03-L’amour ? et après…

Ces scènes terribles de femmes qu’on tond sur la place publique, car c’est un événement tellement fondateur de Madeleine, mon personnage féminin principal, que je ne pouvais pas le laisser hors champ. En plus la tonte est une chose qui reste encore très impensée en France, et assez peu formulée. Les images que je montre sont d’ailleurs pour la plupart inédites. C’était pour moi une façon d’ancrer cette histoire dans le réel de cette guerre mais aussi de faire prendre la mesure du traumatisme que ça a pu être pour une femme. La fiction démarre précisément là…C’est quoi la vie de quelqu’un qui a traversé ça, comment on se reconstruit, affectivement, sexuellement.

 

 

 

 

 

 

FILMOGRAPHIE

 

 

 

Katell Quillévéré née le 30 janvier 1980 à Abidjan, est une réalisatrice, scénariste et chef costumière française. Fille d’une professeure de physique et d’un informaticien. Elle vit en Côte d’Ivoire avec ses parents jusqu’à ses cinq ans où la petite famille déménage en Ile de France. Après l’obtention de son bac, elle s’inscrit à l’université et en ressort quelques années plus tard avec un DEA en cinéma ainsi qu’une licence de philosophie. Sur les bancs de l’université, elle fait la connaissance du futur réalisateur Hélier Cisterne, avec qui elle vit en couple. Avec Sébastien Bailly création du festival du cinéma de Brive, consacré au moyen métrage, et réalise plusieurs courts métrages. Le premier, À bras le corps, diffusé en 2005, est sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs et pour les César du cinéma. Puis suivent L’Imprudence en 2007 et L’Échappée en 2009.

 

Son premier long métrage, Un poison violent, est situé en Bretagne. Consacré aux thèmes de l’adolescence, des émois amoureux et de la religion catholique, il revient sur la rupture avec cette foi catholique, élément important de son milieu familial. Le film reçoit le prix Jean-Vigo.

 

Son second long, Suzanne, évoque un thème proche puisqu’il y est question d’une fille-mère (Sara Forestier) à l’adolescence qui tombe amoureuse d’un petit malfrat (Paul Hamy). Présenté en ouverture de la 52ème Semaine de la Critique au festival de Cannes, le film est remarqué et permet à Adèle Haenel d’obtenir le César de la meilleure actrice dans un second rôle.

 

Katell Quillévéré revient en 2016 avec Réparer les vivants, un drame émouvant traitant de la question du don d’organe. Le casting de ce film adapté du best-seller écrit par Maylis de Kerangal est composé de Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval, Bouli Lanners ou encore Kool Shen.



Valois de diamant au Festival du film francophone d’Angoulême 2023 pour Le Temps d’aimer

 

 

ANAÏS DEMOUSTIER & VINCENT LACOSTE

 

 

Pour moi le couple est une fiction, une folie à deux, comme le disait le philosophe Roland Barthes.

C’est une rencontre inconsciente entre deux personnes cachant des secrets,

S’engageant dans une histoire où elles se protègent sans jugement.

 

 

 

 

 

LE TEMPS D’AIMER EST UNE PROMESSE

PAR JM AUBERT

 

Une promesse d’abord car c’est Katell Quillévéré. Une grande cinéaste qui rentre toujours au cœur de ses histoires dans tout à la fois le plus pur et le plus dur. On pensera à Réparer les vivants (2016) bien sûr avec de l’émotion pudique et délicate, mais également à Suzanne (2013) dans ce portrait de femme complexe et contrariée infiniment bouleversant. Sans jamais juger, la réalisatrice sait montrer et faire vivre. Une promesse aussi car on retrouve Anaïs Demoustier au casting, qui en ce moment transforme à peu près tout ce qu’elle touche en or. Du cinéma vivant et vibrant en perspective. Le temps d’aimer est un grand film sur le couple, sur la famille, sur le manque. Au-delà de ses thèmes de prédilection, Katell Quillévéré surprend car elle nous en montre énormément, en sortant quelque peu de son sens inné de l’ellipse dans la narration. C’est comme si la cinéaste prenait une nouvelle dimension et permet alors à son film de nous emmener tellement loin, et au-delà de nous émouvoir, sans le non-dit, Le temps d’aimer porte en lui une force empathique monumentale. Car ça parle de la famille, et la famille, c’est nous. On ne peut que tous se reconnaître et être questionné, bousculé. Ce film va toucher profondément les gens. Et puis surtout, elle démontre avec toute l’humanité qu’on lui connaît, qu’on guérit de tout, que toujours on se relève et qu’au bout des blessures, la résilience est là. Exactement à l’image de François qui s’appuie sur Kheiros, le dieu des opportunités saisies, et qui transmet l’insondable espoir de la rencontre qui va tout changer et du bonheur qu’il est parfois si difficile d’accepter. François est fragile, sensible et on pressent les traumas. Pour Madeleine, son squelette dans le placard que nous ne révélerons pas, est pour autant tout de suite déplié dans une séquence d’archives dès le début, qui va s’avérer infiniment marquante, glaçante.

 

Il faut parfois toute une vie pour se dire je t’aime semble nous souffler la réalisatrice. La question du temps à travers les âges dans ce qui va être une véritable épopée du couple va venir interroger la complexité du lien qui nous unit à celles et ceux que nous aimons. Entre usure, haine, attrait de la nouveauté, si Le temps d’aimer est complexe, il est aussi décomplexé, avec notamment des scènes d’amour à la sensualité troublante, qui ne se cantonnent pas à l’âpreté du sentiment amoureux, mais aussi celui de l’acte amoureux. L’amour, c’est mieux avec l’amour. Le temps d’aimer, ce sont les destins qui basculent au jeu de l’intrigante existence des hasards qui n’en sont pas. Ce sont nos petites lâchetés, nos grandes faiblesses, mais qui jamais ne font de nous des monstres. Tu n’es pas un acte. C’est le non jugement, et c’est une véritable leçon de tolérance. La mise en scène se construit au gré des époques, et la caméra de la réalisatrice offre une symbiose en termes d’énergie dans sa façon de déployer son récit. On est littéralement scotchés à son siège, tant le film sait capter le moment avec un spectateur qui est comme associé à ce qui se joue. Une dynamique généreuse. Les dialogues tout comme le non verbal sont hautement percutants, notamment dans cette opposition de style entre François et Madeleine. Lui, le lettré hyper sensible, complexe et complexé. Elle plus instinctive, dont les épreuves ont forgé un constant besoin de survie. Pour des personnages dont la psychologie est disséquée et qui là aussi, viennent éveiller nos sens et la grandeur de nos ressentis.

 

Ces personnages justement, Katell Quillévéré leur a clairement transmis ses émotions. Vincent Lacoste est un François tout en intériorité et permet à l’acteur de sortir de certaines facilités et d’aller chercher en profondeur des intimes bouleversements. Ses égarements qui viennent se heurter à l’amour des siens, à son sens de l’autre, sont portés avec véracité par le comédien qui trouve ici un rôle qui lui va si bien. Anaïs Demoustier n’en est plus à confirmer. Elle est une Madeleine vibrante et nous bouleverse même dans l’injustice de son rejet, matrice du film que nous n’étayerons pas. La force de son personnage existe en elle, sur elle, comme une seconde peau. Elle est en train de devenir indispensable au cinéma français et c’est une excellente nouvelle. Le temps d’aimer est un grand film sur eux, sur nous. Ce film va vous toucher, ou c’est à n’y rien comprendre. Si on part du principe que ce n’est que le début pour Katell Quillévéré, on a nous aussi tout le temps de l’aimer, et que c’est bon d’y penser.

 

 

 



PAROLES DE REALISATRICE…

Le point de départ, c’est ma grand-mère. J’étais très proche d’elle, j’ai toujours su qu’elle avait un secret, tout en faisant en sorte qu’on la protège et qu’on ne lui pose pas de questions. Ce n’est vraiment qu’avec le temps, et avec l’aide de mon compagnon, donc quelqu’un d’extérieur, que j’ai réussi à comprendre ce qu’était ce secret. Ma grand-mère a eu une histoire avec un soldat allemand quand elle avait 17 ans, pendant l’Occupation. Elle est tombée enceinte, s’est retrouvée mère célibataire, sa vie a basculé. Quatre ans après, elle a rencontré mon grand-père, sur une plage en Bretagne. Elle était d’un milieu plutôt modeste, lui venait d’une famille plus aisée, ils se sont mariés assez vite, contre l’avis de la famille de mon grand-père. Il a reconnu cet enfant et l’a adopté. Et ils ont caché toute leur vie, la vraie paternité de cet enfant. Elle avait 80 ans quand on a découvert son secret.

 

Le cinéma c’est oublier sa propre vie mais aussi la repenser à la lumière du film.

 

En tant que Bretonne d’origine, ce décor a pour moi une résonance forcément particulière puisque la rencontre de mes grands-parents s’y est déroulée. Les paysages bretons, romantiques et tourmentés, offraient un cadre idéal. La découverte du restaurant a scellé le choix de ce lieu pour une partie significative du film.

 

Je pense que cette histoire est marquée en moi, et que ce couple m’a toujours questionnée. Parce qu’il était assez atypique et mystérieux, je n’en ferai jamais le tour. Il y a un travail d’imagination totale que j’ai fait ensuite avec Gilles Taurand. L’idée du couple était au cœur de notre processus de création. Le couple comme une fiction qu’on s’invente à deux, à laquelle on décide de croire. Et c’est ça qui nous a embarqués. Avec l’idée de deux personnages qui ont tous deux quelque chose à fuir, à cacher…et qui presque par survie se reconnaissent, s’aident à former une famille qui va les protéger d’une société qui ne veut pas d’eux.

 

La vraie colonne vertébrale du film, c’est la relation mère-enfant. Le personnage principal, c’est Madeleine, cette femme qu’on va accompagner en circulant à travers ses identités plurielles, mais c’est sa relation à son enfant qui va déterminer tout chez elle…Cette grossesse arrivée trop jeune, trop vite, qui détermine la plupart de ses choix de vie. Madeleine possède cette douleur initiale, cette émotion empêchée, qui avec le temps va évoluer…Et il y a cet enfant, en quête de son identité, de sa vérité, de son père, et qui est en fait comme qui dirait sauvé par sa résistance au mensonge de sa mère. Jamais cet enfant ne renoncera à son vœu d’obtenir l’amour de sa mère.

 

À partir du moment où l’on part dans un récit étalé sur près de vingt ans, on écrit toute une matière dont une partie sera forcément plongée dans le hors-champ. C’est comme s’il fallait prélever, en partant de la fin, ce qu’on veut montrer de la vie de ces gens. C’est un exercice d’écriture particulier, qui me passionne et qui demande de faire énormément confiance au spectateur car il va avoir sans cesse à combler les manques du récit que suscitent les ellipses. Cela crée une relation très particulière, très intime, entre le spectateur, l’histoire, les personnages…On déduit ce qui est caché, tu, mais avec son propre vécu, ses expériences.

 

Le film flirte très largement avec le mélo, un genre que j’adore. Mon film est très clairement influencé par le cinéma de Douglas Sirk. Le titre est d’ailleurs un hommage à un de ses films Le temps d’aimer et le temps de mourir. Notre scénario possède dans ses germes tous les ingrédients du mélo avec deux personnages que tout oppose qui se jettent dans une aventure qui va être pleine d’embûches parce que le destin les rattrape sans cesse, dans une alternance de répits et de drames…Mais dans la forme, contrairement à celle du mélo qui invite beaucoup au lyrisme, à une manière d’outrance dans l’expression des émotions, à de l’emphase dans le filmage, j’ai essayé d’être dans la retenue, dans une sorte de sécheresse émotionnelle qui laisse de la place au spectateur, qui donne aussi cette modernité de ton. Enfin, à l’inverse des mélos qui en général se terminent mal, j’ai souhaité une fin qui aille du côté de la résilience, de la pulsion de vie portée par le personnage féminin.

 

L’écriture ne s’est pas faite en pensant aux acteurs, mais Vincent Lacoste et Anaïs Demoustier se sont rapidement imposés grâce à notre directrice de casting. Ils sont des figures puissantes de leur génération, apportant une distance intéressante avec mes personnages. J’aime les propositions inattendues lors du casting, permettant de révéler un potentiel différent chez les acteurs.

 

J‘ai voulu un mélange de classicisme et de modernité. Cela part de la conviction d’un film d’époque réussi est un film qui a trouvé sa relation au présent, ce qui fait qu’il va rester et même éclaire l’actualité. Pour cela, il faut, je crois, être hyper exigeant sur ce qui relève de l’époque mais aussi se débrouiller pour ne pas s’y enfermer, trouver une manière de filmer son histoire avec modernité. Une fois, bordée notre reconstitution, notre obsession, à Tom Harari directeur de la photographie et à moi, c’était de nous dire, on filme ici et maintenant, c’est ici et maintenant que se déroule cette histoire. Et le cœur de celle-ci, ce sont les personnages, leurs émotions, ce qu’ils traversent, l’universalité de ce qu’ils traversent. Notre forme bouscule la reconstitution, la contredit presque, mais il y a aussi le fond. Ce qui est au-dessus du temps c’est ce qui appartient à aujourd’hui.

 

Le film parle de la honte et comment notre société, à toutes les époques, à travers les normes qu’elle produit et donc aussi les marges, constitue de manière systémique une honte qui empêche de vivre ensemble et d’être soi-même.

 

Une honte qu’il faut combattre.

 

 

 

 

 

 

HOULE SENTIMENTALE…

par Etienne Sorin

 

Tout juste sortie de la mini-série Le monde de Demain co-réalisée avec Hélier Cisterne, Katell Quillévéré réalise son premier long-métrage depuis Réparer les vivants en 2016. Le temps d’aimer est lancé par des images d’archives à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale, des photos de ces femmes tondues et humiliées pour avoir couché avec l’occupant, un traitement inhumain qui a durement marqué le paysage français, notamment pour ces femmes et les enfants qu’elles eurent pendant cette période troublée. Madeleine est l’une d’entre elles, obligée de fuir son village, chassée par son père qui ne voulait pas abriter la honte sous son toit, ni ce petit-fils stigmate des fautes supposées de sa fille. C’est le point de départ d’un vaste mélodrame, qui bien au-delà de la fin des années 1940, va retranscrire toutes les haines et difficultés à vivre dans cette France dite des « Trente Glorieuses », où une large partie de la population ne participe pas vraiment à la reconstruction du pays.

 

Si Daniel, le fils de Madeleine, est le fruit d’amours fugaces, le centre névralgique de l’histoire est la relation qui se noue entre la jeune mère et François, universitaire refusant de poursuivre l’oeuvre familiale, une usine propriété familiale dans le Nord de la France. Tous deux commencent leur vie à deux dans le plus grand des dénuements, chacun avec un secret qui les contraint, comme ils le disent tous deux dans une scène magnifique, à se servir de l’autre comme d’une couverture. Tout cette première peut se définir par sa retenue, on ne prononce pas les mots, on dissimule beaucoup, la honte prenant le dessus sur l’honnêteté, qui longtemps va se faire petite, attendant son heure pour éclater avec pertes et fracas. La construction de ce couple épouse les contours des grands mouvements présents en France au début des années 1950. François et Madeleine vont se réinventer à Châteauroux, où une base américaine dynamise la vie de cette petite ville, apportant son lot d’opportunités financières. L’entame du film pointe le traitement dévolu aux femmes qui ont eu le malheur d’aimer l’ennemi désigné, il existe dans cette histoire un autre martyr, un amour tout aussi interdit. Aimer une personne du même sexe est alors impensable publiquement, cela constituant encore dans cette France de la deuxième moitié du XXème siècle un délit passible d’emprisonnement, en plus de l’opprobre qui ne manque pas de recouvrir les personnes qui en sont accusées. Madeleine et François se rejoignent dans cette envie de mourir faute d’être acceptés pour ce qu’ils sont…Des personnes qui ont eu le malheur d’aimer en dehors des clous fixés par la société de leur temps. Au détour de leurs aventures, l’intrigue nous présente aussi d’autres discriminations très vivaces comme le racisme le plus bas et le plus violent, dont est victime le soldat américain rencontré dans un bar. Il se crée naturellement un trio entre ces personnages bannis par leurs pairs, une affinité naturelle se dessinant entre eux, jusqu’au rejet violent du soldat pris par surprise par cette libération inattendue de ses mœurs jusqu’ici prisonnier des convenances. « Pour qui me prenez vous ? » est sa réaction, l’image publique représentant le brevet de passage obligatoire pour ne pas être poussé vers la sortie, que ce soit la prison ou la mort. Malgré leurs antagonismes le couple résiste au temps et une très belle histoire d’amour s’impose entre eux.

 

Katell Quillévéré réussit un magnifique mélodrame, genre si difficile à maîtriser, qu’elle exécute à merveille dans son dernier tiers. Ces derniers instants, qui voient la naissance d’un deuxième enfant et Daniel arriver à maturité, ont à la fois un goût de cendres prononcé, mais aussi une grandeur magnifique, les secrets volant enfin en éclat pour dévoiler la beauté des personnages qui n’ont plus à se cacher.



 

 

 

 

MA JEUNESSE FOUT LE CAMP…

par Jean-Sébastien Massart

 

S’ouvrant sur des images de femmes tondues à la Libération, Le Temps d’aimer laisse d’abord l’impression de suivre un parcours d’émancipation féminine, celui de Madeleine (Anaïs Demoustier) dans un climat de misogynie affichée. Le mélodrame se révèle pourtant plus complexe car il raconte plutôt l’histoire d’un couple (Madeleine et François, incarné par Vincent Lacoste) dont l’union est scellée par l’aveu de leurs secrets respectifs, soumis aux jugements d’une époque dont Katell Quillévéré et son coscénariste Gilles Taurand entendent pointer l’intolérance. Tandis que Madeleine doit vivre avec la culpabilité d’un enfant né d’une liaison avec un jeune officier allemand, François traîne le fardeau d’une homosexualité mal assumée. Attentif à ses deux acteurs principaux, le film joue beaucoup de leurs qualités respectives, tout en les opposant. L’aisance et la technicité discrète de Demoustier font de Madeleine un assez joli personnage de mélodrame, bien qu’un peu limité dans sa dimension unilatéralement tragique. Le cas de Vincent Lacoste est plus intéressant. Son jeu, plus inégal et problématique par moments, soulève une question qu’on évite bien souvent de poser à propos des jeunes acteurs dès lors qu’ils ne sont plus vraiment jeunes…Comment et à quel prix passer le cap des trente ans ?

 

La jeunesse de Vincent Lacoste, des Beaux gosses à son rôle récent de prof remplaçant dans Un métier sérieux, s’est traduite d’abord à l’écran par un rire sonore et éclatant, mais aussi une attitude faite d’un mélange de nonchalance et d’ironie, qui trouvait son accomplissement avec le personnage de Lousteau dans Illusions perdues. Par sa façon de clore cette première période de la filmographie de l’acteur, Le Temps d’aimer dessine un tournant…Si le mélodrame lui offre par son ampleur une latitude de jeu assez exceptionnelle, l’acteur y demeure longtemps un jeune homme ne vivant que pour son désir de poésie et d’hommes, essentiellement. Sur le terrain du coming out impossible, il surprend par sa désinvolture et sa candeur, abordant chaque mensonge et chaque scène de sexe à la manière d’un adolescent, comme s’il commettait une bêtise. Lorsque François est ainsi confronté à un GI très viril (Morgan Bailey), dans une scène d’amour à trois (avec Madeleine), la composition de Lacoste déjoue le côté platement transgressif de la situation en retrouvant la gaucherie des Beaux gosses. Le film n’a pourtant pas été écrit dans cet esprit de légèreté, mais plutôt dans celui, grave et lourd, du drame sur l’homophobie, un peu dans le style des Roseaux sauvages de Téchiné que Gilles Taurand avait déjà scénarisé. Lorsque ce film-là rattrape le personnage de François et l’entraîne dans un procès pour mauvaises mœurs, Lacoste incarne alors le mari coupable avec une gravité assez compassée, dans une composition tire-larmes qui efface la singularité de son jeu. Le voilà enfin devenu un homme tel que le cinéma français moyen adore les dépeindre…Tiraillé, fragile, taillé pour faire l’objet d’une étude psychologique. Reste qu’à travers le cas Lacoste, Le Temps d’aimer a donné à voir la métamorphose d’un jeune homme de trente ans en acteur tout-terrain du cinéma français. En un peu plus de deux heures, on aura vu, au moins, une (ou sa) jeunesse foutre le camp.