chargé d’un barda de plus de 60 kg, Joseph a hérité d’un mini « cricket » en laiton dont le « clic-clac » doit permettre aux paras de se retrouver dans la nuit noire. Ce ne sera pas du luxe… Ciblées par les batteries antiaériennes nazies, les « Dakota » de la 101e, qui devaient larguer leurs hommes au-dessus de Sainte-Mère-l’Eglise, se dispersent comme des moineaux. Jumpin’Joe, lui, atterrit sur le toit d’une église à Saint-Côme-du-Mont, à une douzaine de kilomètres au sud du lieu prévu. Esseulé, alourdi par son paquetage, Joseph Beyrle progresse prudemment dans les bocages normands. Des centaines d’autres paras, qui tentent eux aussi de rejoindre leur unité, sont fauchés par les tirs ennemis. En chemin, l’athlétique GI, qui avait reçu aux Etats-Unis puis en Angleterre une intensive formation en maniement d’explosifs, parvient à saboter une station électrique et un pont. La nuit du 8 juin, il rampe le long d’une haie et roule dans un trou… où dorment des soldats de la Wehrmacht.
Emmené à Carentan avec d’autres prisonniers, son convoi est pris pour cible par l’artillerie alliée. Touché par des éclats d’obus, Joe s’occupe de deux blessés après être revenu à lui, puis prend la tangente. Mais le petit groupe de prisonniers est vite repris, et Beyrle expédié dans un centre de rétention proche de Saint-Lô. Ce grand blond, aux muscles forgés par le base-ball qu’il a pratiqué à haute dose au lycée, a un problème de plus que ses compagnons : il parle allemand presque aussi bien que ses geôliers ! Sa famille, bavaroise d’origine, a émigré en Amérique un siècle plus tôt, mais au lieu de l’aider, cette ascendance lui vaut coups et brimades. Il est finalement transféré dans le nord de la France, pour réparer les chemins de fer détruits par les bombardements anglo-américains, puis Paris et enfin dans un stalag allemand, près de Francfort, à la mi-septembre.
C’en est fini pour lui de la guerre, croit-il. C’en est fini de leur grand garçon, pleurent ses parents, qui ont appris sa mort par un télégramme quelques jours plus tôt. Son médaillon, qui lui avait été chipé par un feldgrau allemand pendant sa détention en Normandie, vient d’être retrouvé autour du cou d’un soldat calciné, qui portait un uniforme yankee. Cherchait-il à déserter l’effroyable bataille des haies en usurpant l’identité de Beyrle ? Etait-il missionné pour infiltrer les Américains ? Mystère. Mais pour l’armée, qui recense les morts à la pelle, il s’agit du sergent Beyrle, né le 25 août 1923 dans une famille de sept enfants, domicilié à Muskegon, Michigan, USA. Pendant son errance vers l’est, le GI fantôme tente à nouveau de s’évader. Il y réussit presque mais se trompe de train et file vers Berlin où il est dénoncé par un civil à la Gestapo. Torturé avec ses compagnons d’échappée, il est sauvé d’une mort probable par des officiers de la Wehmacht, qui ne goûtent pas les méthodes de la police d’Hitler et réclament leurs prisonniers. Anges… et gardiens à la fois : il est transféré dans un stalag polonais à Drewitze. Là-bas, le Reich est à portée d’obus des Soviétiques. Beyrle se procure une radio, apprend que l’armée rouge a repris Varsovie, Cracovie et Lodz. Sa décision est prise : déguerpir et les rejoindre. En janvier 1945, il s’échappe en se cachant dans un baril, puis trompe la vigilance de ses poursuivants en plongeant dans un ruisseau gelé. Depuis une grange qui lui sert d’abri, il entend enfin parler russe. Mains en l’air, il leur crie…« Amerikanskiy tovarishch ! » (camarade américain !). Le plus fou commence pour Jumpin’Joe, enrôlé par les Soviets dans une unité de tanks dirigée par la capitaine Aleksandra Samusenko, qu’il appelle « major ». Véritable icône en URSS depuis ses faits d’armes à la bataille de Koursk pendant l’été 1943, elle n’a plus que deux mois à vivre. Précieux pour ses compétences en explosifs, le « camarade » Beyrle dégage la voie pour les blindés de Staline.
L’armée rouge progresse vers Berlin mais lui est gravement blessé sur son char par un raid de Junkers allemands. A l’hôpital, il reçoit la visite du maréchal Joukov, héros de Stalingrad. à qui il raconte son incroyable odyssée du front de l’Ouest à celui de l’Est. Le lendemain, Beyrle est transféré à Moscou, et transporté à l’ambassade des Etats-Unis. Après enquête, il retrouve administrativement la vie. Et revient chez lui en avril embrasser ses parents. Père de trois enfants et cadre dans une entreprise de loisirs, l’ex-sergent Beyrle traversera la Guerre froide la poitrine bardée des plus prestigieuses décorations des deux ex-Alliés devenues ennemis. Il meurt en décembre 2004, à l’âge de 81 ans d’une crise cardiaque sur la base militaire de Toccoa, en Georgie, où il avait appris le rude métier de GI soixante-deux ans plus tôt. Il était venu y promouvoir le livre de sa drôle de vie. Mais comme retour vers le passé, il y a mieux…Quatre ans après sa mort, son fils, John Beyrle, est devenu l’ambassadeur des Etats-Unis… en Russie !
VINGT PREMIERES MINUTES…
J’ai vu ses 32 films…Je ne suis pas un grand fan de son cinéma mais c’est un cinéaste important par la diversité de ses films, son sens de l’image. Les 20 premières minutes de son film « Il faut sauver le soldat Ryan » sont incroyables de réalisme et d’intensité. Ci-dessous une analyse que je partage sur le film et son cinéma en général. Dans la rubrique cinéma-Tous les films-1990/1999 vous trouverez une présentation complète du film et sur bien d’autres encore.
La sortie d’un film de Spielberg est souvent pour le critique un exercice compliqué, ambivalent. C’est plus que jamais le cas avec Ryan. Difficile d’évacuer un tel morceau en quelques lignes, impossible de contester l’efficacité spectaculaire de certaines séquences avec les désormais célèbres « vingt premières minutes » et de nier que l’on est scotché dans son fauteuil. Mais il est tout aussi impossible d’oublier la roublardise de Spielberg, son épaisseur de trait pour brosser certains personnages ou situations, son américano-américanisme primaire et son volontarisme puéril voire inquiétant qui consiste à s’emparer d’un sujet dans le but de signer le film définitif en la matière. Ainsi, après « le film sur la solution finale », voici « le film sur le Débarquement » censé surpasser tout ce qui s’est produit avant. Et l’auto propagande spielbergienne fonctionne puisque, déjà, nombreux sont ceux qui pensent « que la guerre n’avait jamais été filmée ainsi », « que l’on s’y croirait », mettant ainsi Fuller ou Mann au rancart. En effet, les scènes de combat sont impressionnantes. Mais cela vient-il des pures qualités de cinéaste de Spielberg ? Ryan est bien un film de son temps, un film dopé, dont la mise en scène semble fonctionner à l’EPO, destinée à battre des records définitifs. Quand on y réfléchit après coup, ces fameuses séquences bluffent surtout par leur surenchère technique…Bande-son mitraillant sans relâche en THX, ralentis insistants sur des membres arrachés, tripaille s’écoulant d’un ventre…Parfois, au milieu de ce carnage en « effets spéciaux », une belle idée, comme celle des plans sous-marins où des soldats sont abattus dans le silence et le rougeoiement de l’eau. Mais les belles idées sont souvent suivies d’autres, plus saugrenues. Ainsi cet étrange plan furtif où l’on aperçoit des gouttes de sang sur l’objectif de la caméra. Point de vue subjectif d’un fantassin à lunettes ? Non. Point de vue d’une équipe de cinéastes militaires ? Non plus. Spielberg était-il alors lui-même à Omaha Beach ? La réponse, c’est que le cinéaste n’a pas su résister à un spectaculaire effet de réel, le plan étant injustifiable, ce petit supplément de réel se transforme en summum d’artifice. De même à la fin du film, quand on comprend qui est le vieux vétéran du début, on comprend aussi que le long flash-back qui constitue le film est truqué. Comme beaucoup de cinéastes, Spielberg s’arrange avec la vraisemblance disons simplement que ses arrangements sont beaucoup moins fins, beaucoup plus visibles que ceux d’un Hitchcock.
Entre divers emprunts à Fuller, Kubrick ou Sirk, Spielberg ne renouvelle pas grand-chose au film de guerre et s’enliserait plutôt dans un psychologisme fin comme un tank…Ainsi retrouve-t-on dans la patrouille, le Courageux, le Pleutre, le Violent, l’Intello, les souvenirs de la période civile, la discussion sur la validité de la mission, etc. Autant de figures obligées, de scènes ennuyeuses. L’échantillonnage sociologique est aussi presque complet avec le Rital, le Juif, l’Irlandais…Par contre, il n’y a pas de Noirs dans l’armée de Spielberg. De même qu’on ne voit pas du tout les Anglais, les Canadiens et à peine les Français mais seulement une famille de civils apeurés…Spielberg a fait le vide autour de son nombril national hormis quelques Allemands mais il faut bien des méchants. Le cinéma américain étant ce qu’il est et encore plus avec Spielberg, on ne peut s’empêcher de tiquer quand un film qui sera vu en masse dans le monde entier s’ouvre et se referme sur un gros plan de son drapeau, imaginons le malaise si cela arrivait dans un film français…On a beau savoir que les images hollywoodiennes « envahissent » les écrans et les rêves des peuples du monde, on aurait souhaité que Spielberg ne nous le rappelle pas avec autant d’arrogance.
Etape 8 Juin 2021 :
CARENTAN – ST VAAST
60 Kms – 1 342 Kms
A Suivre...
Bonus !
L’opération Overlord recèle encore des zones d’ombre, des épisodes mal connus ou volontairement occultés. Voici les derniers secrets du jour le plus long. Par Laurent Joffrin
On croit tout savoir de l’opération Overlord, l’une des batailles les plus célèbres de l’histoire. Chacun se souvient de ces jeunes soldats jetés sur les plages de Normandie par une matinée grise et venteuse sous le feu meurtrier des bunkers allemands. Chacun vénère leur héroïsme et leur sacrifice, longuement célébrés par le cinéma. Pourtant, soixante-dix ans après, cette croisade de la liberté recèle encore des mystères, des zones d’ombre, des épisodes ignorés, mal connus ou volontairement occultés. Contrairement à ce qu’on pense souvent et malgré l’énormité des moyens déployés – 5.000 navires, 10.000 avions, quelque 155.000 hommes -, l’assaut du 6 juin 1944 fut à deux doigts d’échouer. Dans les semaines qui suivirent le jour J, la bataille de Normandie fut l’une des plus dures de la guerre, et les Alliés rencontrèrent des difficultés qu’ils avaient largement sous-estimées. C’est le hasard de la météorologie qui a le mieux servi les assaillants le 6 juin. C’est l’initiative de quelques hommes qui a sauvé la situation au moment crucial. C’est l’opération de désinformation la plus importante du siècle, menée par un groupe d’espions baroques, qui a permis la victoire finale. Nourrie par les commémorations officielles, la légende a transfiguré la réalité du combat pour en donner une image à la fois héroïque et édulcorée. En fait, les défaillances furent fréquentes, la violence mise en œuvre effrayante, et les exactions commises envers les civils nombreuses, à commencer par des bombardements massifs à l’utilité contestée. En s’appuyant sur le travail des meilleurs historiens, notamment Olivier Wieviorka et Antony Beevor « D-Day et la bataille de Normandie » qui ont brisé les tabous et mis au jour les réalités cachées, « l’Obs » vous livre les derniers secrets du jour le plus long.
La bataille des glaces…
L’opération Overlord a commencé trois années avant le 6 juin, dans les solitudes gelées du Spitzberg, de l’Islande et du Groenland. Dans ces contrées de neige et de froid, des commandos britanniques et américains ont été débarqués discrètement pour une guerre dans la guerre…Celle de la météo. Il s’agissait de prendre d’assaut les stations d’observation établies par les Allemands à partir de 1940 dans l’Atlantique Nord, ce que ces soldats venus dans le froid réussirent sans coup férir. L’enjeu semblait mineur. Il était décisif. Grâce à ce réseau de stations conquis par les armes, loin à l’ouest de l’Europe, les Alliés disposèrent en 1944 d’informations interdites aux météorologistes allemands. James Martin Stagg, conseiller de l’état-major allié, put fournir à Dwight Eisenhower, commandant suprême, des prévisions exclusives qui lui donnèrent un avantage stratégique. Le 4 juin, Stagg fut l’oiseau de mauvais augure. Une tempête se préparait dans l’Atlantique, qui rendrait dangereuse la navigation des péniches de débarquement, disperserait les parachutistes et provoquerait le naufrage des chars amphibies prévus pour l’assaut. La mort dans l’âme, Eisenhower dut reporter l’opération Overlord, alors même que plus de 150 000 soldats s’étaient mis en route pour le combat suprême. Ce contretemps fut une bénédiction pour les Alliés. Privés des précieuses stations, les Allemands ne virent pas que la tempête se calmerait pour trente-six heures à partir du 6 juin. Pour eux, le mauvais temps continuerait, empêchant tout débarquement pour les quatre ou cinq jours à venir. Commandant en chef des troupes de Normandie, Rommel décida de partir pour l’Allemagne, où il voulait fêter l’anniversaire de sa femme. A Rennes, l’état-major convoqua les principaux officiers de la région pour un exercice de simulation. Au jour J, le commandement allemand était absent. Au même moment, Stagg, fort des bulletins envoyés des stations nordiques, pouvait annoncer à Eisenhower que le vent s’apaiserait pour un jour et demi le long des côtes normandes, avant de souffler de nouveau en tempête. Cette pause dans la dépression venue de l’Atlantique rendait possible l’opération prévue. Eisenhower écouta Stagg, le regarda droit dans les yeux, garda le silence trente secondes, puis, devant son état-major interdit, laissa tomber son verdict…
« Let’s go. »
Héros inconnu…Il fut un des hommes clés de l’opération. Pourtant, parce qu’il était homosexuel, il fallut attendre plus de soixante ans pour qu’on lui rende justice. Alan Turing était sans doute le mathématicien le plus doué de sa génération. Chercheur à Cambridge, c’était un jeune homme excentrique qui était saisi par des obsessions infantiles. Il avait par exemple vu quarante fois « Blanche-Neige et les sept nains », dont il connaissait chaque plan et chaque réplique par coeur. En dépit de ses névroses, il s’était rendu célèbre dans les cercles académiques en imaginant le principe d’une machine universelle, qu’on appellerait bien plus tard un ordinateur. Quand la guerre commença, Turing fut engagé dans une équipe bizarre, composée de mathématiciens, de germanisants, de linguistes, de spécialistes des codes et d’amateurs de mots croisés. Réunie dans des huttes en tôle élevées dans le parc du manoir de Bletchley non loin de Londres, elle avait pour but de décrypter les communications secrètes de la Wehrmacht. Ces messages radio étaient cryptés par un appareil compliqué appelé Enigma, une sorte de machine à écrire à laquelle on avait ajouté trois rouleaux de métal qui tournaient dès qu’on tapait une lettre. Ces trois rotors garantissaient le secret : grâce à la rotation automatique, les lettres n’étaient jamais codées de la même manière, ce qui rendait les messages indéchiffrables par les crypto-analystes.
La machine recelait une faille, et c’est là qu’Alan Turing entra en jeu. Les services secrets avaient réussi à se procurer un exemplaire d’Enigma, ainsi que plusieurs manuels de codage saisis dans des bateaux ou sur des sous-marins coulés par la Navy. Les crypto-analystes détectèrent quelques régularités dans le codage des messages et comprirent qu’en mettant en œuvre le principe de Turing, et donc en construisant grâce à lui l’un des premiers ordinateurs de l’histoire, capable de tester des milliers de combinaisons en quelques minutes, on pouvait déchiffrer en temps réel des messages qu’on aurait normalement mis des semaines à comprendre. Dès 1940, les équipes de Bletchley Park furent en mesure de transmettre chaque jour à Churchill le texte en clair des communications allemandes les plus confidentielles. Turing et ses crypto-analystes apportèrent une aide décisive à la victoire dans plusieurs batailles, notamment celle d’ElAlamein et de l’Atlantique. Ils firent arrêter tous les espions envoyés en Grande-Bretagne par les nazis. Pendant la préparation d’Overlord, ils surveillèrent jour après jour les efforts de défense déployés par la Wehrmacht. Grâce à eux, les Britanniques purent vérifier la bonne marche de l’opération Fortitude, destinée à tromper Hitler sur le lieu et la date du Débarquement. Turing avait donné à Churchill l’un de ses atouts maîtres.
Son aventure se termina en tragédie. Turing était homosexuel dans une Grande-Bretagne où les relations intimes entre personnes du même sexe étaient réprimées par la loi. La paix revenue, sa maison fut un jour cambriolée, et la police vint enquêter chez lui. Elle constata qu’il avait des relations avec un homme. Il fut arrêté, jugé et condamné à subir un traitement médical à base d’œstrogènes. Cette médication forcée aggrava ses névroses. Martyrisé par le pays qu’il avait contribué à sauver, il devint dépressif. Un jour, il prit une pomme et, comme l’avait fait la sorcière de Blanche-Neige, l’enduisit de poison. Puis il la croqua. Sa mort passa inaperçue. Il fallut attendre soixante ans pour que la reine consente à le gracier à titre posthume et que le gouvernement britannique, par la voix du Premier ministre Gordon Brown, reconnaisse sa dette envers lui. Aujourd’hui, le prix le plus prestigieux en science de l’informatique s’appelle le prix Turing.
Le mystère du « Daily Telegraph »…
Au mois de mai 1944, les services de sécurité britanniques furent pris de panique. Ils venaient de constater que les mots croisés du quotidien conservateur « The Daily Telegraph » avaient donné depuis quelques jours, comme solution à des définitions, les mots de « Omaha », « Overlord », « Neptune » ou « Sword ». Autrement dit, les noms de code attribués aux plages normandes ou bien aux opérations destinées à établir une tête de pont en France, toutes choses évidemment ultra-secrètes. L’auteur des mots croisés, un professeur respectable et connu du public, fut interrogé. Il plaida la coïncidence. Depuis la guerre, des amateurs de statistiques ont calculé que la probabilité de voir apparaître dans ces grilles les quatre ou cinq mots en question par le seul jeu du hasard était inférieure à une chance sur plusieurs millions. Aujourd’hui encore le mystère reste entier. On suppose que l’auteur des grilles s’était adressé à ses étudiants pour trouver des mots et des définitions nouvelles. Ces étudiants fréquentaient des militaires stationnés en Grande-Bretagne : ils auraient entendu les noms de code au cours de conversations sans savoir ce qu’ils désignaient. Mais c’est une hypothèse…
Les Comanches…
Pour assurer la sécurité des communications, il fallait surmonter un dilemme. Si les opérateurs radio intégrés aux troupes d’assaut se parlaient en clair, pour orienter l’attaque ou guider l’aviation, par exemple, il suffisait à un Allemand parlant anglais de se mettre sur la même longueur d’onde. Mais s’ils se parlaient en code, les communications s’en trouvaient fortement ralenties car il fallait à chaque fois crypter et décrypter les messages. A ce problème classique dans les armées, les Américains ont trouvé une solution originale. Sur Utah Beach, treize Indiens comanches enrôlés dans l’US Army et formés à la radio figurèrent parmi les premiers attaquants.
C’est l’un d’entre eux qui envoya le premier message, en langue Comanche, à son correspondant en mer, qui le traduisit immédiatement pour le commandement par « Le Débarquement a réussi mais nous sommes au mauvais endroit. » L‘armée américaine s’était assurée au préalable que personne en dehors des États-Unis ne comprenait la langue Comanche. Comme certains termes techniques n’existaient pas dans cette langue, il fallut recourir à des métaphores. « Char d’assaut » fut traduit par « tortue de fer ». Pour le mot « Hitler », les Comanches avaient trouvé une locution expressive : « le Blanc fou ».
Stalingrad dans le bocage…
La bataille de Normandie, qui suivit l’assaut des plages, fut bien plus cruelle que prévu. Les Alliés échouèrent à prendre Caen et son aéroport le premier jour. Il fallut attendre un mois pour s’emparer de la ville après deux opérations sanglantes, et ratées pour l’essentiel, Goodwood et Epsom. Plus à l’ouest, la difficulté de la guerre dans le bocage avait été sous-estimée. Les Allemands possédaient des armes plus perfectionnées que celles des Alliés, notamment les canons de 88 millimètres et les chars Tigre, plus puissants que les Sherman américains. Ils se battaient avec acharnement, protégés par des haies innombrables et épaisses, embusqués dans les clochers et les fermes face à une infanterie qui devait avancer à découvert. On a calculé que la concentration des divisions blindées et les pertes en hommes furent comparables à celles qu’on rencontrait sur le front de l’Est. C’est seulement au mois d’août, grâce à leur supériorité aérienne écrasante et à l’arrivée de renforts massifs que les divisions américaines du général Patton purent percer le front vers l’ouest et déborder les défenses allemandes.
La sale guerre…
La violence des combats provoqua l’apparition d’atrocités dont les Alliés n’avaient pas l’idée en débarquant. Des parachutistes pendus dans les arbres furent émasculés. Plusieurs fois, les SS exécutèrent leurs prisonniers. Ils fusillèrent nombre de résistants, tout en épargnant relativement la population civile pour éviter d’avoir à combattre une insurrection en plus des forces alliées. Sur les plages, des prisonniers allemands furent exécutés, d’autres furent contraints de pénétrer en tête sur les champs de mines pour ouvrir la voie. Les Allemands laissaient derrière eux toutes sortes de pièges destinés à tuer ou à mutiler leurs adversaires – cadavres cachant des explosifs, mines antipersonnel qui explosaient à la hauteur de l’entrejambe, bombes dissimulées dans les maisons ou dans le matériel abandonné. En représailles, les soldats alliés ne ménageaient pas leurs ennemis, usant de lance-fammes pour les débusquer ou bien disséminant des tireurs d’élite munis de fusils à lunette dans la campagne. Les chasseurs-bombardiers étaient omniprésents et s’attaquaient systématiquement aux véhicules isolés. Plusieurs généraux furent tués ou blessés par ces attaques aériennes ciblées. Au total, la bataille de Normandie fit quelque 30 000 morts chez les Alliés et autant chez les Allemands.
La mort dans la tête…
Beaucoup d’hommes ne purent pas supporter la dureté de la bataille. Olivier Wieviorka a décrit le calvaire moral enduré par les combattants. Les jours étaient longs, les combats sans fin, le sommeil rare. Les abris étaient précaires, les rations froides, l’habillement insuffisant. Les pluies de l’été 1944 furent les plus fortes du siècle. La couverture aérienne fut intermittente, et les trous où l’on se terrait pour la nuit étaient souvent inondés. L’abondance des haies et des chemins creux renforçait le sentiment de vulnérabilité. Les embuscades étaient fréquentes et meurtrières. Faute d’effectifs, les unités étaient rarement relevées, et beaucoup de soldats débarqués au début de juin combattirent sans trêve jusqu’au mois d’août. Ces conditions terribles mirent à l’épreuve les nerfs des fantassins. Les désertions et les mutilations volontaires furent nombreuses. Plusieurs milliers de soldats furent victimes de troubles psychiatriques qui les empêchèrent de continuer la guerre. Un tiers des blessés environ n’étaient pas touchés physiquement, mais atteints de psychonévrose ou d’épuisement au combat. Le commandement allié dut admettre la réalité de ces maladies traumatiques et hospitaliser ceux qui craquaient. Les mêmes phénomènes frappèrent évidemment les combattants allemands. Mais la Wehrmacht ne reconnaissait pas ces troubles mentaux. Ceux qui craquaient étaient fusillés.
La bataille du sexe…
Universitaire américaine, Mary Louise Roberts vient de lever le voile sur un aspect jusqu’ici occulté de la bataille de Normandie : l’attitude d’une partie du corps expéditionnaire américain envers les femmes françaises. Certes, dans leur immense majorité, les GI traitèrent avec respect les populations qu’ils étaient venus libérer. Mais une minorité d’entre eux crurent trop aux préjugés en cours aux Etats-Unis sur la France et les Français. Pour la presse, pour une partie du commandement, la France était le pays de la bonne vie et du sexe libre. La prostitution était légale et, plus généralement, les femmes françaises avaient la réputation injustifiée de céder facilement aux avances des vainqueurs. Nombre de liaisons entre soldats et jeunes Françaises ne prêtaient à aucune critique. Mais les agressions sexuelles furent fréquentes et les plaintes des autorités civiles françaises nombreuses. Dans les cas extrêmes, 152 fois, il fallut répondre à des accusations de viol formulées par des Françaises à l’encontre de soldats américains. Plusieurs dizaines de GI condamnés par la justice militaire furent pendus. Ces affaires reflétaient aussi l’une des particularités du corps expéditionnaire avec la ségrégation dont étaient victimes les Noirs dans l’armée américaine. La grande majorité des condamnations pour viol frappèrent des soldats afro-américains, alors qu’ils représentaient à peine 10% des effectifs. Pour le commandement, cette surreprésentation confortait un préjugé que les Noirs avaient une sexualité exubérante qui les conduisait au crime. Mais Mary Louise Roberts montre aussi que les tribunaux militaires américains avaient une fâcheuse tendance à sévir surtout contre les soldats noirs et à traiter avec beaucoup plus de légèreté les mêmes faits quand ils étaient imputés à des soldats blancs. L’analyse des procès révèle que souvent les condamnations des soldats noirs étaient prononcées sans preuves, sur la foi de témoignages contestables. Ainsi, l’armée américaine, qui agissait au nom de valeurs universelles et qui a libéré l’Europe, gardait aussi certaines pratiques dont les Etats-Unis n’allaient se débarrasser que beaucoup plus tard…
Les Anglais…
Quand les Français disent « Ils ont débarqué ! », ils pensent aux GI américains et non aux britanniques. Dans le générique du « Jour le plus long », produit par un Américain, Darryl Zanuck, on voiten gros plan un casque sur une plage, qui symbolise la souffrance des soldats. Le casque est américain. Les trois meilleurs films consacrés au D-Day « Au-delà de la gloire » de Samuel Fuller, « Il faut sauver le soldat Ryan » de Steven Spielberg et « Frères d’armes » de Tom Hanks et Steven Spielberg, mettent en scène des unités américaines. Pourtant ce sont les Britanniques qui auraient mérité la première place dans la légende. Sur les 155 000 hommes du jour J, la moitié sont britanniques, et d’autres sont canadiens. Sur cinq plages, trois ne sont pas américaines, Gold, Juno et Sword. Si le commandant en chef, Eisenhower, est américain, le chef des troupes à terre, Bernard Montgomery, est anglais. L’assaut des plages confiées aux Britanniques fut mieux préparé et mieux exécuté que celui des plages américaines.
Les opérations avaient été étudiées très à l’avance en Grande-Bretagne sous la direction de lord Mountbatten, membre de la famille royale et chef des opérations combinées. Les ports artificiels qui ont permis d’acheminer des renforts, les « Mulberries », étaient une invention de Winston Churchill. Un officier britannique, le général Hobart, avait mis au point des chars spécialisés qui permettaient d’ouvrir les champs de mines sans pertes ou de cisailler les haies du Bocage normand. La Royal Navy et la Royal Air Force prirent une part décisive à l’assaut. Enfin, l’opération Fortitude, qui a trompé les Allemands de manière magistrale, a été conçue et réalisée par l’Intelligence Service et l’état-major britannique. C’est seulement par la suite que l’armée américaine prit l’ascendant sur les troupes britanniques, grâce à la force de l’industrie des Etats-Unis et parce que l’Empire britannique avait épuisé ses ressources en combattant seul contre Hitler pendant plus d’un an.
Français !
Engagés le 6 juin avec les 177 soldats du commando Kiefer, des paras des équipes Jedburgh largués sur la Bretagne, les marins des deux navires présents au large des plages. Les hommes de Kiefer, intégrés dans les troupes d’élite de lord Lovat, férocement entraînés pendant deux ans par leur chef, ont atteint tous leurs objectifs, notamment le casino d’Ouistreham, transformé en bunker par les Allemands et pris au matin du 6 juin. Sur les 177 hommes, 153 furent tués ou blessés pendant la bataille de Normandie. Les soldats français, recrutés surtout en Afrique du Nord, combattaient en Italie, avec l’armée qui affrontait les Allemands dans la péninsule. Nombreux, bien entraînés, bien commandés, mélangeant troupes coloniales et combattants musulmans, ces soldats jouèrent un rôle important dans la Libération.
Beaucoup se couvrirent de gloire à la bataille du Monte Cassino ou pendant le débarquement de Provence. La Résistance française, enfin, aida au succès d’Overlord. Sa force militaire était réduite. En revanche, les actions de renseignement et de sabotage effectuées par l' »armée des ombres » furent précieuses. Grâce aux résistants, les Alliés connaissaient en détail les fortifications du mur de l’Atlantique. Au jour J, la coupure des communications et le sabotage des chemins de fer désorganisèrent la riposte allemande. Enfin, l’insurrection, souvent prématurée, lancée dès le 6 juin dans toute la France, gêna l’acheminement des renforts allemands vers les plages normandes. Aux Glières, sur le plateau du Vercors, à Oradour ou à Tulle, maquisards et civils payèrent le prix du sang.