L’homme est le pire danger pour tout ce qui peuple la planète. Quand il disparaîtra, les autres vivants pourront se réjouir de l’élimination du plus inquiétant des prédateurs. René Dumont
René Dumont 13/ 03/1904 Cambrai (Nord) / 18 juin 2001 Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne)
Agronome et homme politique français. Connu pour son combat pour le développement rural des pays pauvres et son engagement écologiste. Premier candidat à s’être présenté sous l’étiquette écologiste à une élection présidentielle française, en 1974. Auteur prolifique avec près de 70 ouvrages, dont L’Afrique noire est mal partie en 1962 et L’Utopie ou la mort ! en 1973.
Il y a 50 ans il dénonçait la dérive mondiale de la société de consommation et annonçait déjà la situation actuelle et catastrophique de la terre à ce jour…
Le « déni » continue…Don’t look up…
La position ambiguë de notre classe ouvrière d’Europe Occidentale l’empêche de se lancer à fond contre les injustices au plan mondial, car elle en profite aussi…Si nous ne parvenons pas à réduire les émissions de gaz carbonique, la dégradation des climats risque d’atteindre le point de non-retour à partir duquel on ne serait plus sûr de rétablir un ordre climatique viable…Une croissance exponentielle de la population et de l’industrie ne peut se prolonger indéfiniment dans un monde fini. Il nous rechercher les bases d’une civilisation qui tienne compte des contraintes écologiques.
René Dumont – 1904-2001 – L’utopie ou la mort, 1973
1974…René Dumont…Irruption de l’écologie politique
par Mathieu Dejean 10 Mai 2024 Mediapart
Il y a 50 ans, l’écologie a bénéficié pour la première fois d’une audience nationale à travers la candidature de René Dumont. Le journaliste Arthur Nazaret retrace cet événement dans un livre qui insiste sur son caractère visionnaire « Le Prophète qui avait raison ». Le journaliste politique Arthur Nazaret retrace son irruption imprévue dans le débat public, qui a donné naissance à l’écologie politique. À l’époque, celle-ci est encore protéiforme et ultra minoritaire dans les esprits…Les écologistes n’ont ni parti, ni argent, ni programme, ni professionnel de la politique.
Le 2 mai 1974, dans la dernière ligne droite d’une campagne présidentielle très courte car un mois, après le décès de Georges Pompidou, le candidat écologiste René Dumont apparaît dans un reportage de « Nord Actualités ». À Lille (Nord), après une manifestation à vélo contre la pollution de la Deûle, l’ingénieur agronome critique l’extension d’une route qui menace un bois…Je demande aux Français de se dresser physiquement devant tous les chantiers d’autoroutes et d’empêcher les bulldozers de passer…lance-t-il. Cette consigne novatrice qui suggère une façon de militer que les Soulèvements de la terre, opposés à l’A69, ne renieraient pas aujourd’hui témoigne du caractère précurseur du septuagénaire.
L’écologie existe à travers des journaux culturels contestataires comme La Gueule ouverte, Actuel ou Le Sauvage, émanation du Nouvel Observateur…Ou bien des intellectuel·comme Théodore Monod qui avait refusé d’être candidat en 1974, Françoise d’Eaubonne ou Serge Moscovici ou bien encore quelques associations comme Les Amis de la Terre ou la puissante Fédération française des sociétés de protection de la nature (FFSPN). L’écologie se tient alors largement à distance de la politique, à l’instar de la FFSPN qui se veut non partisane et refuse de soutenir Dumont. « On fait face à un mouvement naturaliste qui doit être dynamité », relate Claude-Marie Vadrot, journaliste et pilier de la campagne Dumont, interrogé par l’auteur.
Une prise de conscience accélérée…
Les années 1970, encore en pleines Trente Glorieuses, est aux antipodes de la décroissance. Alors que le dernier tronçon du périphérique parisien venait d’être achevé, Georges Pompidou exaltait jusqu’à sa mort à 62 ans « l’esthétisme » des villes redessinées par les automobiles. La France, du Parti communiste français (PCF) aux gaullistes, était fière de l’immense zone industrielle et portuaire de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), une catastrophe écologique. Et François Mitterrand, qui espérait que son heure avait sonné, avait établi son QG dans la tour Montparnasse, inaugurée en 1973, symbole de la surconsommation et du gigantisme des villes modernes. Mais 1974 est aussi une année charnière du point de vue de l’émergence d’une conscience écologique.
Des pionniers comme le penseur Bernard Charbonneau ont posé des jalons dans des livres comme L’Hommauto (1967), la télévision diffuse depuis 1971 « La France défigurée », une émission qui sensibilise sur les combats des associations environnementales, et le Club de Rome vient de remettre un rapport qui fera date, dénonçant trois dangers…La pollution, l’épuisement des ressources naturelles et la surpopulation. C’est la lecture de ce rapport qui a conduit René Dumont, militant pacifiste et anticolonialiste, signataire du Manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, à se convertir à l’écologie, lui qui adhérait dans sa jeunesse au productivisme. Il acte celle-ci dans un livre paru en 1973, L’Utopie ou la mort.
Un certain nombre de gens dans la direction [du PCF] rigolaient, même si beaucoup d’autres sentaient que quelque chose nous avait échappé…Pierre Juquin (PCF) à propos de René Dumont
C’est pour cette raison qu’en 1974, alors que le professeur à l’Institut national agronomique revient d’un voyage d’étude en Algérie, une petite troupe de jeunes journalistes engagés lui demande de se présenter à la présidentielle ce qu’il accepte. Le personnage a certes quelques zones d’ombre que documente Arthur Nazaret. Son pacifisme viscéral l’a conduit a une forme de cécité à l’égard du régime de Vichy…Entre 1943 et 1944, il publie plusieurs articles techniques dans La Terre française, un hebdomadaire lié au pouvoir pétainiste, contrôlé par les Allemands. Dans son autobiographie Agronome de la faim publiée après la campagne, en 1974, il ne fait qu’un modeste acte de contrition…J’ai probablement eu tort de me réfugier dans une attitude d’attentisme, de spectateur d’une bataille où notre sort était pourtant en suspens. Au moment où il se jette dans l’arène politique, personne ne lui en demande plus. Pour la première fois, l’écologie a donc son candidat et, malgré son impréparation et une forte adversité on ne le prend pas au sérieux, et le vote utile en faveur de François Mitterrand joue à plein à gauche, celui-ci réussit l’exploit d’unifier momentanément un camp et de politiser résolument à gauche l’écologie.
Un ancrage anticapitaliste…S’il est peu question dans le livre d’Arthur Nazaret du résultat de cette campagne un maigre 1,32 % des suffrages exprimés mais devant Jean-Marie Le Pen, c’est parce que ce chiffre n’est pas représentatif du surgissement réussi, à grande échelle, de thématiques qui s’inscrivent durablement dans le débat public. Conseillé par Brice Lalonde (28 ans à l’époque, engagé dans Mai-68 et aux Amis de la Terre il a plus tard été ministre et maire avec l’étiquette du petit parti Génération écologie) Dumont met à profit les soixante-cinq minutes de télévision et de radio dont il bénéficie en tant que candidat pour politiser des situations concrètes et faire la démonstration qu’on ne peut plus dénoncer la destruction de la nature sans remettre en cause le système capitaliste. Il se déplace ainsi à Fos-sur-Mer pour dénoncer la pollution industrielle, un impensé de l’époque…Sur le chantier des Canonnettes, dans les Alpilles, où l’exploitation de la bauxite détruit le paysage à Fessenheim (Haut-Rhin) pour prendre parti contre le nucléaire, sur le plateau du Larzac (Aveyron), foyer de la lutte des paysans antimilitaristes, ou encore s’empare du premier procès sur l’environnement qui fait rage, celui des « boues rouges » en Corse (dont l’avocat, Christian Huglo, était dans son équipe de campagne). Si l’histoire a surtout retenu de lui son pull rouge et la fameuse scène où il alerte sur le manque d’eau qui guette l’humanité à la télévision, souvent mythifiée, l’héritage de Dumont est donc plus que symbolique. Bien qu’il ait échoué, après la présidentielle remportée par Valéry Giscard d’Estaing, à unifier l’écologie dans un parti…Il faudra attendre dix ans de plus pour ça, avec la création des Verts en 1984, il conduit la gauche à se situer pour la première fois par rapport à elle. Si les mots élogieux de François Mitterrand sur l’écologie dans l’entre-deux-tours étaient purement intéressés…Cette jeune science est l’espérance des temps nouveaux. M. René Dumont a eu le mot juste, l’écologie est incompatible avec le système capitaliste.
Le Prophète qui avait raison. La présidentielle de René Dumont, d’Arthur Nazaret, Seuil/Reporterre, 240 p., 13,50 euros