Saint-Pierre, Martinique, Jeudi 8 mai 1902, vers 8H00…En quelques minutes, près de 28.000 personnes sont tuées par une extraordinaire explosion suivie d’une nuée ardente. 120 ans après cette éruption volcanique, des habitants vivent encore au pied de la Montagne Pelée. Saint-Pierre porte toujours les stigmates de cette journée de 1902. Les Pierrotins sont plus de 4.000 à vivre dans des logements construits entre les ruines des habitations soufflées alors par le volcan.
Gravir la Montagne Pelée qui domine toute la Martinique était un des objectifs de notre séjour, encore faut-il que les conditions météo le permettent. Ce Mardi 30 janvier les prévisions sont bonnes…Matériels nécessaires ? Des bonnes chaussures de marche qui cramponnent bien, une frontale pour la première partie de la marche dans le noir de la nuit, de l’eau et un vêtement pour se protéger de la pluie et du vent. 4h20 du matin…Départ en voiture du Carbet en direction d’un des points de départ d’une voie peu fréquentée, mais plus directe et verticale que les deux autres sentiers existants. AuVillage du Prêcheur la route s’élève brutalement et…Route fermée et interdite sauf riverains…Nous passons outre et entamons la montée parfois très raide et avec beaucoup de prudence…Arrivée sur le parking du centre de vulcanologie pour grand public mais fermé depuis plusieurs mois voire plus…
5h15…Début de la montée avec frontale dans une nuit sans lune, sur un sentier très étroit parfois peu signalé…Après une vingtaine de minutes de montée, la pente devient plus dure sur des amas de rochers. Arrivés au niveau du sentier de la caldeira qui entoure une partie du volcan, nous continuons tout droit, pour atteindre après une heure d’efforts un refuge totalement abandonné.
Le jour se lève mais nous sommes dans les nuages qui couvrent le sommet nommé le « Chinois » mais progressivement, ils s’ouvrent et laissent place au soleil pour admirer le paysage jusqu’à la mer. Magique ! Récompense de nos efforts après moins de deux heures de montée.
Nous sommes seuls et les premiers de la journée au sommet de la Montagne Pélée ! Après un long moment de contemplation et de prises de vues, il faut bien entamer la descente…L’effort est différent mais pas moins difficile…Ne pas perdre un appui sinon…Préserver des genoux qui n’ont plus 20 ans…
La descente de jour révèle un paysage inconnu pour nous le temps de notre montée de nuit. Nous croisons quelques groupes partis plus tard dans la matinée. Entre la montée, le temps passé au sommet et les haltes photos dans la descente, il faut 4h00 A/R pour effectuer cette randonnée et en toute sécurité. Elle est beaucoup plus difficile que la Soufrière de la Guadeloupe en raison d’un parcours plus raide et accidenté sur plus des deux tiers du parcours.
Éruption de la Montagne Pelée
« Reviens de Saint-Pierre, ville complètement détruite par masse de feu vers 8 heures du matin…Suppose toute population anéantie…Ramené les quelques survivants, une trentaine…Tous navires sur rade incendiés et perdus…Éruption volcan continue…Je pars pour Guadeloupe chercher vivres » Commandant Le Bris.
C’est par ce télégramme que la France apprend la catastrophe de Saint-Pierre. Ce matin-là, à 8H02, le télégraphe de Saint-Pierre est interrompu. Les témoins décrivent de façon assez semblable le phénomène…Un grondement effroyable, une détonation fantastique suivie dans l’instant d’un nuage noir épais, comme enflammé et bourgeonnant, descendant la pente du volcan à une vitesse vertigineuse qui atteignit Saint-Pierre en une à deux minutes et qui embrasa la ville.
On estime à 28 000 le nombre de victimes…Tous les Pierrotins présents, les réfugiés du Précheur et des villages voisins, les curieux venus de Fort-de-France…et le gouverneur de la Martinique arrivé pour rassurer la population. Le bateau de la Cie Girard, parti à 8H15 de Fort-de-France, aussitôt après le tsunami et pendant les chutes de cendres, arriva en milieu de matinée dans la rade de Saint-Pierre où les navires restants étaient en flamme. Il dut faire demi-tour. Le Suchet arriva peu après. Le commandant Le Bris descendit sur la place Bertin, couverte de cadavres. La chaleur due aux incendies était telle qu’il ne put pénétrer dans la ville. Le 20 mai, une nouvelle nuée ardente paracheva la destruction de Saint-Pierre.
Le 23 juin, arriva une mission dirigée par le professeur Alfred Lacroix, envoyée par l’Académie des sciences et le gouvernement. Peu après son retour en France le 16 août, une nouvelle éruption encore plus intense eut lieu le 30 août, alors que la population avait été encouragée à retourner dans ses foyers. Plus de mille victimes au Morne-Rouge.
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Le 1er octobre, Alfred Lacroix est de retour. Il a carte blanche aussi bien pour les études scientifiques que pour les mesures à prendre pour la sécurité. Il installe deux postes d’observation…Le principal au Morne des Cadets avec vue » imprenable » sur le volcan, le second à l’arrière du volcan vers l’Est près du Lorrain. Ses observations lui permirent de décrire avec précision le phénomène qu’il nomma « Nuée Ardente » le magma visqueux forme un dôme à l’aplomb de la cheminée. Ce magma est très riche en gaz, ce qui produit une surpression dans le dôme. La détente brutale des gaz fait exploser latéralement le dôme et produit la projection d’un mélange de gaz chauds, de cendres et de blocs de lave qui libèrent au fur et à mesure les gaz qu’ils contiennent et entretiennent et accélèrent cet écoulement turbulent. La vitesse du souffle précédant la nuée qui détruisit Saint-Pierre a été estimée à 130-150 mètres par seconde, soit 500 kilomètres à l’heure, la température de l’écoulement étant supérieure à 500 degrés. Les observations faites sur les cadavres font penser que leur mort est probablement due à l’onde de choc de ce souffle incroyable. Ce type d’éruption est connu sous le nom de péléen.
Dès 1903, le poste d’observation du Morne des Cadets devient un observatoire permanent. C’est le deuxième observatoire volcanologique, le premier étant celui du Vésuve, décidé par le roi Ferdinand II et opérationnel dès 1841. Les volcanologues américains Thomas Jagger et Franck Perret, consternés par tout ce qu’ils découvrirent à Saint-Pierre et à la suite de séjours au Vésuve, font construire à Hawaii pour étudier les mécanismes éruptifs ce qui sera le troisième observatoire volcanologique. Thomas Jagger disait lors de son ouverture en 1912
« Que jamais plus un volcan ne dévaste de ville ».
L’éruption de la Montagne Pelée en 1902 fut la plus meurtrière du XXe siècle. Mais était-elle prévisible ?
Dès 1889, des fumerolles sont signalées dans le cratère du volcan, l’Étang Sec. Au début de 1900, il y a deux fumerolles à fort débit, une demi-douzaine en 1901. À partir de janvier 1902, les débits augmentent. Les villages » sous le vent « , comme le Précheur, sont fortement incommodés par l’odeur d’œuf pourri des gaz rabattus. Des petites explosions de vapeurs semblent se produire dès la mi-mars. La première explosion phréatique sûre a lieu le 23 avril au soir. Les premières cendres tombent sur le Précheur. Des séismes sont ressentis. Panaches de cendres et de vapeurs, explosions, chutes de cendres, séismes, sont de plus en plus fréquents jusqu’au 2 mai. Dans la nuit suivante, des détonations extrêmement fortes sont entendues, le panache monte à plus de 4 km d’altitude, des blocs de roche sont projetés à plus de 2 km du sommet, des lueurs impressionnantes zèbrent le panache. Les cendres retombent sur une bonne partie de l’île, entraînant des mouvements de panique.
Le 5 , une forte explosion à 12h30 est suivie d’un lahar qui détruit l’usine sucrière Guérin et produit un tsunami en arrivant dans la mer. Des gaz bleutés sortent du cratère. Le SO2, gaz magmatique par excellence, apparaît donc. Le 6 au soir, la base du panache est rougeoyante, c’est probablement l’arrivée de la lave sous forme d’un dôme dans le fond du cratère. Dès le 7 au matin apparaissent des petites nuées et le soir des projections de blocs incandescents. Dans la nuit, on observe des gerbes de lave projetées par les explosions. Le 8 à 8h02, c’est le cataclysme…
Aujourd’hui, après les études de Lacroix et les progrès faits en volcanologie, grâce aux études théoriques et aux réseaux de surveillance, il est bien sûr facile de dire que cette éruption était prévisible…Mais à l’époque ? Dès le 3 mai, le gouverneur Moutet avait nommé une commission. Pleins de bonne volonté, ses membres n’avaient aucune expérience en volcanologie. Elle remit son rapport le 7 au soir et conclut que l’éruption aurait les mêmes conséquences que celle de 1851. Elle ignorait qu’au même moment la Soufrière, dans l’île voisine de Saint-Vincent, explosait et faisait 1 600 victimes…Toutes les îles de l’arc des Petites-Antilles sont constituées de volcans actifs dont la récurrence des éruptions magmatiques peut être de quelques siècles. L’exemple actuel est celui de Soufrière Hill à Montserrat, entrée en éruption, éruption à dôme et nuées ardentes, en 1995, après un sommeil d’environ quatre siècles. La dernière éruption magmatique de la Soufrière de Guadeloupe eut lieu peu de temps avant l’arrivée de Christophe Colomb…
La Montagne Pelée est en sommeil depuis l’éruption de 1929-1932. Volcan endormi mais non éteint. L’observatoire de 1903 fut reconstruit sur le morne voisin au cours de cette dernière éruption. Il était opérationnel en 1934. Lors de la départementalisation en 1948, il est dévolu au département. L’Institut de Physique du Globe de Paris en a la charge. Une convention entre le Conseil général de la Martinique, l’Institut National des Sciences de l’Univers du C.N.R.S. et l’Institut de Physique du Globe de Paris a été signée pour l’exploitation de cet observatoire. Des réseaux sismique, géodésique, magnétique, géochimique…ont été installés sur le volcan. Toutes les données sont transmises par radio à l’observatoire et traitées en temps réel. L’informatique permet d’avoir un » miroir » des données à Paris. L’observatoire comme l’institut sont constamment informés en temps réel de la moindre variation d’un des paramètres enregistrés et prêts à détecter le moindre réveil. Avec un tel système, les signes précurseurs de l’éruption de 1902 auraient été relevés et interprétés bien avant mai.
Cyparis travaille au Prêcheur comme marin et cultivateur. Condamné à un mois de rétention à la prison de Saint-Pierre pour une rixe d’ivrogne où il blesse un homme d’un coup de couteau, il s’échappe près du terme de sa peine et écope de huit jours au cachot. Protégé par les épais murs de celui-ci, il est secouru trois jours après l’éruption de la montagne Pelée, le 11 mai 1902, par des hommes du Morne-Rouge qui entendent ses plaintes. Souffrant de nombreuses brûlures, il est soigné à l’hôpital de Morne-Rouge où, comble de malchance, il subit le passage d’une seconde nuée ardente. Après son sauvetage, certains mettront en doute son histoire, jusqu’à ce que le président de la cour d’appel de Fort-de-France confirme son incarcération à la date de l’éruption. Gracié, il est engagé par le cirque Barnum aux États-Unis où il exhibe ses brûlures et où on le présente faussement comme le seul rescapé de la catastrophe, sous le slogan « Le seul objet vivant qui survécut dans la cité silencieuse de la mort ! ». En effet, selon certaines sources, il y aurait eu au moins un second rescapé, Léon Compère, cordonnier, qui prit la fuite par la route de Fonds-Saint-Denis. D’autres sources citent également Havivra Da Ifrile qui aurait échappé à l’éruption in extremis sur la barque de son frère et qui aurait été recueillie en mer par le Suchet.
Cyparis meurt en 1929 à Panama, dans le plus grand dénuement, totalement oublié.
On a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux. Jacques Brel
Il y a 25 000 ans, une éruption déstabilisa le flanc ouest du paléo-volcan de la Montagne Pelée, entraînant un gigantesque tsunami. Le volcan se reconstruisit peu à peu. Depuis un peu plus de 10 000 ans, sur les 25 éruptions magmatiques identifiées, une dizaine furent de type plinien, telle celle de 79 au Vésuve, décrite par Pline. La dernière de ce type eut lieu vers 1300. Les autres, » moins dévastatrices « , furent du type de celle de 1902. Si toutes les éruptions phréatiques, comme celle de la Soufrière en 1976 ou celle de la Montagne Pelée en 1851, ne sont pas suivies d’éruptions magmatiques, en revanche toute éruption magmatique de type explosif commence par des éruptions phréatiques. Un jour, la Montagne Pelée se réveillera à nouveau, mais cette fois-ci nul doute que les populations habitant autour du volcan seront prévenues bien à temps.
Jean-Louis Cheminée
directeur de recherches au CNRS, directeur des observatoires volcanologiques de l’Institut de Physique du Globe de Paris
Pourquoi la route était fermée…Vision sur notre parcours et notre retour…
A SUIVRE…