La terreur ? Terminus Leningrad. En 1938, les purges battent leur plein. Dans le genre, Staline se tient un peu là. 1793, à côté, sera de la plaisanterie. Nul n’échappera aux persécutions. L’arbitraire règne. La paranoïa grouille. Un gradé, qui a commis les pires exactions, a soudain des remords. Des visions le taraudent. Des fantômes l’assaillent. Il veut obtenir le pardon de ses victimes. Une seule solution, la fuite. Crâne rasé, survêtement rouge, il se terre dans une ville pleine de dangers, grondant de menaces et de symboles. Le tortionnaire ne sait plus où donner de la tête. Les civils tremblent. Les autorités sont à ses trousses. Les motifs pour le poursuivre ne manquent pas. Subversion, haute trahison, sabotage, le choix est vaste. On l’accuse d’être un espion à la solde de l’étranger. Qu’y a-t-il de changé en lui ? La culpabilité l’engloutit. Sa faute est énorme. Si l’on osait, il serait presque question de péché, mais le matérialisme dialectique n’use pas de termes pareils. Capitaine, Volkonogov aimerait l’être désormais de son propre destin. La tâche est rude. Il n’est plus lui-même.
LA CAVALE INFERNALE… par Eric Neuhoff
L’innocence est ce continent perdu qui n’a peut-être jamais existé. Le moyen d’oublier ces « méthodes spécifiques » auxquelles il a participé ? La torture déploie des trésors d’invention comme écraser un suspect en montant à deux sur une planche, l’étouffer en bouchant le tuyau d’un masque à gaz ou l’obliger à chanter pendant son calvaire. Les supérieurs enseignent aux recrues la méthode pour abattre les opposants d’une balle dans la nuque. L’article 58 autorise. Le héros zigzague dans des usines désaffectées, parcourt au pas de charge des couloirs poussiéreux, se réfugie dans des palais en ruine au sol jonché de paille, se cache dans des hangars aux murs couverts de salpêtre. C’est une métropole à la dérive, un décor dégoulinant façon Blade Runner sans néons. Une lumière d’aquarium baigne cette odyssée maudite, nimbe ces paysages de cauchemar où le désordre et la folie portent des uniformes. On a du sang sur les mains, mais on cite Gogol entre deux lampées de vodka.
Le diable a lu Karl Marx…La chasse à l’homme se transforme en chemin de rédemption. Les morts sortent de terre. Des pères renient leurs fils et regrettent de ne pas avoir assisté à leur exécution. On en était là. La politique était un rouleau compresseur. C’est comme si le diable avait lu Karl Marx. Le capitaine se cogne contre les vitres. Un orphelin lui renvoie ses fautes à la figure. Même sa fiancée lui demande de se rendre. Trop tard. La grâce l’a touché. Il se raccroche à ses illusions, essaie de préserver ce qui lui reste d’humain. À un moment, apparition miraculeuse, un Zeppelin orange survole les immeubles au ralenti sous le regard incrédule des passants, bref instant de paix dans cette tornade de violence et d’émotions, qui rappelle une séquence de Hope and Glory, de John Boorman. Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov filment comme on boxe. Ils nous sautent à la gorge. La tiédeur n’est pas leur fort. Leur cinéma ne ronronne pas vraiment. Il brûle. Les esthètes diront que tout cela est très russe. Il s’agit d’un compliment. Les bourreaux ont aussi une âme. Est-ce une bonne nouvelle ? En tout cas, cela fournit ce film terrible, fiévreux, habité, serré comme un poing, rugueux comme une pierre de lave.
PARANOÏA AGENT par Mathieu Jaborska |
Très récemment, le film britannico-franco-belge La Mort de Staline s’était déjà emparé de la paranoïa aiguë qui caractérisait le régime du dictateur, au point, ironiquement, d’entraîner sa mort. Le capitaine Volkonogov s’est échappé s’intéresse à l’une de ses manifestations les plus atroces de la grande terreur. Au cours de cette période, des centaines de milliers de personnes ont été arrêtées et parfois exécutées sur la foi d’accusations arbitraires et ce, y compris dans les rangs staliniens ! C’est à cette « purge » que le capitaine en question parvient à échapper in extremis. Trahi par son propre commandement, il se met en tête d’arracher un pardon aux proches de ses victimes passées. Bien entendu, Natalya Merkulova et Alexey Chupov, cinéastes et scénaristes exilés depuis l’invasion russe de l’Ukraine, ne cherchent pas à absoudre le fugitif de ses péchés. Il est bien question d’une rédemption impossible, d’une quête absurde et morbide au coeur d’un état totalitaire qui s’auto-cannibalise pour mieux contraindre. Expurgée de son sens par un bourreau monstrueux de cynisme, la mort plane sur les deux heures de film, n’épargnant ni notre anti-héros, qui grappille un maigre répit pour sa nouvelle lubie, ni son poursuivant, cerné à la fois par sa hiérarchie et par une maladie nécrosant progressivement son corps, ni bien sûr les civils. La mort est l’élément perturbateur, le motif, le but, le contexte, quitte à ce que le récit flirte avec le cauchemar fantastique. Le couple de scénaristes préfère l’élaboration d’un univers régi par des cadavres ambulants aux contraintes de la reconstitution historique. Et par la même, il coince ses personnages dans les rouages d’une machine absolument déshumanisante. Les quelques dialogues qui émaillent la fuite de Volkonogov façonnent à leur tour une dimension politique parallèle, où l’empathie est diluée dans la vodka, où les citoyens se recroquevillent dans leurs masures ou au fond de caves, jusqu’à la catatonie. La purge est traitée comme l’ultime symptôme sardonique avec un humour très noir à l’appui de l’autoritarisme paranoïaque stalinien. Un état de perpétuelle agonie qu’il aurait été difficile de mettre en scène sans le protagoniste éponyme, qui tente bien malgré lui de se soustraire en vain au système.
Les cinéastes peuvent compter pour ça sur la performance impressionnante de Yuriy Borisov, comédien en train de conquérir, les uns après les autres, les festivals internationaux, puisqu’il a déjà été remarqué dans Compartiment N°6 et dans le monumental La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov. Sorte de Pitbull musculeux à la botte d’un pouvoir qu’il n’essaie pas de comprendre, il semble se décomposer au contact du pays qu’il a contribué à martyriser. Pourtant, il avance vaguement à contre-courant, essayant tant bien que mal de retrouver un sens moral dont on l’a délesté bien auparavant. Sa fuite désespérée est donc moins une héroïque poursuite de rédemption qu’une recherche inconsciente de la part réprimée en lui. D’abord motivé par la terreur égoïste de l’enfer, il finit, faute de mieux, par échapper à la menace de l’autorité et faire preuve d’un début de sincérité. Difficile d’écrire un pareil cheminement, de raconter la prise de conscience lente et douloureuse d’un ex-tortionnaire désormais conscient qu’il peut être un individu, sans pour autant passer l’éponge sur ses actes, ni vraiment lui accorder ce pardon qu’il poursuit. Il aura fallu à Merkulova et Chupov dont ce n’est que le troisième long-métrage en tant que réalisateurs 27 versions du scénario pour y parvenir, et ça se voit. C’est ensuite à leur mise en scène de ne pas l’iconiser, laissant les décors déprimants l’avaler alors qu’il se perd dans un Leningrad empoisonné. La caméra ne lui accordera qu’un seul instant de grâce, des plus cruels. Le dernier acte enfonce le clou en se décalant sur ce fameux décor, jusqu’à un dernier plan en forme de faux happy-end dévastateur, qui reste en tête longtemps après la séance. Car le climat instauré par Staline a perduré bien longtemps après 1938 et cette description d’un système meurtrier qui tourne à vide fait toujours froid dans le dos. Il faut donc prendre son courage à deux mains pour découvrir Le capitaine Volkonogov s’est échappé plus flippant que la plupart des films d’horreur qui envahiront les multiplexes cette année. Mais le jeu en vaut la chandelle.
TRISTEMENT VISIONNAIRE par François Forestier
Un film sur les années 1930 qui rencontre un écho terrible avec l’actualité de 2023. Passionnante plongée dans l’URSS de 1938, à la fois un récit historique, un conte fantastique, un polar tambour battant et une dénonciation puissante des crimes de Staline. Les deux réalisateurs, Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov, aujourd’hui, choqués par la guerre menée en Ukraine, se sont installés à Bakou, et leur producteur à Paris, Charles-Evrard Tchékhoff, est leur porte-voix. Le style du film, sa force, c’est aussi l’étrange correspondance des années 1930 et de l’actualité de 2023…Cette résurgence d’une époque et d’une atmosphère qu’on croyait disparues dans les replis de l’Histoire. La nostalgie du règne du « petit père des peuples » se ressent dans la Russie moderne, et le film, tourné en 2020, est annonciateur, voire visionnaire. Devant l’impossibilité de contacter les deux réalisateurs, nous avons donné la parole au producteur et, en bonus, nous publions la note d’intention que Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov ont rédigé en août 2020, juste avant de tourner. L’éclairage ainsi fourni donne la dimension du film, à la fois politique et hautement symbolique.
Qui sont les réalisateurs de ce brûlot ? Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov sont des cinéastes qui ont déjà un certain nom en Russie. Ce couple a réalisé trois longs métrages « L’homme qui a surpris tout le monde » (2018) dans lequel un homme qui a un cancer décide se travestir en femme pour tromper la mort et « Intimate Parts » (2013), où on entre dans l’étrange intimité d’un couple. Les deux cinéastes sont par ailleurs très attirés par les éléments du fantastique et du folklore, et ils ont également cosigné en 2017 le scénario d’une trilogie sur Vij, personnage monstrueux et démoniaque inventé par Gogol. Il y a là tout un univers à la Tolkien, et cette trilogie a eu un succès fou. Ils ont aussi scénarisé « Salyut 7 », l’histoire d’une capsule spatiale tombée en panne, dont le sauvetage donne lieu à un bras de fer entre les Américains et les Russes. Quand j’ai vu ces films très personnels d’une part, et ce goût pour les contes, la littérature, et les films populaires d’autre part, j’ai pensé que la conjugaison des deux approches pourrait donner une lecture universelle à un film nécessaire dont la portée était profonde.
Vous avez discuté de l’histoire de Volkogonov au préalable ? De par sa qualité, et son sujet (la Grande Terreur, 1937-1938) qui n’avait quasiment jamais été traité au cinéma de manière si frontale, le scénario a fait pas mal de bruit à Moscou. Y ayant beaucoup d’attaches dans le cinéma, il m’en est parvenu par plusieurs biais. Mais déjà avant le 24 février 2022, date de l’invasion militaire de l’Ukraine, c’était un film très difficile à monter en Russie. Le ministère de la Culture russe avait publié une liste des sujets « prioritaires », dont la « diffusion des valeurs traditionnelles russes », et le « renforcement du statut de la profession militaire lors des événements historiques ». En soi, ceux-ci ne semblent pas forcément contradictoires avec une dénonciation de la Grande Terreur. Mais pour mieux décrire le contexte, on peut préciser que Vladimir Medinski, qui est aujourd’hui l’un des conseillers spéciaux du Kremlin, était à l’époque le ministre de la Culture. En parallèle, il était (et est toujours) le président de la Société historique militaire russe. Cette puissante institution a installé son siège dans la maison Botkine, rue Pokrovka à Moscou : c’était la maison de mes arrière-arrière-grands-parents. C’est maintenant également un musée, avec toutes les médailles, les ordres et uniformes russes. J’y ai été reçu avec ma vieille tante, dont la mère était née là. Et dans le vestibule, un tableau gigantesque de Staline s’adressant au Parti venait d’y être accroché. Je pense que cela en dit long…
La situation a changé depuis ? Oui. Les forces en place au pouvoir essaient de réhabiliter une certaine idée de l’URSS et de gommer les aspects les plus noirs et criminels du régime. Ce film va à rebours de ces intentions. Mais là, vu la qualité créative du projet, le soutien des membres de la commission, il était impossible de mettre un veto à ce panel d’experts et professionnels indépendants, sauf à créer un scandale. Ils ont donc décidé de laisser faire. Nos coproducteurs russes ont été très habiles, mais c’est exceptionnel. C’était en 2020. Aujourd’hui, ça serait impensable. D’ailleurs, ce film n’est pas sorti en Russie et rien ne se profile dans ce sens.
Quand le tournage a-t-il eu lieu ? En 2020. Le tournage s’est déroulé normalement, excepté l’arrivée du Covid. Les problèmes ont commencé quand il a été question de sortir le film. Il a été présenté à Venise en septembre 2021 et les différents distributeurs ont commencé à devenir frileux, à reculer. De fil en aiguille, la sortie du film a été repoussée, la guerre en Ukraine est arrivée, et là, plus personne. Il n’y a pas eu d’oukase, d’interdiction, mais personne n’ose sortir le film.
Mais, vu les restrictions légales, comment alors, peut-on coproduire ? Le statut d’« agent étranger » ne vous interdit rien en soi. Il proscrit la participation aux débats publics et rend obligatoire la mention « agent de l’étranger ». Comme toujours en Russie, c’est plus compliqué ! Notre film a été montré en Russie à Kinotavr, le festival de Sotchi, où il a gagné le prix du meilleur scénario et celui du public. Puis la guerre a été un couperet. Trois jours après le début des hostilités, les réalisateurs ont signé une pétition de l’association des scénaristes russes prenant position contre la guerre. Et ils sont partis.
Par prudence ? Sans doute. Mais ils ne pouvaient plus travailler. Désormais, ils ne veulent plus prendre la parole. Il y a des raisons de sécurité, mais ils sont en état de choc, aussi. La guerre a tout dévoré, ils ne peuvent plus penser à rien d’autre qu’à combattre ce conflit. Leur position a été très claire, tout de suite : on ne peut pas vivre dans un pays qui fait ça.
Ils sont où maintenant ? A Bakou. Ils dirigent une école de cinéma.
De façon surprenante, le sujet du film a une résonance très actuelle…C’est ce qui est dingue ! Dans le film, on fusille les gens, mais dans l’actualité, on les condamne à des peines de prison ! Déjà, il y a trois ans, le cas Serebrennikov a été très exemplaire. Il a été arrêté pendant le tournage de son film ! Je pense qu’entre autres raisons, ça a été fait pour faire peur et servir d’exemple. Aujourd’hui en Russie n’importe qui peut être désormais arrêté, de façon arbitraire.
Ce qui est étonnant, dans le film, c’est que les services de sécurité, en l’occurrence le NKVD, étaient aussi victimes d’une épuration sanglante en 1938 ! Oui, on exécutait sans procès. Pour des motifs divers, ennemi du peuple, activité trotskiste, complot capitaliste, n’importe quoi ! La terreur régnait. Le retour de cette peur, c’est précisément ce que dénoncent Merkoulova et Tchoupov dans leur film ! D’une certaine manière, on est en train de revenir vers 1938. Memorial a été dissoute par les autorités, l’association qui dénonçait les crimes staliniens ! Ce film est comme une pelote : on tire un fil, et tout vient.
Ce qui domine, dans le film, c’est l’absurdité criminelle. Cette notion d’absurde revient en force, aujourd’hui. C’est l’effet matriochka, les poupées russes, de ce film. Le film dénonce quelque chose dont il est, en quelque sorte, victime un an après. Il y a un côté tristement visionnaire. La pertinence de ce film est simplement hallucinante. La peur est dans notre ADN. Elle fait transpirer les paumes des mains et se tordre le ventre. Ne ris pas trop fort, ne chante pas et, plus généralement, ne te fais pas remarquer. Si tu te fais remarquer, tu tombes dans la zone de risque. La peur est un sentiment qui se colle à vous de toute son épaisseur. Il ne peut être confondu avec aucun autre. La peur a sa propre odeur, on peut la sentir.
Dans notre pays, la peur a traumatisé plusieurs générations, avec trois décennies de répressions. La période la plus sanglante étant celle de la Grande Terreur, entre 1937 et 1938. Quand les hommes du NKVD (Services de Sécurité nationale, plus tard renommés KGB) venaient chercher un membre de la famille, voire la famille dans son entier. Il y eut officiellement environ huit cent mille personnes exécutées durant la Grande Terreur soit la population d’une grande ville russe. A cette époque, 1,5 à 2 millions de personnes ont été jugées et condamnées. Certains historiens estiment que ces chiffres sont encore à affiner. Les arrestations se faisaient de nuit pour surprendre les gens dans leur lit, pour que personne ne puisse s’enfuir. Pour que les gens ne puissent raconter à leurs enfants comment leur mère, leur père, leur sœur, leur frère, leur grand-père ou leur grand-mère avaient été emmenés. Ils ne pouvaient transmettre à leurs enfants que la peur, comme un instinct de survie. Si tu as peur, alors tu ne riras pas fort, tu ne parleras pas fort, tu ne chanteras pas fort. Tu vivras à demi-ton. Ton but principal sera de te perdre dans la foule, de gommer ton individualité de sauver ta peau.
L’histoire peut brutalement se répéter. Nos parents ont vécu après la Grande Terreur, mais ils ont eu le temps d’être effrayés et de savoir qu’il vaut mieux ne pas tenter le sort. Et surtout que l’histoire peut brutalement se répéter. Nos parents ont intégré cela et nous l’ont transmis, mais nous ne voulons pas vivre dans cette peur. Il faut que nous soyons le dernier maillon à subir ce traumatisme. Cependant, des voix s’élèvent dans l’opinion publique, défendant l’idée selon laquelle la Grande Terreur était nécessaire pour notre pays et que l’assassinat de centaines de milliers de ses propres citoyens n’avait aucun lien avec le camarade Staline. Récemment, un monument lui a été érigé à Novossibirsk et, dans l’un des postes de police locaux, les hommes se font photographier le jour de la Victoire (le 9 mai, jour de la victoire de 1945) en uniforme du NKVD. Dans ce contexte de réinterprétation du passé, il est à nouveau dangereux d’exprimer son avis à haute voix. Parce que cet avis peut être requalifié en outrage à quelqu’un ou à un principe quelconque et qu’on peut atterrir derrière des barreaux.
Les tortures que subissaient les personnes arrêtées en immense majorité innocentes étaient fondées sur l’humiliation. L’important était de briser la dignité humaine et de provoquer une peur panique, de changer ces gens en animaux pour leur faire signer de faux aveux. Ces tortures et exécutions se déroulaient en plein centre de Moscou, dans les caves d’anciennes maisons de maître. L’une d’elles se trouve à deux pas de la place Rouge, dans ce qui est devenu une artère de magasins de luxe. C’est l’un des lieux de promenades préférés de Moscovites et des touristes. On voudrait oublier ce qui se passait dans ces maisons en 1938, mais quand une vague d’angoisse et de peur vous prend, il est impossible de ne pas se souvenir. Pour soi-même, pour sa famille, la peur est toujours là, c’est comme un virus dans l’organisme qui attend son heure, ou un concours de circonstances favorable. En créant un monde de victimes, nous voulons souligner l’universalité du message…La dictature, la violence, et la pression sont compréhensibles aux quatre coins du monde. Notre personnage suit un cheminement qui ouvre en lui le profil d’un homme tout simple, avec ses peurs et ses faibles réjouissances. Volkonogov, si fort et courageux en apparence, ressent pour la première fois cette fragilité, la laisse entrer dans son cœur pour le conduire vers le pardon. C’est un tortionnaire repenti qui rêve de monter au paradis.
Quelle ville voit-on au-dehors ? Ce n’est pas un film strictement historique. On montre un univers où un cheval attelé à une charrette suit un tramway. Mais on voit dans le même temps sur les murs des fresques se référant aux avant-gardistes russes. Ces sortes de graffitis sur les murs, dans notre monde comme dans le monde réel, jouent un rôle marginal, un rôle de contre-courant. Ici, nous mélangeons les principaux avant-gardistes russes comme Petrov-Vodkine, Filonov et Malevitch. Ces trois peintres ont leurs propres spécificités, mais ils forment ensemble un seul ADN. Tous trois existaient dans le contexte d’une culture mondiale, tous trois utilisaient la lumière et la couleur de manière libre et totale. C’est pourquoi les hommes du NKVD effacent les graffitis pour ne pas qu’ils engendrent de réflexion et d’inspiration dans le monde où vivent les victimes.