OTA Porto – SAGONE. Vendredi 13 Mai.
En ce jour maudit pour certains et de chance pour d’autres nous passons par Cargèse, village représentatif d’une Corse belle pour nous visiteurs d’un jour mais ignorants de ses complexités, partagée entre Tradition–Famille-Respect des anciens…
Avec une violence des âmes et des hommes jamais très loin…
10 heure ce matin et nous voilà directement face au défi de franchir une pente d’une dizaine de kms…Les 7 premiers sont connus comme très difficiles, rapidement en limite de rupteur, mon compteur indique 7,9 km/h que je ne quitte pas des yeux pour oublier la brûlure des cuisses..Plus loin je rejoins Chris, elle m’attend pour monter et atteindre ensemble le village de Piana sur une dernière partie plus roulante et très belle.
Après Piana, la récompense avec une magnifique descente entre 40 et 50 km/h et sur plus de dix kilomètres avant de franchir deux courtes et dures bosses pour rejoindre le village de Cargèse et se poser sur le parvis de l’église qui surplombe son port. Ensuite il nous reste une dizaine de kms à effectuer pour retrouver à Sagone chez Fogacci, un hébergement comme on aime, simple, avec cuisine pour l’autonomie.
Séance de rattrapage…Carte étapes 3 à 6.
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Deux histoires…Deux familles Corse…
La grande famille des Colonna qui possède à la sortie du village son cimetière et le destin tragique d’un jeune homme Massimu Susini en lutte contre la pieuvre qui semble s’étendre et remplacer ? un nationalisme toujours aussi présent.
Cargèse…Berceau du clan Colonna…
On retient son souffle et ses mots…
Sylvain Cottin du journal Sud-Ouest
Berceau de la famille Colonna et d’un certain nationalisme, le village de Cargèse s’est réveillé mardi sous une pesante chape de plomb. Où l’on appelle fermement à respecter le deuil tout en redoutant le pire. Il aura fallu mardi attendre 10 heures du matin pour qu’enfin Cargèse se fasse distinctement l’écho de la mort d’Yvan Colonna. Et l’une des deux églises du village de sonner alors le glas de l’enfant du pays, ailleurs assassin de préfet mais ici pour la plupart présumé innocent à perpétuité.
Qu’importe la suspension de peine prononcée afin d’éteindre le feu de la contestation insulaire, tous avaient depuis trois semaines compris qu’il ne mourrait pas chez lui. « On espère désormais qu’il y sera enterré », souffle un passant. En ce taiseux repaire de la famille Colonna, n’imaginez pas d’autres signes extérieurs de tristesse ni de rage, tant les visages et les portes se ferment au rare passage des intrus. « C’est le temps du deuil, pas celui de faire des commentaires, respectez ça. » Aux terrasses de la rue centrale, mezza voce les langues se devinent pourtant bien pendues avant d’aussitôt se lier. Si la Corse a ses codes que le continent ignore, c’est peu dire que Cargèse a poussé un peu plus loin encore sa marque de fabrique identitaire. Terre brûlée du nationalisme et de ses dérives crapuleuses, les tourments de ce gros bourg d’un millier d’habitants auront ainsi forgé Yvan Colonna. Histoires parallèles et destins croisés, lorsque celui-ci décide à l’été 1981 et contre l’avis paternel de son retour aux sources et à la terre parmi 180 brebis. « Ses parents, profs d’éducation physique, s’étaient installés à Nice et Yvan avait dû les suivre l’année de ses 16 ans », raconte une connaissance. Un « arrachement » expliquera Colonna lors de son procès. Tandis que Jean-Hugues, le père, est élu député PS des Alpes-Maritimes et joue les conseillers auprès de plusieurs ministres de l’Intérieur, l’adolescent pourtant semble se chercher du côté des origines bretonnes de sa mère. Longtemps l’âme entre deux chaises, après son service militaire chez les pompiers de Paris, Colonna s’enracine pour de bon dans le village de ses grands-parents. À 22 ans, et sans doute au pire moment d’une décennie en proie au mélange des genres indépendantistes détonants.
De l’aveu même de François Santoni, l’ex-patron du FLNC assassiné en 2001, le golfe de Sagone dont Cargèse marque l’entrée abrite alors l’élite des poseurs de bombes. De résidences secondaires plastiquées en concerts du groupe I Muvrini empêchés faute d’impôt révolutionnaire acquitté, toujours face à ses juges Colonna dira ne jamais en avoir été. « Depuis vingt ou trente ans, il y a eu 3 000 attentats dans la région, et on ne m’a jamais pris. » Ou presque, les gendarmes n’ayant pas attendu une année pour découvrir une cache d’armes et d’explosifs au fond d’un puits de la propriété familiale. À Cargèse, où deux clochers se font face, trois siècles après leur exil forcé, les descendants des Grecs orthodoxes vivent désormais en bonne entente avec les catholiques du cru. Ce qui n’est toujours pas le cas de la grande famille nationaliste. Au pied du monument aux nombreux morts donnés à la France en guerre contre l’Allemagne, loin des regards une femme tente de pointer le paradoxe. « On répète souvent que nous sommes un concentré du problème corse. C’est à la fois le village le plus français, mais aussi le plus nationaliste de l’île. » Et de rappeler au passage qu’une messe avait à l’époque été donnée pour le préfet Érignac. Là où trois jeunes à scooter sont mardi venus allumer une bougie à la mémoire de son assassin. « Le crime est atroce, sauf que l’on se trompe de coupable. Et que dans tous les cas Yvan ne méritait pas d’être tué en prison. »
Au moins Colonna aura-t-il d’ailleurs un temps réussi à rassembler la maison cargésienne autour de son sort. En 2009, lors du procès en appel, 600 des 900 habitants avaient signé une pétition en sa faveur. Ici, tout le monde se connaît, le connaissait, et les connaît. Quand le frère fait dans l’huile d’olive, la sœur aînée tient une résidence hôtelière à l’entrée du village, tous deux restant d’ardents militants de la cause nationaliste. Ailleurs, le plus grand des deux fils du « berger de Cargèse » a repris le troupeau, tandis qu’à l’autre bout de la commune vieillissent ses grands-parents, ceux-là mêmes qui avaient envoyé une lettre d’excuses à la veuve Érignac. Près d’un quart de siècle après le drame, les vieux slogans appelant à la gloire d’Yvan Colonna ont refleuri avec le retour de ce sombre printemps. « Mais personne n’en parlera publiquement », prévient Dominique Poggi. Alors que les commerçants briquent leurs terrasses à l’avant-veille d’une indispensable saison touristique, l’un des adjoints au maire explique combien ses administrés sont échaudés. Peint sur tous les murs ou presque, le visage d’un autre enfant du pays le dispute en effet désormais à celui de Colonna. La semaine passée, après deux années d’enquête, les gendarmes ont arrêté trois hommes soupçonnés d’avoir assassiné le jeune berger Massimu Susini.
En septembre 2019, Massimu Susini était tué alors qu’il ouvrait sa paillote sur une plage de Cargèse. Un des deux collectifs anti mafia créés à la fin de l’été 2019 porte son nom. Son oncle Jean-Toussaint Plasenzotti, l’un des créateurs du collectif raconte ce combat citoyen face au déni en Corse… « le déni de la mafia par les élus est un message de peur »
Journal Ouest France Propos recueillis par Philippe Richard
Comment votre neveu Maxime Sunini a été tué ? Massimu a été tué alors qu’il allait au travail, le 12 septembre 2019. On tue parfois ici les gens sans difficulté particulière…Avec un fusil de grande chasse, avec lunette. C’était un fusil pour tuer les ours. Sur quatre coups, une balle l’a touchée et tuée du fait même du calibre de la balle. Habituellement, les groupes criminels se tuent entre eux. En attaquant Massimu, ils attaquent la population générale, il était militant nationaliste et environnemental.Sait-on qui sont les auteurs ? Nous n’avons aucune nouvelle de l’enquête Ici, il n’y avait pas de groupe mafieux implanté. Il n’y avait pas de tradition de banditisme local, c’était de passage et marginal. Dans la commune, ce sont surtout des petites entreprises familiales, il n’y a pas de grosses structures. Nous sommes persuadés que les auteurs appartiennent à un groupe périphérique d’un groupe mafieux plus important d’Ajaccio. Quand vous tuez, vous montez en grade. Quand vous tuez, c’est votre médaille militaire et quand vous êtes acquitté, c’est votre légion d’honneur.La cause serait de prendre ce territoire ? Oui. Les mafieux savent que peu de gens vont s’opposer à eux. En tuant, on se débarrasse d’une personne gênante et on terrorise les autres. Les groupes mafieux fonctionnent sur un territoire, ils en ont besoin pour s’implanter.
Qu’a changé la création du collectif portant son nom ? Ils ne s’attendaient pas à une réponse de cette ampleur. Celui qui décède de mort violente en Corse, au bout de trois jours, on en parle plus. C’est un perdant, donc il a tort. S’il m’arrive quelque chose demain, certains diront « Qu’est-ce qu’il est allé faire ? Tant pis pour lui, il n’avait qu’à rester dans son coin ou partir. » Pour Massimu, la réponse a été populaire, du fait de sa personnalité et des caractéristiques de sa mort. Ici, on ne tue pas de magistrats et de policiers comme en Sicile. On ne peut pas dire qu’ils sont en danger, c’est pour cela que nous attendons encore plus d’eux. Le combat contre la mafia ne peut pas seulement reposer sur des protestations des citoyens. Même si on a montré aux gens qu’il est possible de parler, ce qui crée un peu de pression sur les autorités mais aussi sur la mafia.
L’été dernier, il y avait eu une tentative d’incendie de la paillote de Massimu. Certains ont parlé de différend commercial. Vous dites que c’est la mafia… Quelques jours avant la tentative d’incendie, un panneau à l’effigie de Massimu à été criblé de balles. Sur Twitter, j’avais écrit « Est-ce un message ? » On ne tue pas au fusil à lunette pour un différend commercial, on ne vole pas deux voitures des semaines avant pour les brûler ensuite. Le modus operandi est mafieux.
Pourquoi l’emprise de groupes mafieux, selon vous, progresse-t-elle ? Quand vous avez, dans un État, un certain nombre de choses qui s’affaiblissent, il est évident que des groupes humains vont chercher à en tirer du profit. C’est un système économique qui peut s’apparenter au capitalisme dans ce qu’il a de plus brutal. Globalement, en Corse, les groupes mafieux sont identifiés, avec leurs réseaux par affinités, par les rencontres en prison, par des premiers méfaits commis en commun, et ce qui scelle le contrat entre eux, c’est l’assassinat. Les bandes mafieuses font des alliances qui augmentent leur puissance et leur nuisance. Mais pour qu’il y ait une mafia, il faut quatre éléments : les voyous, le monde politique, économique et une partie de l’appareil d’État. Il y a des porosités reconnues à tous les niveaux. Même si la profondeur du phénomène n’atteint pas encore celui de la Sicile ou de la Calabre.
Vous parlez bien d’une mafia autochtone ? Oui, ce ne sont pas des déclassés. Beaucoup ont même des parents aisés. Même s’ils peuvent recruter de la main-d’œuvre chez des déclassés ou des immigrés. Le goût du pouvoir, de l’argent facile, un sentiment de puissance, l’impression d’être des prédateurs invincibles les pousse à faire ce « métier », cette vie. Pour beaucoup, c’est un choix et ils ont un profond mépris pour les gens qui travaillent, surtout ceux qui ont peur. Je suis professeur de langue corse, à Ajaccio. Certains voyous, je les ai eus en classe au collège, l’école ne les intéressait pas. Avec une arme, de la drogue, ils ont ce qu’ils veulent.
L’arrivée au pouvoir des nationalistes a-t-elle accéléré ou freiné ce processus ? En 2015, les nationalistes sont arrivés au pouvoir avec cet immense projet, cet immense espoir d’apaiser la Corse, d’offrir des perspectives à ses enfants. La politique d’assistanat traditionnelle, claniste, était épuisée. Pourtant, cet espoir a été très largement déçu. Malgré les compétences de la Collectivité de Corse, ils n’ont rien fait de notable, si ce n’est de la gestion. Globalement, on ne peut pas dire que la vie des Corses a été transformée. L’imprégnation mafieuse, elle, s’est faite plus forte pendant cette mandature. Cela ne veut pas dire qu’ils sont responsables. Par contre, leur dénonciation, on y inclut leur opposition, de la mafia est très discrète au point où quasiment aucun élu ne prononce le nom de « mafia ». Massimu était un militant nationaliste sincère est honnête, on aurait pu penser que cela allait le protéger. Si les mafieux l’ont tué, c’est qu’ils en avaient la force et n’avaient pas peur de le faire. Le déni de la mafia par les élus est un message de peur, envoyé à la mafia et à la population.
La mafia est-elle un sujet pour ces élections territoriales ? Non. C’est surprenant car depuis l’assassinat de Massimu, le phénomène mafieux a fait l’objet d’un éclairage médiatique. Pourtant, je pense qu’une liste qui en aurait fait un sujet de campagne marquerait des points. Ces élections font aussi l’objet d’une infiltration mafieuse dans la mesure où la Collectivité de Corse détient des pouvoirs qui génèrent des dépenses très importantes (marchés publics, transports, déchets…) Comme l’élection va se jouer à peu de choses, tout est bon pour emmagasiner des voix. Mais après, on pourra passer à la caisse. Aux élus, on dit qu’ils devraient porter le discours anti mafia, ce qu’ils ne font pas. Il y a des élus qui ont peur, d’autres qui regardent ailleurs, d’autres qui sont certainement complices.
L’idée même qu’il y ait une mafia en Corse est-elle partagée ? Pour l’homme de la rue, oui. En Corse, le système mafieux est en train de se construire. Il existe des groupes mafieux qui sont en train de se coordonner, pour éviter les conflits sanglants et se partager les marchés, mais tout cela dépend des rapports de force et risque de ne durer qu’un temps. Il y a une espèce de gêne à le reconnaître, qui vient essentiellement de la peur, mais on ne peut pas nier qu’un certain nombre de personnes, pour des raisons de pouvoir ou d’intérêt économique, ne tiennent pas à ce qu’on en parle. On sait que le combat va être long. La peur est dominante aujourd’hui en Corse. La menace grandit et rien ne semble l’arrêter.
Mais l’État ne le reconnaît pas ? Non. Le député Paul-André Colombani (nationaliste) a parlé de l’assassinat de Massimu à l’Assemblée nationale. À sa suite, Jean-Felix Acquaviva (député nationaliste) a demandé de faire une étude sur le crime organisé en Corse, il a reçu une fin de non-recevoir du ministère de la Justice. Il existe bien des Juridictions spéciales (Jirs), par grosses régions, qui s’occupent du crime organisé. Mais ce n’est pas suffisant sans les outils juridiques adaptés à cette nouvelle menace.
Vous demandez la création d’un délit d’association mafieuse ? Dernièrement, une adaptation d’une loi a permis de mettre à disposition des associations les biens confisqués au crime organisé. C’est un pas, mais la confiscation des biens des mafieux n’est pas une obligation en France, alors qu’en Italie oui. En Italie, on peut vous confisquer vos biens à partir du moment où vous avez des liens avérés avec les mafieux même s’il n’y a pas de condamnation pénale. Ensuite, c’est à vous de prouver l’origine licite des biens en votre possession. Les mafieux n’ont pas peur de la prison, mais si vous leur prenez ce qu’ils ont, ils enragent. Il faut mettre les réseaux mafieux dans l’insécurité économique, c’est ce qu’ils craignent le plus. Mais le point de départ doit être la création du délit d’association (« conspiration » disent les Italiens) mafieuse qui va faire reconnaître le » pouvoir d’intimidation » de la mafia. Ce » pouvoir d’intimidation » n’a même plus besoin d’un acte de violence pour imposer l’ordre mafieux. Le béton et les déchets sont les deux mamelles légales qui nourrissent la mafia. C’est plus juteux et moins risqué que les mamelles illégales (drogue, vols à main armée). Plus généralement, les marchés publics font l’objet d’une attention toute particulière. On va vers une destruction de ce qui est notre cadre de vie, mais aussi de nos vies. C’est pourtant là que les élus devraient être les premiers défenseurs des Corses. Mais en dehors de grandes déclarations sur nos valeurs, sur leurs valeurs, ils ne semblent pas se préoccuper d’autre chose que faire de la gestion pour maintenir des équilibres. Seraient-ce aussi des équilibres mafieux ?
A suivre…