Le Petit Prince de Mark Osborne reste fidèle à l’esprit de Saint-Exupéry en imaginant un récit audacieux et une forme d’animation inédite mêlant le numérique et le stop motion. Il lui aura fallu dix ans pour concevoir son film à la fois moderne et fidèle aux valeurs universelles de l’œuvre française de fiction la plus lue dans le monde. Après avoir mêlé dans « Kung Fu Panda », les deux symboles chinois les plus sacrés (le kung-fu et le panda), pour signer l’un des plus grand succès de l’histoire de l’animation, le réalisateur Mark Osborne a été frappé par une autre idée géniale avec celle de l’histoire dans l’histoire. Concrètement, il a imaginé l’histoire d’une petite fille qui emménage dans une nouvelle maison, où elle est censée se consacrer à des vacances studieuses. Mais pendant que sa mère travaille, elle fait connaissance avec son voisin, un vieil aviateur avec lequel elle va découvrir un monde merveilleux, coloré et vivant où elle profite enfin de son enfance. L’aviateur a autrefois croisé un mystérieux Petit Prince, il lui en reste des dessins à travers lesquels la petite fille plonge dans l’univers de Saint-Exupéry pour découvrir Le Petit Prince bien sûr, mais aussi avec le Renard, la Rose, le Businessman, le Vaniteux et le Serpent grâce auxquels elle comprendra qu’ « on ne voit bien qu’avec le cœur » et aussi que « L’essentiel est invisible pour les yeux ». Autant dire que ces 16 minutes de stop motion à partir de sculptures en papier, peintes à la main et animées avec amour 24 fois par secondes, sont émotionnellement vibrantes, esthétiquement uniques et d’une formidable poésie, évocatrice de l’univers de Miyazaki. La justesse de la version française n’a rien à envier à la version américaine, portée par la sensibilité d’acteurs comme Marion Cotillard, André Dussolier, Vincent Lindon, Vincent Cassel, Guillaume Gallienne et Florence Foresti.
Avec une belle ambition, cette « volumisation du livre » en 3D garde la saveur fragile d’une madeleine de Proust. La transition avec l’infographie se fait de manière fluide et permet de se projeter dans un monde réel proche des productions Pixar. Autre surprise lorsque le récit s’élargit encore quand la Petite Fille part en quête du Petit Prince sur La Planète des Adultes. Elle y retrouve les personnages du livre, mais sous une forme contemporaine et enrichie qui permet de pousser plus loin l’intrigue pour en faire une aventure pleine de péripéties. En osant s’aventurer en terre inconnue, Mark Osborne a résolu à sa manière l’énigme du « Petit Prince ».
Un petit bol de Calder par Vincent Avenel
On pourrait, sans nul doute, remplir des pages et tenir des heures autour du débat au sujet de l’adaptation au cinéma, et ce, d’autant plus que l’univers geek forme aujourd’hui la part du lion des productions à gros budget. Ainsi, on peut passer de folles soirées aux empoignades brutales autour de la question des libertés prises par Peter Jackson par rapport à la lettre du Seigneur des anneaux, ou de celles prises par Sam Raimi par rapport au canon de l’univers de Spider-Man, voire l’exemplaire adaptation des Trois Brigands, ou celle, largement moins convaincante, de L’Écume des jours. Et puis il y a la question des mythes culturels, de ceux qui transcendent même la notion de classiques. Ainsi, on n’adapte pas impunément un livre comme Le Petit Prince. Cela, d’autant plus que le texte de Saint-Exupéry n’est ni particulièrement long, ni particulièrement adapté à une narration cinématographique. Et c’est là qu’il faut saluer la première qualité de l’adaptation de Mark Osborne celle de faire du sujet du Petit Prince la narration du conte lui-même. Bob Persichetti et Irena Brignull signent un scénario qui fait évoluer en même temps l’été studieux d’une petite fille pressée par sa mère de devenir « une adulte formidable », et son amitié avec un vieux bonhomme un peu dingue, qui ne rêve que de partager l’histoire de sa rencontre dans le désert avec un étrange petit garçon amoureux d’une rose perdue. Mark Osborne choisit celui de la satire sociale douce, façon Pixar, pour raconter Le Petit Prince et assez légitimement, il lie la fantasmagorie de Saint-Exupéry à une satire sardonique d’un monde dévoré par l’ambition qui n’est qu’à un pas du nôtre. Ce monde grisâtre, compartimenté s’oppose à la douce folie du vieux bonhomme, sorte d’artiste brut dans le jardin duquel on aperçoit des créations à la technologie poétique, brinquebalants assemblages entre Calder et Gaston Lagaffe. Cette opposition, très pertinente, dynamise le récit, fait des épisodes du Petit Prince des pauses rêveuses, réalisées dans une stop-motion particulièrement délicate et touchante tout cela, pour à peine quelques instants, ce qui ne manque pas de les rendre d’autant plus précieuses.
Nanti de ces deux piliers, le film avance avec efficacité, sachant distiller les moments drôles, intimistes, touchants, redonnant une nouvelle vie aux écrits de Saint-Exupéry…Jusqu’au moment où il faut traverser le miroir. Alors que la séquence du passage elle-même est un exemple formidable de dynamisme créatif mâtiné d’une poésie caldérienne, la création ex nihilo d’une suite intégralement inédite s’emmêle les pinceaux. Cherchant dans un univers à la Brazil son inspiration, ce Petit Prince, chapitre 2 oscille entre coups de génie graphiques et narratifs et mièvrerie gênante une mièvrerie que la première partie parvenait avec talent à éviter. Peut-être cela tient-il aussi à l’absence de la voix si chaleureuse d’André Dussollier raconteur d’histoires émérite, comme on a pu l’entendre dans La Légende de Despereaux, qui se fait rare dans cette partie. Sans doute cela montre-t-il également que toutes les adaptations ne valent pas Les Trois Brigands. Malgré tout, une grande partie du film demeure tout à fait digne de son matériau d’origine, pour un hymne à l’innocence plus complexe qu’un sempiternel « retrouver son regard d’enfant ». On y parle avec justesse de la solitude, de l’amour, de la mort de ce qu’il faut de courage pour grandir sans oublier. Saint-Exupéry approuverait.
ANALYSE…Plus critique et documentée…
Conscient de la difficulté d’adapter cette œuvre au cinéma, Mark Osborne a choisi un parti-pris audacieux de centrer le récit non pas sur le livre original, mais sur la relation entre son auteur, un vieil aviateur, et son lecteur, une petite fille. Le Petit Prince est un film à l’approche originale, qui nous plonge dès le départ dans un univers assez déroutant compte tenu du thème. Oscillant entre récit contemporain traité en animation numérique, et adaptation poétique du roman à travers les plans stop motion, le film dépeint surtout une amitié improbable entre une fillette ayant perdu son âme d’enfant, et un vieil homme qui aurait oublié de grandir. L’alchimie entre les deux personnages est intéressante et nous offre de beaux moments d’émotion, même si on regrettera que leurs backgrounds n’aient pas été creusés avec plus de profondeur. Les scènes d’adaptation du livre émerveillent par leur simplicité et la beauté de leur réalisation. Cela ne suffit néanmoins pas à nous faire oublier les coupes, trop nombreuses, effectuées dans le texte original. À trop vouloir réduire l’œuvre à l’essentiel, Osborne nous livre une version de l’histoire vidée de sa dimension métaphorique, et édulcorée par un final poussif et caricatural. Caricatural » est en effet l’adjectif qui convient le mieux pour caractériser certains des choix esthétiques et narratifs de l’auteur. Loin de la profondeur du récit de Saint Exupéry, l’univers ici brossé ne laisse que peu de place à la réflexion personnelle et à l’introspection. En cela, Osborne passe à côté de son objectif, même si l’ensemble reste malgré tout une belle réalisation qui se laisse gentiment regarder, à défaut d’être un chef d’œuvre.
Esthétisme…Après quelques plans directement inspirés des premières pages du livre (les célèbres dessins d’éléphant dans un boa), nous voilà parachutés dans un monde à l’esthétique froide, cubique, formatée au millimètre près au point de nous rappeler un processeur vu au microscope ! Cette froideur anguleuse sera un fil conducteur majeur, qui tranchera d’autant plus avec les plans du livre. Tout ce qui à touche l’âge adulte et au monde du travail sera systématiquement l’objet d’un traitement graphique rectangulaire, là où les bribes d’enfance du livre et de l’aviateur seront tout en courbes et en rondeurs. Bien que le procédé soit intéressant et ait déjà été utilisé à de nombreuses reprises avec brio dans d’autres productions, on peut regretter qu’il soit ici surexploité. Car là où d’autres films, comme dans Moi, Moche et Méchant, jouaient sur cette technique pour la transformer en procédé comique avec la grande maison noire et pointue de Gru, si improbable au milieu d’une banlieue proprette, Osborne en abuse au point d’arriver au stade de la caricature. Dans la même logique. Tout est dépeint soit en dégradé de noir et de blanc, soit en couleur avec aucun compromis entre les deux n’existe à l’écran. Le procédé est connu et efficace, on se souviendra notamment de son utilisation dans Les Indestructibles de Pixar. Dommage qu’Osborne n’ait pas justement pris un contrepied, par exemple en nous offrant l’image d’une maison froide et stérile qui se colorerait petit à petit, au fur et à mesure que notre héroïne se lit d’amitié avec l’aviateur. L’auteur a tenté deux variations en introduisant l’idée de peinture phosphorescente dont la petite fille décore ses murs et le renard en peluche, qui restera finalement la seule touche colorée dans cette maison glaciale, tel un trait d’union entre nos deux protagonistes et entre l’enfance et l’âge adulte. Mais cela reste malgré tout un peu timide comme transformation.
LES PERSONNAGES
L’héroïne…Est brossée assez rapidement en fillette modèle, elle aussi formatée à l’image des décors par une working mom divorcée à laquelle elle ressemble en tous points, et qui n’imagine le futur de son enfant qu’en termes de réussites scolaire, sociale et financière. Elle ira d’ailleurs jusqu’à établir le planning complet de la vie de sa fille (!!!) afin de s’assurer que cette dernière aura l’existence « parfaite » qu’elle a prévue pour elle: organisée à la minute près, chronométrée, pesée, sans le moindre temps mort possible. Chose assez choquante, surtout pour un film d’animation, cette petite fille n’aura jamais de nom. Il en va de même de sa mère et de l’aviateur. Volonté de créer une fable universelle ? Ou de dénoncer la vision impersonnelle que le monde du travail se fait de ses salariés ?
Sans réponse à ces questions…La vie de l’enfant n’est pas développée car seules deux scènes feront référence au divorce de ses parents. Impossible de savoir de quelle ville elle a déménagé, si elle a laissé des amis dans le processus, quels sont ses centres d’intérêt…Là encore, on peut y voir un choix délibéré dénonçant l’uniformisation de la société. Mais à titre personnel, j’ai trouvé qu’au contraire, cette absence de détails était un obstacle dans le processus d’identification à cette petite demoiselle.
La mère…Sert plus de caricature de la working mom moderne que de véritable personnage. Contrairement à d’autres parents dirigistes du cinéma d’animation comme Le père adoptif de la Princesse Kaguya, Elinor dans Rebelle, Manny dans l’Âge de Glace 3…On ne la verra presque pas se remettre en question ou tenter d’établir un dialogue avec sa fille. Elle semble avoir plutôt un rôle de catalyseur involontaire de la relation entre la fillette et l’aviateur, car plus elle serre la vis de l’enfant et plus celle-ci cherche à s’évader à travers son histoire d’amitié.
L’aviateur…
Avec sa voix suave et sa bonhomie, apparaît déjà comme un personnage plus profond. Avec ses grands yeux expressifs, ses vêtements colorés et dépareillés, sa demeure aux allures de maisonnette de conte de fées et son bric-à-brac constitué au fil de nombreux voyages, il est aux antipodes de sa jeune amie. Ce n’est donc pas étonnant qu’il soit chargé de ramener à la fillette cette enfance qu’elle est en train de perdre prématurément. Il se dresse en gardien de l’imaginaire et de la légèreté, dans un monde dépeint comme ayant perdu ces notions. On remarquera au passage qu’à l’exception de la demoiselle, tout le monde semble le prendre pour un imbécile au mieux, comme un vieillard sénile et dangereux au pire. Faut-il y voir une critique du sort que notre société réserve à ses anciens ?
Mais l’aviateur est aussi et surtout présenté comme l’auteur du Petit Prince, qui n’aurait jamais fait publier son ouvrage. Ayant jugé le monde « trop adulte » pour apprécier son récit, il décide alors de l’offrir page par page à sa nouvelle voisine, qui va petit à petit se prendre au jeu et tisser une relation d’affection avec lui. Cette perspective offre au personnage un background riche et source d’émotions, même si on peut regretter que cela soit à prendre au 1er degré et non sur le plan métaphorique. Parlons justement de l’ouvrage, puisque c’est ici que se situe la difficulté majeure du film, celle d’adapter une œuvre non seulement intemporelle et fortement ancrée dans l’imaginaire collectif, mais qui présente aussi la particularité d’être très courte. C’est parce qu’il avait conscience de ces obstacles qu’Osborne a préféré construire un récit en parallèle du Petit Prince plutôt qu’autour. Concernant l’esthétique de cette adaptation, le premier mot qui vient à l’esprit est…Magnifique ! Difficile, en effet, d’imaginer comment mieux rendre à l’écran la poésie d’un livre qu’en animant des figurines de papier qui plus est en utilisant la technique du stop motion, qui donne un rendu du mouvement tout à fait particulier et inimitable. Le cadrage, la lumière, l’apparence des personnages de papier, les modifications de coloration apportées par ordinateur…Tout a été méticuleusement pensé afin de rendre au mieux la poésie et la féérie de la fable de Saint Exupéry.
Malheureusement, en tant qu’amoureuse du récit original, je déplore la superficialité avec laquelle certains épisodes du roman ont été traités. Le chapitre du Renard, symbole de la vacuité des relations humaines, de l’importance de la confiance ou de la profondeur de l’amitié, est ainsi résumé en quelques scènes rapides. Les dialogues, lourdement tronqués, sont bien loin de refléter la grande profondeur des textes originaux. Maigre consolation avec la phrase-phare du livre « L’essentiel est invisible pour les yeux » est bel et bien citée. Mais quel impact peut-elle encore avoir une fois coupée de tout le contexte qui pousse le Renard à la prononcer ? Quel sens peut-elle encore avoir pour les jeunes spectateurs de l’assistance n’ayant pas encore lu le livre d’origine ? Quel dommage de faire ainsi l’impasse sur l’un des chapitres les plus importants et les plus lourds de sens que compte cette œuvre ! Et que dire du sort réservé à la fin du récit…Car en effet, cette dure réalité du Petit Prince rejoignant le serpent pour son ultime voyage est le point de départ d’une bascule improbable avec un retournement de situation par lequel le film, jusque-là ouvert à tous les publics, va soudainement se transformer en « dessin animé pour les petits » édulcoré et prévisible.
Après une discussion houleuse sur la disparition du Petit Prince et une rupture douloureuse de l’amitié entre les deux protagonistes, le vieil homme est emmené par une ambulance, visiblement dans un état critique. Très émue par la souffrance de son ami, notre petite héroïne va donc se mettre en quête du Petit Prince, afin de pouvoir assurer à l’aviateur qu’il a bien survécu. C’est ici que le récit va se métamorphoser pour atteindre le paroxysme du non-sens. Nous comprenons alors que les souvenirs de voyage de l’aviateur étaient à prendre au 1er degré, contrairement au roman d’origine qui se place sur le plan métaphorique. Le renard en peluche, jusqu’à présent trait d’union symbolique et poétique entre nos deux héros, prend soudainement vie comme par enchantement. La jeune demoiselle, par un incroyable miracle, se voit capable de piloter un avion qu’elle mènera bien évidemment à bon port. La ville où elle atterrit, encore une caricature peinte de rectangles noirs et gris, n’est peuplée que d’adultes obsédés par ce qu’ils jugent « essentiel » comme l’argent, le pouvoir, le travail. Cette caricature de l’âge adulte est renforcée par la présence des gouverneurs d’astéroïdes, le collectionneur d’étoiles, le vaniteux…Enfin, on retrouve un Petit Prince devenu un adolescent désenchanté, mais qui recouvrera sa mémoire d’enfant et retournera sur son astéroïde auprès de sa rose bien aimée désormais fanée. Inutile de donner plus de détails sur cette partie du film, tant elle est vide de sens. Elle donne même l’impression d’avoir été ajoutée à la hâte, sans aucune raison logique si ce n’est le fait de gommer la réalité du texte original avec la disparition du Petit Prince, vraisemblablement mort.
Ceci n’est pas une nouveauté car les décès d’enfants constituent un tabou absolu du cinéma d’animation américain. On se souvient par exemple du premier film de la franchise Pokémon, Mewtwo contre-attaque, qui a subi une censure très importante de son contenu sous prétexte que la première demi-heure du film faisait allusion à la mort de plusieurs enfants. Les organismes américains avaient tout bonnement supprimé toute l’introduction du film, le rendant par là même totalement dénué de profondeur pour les spectateurs occidentaux. Autant dire que clore l’histoire du Petit Prince sur sa mort, qui plus est par suicide, devait être absolument impensable pour un auteur américain espérant vendre son film aux Etats Unis ! Le long métrage devait impérativement terminer par un happy end à l’anglo-saxonne, ce qui sera le cas avec le Petit Prince de retour sur sa planète, le vieil aviateur certes hospitalisé mais déjà en état de refaire des blagues, la petite fille acceptée dans son école réservée aux élites, et nouant de meilleures relations avec sa mère…Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !
Loin de moi l’idée de sous-entendre que tout « bon » film d’animation devrait se complaire dans la dépression ou se contenter de rester au plus près de la réalité. Cependant le fait de réduire un conte métaphorique au rang de récit à prendre au premier degré est extrêmement dommageable. Certes, Osborne délivre un message philosophique à travers son film sur…Il ne faut pas oublier son âme d’enfant. Mais en transformant les écrits de l’aviateur en authentiques souvenirs de voyage, il gomme aussi toute la profondeur du chef d’œuvre original et sa réflexion sur la vacuité de l’existence humaine, sur la vanité, la dépersonnalisation des citoyens, la construction de l’amitié…En lieu et place de la riche complexité du roman, il nous livre un seul et unique message simple, pré-mâché, encore et toujours présenté au public à grands coups de caricatures visuelles. En cela, malheureusement, il échoue dans son pari d’adapter Le Petit Prince. Car si l’adaptation est esthétiquement parfaite, si l’essentiel du récit est bien présent malgré de trop nombreuses coupes, tout cela ne vaut pas grand-chose si l’âme du roman n’est pas vivante. Je retiendrai de ce film l’impression d’une réalisation pleine de potentiel et de bonnes idées…mais qui, à trop vouloir ménager les plus jeunes spectateurs, se perd dans un dédale de caricatures édulcorées. FIN DE L’ANALYSE.
LE METTEUR EN SCENE…
Après le succès de Kung Fu Panda et ses 650 millions de dollars, Mark Osborne s’est lancé dans une adaptation animée du Petit prince. Nommé deux fois aux Oscars et réalisateur de l’un des 10 plus grands succès de l’histoire du cinéma d’animation, Kung Fu Panda, Mark Osborne a laissé Dreamworks et beaucoup d’argent pour adapter Le petit prince de Saint-Exupéry. En 2008, on le présentait comme l’avenir de l’animation. Son Kung Fu Panda, miracle de comédie fun et de virtuosité débridée, prouvait sa capacité à rivaliser avec les concurrents de chez Pixar. C’était certain, DreamWorks Animation, en mal d’auteurs maison, tenait son Brad Bird. Puis, Mark Osborne a disparu de la circulation, dévoré par l’envie d’affirmer une identité plus personnelle, incompatible avec les exigences, disons commerciales, de la société fondée par Jeffrey Katzenberg et Steven Spielberg…Je suis parti parce que je voulais faire de la stop motion, des choses moins formatées, DreamWorks a essayé de lancer de tels films, mais ils se sont vite rendu compte que ça n’entrait pas dans leur business plan. J’étais à l’époque assez demandé, j’ai attendu le bon projet, celui qui me permettrait de combler mes aspirations d’auteur avec le budget adapté.
Ceux qui ont vu son court métrage More, fascinante fable d’anticipation en stop motion sur le pouvoir de l’imaginaire, savent de quoi il parle…Mark Osborne n’est a priori pas le genre de yes man prêt à toutes les compromissions. Le « bon » projet va lui être apporté par deux Français téméraires, Aton Soumache et Dimitri Rassam qui ont décidé de fusionner leurs sociétés (Method Animation, Onyx Films et Chapter 2 sont devenus On Entertainment) afin d’adapter un monument…Le Petit Prince de Saint-Exupéry…On a pratiquement mis trois ans à trouver la bonne personne, quand Dimitri m’a suggéré de m’orienter vers les talents américains, le nom de Mark Osborne est apparu en haut de notre top liste. Ce qui nous intéressait chez lui, c’est qu’à travers Kung Fu Panda, il avait réussi à capter avec la justesse la culture chinoise tout en gardant une dynamique de récit très américaine. Il avait le final cut comme n’importe quel réalisateur français, Mark Osborne a nourri le projet de son savoir-faire et de sa rigueur tout anglo-saxonne et nous a beaucoup appris en termes de storytelling. Chez les Américains, l’histoire est au centre de tout.
ENTRETIEN AVEC Mark OSBORNE. Pour l’amour du livre… Le petit Prince.
Pour le cinéaste yankee, l’engagement avec ces deux Frenchies ne va pas de soi. La multiplicité des sources de financement, typique des productions fauchées, l’effraie un peu. Il refuse donc une première fois leur proposition. Mais…Il fallait que je fasse Le Petit Prince. La première fois que j’ai rencontré Dimitri, je lui ai demandé si les ayants droit seraient favorables à une histoire autour du livre. Quand il m’a répondu oui, avec aucune idée de ce que je voulais faire ! Il m’a fallu six mois pour trouver. Au final, le film porte davantage sur la fascination que Le Petit Prince exerce partout dans le monde, que sur le roman lui-même. J’aime le cartoon, mais j’aime aussi la profondeur, l’envie d’offrir au spectateur ce qu’il n’attend pas, tout en le divertissant. Mon film, comme le livre, a pour but de susciter des discussions entre les générations.
Vous dites avoir un lien très personnel avec Le Petit Prince, quel est-il ? J’ai rencontré ma femme à l’université. Quand j’ai décidé d’étudier l’animation, j’ai dû déménager à l’autre bout du pays. Nous avons continué notre histoire à distance pendant un temps mais c’est devenu très difficile et nous nous sommes séparés, ce qui a été assez douloureux. Quand nous nous sommes revus, elle m’a donné son exemplaire du Petit Prince et cela a été une façon pour nous de renouer. Aujourd’hui, nous avons deux enfants et nous sommes encore ensemble pour faire ce film. Je connais donc l’importance de ce livre car il a été important pour nous. Quand nous avons préparé notre déménagement pour Paris afin de commencer le film, j’ai retrouvé les lettres que je lui avais écrites ainsi qu’un exemplaire du livre que je lui avais envoyé. Je ne voulais pas la savoir sans ce livre. Dans une des lettres, j’ai écrit…Ce livre a changé ma façon de voir le monde. Maintenant je vis ma vie en m’inspirant du Petit Prince. Ce livre a vraiment changé ma façon de penser. Il a eu un impact sur ma vie et il a permis de nous retrouver, ma femme et moi. Et quand j’ai partagé ce livre avec mes enfants, j’ai vécu cette expérience que le livre est supposé vous faire vivre, à savoir vous aider à les comprendre et à vous mettre à leur niveau. Il vous dit d’arrêter parfois de penser comme un adulte pour mieux vous rappeler votre enfance et pour mieux comprendre les enfants. Ce livre et ses messages aident à nous rapprocher les uns des autres. La Petite Fille du film vit sa propre aventure et comprends les aspects du livre dont elle a besoin en tant qu’être humain. Le livre fait partie de son propre parcours tout comme il l’a été pour mon propre parcours dans la vie.
De tous les messages du livre, lequel est pour vous le plus important ? « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » C’est celui auquel je pense souvent, qui m’accompagne tout le temps, qui m’inspire le plus et qui me semble le plus universel. C’est étonnant le nombre d’interprétations qui en existe. Le film est né de ce message et de découvrir ce qu’il signifie pour la Petite Fille, raconter comment il l’influence et combien nous avons besoin de ce message. Quand j’ai lu le livre à mes enfants, j’ai réalisé que Le Petit Prince n’est pas un livre pour enfants mais pour les adultes. C’est un livre qui nous dit « Ne grandissez pas ! »
Comment s’est déroulé le tournage à Montréal, où vous avez vécu pendant près de deux ans ? C’est une ville merveilleuse. Je suis très fier de l’équipe que nous avons mise en place avec des artistes du monde entier, dont une majorité de Québécois. Nous faisions à la fois la 3D et la stop-motion dans deux studios montréalais. En me promenant entre les deux, j’ai pu admirer la ville. Faire un film est toujours stressant, mais c’est plus facile avec des gens extraordinaires comme les Canadiens.
Est-ce que le fait de tourner à l’extérieur des grands studios vous a assuré plus de liberté créative ? Il y a des avantages et des désavantages. Je pense que j’ai pu faire des choses que je n’aurais pas pu faire en travaillant avec un grand studio. On a pu prendre des risques, en faisant de la vedette du film une petite fille. Par contre, on n’avait pas toutes les ressources que le système de studio peut offrir. La production ressemblait à un train pour lequel on posait les rails au fur et à mesure.
Le prochain sera-t-il tourné en studio ou s’agira-t-il d’un film indépendant ? Ce qui dicte mon choix, c’est l’histoire d’abord et avant tout. Avec Le petit prince, le matériel est irrésistible et nos ambitions artistiques ont créé de petits miracles. Je suis ouvert, mais je crois que je suis un cinéaste indépendant dans l’âme. J’aime innover.
On retrouve les thèmes du Petit prince avec la perte de l’innocence, le découverte de l’amour et la jalousie, mais aussi une certaine critique de notre monde moderne. C’est une extrapolation de ce qui est présent dans le livre de Saint-Exupéry. Il était critique à l’endroit du monde des adultes. Quand j’ai relu le livre, ces critiques présentes en 1940 m’ont sauté aux yeux. J’avais le devoir d’en rendre compte. Les films d’animation ne sont pas que pour les enfants. On voulait que le film fonctionne comme le livre, pour tous les âges et toutes les cultures. L’important était de respecter l’esprit du livre.
Au cœur du film, la stop motion permet de nous replacer face au livre comme objet. C’est poétique sans être nostalgique. Oui, parce que le contenu du livre est beaucoup plus grand que le livre lui-même. Je voulais que ce soit magique en créant une expérience cinématographique nous permettant d’atteindre le lyrisme du livre. Ce n’est pas un hasard s’il existe ce contraste si grand entre la vie réelle dans le film en 3D et l’imaginaire représenté en papier. C’est un parallèle à notre vie moderne, déconnectée de l’imagination. Peu importe où vous lisez Le petit prince, cela crée une oasis dans notre vie.
Aux deux tiers du film, le récit s’emballe et ressemble davantage à un film d’action. C’était voulu ? Non. On voulait suivre le personnage principal, comprendre les peurs et les angoisses de cette petite fille forte. C’est une extrapolation du livre face à l’idée de devenir adulte dans un monde froid et empoisonné. Elle vit, seule, un cauchemar, mais elle poursuivra et trouvera ses propres réponses. L’histoire continue, comme dit le livre.
Est-ce que l’auditoire américain aimera ce genre de film, vous croyez ? Notre devoir était de faire quelque chose d’inattendu. On a fait le meilleur film qu’on pouvait faire, et je veux dire par là absolument tous les artisans du film. Ils peuvent en être fiers. La réception est déjà bonne dans le monde avec 100 millions de recettes. Même si le premier week-end n’est pas explosif aux États-Unis, j’espère que le film passera l’épreuve du temps, comme le livre.
Mais vous n’avez pas mis tout le livre dans votre film, seulement quelques éléments…Il était impossible de mettre tout le livre en stop motion. Choisir ce que nous garderions était un des défis terrifiants que nous avons dû relever. Je devais faire en sorte que l’histoire de la Petite Fille coïncide avec l’histoire du Petit Prince mais le livre contient trop d’idées et d’éléments pour tous les prendre. Nous avons fait un travail éditorial et choisi ce qui nous paraissait le plus important et nécessaire. Les meilleurs films sont toujours les plus simples. Nous voulions que les spectateurs comprennent le film, qu’il leur parle. Dans notre première version, le Petit Prince visitait six planètes mais c’était encore trop. Celle du Buveur a été la première à être supprimée car je ne peux pas montrer quelqu’un de soul dans un film pour enfants. Structurellement, visiter cinq planètes était encore trop mais nous ne pouvions pas raconter l’histoire que nous voulions avec moins. Chacun apporte sa propre spécificité et son message. Pour ceux que nous ne pouvions inclure physiquement, nous montrons quand même leur dessin. Dans l’histoire, La Petite Fille a quand même vécu l’expérience avec eux, même si nous ne la montrons pas en train de vivre cette expérience. Nous avions tant d’histoires à raconter. Même pour la partie en images de synthèse nous avons dû faire des choix. Un réalisateur se doit d’être discipliné et j’ai retiré tout ce qui ne fonctionnait pas ou ne servait pas mon histoire. Je peux discuter sans problème avec quelqu’un qui aime le livre et qui me reprochera de ne pas avoir mis tel ou tel élément. Mais je ne veux pas avoir quelqu’un qui me dise qu’il ne veut pas voir mon film parce qu’il aime trop le livre. Je veux que les gens me disent…« Votre film me rend nerveux mais je pense sincèrement que vous avez protégé le livre. » Je veux que les gens prennent le risque d’aller voir le film car ils seront agréablement surpris par l’hommage que nous lui rendons.
Dans le film, vous créez la planète des adultes. C’est votre façon d’ajouter un 28ème chapitre au livre d’Antoine de Saint-Exupéry ? Pour moi, le livre a une fin ouverte absolument parfaite. J’aime quand un livre vous laisse encore vous poser des questions. Quand vous le finissez, vous vous rendez compte que ce livre parle de la foi. Il est parfait. Nous prolongeons le livre d’une certaine façon mais nous ne voulons pas suggérer que nous osons le faire. Je préfère dire que je raconte une histoire qui existe dans le même univers que le livre a créé…Je sais que je ne pourrais jamais créer une image aussi intéressante que celles créées par Antoine de Saint-Exupéry et prétendre qu’elle doit compléter le livre.
Pourquoi ce choix de ces deux techniques, la stop motion et l’image de synthèse ? J’ai expérimenté quasiment toutes les techniques d’animation pendant mes études et le mélange de deux techniques m’a toujours passionné. C’est la beauté de l’animation…Vous pouvez utiliser différents média pour montrer différents aspects d’une histoire, donner différentes impressions et faire éprouver différentes émotions. Ce mélange est à la fois une façon de rendre hommage au livre et d’être relié aux dessins du livre. La stop motion est parfaite pour exprimer le contenu du livre. Honnêtement, quand j’ai proposé cela comme une façon de repousser encore les limites de l’animation, je ne pensais pas que ce serait accepté. Mais c’est comme même cool de pouvoir créer ces deux mondes et de les faire coexister.
Avez-vous créé le visage de l’Aviateur en vous inspirant de celui d’Antoine de Saint-Exupéry ? Avant même de créer le design de l’Aviateur, je pensais au lien qu’il nous fallait avec Antoine de Saint-Exupéry. Il était clair pour moi que l’Aviateur était Antoine de Saint-Exupéry tout en étant une personne différente car dans le livre, le narrateur n’est pas écrivain. C’est aussi le dernier livre écrit par Antoine de Saint-Exupéry qui est mort bien avant son heure. Nous ne voulions pas faire croire dans le film qu’il était toujours vivant. Nous avons donc créé un personnage fictif proche de lui. Son look et son design viennent directement de l’imagination de Peter de Sève. Nous voulions un Aviateur âgé, séduisant et charmant et surtout pas menaçant ni effrayant. Les gens pensent qu’il est effrayant parce qu’ils le croient fou mais il ne pouvait pas être réellement fou. Peter de Sève a créé les dessins, Jeff Bridges a créé la voix et nous avons associé les deux. Si vous êtes vraiment fan d’Antoine de Saint-Exupéry, vous verrez de petits détails dans le film qui font penser à lui. J’aime à penser que chaque élément de notre film, petit ou grand, en image de synthèse ou en stop motion, émane du livre. Il y a de nombreuses répliques dans le film qui sont des citations du livre. Si vous aimez le livre, vous verrez que le film est un vrai hommage et que nous l’honorons du mieux que nous pouvons.
DESSINS ORIGINAUX Antoine de Saint-Exupéry
REVUE DE PRESSE. Très contrastée…
Stop-motion, dessin animé classique ou papier découper, Mark Osborne jongle avec les techniques pour offrir un enchantement constat et de nombreuses surprises visuelles. Chaque univers est porteur d’une poésie incroyable renforçant la puissance du conte.
Moderne et classique, cette adaptation du roman de St-Exupéry est une vraie réussite universelle et scénaristique. On embarque d’emblée à la suite de ce « Petit Prince » enchanteur et sensible, qui sait si bien nous émouvoir.
Une réussite respectueuse. Un récit audacieux. Une adaptation poétique et visuellement brillante de Saint-Exupéry. La réussite du film tient grandement au choix du cinéaste. Fort de sa connaissance d’un storytelling américain en quête d’efficacité, Osborne honore Le Petit Prince en refusant de l’adapter.
Épinglant notre société obsédée par la performance et la réussite à tout prix, le dessin animé, beau, drôle et émouvant aux larmes, nous rappelle à quel point il est important de continuer à rêver. Á voir absolument. L’adaptation du livre légendaire de Saint-Exupéry est une vraie réussite de cinéma. « Le Petit prince » grand écran a trouvé ici une sorte de forme définitive.
Alternant les styles graphiques, déployant le récit en trois parties où l’œuvre de Saint-Exupéry trouve sa place avec la sobriété de l’original, ce « Petit Prince » donne vie au livre avec grâce.
Si la fin du film, plutôt improbable, peut laisser perplexe, petits et grands se régaleront. Les premiers, émerveillés par une belle découverte; les seconds, ravis d’avoir réveillé l’enfant qui sommeille en eux.
Fausse adaptation du chef d’oeuvre de Saint-Exupéry, le film n’en demeure pas moins une jolie réussite, notamment sur le plan esthétique.
Narré dans ses grandes lignes, le conte universel de « Saint-Ex » est mis en scène avec une grande délicatesse. Cette poésie visuelle contraste avec les images de synthèse assez banales de la trame principale du film, par ailleurs victime, dans sa dernière partie, de rebondissements improbables.
L’intention est là, l’ambition aussi, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce « Petit Prince » ne manque pas de cœur. Mais dans sa volonté de bien faire, il oublie que parfois l’essentiel est invisible et n’a pas besoin d’être claironné à grands coups de ficelles scénaristiques et de dialogues sentimentaux.
Quand l’héroïne découvre les manuscrits de Saint-Ex, le graphisme change, l’animation redevient artisanale (avion de carton, petit prince au foulard en papier crépon). Pour beaucoup, ce seront les seuls moments de grâce du film, la fraîcheur de l’oeuvre originale passant soudain l’écran. Puis le blockbuster reprend le dessus avec son lot de scènes grandiloquentes qui, certes, ne manquent pas de panache.
Le film laisse un goût de rendez-vous manqué avec l’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry.
Si certains moments sont vraiment très beaux, d’autres sont carrément hideux. Mais peu importe. Ce qui gêne, c’est cette masse de talents avec tout ce que l’animation internationale compte de mieux réunis pour une variation contestable qui devient, assez vite, une trahison.
Plus une mise en abyme, c’est une dégringolade dans le précipice. L’histoire est d’une niaiserie abyssale, le dessin d’une laideur mondialisée, la parabole lourde comme du Eric-Emmanuel Schmitt et, du conte gentillet de Saint-Ex, il ne reste presque plus rien.
Tout est d’une laideur infinie et les emprunts à l’ouvrage original ne sont ici que clins d’œil censés cautionner l’emprunt du célébrissime titre.