2022-Christian Bale !

David O. Russell s’affirme en tant que réalisateur rare mais précieux. Le bonhomme sait choisir ses projets avec parcimonie, et tire souvent le meilleur de récits dédiés à des personnages aussi bizarres que touchants. Avec Amsterdam, il poursuit le filon du film choral à tendance historique, déjà entériné par American Bluff, grâce à un casting cinq étoiles porté par Christian Bale, Margot Robbie, John David Washington ou encore Robert De Niro. Pari réussi ?

 

 

 

 

Exceptionnellement, il va falloir passer à la première personne pour jouer cartes sur table… c’est la critique sans nul doute l’une des plus difficiles que j’aie eu à écrire cette année. Pourquoi ? Parce qu’après mûre réflexion, je ne sais toujours pas ce que je pense du film. Et j’ai l’impression que c’est presque voulu par son réalisateur. Le nouveau long-métrage de David O. Russell est foncièrement confus. Il y retrouve son goût pour une narration cacophonique, où pléthore de personnages se définissent au sein d’une accumulation de joutes verbales. Sa caméra sait toujours aussi bien capter ce bordel ambiant comme s’il s’agissait d’un numéro de danse, et convoque plus que jamais l’héritage d’un John Cassavetes qu’on aurait boosté à l’ironie mordante. La différence, c’est que l’ensemble ne s’ancre pas dans un drame humain resserré comme Happiness Therapy, Joy, mais dans un film d’enquête au cœur du contexte éclatant des années 30, révélant petit à petit une machination à l’échelle nationale. Pourtant, O. Russell est le premier à présenter son dernier-né comme une œuvre sur l’amitié. L’amitié entre deux hommes que la Grande Guerre a défigurés (Christian Bale et John David Washington), puis avec l’infirmière grâce à laquelle ils ont mené une belle vie, loin de tout, pendant les années folles (Margot Robbie).

 

Et c’est justement là qu’Amsterdam se veut déstabilisant, car le récit est à son meilleur lors de ce flashback, sorte d’aparté tendre qui porte en elle l’insouciance de protagonistes persuadés que le pire est derrière eux. La mise en scène d’O. Russell agit comme une douce caresse sur ces corps meurtris, tout en assumant une ironie dramatique amère. Cette clé de voûte désenchantée, mais diablement humaine est souvent bouleversante, notamment lorsque les diverses voix off s’empilent pour faire dialoguer les non-dits des sentiments à l’image. Le problème, c’est que le film ne fait que s’étioler à partir de ce souvenir, comme s’il voulait consciemment en faire le dernier moment de joie fantasmatique d’un monde au bord du gouffre. Car au-delà de l’arrière-plan militaire qu’il façonne, où le racisme est autant évoqué que l’abandon des vétérans par la société américaine, le scénario plonge ses personnages dans les rouages abracadabrantesques d’un complot autour d’un potentiel coup d’État de l’armée…Il ne tarde pas avant que les noms de Mussolini et d’Hitler soient évoqués, et que le loup fasciste sorte de la bergerie pour s’imposer dans l’imagerie du film, jusqu’à l’image presque drôle d’un buisson en forme de croix gammée. Si O. Russell est surtout heureux d’affirmer que cette histoire improbable est inspirée de faits réels, Amsterdam se plaît à se perdre dans des circonvolutions assez inutiles, détours sinueux d’autant plus vains que le spectateur peut aisément en deviner les tenants et aboutissants. Sauf que tout le propos du film réside dans cette progression laborieuse. On connaît le cours de l’Histoire, mais les protagonistes refusent de croire qu’une énième guerre puisse éclater. Ils ont vécu la Der des ders, et les erreurs du passé ne peuvent pas décemment se répéter. Nul doute que le cinéaste y déploie un regard politique très en phase avec l’actualité, et un point de vue finalement assez critique sur la naïveté béate d’un gouvernement (et d’une société) qui ne voit jamais venir la menace de l’autoritarisme.

 

Sur le plan théorique, la proposition est une incongruité stimulante, voire inattaquable, au vu de son improbabilité dans le paysage actuel. Pourtant, Amsterdam ne peut que laisser le spectateur sur le bord de la route, la faute à un excès de zèle qui rend l’ensemble hautement indigeste. L’accumulation de personnages secondaires amène à des séries de sketches vaudevillesques et à des élans de screwball à l’ancienne qui engendrent des ruptures tonales jamais pleinement maîtrisées. À trop se demander où O. Russell nous emmène, son long-métrage perd de son pouvoir d’immersion, alors même que l’on constate l’implication évidente de son casting, à commencer par son trio de tête et en particulier Bale, toujours aussi investi dans ses transformations physiques. De Rami Malek à Anya Taylor-Joy en passant par une touchante Zoe Saldana, cette brochette glamour prouve une nouvelle fois le talent de son réalisateur pour la direction d’acteurs, mais presque au point où l’on voit tout ce beau monde s’amuser à un atelier de théâtre sans nous. La photographie rayonnante d’Emmanuel Lubezski et la musique toujours aussi inspirée de Daniel Pemberton (décidément le nouveau cador d’Hollywood) ont beau sublimer cet exercice de style, Amsterdam reste une belle vitrine de cinéma, mais dont on constate la frontière qui nous sépare de son univers enchanteur.

 

 

 

 

« What is going on here ? » Tels sont les mots prononcés par un Christian Bale, mis à terre par un quidam dans Amsterdam de David O.Russell. Cette question, au demeurant basique et convenue, devient malgré elle la synecdoque esthétique et éditoriale de ce projet XXL étonnant de pauvreté et de désuétude. Situé dans les années 1930, le long-métrage narre l’aventure de trois lurons ayant déserté le front de la Première Guerre Mondiale. Tous blessés physiquement ou psychologiquement à des degrés plus ou moins élevés, ils vont se retrouver au cœur d’une conspiration sans précédent annonçant les pires heures de la nouvelle décennie désenchantée qui se profile en Europe. En tendant son postulat vers une veine absurde, Russell tente de se fondre dans le moule aujourd’hui conventionnel de la comédie dramatique tendrement acerbe, avec un casting monstrueux qui servirait de chair à canon dans une situation qui les dépasse tous difficile, par exemple, de ne pas penser à un film tel Inherent Vice de Paul Thomas Anderson, qui racontait la difficulté californienne des années 1970 de se renouveler après les troubles causés par la Manson Family.

 

Pourtant, point de tout cela, ou presque volontairement nébuleux, le film noie toutes ses pistes narratives, tonales et esthétiques durant 2h15, enchaînant les ruptures au sein même des séquences et dénaturant le peu de fil conducteur identifiable pour le spectateur. Amsterdam digresse, revient sur ses pas, tourne en rond, déforme les considérations spatiales, s’essaie à des performances comiques anecdotiques, en réussissant à rater sa cible à chaque fois tant la vacuité du cœur reste visible. Velléités politiques, comédie humaine infusée par des références au médium théâtral, Oulipo cinématographique du point de vue d’un vétéran traumatisé par la guerre ? Le long-métrage se veut être un peu tout en même temps, et à la longue ne devient jamais ne serait-ce qu’une petite chose de tout cela. Jamais un trouble ne semble se disséminer, jamais une idée ne vient en dépasser une autre pour parasiter en intégralité le sujet initial. Au fil des minutes, le film s’avère de plus en plus être un agrégat stylistique qu’une somme de paradoxes et de contradictions jubilatoires…Russell semble empiler et attendre de voir quel effet cela pourrait produire au rendu final. Il est difficile par exemple de comprendre les différences d’acting majeures entre un Christian Bale borgne, qui cabotine encore plus que d’habitude, un John David Washington tout à fait transparent et une Margot Robbie dont les atermoiements de sa caractérisation rendent sa performance hasardeuse.

 

La teneur narrative joue elle aussi sur le registre de la somme au détriment de la complémentarité. Chaque séquence raconte une histoire dans des angles qui s’opposent sans trouver de sens commun. Répétitions extrêmes, métaphores, ellipses, tout y passe sans exception. Le récit linéaire se métamorphose en un flash-back explicatif de vingt minutes, un montage-clip épuisant et pour finir traduit sa morale consternante par un montage vertical à l’image des travaux de Hank Corwin pour les propos politiques de Adam McKay. Le seul petit liant qui tente de raccrocher tous ses wagons est la palette directrice de Russell, qui surcharge son long-métrage de faux raccords béants pour sursignifier une vague idée de labyrinthe esthétique. Ces faux raccords s’additionnent à l’apparition saugrenue d’acteurs dans le cadre, pouvant surgir d’une porte, à la dérobée, sans crier gare ni qu’ils aient une raison quelconque d’être présent à ce moment-là du récit. Le souci est que cette idée, au demeurant pas dénuée d’intérêt, ne trouve aucune raison d’être dans le projet, étant donné qu’il n’est jamais possible de savoir sur quel pied souhaite danser le film. Certains effets de montage en deviennent même passablement ringards tant ils semblent émaner d’ordres narratifs d’un autre temps avec…Arrêts sur image intempestifs, voix off cyniques, gros plans en courte focale en contre-plongée…Ni amusant, ni touchant, ni curieux passées les premières secondes, l’hétérogénéité d’Amsterdam devient une épée de Damoclès à force de ne jamais parvenir à dépasser l’étape du concept. Un ronronnement pesant et auto-satisfait qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un accident industriel majeur.

 

 

 

 

CRASH A HOLLYWOOD…

 

Amsterdam, réalisé par David O. Russell, avec Christian Bale, Margot Robbie et John David Washington, est bien l’un des plus gros échecs de 2022.   par Mathieu Victor-Pujebet

 

Comme pour s’amuser des commentateurs du présent et de l’avenir du cinéma, 2022 a été une année riche en rebondissements en ce qui concerne le box-office. Entre le succès surprise d’Everything Everywhere All at Once, le triomphe monumental de Top Gun : Maverick, le non-succès de Morbius et le bide cataclysmique de Moonfall, les certitudes ont été ébranlées au cours de cette douce année parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Dans la liste des mauvaises surprises, le raté Amsterdam, réalisé par David O. Russell. Comédie d’espionnage sur fond de drame historique, le film avec John David Washington, Margot Robbie et Christian Bale s’est sévèrement crashé au box-office mondial, pour devenir l’un des plus gros bides au box-office de 2022. Pourtant, en théorie, Amsterdam avait de quoi être un beau succès. Il suffit de jeter un oeil à l’hallucinant casting du film avec Christian Bale, John David Washington, Margot Robbie, Robert De Niro, Chris Rock, Anya Taylor-Joy, Zoe Saldana, Mike Myers, Rami Malek ou encore Michael Shannon. Une sélection de prestige, avec différentes générations et donc, différents publics touchés. Derrière la caméra, David O. Russell n’est pas vraiment à plaindre non plus puisque si le cinéaste américain a eu des hauts et des bas au fil de sa carrière, le bonhomme a tout de même enchaîné quelques beaux succès sur le plan critique et financier Fighter, Happiness Therapy, American Bluff. Depuis 2011, il a enchaîné les nominations aux Oscars, notamment comme meilleur réalisateur et meilleur film.

 

Par ailleurs, le film a eu droit à une jolie distribution aux Etats-Unis avec plus de 3000 salles obscures lors de son démarrage, dont un certain nombre projetant de l’Imax. C’est dans la moyenne basse des gros films d’auteur à la Don’t Worry Darling (plus de 4000 cinémas) et des grosses comédies américaines style Ticket to Paradise (plus de 3500 cinémas) et Bros (plus de 3300 cinémas), mais ça reste énorme. Disney, distributeur du film, n’y est d’ailleurs pas allé de main morte côté promo puisque d’après iSpot, le studio a misé plus de 15 millions de dollars rien que pour le promouvoir à la télévision américaine. Notons qu’il s’agit d’une somme bien plus élevée que ce qu’ont dépensé les majors concurrentes, notamment Sony pour Enzo, le croco (environ 9 millions de dollars) et Warner Bros. avec Black Adam (dans les 10 millions). Ajoutons à ça un week-end de trois jours aux États-Unis (journée des peuples autochtones) et le film avait définitivement de belles cartes à jouer pour être un succès…et pourtant…D’après Deadline, le démarrage américain d’Amsterdam était estimé entre 12 et 15 millions de dollars de recettes. Dans les faits, le film n’a pas atteint les 6,5 millions de recettes lors de son week-end d’ouverture. Ajoutons que ce score a été gonflé de plus d’un tiers par les séances Imax et PLF. Après ce lancement catastrophique, le film n’a pas survécu longtemps avant de perdre presque la moitié de ses écrans aux États-Unis. Plus de 1250 cinémas ont déprogrammé le film lors de son troisième week-end d’exploitation, sans doute pour laisser de la place aux grosses sorties du vendredi, à savoir Black Adam et Ticket to Paradise. Difficile d’expliquer un tel crash, d’autant plus qu’avec ces ingrédients très hollywoodiens, Amsterdam aurait pu jouir d’une jolie aura pré-Oscars, à l’instar de précédents succès de David O. Russell comme Happiness Therapy ou American Bluff. Une aura qui a certainement été étouffée par une réception critique très mitigée…Par ailleurs, même s’il est difficile de mesurer leur éventuel lien avec l’échec d’Amsterdam, il n’est pas impossible que les diverses affaires plus ou moins avérées sur David O. Russell aient joué. Agression de Christopher Nolan lors d’une fête, conflit qui est allé jusqu’aux mains avec George Clooney, comportement tyrannique avec les comédiennes Lily Tomlin et Amy Adams, et le tout couronné par une plainte pour agression sexuelle venant de sa propre nièce… Reste à voir si tout ça arrive jusqu’au grand public, et si ça compte pour choisir sa séance.

 

 

 

 

L’échec est d’autant plus monstrueux que lors de sa production, son tournage a été déplacé de Boston à Los Angeles à cause de la pandémie de Covid-19, faisant ainsi considérablement grimper son budget. Modification de date de tournage, crédit d’impôt californien et déplacement de l’équipe, a pandémie fait partie des raisons pour lesquelles le budget de production est passé de 50 millions à 80 millions de dollars, faisant croître proportionnellement les pertes du film lors de sa sortie. Sa campagne marketing ayant coûté entre 70 et 80 millions de dollars, le budget total s’élèverait à plus de 160 millions de dollars. D’après Deadline, s’il parvient à atteindre les 35 millions de dollars au box-office mondial et qu’il bénéficie d’une distribution vidéo dans les normes de Disney, le film devrait dégager dans les 67 millions de recettes dans le monde, comptant une centaine de millions de dollars de pertes. Un des plus gros échecs de l’année 2022, aux côtés du crash cosmique de Moonfall et du bide intemporel de Trois mille ans à t’attendre. Le film est d’ailleurs le pire flop de la carrière de David O. Russell puisque malgré le plantage de J’adore Huckabees, le métrage était malgré tout parvenu à rembourser de justesse son budget de production de 20 millions de dollars. Et comment de ne pas évoquer les cartons de Fighter (20-25 millions de budget, 129 millions au box-office), Happiness Therapy (21 millions de budget, 236 millions au box-office) et American Bluff (40-55 millions de budget, plus de 251 millions au box-office) ? David O. Russell a eu des couacs dans sa carrière (J’adore Huckabees, Joy), mais jamais d’une telle ampleur, et surtout avec sa popularité actuelle dans l’industrie. Par ailleurs, vu son échec critique, difficile de croire que ce film aura le même succès aux Oscars que Fighter ou Happiness Therapy, qui avaient récoltés des prix d’interprétation en plus de prestigieuses nominations. En bref, Amsterdam va perdre beaucoup d’argent, et a priori, aucun prestige hollywoodien ne viendra sauver l’affaire.

 

Son échec appuie une nouvelle fois le constat qu’un certain cinéma relativement bien produit, que l’on pourrait qualifier de budget intermédiaire (entre les 50 et 100 millions de dollars environ), semble en mauvaise posture dès que l’on sort du cinéma de super-héros (Morbius ayant coûté dans les 75 millions de dollars). Si des petits films comme Everything Everywhere All at Once (budget de 25 millions) et Smile (17 millions) parviennent à tirer leur épingle du jeu et à joyeusement se rentabiliser, les échecs de Trois mille ans à t’attendre (60 millions), House of Gucci (75 millions), Nightmare Alley (60 millions) ou même West Side Story (100 millions) ne sont pas passés inaperçus. La seule exception de 2022 pourrait être celle d’Elvis avec plus de 286 millions au box-office pour un budget de 85. Pur hasard, restes de la pandémie de Covid-19, ou vraie tendance ? Tous les films précédemment cités ont été réalisés par des auteurs de renommée internationale. Ces films d’art de luxe ont-ils encore leur place à Hollywood ? Les studios continueront-ils de produire des films aussi chers et risqués sur le nom de cinéastes qui peinent à briller dans les compteurs du box-office ? L’écart entre les petites productions indépendantes et les mastodontes de plus en plus chers va-t-il encore se creuser ? L’avenir nous le dira…