Prise au piège.

 

 »  Je découvre la réalité. Je mets des visages sur ces histoires enracinées dans le virtuel et la toile mais aussi l’espoir possible à l’issue des séances de désintoxication de la pensée…J’ai foncé dans l’écriture avec Émilie Frèche, puis dans le financement de celui-ci. Ça ne pouvait pas attendre. »

 

Marie-Castille Mention-Schaar

 

Réalisatrice de 55 ans au parcours atypique dans le monde du cinéma. Après des études de journalisme elle part travailler aux États-Unis pour des journaux d’investigations, terminera son séjour américain à Los Angeles et travaillera pour Hollywood reporter. Elle rentre en France et débute dans la production cinématographique sur différents projets comme productrice  » J’ai toujours aimé produire. J’adore agencer, mettre des talents en contact, découvrir, pousser les gens à leur maximum, être au début d’un projet, d’une idée et tout faire pour qu’elle devienne un film ».

 

 

 

 

2012 / Ma première fois

 

2012 / Bowling

 

2014 / Les Héritiers

 

2016 / Le ciel attendra

 

2018 / La Fête des mères

 

2020 / A Good Man

 

 

 

 

 

 

Trois jours après les attentats du 13 novembre dans Paris et au Bataclan le tournage doit débuter… » On était toutes et tous complètement bouleversés de faire ce film qui cherche à explorer l’intimité de deux jeunes filles qui ont, ou vont, basculer dans le fanatisme, au moment où la France était à nouveau massivement atteinte dans sa chair. Comprendre n’est en rien excuser. Mais il devenait encore plus urgent pour moi d’essayer de comprendre « .

 

 

 

Les actrices

 

 

Sandrine Bonnaire parle de son implication sur ce film.

 » Après beaucoup d’hésitations, j’ai accepté de me lancer dans le projet. Enfant, j’ai été élevée en grande partie par une famille algérienne, musulmane, qui habitait en face de chez nous. J’étais chez eux, ils étaient chez nous, on dormait les uns chez les autres, on faisait de très grandes fêtes dans cette famille très pratiquante. Ils étaient croyants, respectueux et ouverts envers les autres. Je suis restée en lien avec eux, ce sont eux qui m’ont appris tout ce que je sais de l’Islam. Il était très clair à la lecture que le film montrerait aussi cela, que la religion musulmane n’a rien à voir avec Daech. »

 

 

 

 

A l’écoute des deux jeunes actrices Noémie Merlant et Naomi Amarger… » Un manque de sens, de spiritualité, faire des études, avoir un travail et gagner de l’argent, puis mourir…Daech utilise ce questionnement, cette quête de sens que l’on a encore plus à l’adolescence. Si nous avions 16 ans aujourd’hui cela pourrait nous arriver. Ce film peut aider à être mieux armé pour avoir un peu moins peur ».

 

 

 

 

La lecture de l’article présenté ci-dessous exprime une analyse différente à celle de la réalisatrice et face à un sujet aussi sensible, il est intéressant de prendre connaissance des avis contraires pour permettre à chacun(e) de se faire ses propres convictions.

 

 

 

 

Outil pédagogique contre le djihad ou instrument de diversion ?

 

Par Alexandre Devecchio*

*Journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Chaque semaine, il y observe le mouvement des idées.

Passionné par le cinéma, la politique et les questions liées aux banlieues et à l’intégration.

 

 

 

 

 

 

 

« Un film de salubrité publique » selon Najat Vallaud-Belkacem. La ministre de l’Éducation nationale voit dans Le Ciel attendra, qui sort en salle ce mercredi, un «outil pédagogique» face à l’enrôlement djihadiste. Elle a invité tous les professeurs à découvrir le long-métrage de Marie-Castille Mention-Schaar dans leurs académies respectives. Les critiques sont à l’unisson louant un drame réaliste et pédagogique. La réalisatrice évoque sa volonté de comprendre et de faire comprendre. Le film retrace les destins de deux aspirantes djihadistes, Mélanie, 16 ans, et Sonia, 17 ans. La première finit par s’envoler pour le Califat tandis que la seconde, arrêtée par la police juste avant son départ, est sauvée par un programme de «déradicalisation». Comme pour son précédent film, Les Héritiers, qui relatait l’histoire d’une classe de banlieue participant à un concours sur la Shoah, Marie-Castille Mention-Schaar s’inspire de faits réels. Loin de nous l’idée de nous prêter à une critique artistique mais puisque notre ministre nous propose ce film comme un outil pédagogique, étudions-le.

 

 

 

 

 

 

 

L’horreur est tenue à distance et fait apparaître les jeunes filles comme des victimes.

 

 

La radicalisation est un phénomène complexe à déchiffrer. Ici, on évite les questions qui fâchent. Dans la très grande majorité des cas, les djihadistes sont de jeunes hommes. Surprise, Le film évoque le sujet uniquement sous l’angle féminin. Plus réducteur encore, toutes les jeunes filles embrigadées sans exception sont des converties. Les rares personnages de culture arabo-musulmane sont, eux, tous prémunis du fanatisme. Le père de Sonia, incarné par l’excellent Zinedine Soualem, est d’origine maghrébine, mais farouchement athée. La copine voilée de Mélanie est musulmane pratiquante mais prône un islam éclairé fondé sur la spiritualité et la tolérance. « Pour Allah, La manière dont tu fais la prière compte moins que ce que tu as dans ton cœur », tente-t-elle de persuader Mélanie. Cette dernière habite dans une cité de Créteil. Pourtant, le communautarisme et la violence inhérents aux territoires perdus de la République, qui fournissent les principaux bataillons du djihad français, ne sont jamais montrés. Mélanie ne rencontre pas de prédicateur, ne fréquente pas la mosquée. Son environnement immédiat ne joue aucun rôle. Elle est endoctrinée par un recruteur uniquement via le web. Outre le net, l’autre grand coupable n’est autre que la France, cette mère indigne qui ne s’occupe pas de sa progéniture. « Que fait l’Etat pour nos enfants ? » s’indigne le père de Mélanie devant un fonctionnaire indifférent dans une inévitable scène de repentance. La barbarie de Daech, elle, n’est jamais évoquée, même au détour d’une vidéo de propagande. Pas de corps décapité ou d’image macabre. L’horreur est soigneusement tenue à distance pour mieux faire apparaître les jeunes filles entièrement comme des victimes. Pourtant, les différents études et enquêtes menées sur les femmes et le djihad, montrent, contrairement à une idée reçue, que les «califettes» ne sont pas manipulées et ont un profil assez proche de celui des hommes. On se souvient de la photo en mode Burka Avenger d’Hayat Boumeddiene, l’épouse d’Amedy Coulibaly, s’entraînant au tir à l’arbalète.

 

 

La réalisatrice épouse sans recul la vision bisounours de l’islam véhiculée par Dounia Bouzar. Ce visage médiatique qui a dirigé le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CDSPI), est effet le pivot de ce film. Elle a collaboré à l’écriture du scénario et interprète son propre rôle. Devant la caméra, mi-assistante sociale, mi-gourou, elle sauve Sonia à coup de calinothérapie, de psychologie de bazar et de grandes tirades sur « le vrai islam, religion de paix et d’amour ». Il faut se souvenir que Bouzar, omniprésente à la télévision et à la radio et maintentant actrice de cinéma, résume le djihadisme à un phénomène sectaire ordinaire dont l’islam ne serait qu’un prétexte. Elle nie tout lien entre salafisme et djihadisme évacuant ainsi toute la dimension culturelle de l’islamisme. L’«experte» va jusqu’à avancer des chiffres farfelus se basant sur la poignée de personnes qu’elle aurait «déradicalisées». Selon elle, 99% des jeunes tentés par le djihad se sont radicalisés sur Internet et 80% des «jeunes radicalisés» sont des convertis. Peu importe si les auteurs des attentats, qui ont ensanglanté la France ces deux dernières années, étaient dans leur très grande majorité issus de l’immigration. Le diagnostic et la méthode de celle qui militait contre l’interdiction du voile et pour l’enseignement de l’arabe à l’école et enfin prônait la création d’un jour férié musulman au nom de la laïcité, sont cependant contestés. Il y a quelques mois Bouzar a annoncé qu’elle renonçait à poursuivre sa mission de directrice du CDSPI. Officiellement, elle souhaitait « Protester contre la déchéance de nationalité ». Certains observateurs pointent sa gestion opaque et son absence de résultat…« Il n’y a rien, pas de chiffres, pas de noms. Quand Mme Bouzar annonce qu’elle a permis d’éviter 400 départs, quels moyens a-t-on de vérifier ce qu’elle avance ? Avec les 600 00 euros de budget alloués à sa structure, il serait logique que l’on puisse le faire », s’interroge Nathalie Goulet, la sénatrice centriste et présidente de la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes dans Marianne.

 

 

Une jeune fille, qui aurait pu inspirer le personnage de Sonia, a notamment été arrêtée juste avant de partir en Syrie alors qu’elle suivait un programme de déradicalisation après une première tentative d’attentat contre une synagogue. Pour David Thompson, auteur d’un livre remarquable recueillant le témoignage de djihadistes français, ce cas est « symptomatique » de l’échec de Dounia Bouzar. « Je connais personnellement plusieurs autres exemples similaires de personnes revenues de Syrie sur lesquelles ce programme n’a eu aucune prise non plus. En revanche, je ne connais aucun cas sur lequel cela aurait fonctionné. Il est éventuellement possible que ce programme ait eu un impact sur de jeunes filles sur le point de partir, qui n’étaient pas encore complètement plongées dans cette idéologie, des jeunes filles qui avaient pu tomber amoureuses de combattants sur Internet sans convictions religieuses très ancrées. En revanche, sur les individus très idéologisés, ces programmes n’ont pas de prise », explique-t-il. Et de poursuivre en décrivant un processus de radicalisation tout autre que celui qui nous est présenté dans le film. À lire Thomson, la faiblesse de notre approche est d’avoir assimilé cette dérive à un phénomène sectaire. « Or, le djihadisme n’est pas une maladie. Voir ce phénomène uniquement sous l’angle de la pathologie mentale revient à nier totalement l’engagement politique, religieux et individualiste de ces jeunes qui partent. Les gens ne comprennent pas que le combat des djihadistes est un combat contre le modèle de société français et contre la démocratie. Pour eux, la démocratie est par nature à combattre, puisqu’elle est source d’idolâtrie car elle dicte une autre loi que celle de Dieu. Toujours selon eux, la souveraineté populaire est contre la religion. La force de tout groupe djihadiste, et en particulier l’État Islamique, est d’aller justifier chacun de ses actes avec des textes et des références de tradition musulmane. Ces textes existent, et pour un jeune rien ne sera jamais plus fort qu’une référence religieuse. Vous pouvez avoir tous les discours de déradicalisation que vous voulez, vous n’aurez jamais de prise sur un jeune qui considère ce texte comme LA vérité absolue. Pour schématiser, l’approche de Dounia Bouzar consiste à traiter ces gens comme des alcooliques anonymes. Mais ils ne sont pas dans une pathologie, ce sont juste des gens qui ont des convictions ».

 

 

Derrière le phénomène djihadiste, il y a une réalité dérangeante que  le film n’explore pas: celle de la désaffiliation et de la désintégration culturelle d’une partie de la jeunesse des banlieues. Georges Bensoussan, qui a dirigé l’ouvrage Les Territoire perdu de la République en 2002, est l’un des intellectuels qui décrit avec le plus de courage et de lucidité ce malaise. « Une partie de la population française, née en France, souvent de parents eux-mêmes nés en France, a le sentiment de ne pas appartenir à celle-ci. Alors qu’ils sont français depuis deux générations pour beaucoup, certains adolescents dans les collèges et lycées, comme aussi certains adultes, n’hésitent plus à affirmer que la France n’est pas leur pays. Mon pays c’est l’Algérie…» (ou la Tunisie, etc.…). Dans la longue histoire de l’immigration en France, cet échec à la 3ième génération est un fait historique inédit. Certains historiens de l’immigration font remarquer, à juste titre, qu’il y eut toujours des problèmes d’intégration, même avec l’immigration européenne. Mais pour la première fois dans l’Histoire nous assistons à un phénomène de désintégration, voire de désassimilation, explique ce spécialiste d’histoire culturelle de l’Europe des XIX et XX siècles. Toute une partie de la jeunesse de notre pays se reconnaît de moins en moins dans notre culture. Elle lui devient un code culturel étranger, une langue morte et pas seulement pour des raisons sociales.» Si les jeunes convertis idéalistes partis en Syrie pour défendre une noble cause existent, ils sont loin d’être majoritaires. Le visage du jeune djihadiste est plus souvent celui d’un jeune déraciné, déculturé, désintégré à qui l’on propose le djihad comme moyen spectaculaire de rédemption. Élevé dans la culture du ressentiment, nourri au lait de l’antiracisme et de la victimisation, ce dernier règle ses comptes avec une France qu’il déteste. La guerre sainte est le nom de sa sécession. La Oumma, une patrie fantasmée. L’illusion d’une communion. En devenant un « soldat » de l’islam radical, il trouve enfin sa cohérence. Refuser de faire ce diagnostic, c’est s’interdire de régler en profondeur le phénomène djihadiste et mentir aux Français sur la réalité des fractures du pays. Dès lors on peut se demander si « cet outil pédagogique » promu par Najat Vallaud- Belkacem n’est pas en réalité un nouvel instrument de diversion.