1971 – Kubrick “fascination”

Pour Stanley Kubrick, Orange Mécanique est un « moment de liberté » qu’il prend entre deux projets énormes 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968) et Barry Lyndon (1975). Plus précisément, Kubrick entreprend Orange Mécanique faute de pouvoir tourner son Napoléon, qu’il prépare ô combien méticuleusement depuis 1969, mais dont le budget est jugé trop cher par la MGM mais toutes les patientes recherches historiques du cinéaste sur la fin du XVIIIe siècle ne seront pas vaines et serviront heureusement à Barry Lyndon.

 

 

 

 

C’est Terry Southern, le scénariste iconoclaste de Docteur Folamour, qui attire l’attention de Kubrick sur le roman d’Anthony Burgess, paru en 1962, livre devenu culte en raison de son argot futuriste et de son ironie mordante sur la problématique de la violence urbaine. Kubrick est enthousiaste, et pour cause sa grande préoccupation a toujours été la guerre et ce qu’elle révèle du « malaise dans la Civilisation ». Guerre que l’on retrouve dans ses films appartenant au genre ou s’en approchant Fear and Desire, Les Sentiers de la gloire, Spartacus, Docteur Folamour, Barry Lyndon première partie, Full Metal Jacket, mais aussi dans les lieux les plus inattendus comme à bord du vaisseau spatial immaculé de 2001, l’ennemi étant l’intelligence artificielle, au sein du couple, dans la tétralogie domestique que constituent Lolita, Barry Lyndon deuxième partie, Shining et Eyes Wide Shut. La guerre, dans Orange Mécanique, prend la forme de la violence urbaine qui ne cesse de monter en flèche depuis les années cinquante, violence à laquelle répond une répression policière non moins exacerbée ce pour quoi on appelait cette douce période les Trente Glorieuses. Pour Kubrick, Orange Mécanique est un défouloir, le film d’un sale garnement du Bronx qui en a vu d’autres, pouffant littéralement de rire derrière la caméra lorsqu’il filme les chorégraphies grotesques des Droogs, se moquant de toutes les institutions avec le garde-chiourme ridicule, le Premier ministre cynique et manipulateur, les scientifiques insensibles du traitement Ludovico, institutions qui prétendent régler le problème de la violence urbaine par la répression. Seul le prêtre de la prison, malgré sa moumoute et son ton pontifiant, n’est pas trop moqué en raison de ses justes propos sur le libre arbitre, avec lesquels le cinéaste est d’accord. Mais Kubrick n’est pas pour autant un homme de gauche qui en appelle à une meilleure politique de prévention et d’éducation. Le cinéaste préfère prendre de la hauteur, se placer en moraliste voltairien et dénoncer, à travers son conte philosophique à la structure délibérément répétitive, l’intemporelle bêtise humaine, comme l’auteur de Candide, il veut faire réfléchir à la violence de l’homme en général. Kubrick nous jette la question en pleine face, Alex est un monstre, certes, mais une société qui torture un monstre, et qui cherche à annihiler toute liberté de pensée en lui, n’est-elle pas pire encore ? Le cinéaste le dit clairement à Michel Ciment, pour lui, Alex symbolise l’inconscient de l’Homme civilisé, et gare à ce dernier s’il prétend nier cette part de lui-même ! L’ironie dévastatrice de Docteur Folamour est donc de retour, renforcée ici par une esthétique délibérément laide (meubles et costumes criards, grands-angles déformants les visages), là où 2001 et Barry Lyndon sont prodigieusement beaux. Provocateur, Orange Mécanique tient encore plus aujourd’hui ? du matériau hautement inflammable…L’ironie ne marche pas sur tout le monde et, Malcom McDowell / Alex étant plein de vitalité, certains jeunes voyous peuvent décider de l’imiter. C’est ce qui est arrivé en Angleterre au moment de la sortie du film, poussant Kubrick à retirer son film des écrans britanniques pour de nombreuses années.

 

Dans ses réflexions générales sur le cinéma, données au gré des interviews, Kubrick a souvent opposé deux génies qu’il admirait beaucoup Chaplin et Eisenstein. Selon lui, chez Chaplin « tout est contenu sans forme », chez Eisenstein, « tout est forme sans contenu. » selon Kubrick, Chaplin filmait platement des scènes géniales, Eisenstein filmait génialement des scènes plates. Et donc, se demande en substance le cinéaste américain, qui a toujours été un pragmatique, pourquoi ne pas prendre le meilleur des deux méthodes ? Dans sa filmographie, Orange Mécanique semble justement la réalisation de cette ambition, avec Alex, Kubrick a trouvé la perle rare, un personnage aussi fascinant et original que Charlot, à ceci près qu’il s’agit d’un Charlot démoniaque, au costume aussi blanc que l’autre était noir, un vagabond acrobate dont le chapeau melon et la canne annoncent, non pas la débrouillardise et la générosité, mais la transgression violente. Dans les deux cas toutefois, il y a bien enchaînements de « gags », le gag n’étant rien d’autre qu’une anomalie, une (orange) mécanique plaquée sur du vivant. Et la structure du film, autocentrée sur le « héros », ressemble à celle du burlesque des années vingt, Alex et les bourgeois, Alex et les policiers, Alex en prison, etc.. Mais contrairement à Chaplin, Kubrick filme son Charlot sous tous les angles, le magnifiant de manière exagérée avec zooms ou travellings arrière accentuant sa domination de l’espace, ralentis, très gros plans, comme Eisenstein pouvait magnifier, au premier degré, telle révolte ouvrière anticapitaliste ou tel guerrier russe ancestral.

 

 

 

 

Remarquons d’ailleurs que ce style exacerbé illustre surtout la première partie, au moment où Alex se prend pour le roi du monde, probablement sous l’emprise du lait drogué du Korova Milk Bar. A partir de son arrestation, le style devient d’un coup plus sobre. Ce n’est pas, comme le pensent certains, parce que Kubrick ne tient pas la distance de son « récit de SF », mais tout simplement parce qu’Alex est revenu d’un seul coup à la réalité. Dès lors, vous remarquerez que le Londres fantasmé du début devient plus proche du Londres contemporain. En somme, le « récit de SF » était dans la tête d’Alex. Dans la première partie au style exacerbé, Kubrick « s’éclate » comme Alex mais, par la constante ironie dont il fait preuve, il se moque du dynamisme mensonger du cinéma de propagande soviétique, et également du cinéma de propagande nazi, avec les délires de Leni Riefenstahl sur les athlètes aryens. Ne jamais oublier que Kubrick était juif et qu’il était, au dire de son épouse Christiane, très en colère à l’égard de la folie nazie. On peut voir Orange Mécanique comme une métaphore vengeresse sur le nazisme, les scientifiques du projet Ludovico sont clairement montrés, dans leur froideur, comme des Mengele en puissance, aussi dangereusement invisibles que le docteur Folamour était m’as-tu-vu. Dans la séquence Ludovico, il y a un gag qui passe totalement inaperçu, et qui montre bien le tour d’esprit bouffon de Kubrick, les scientifiques prennent soin d’écarquiller les yeux d’Alex pour qu’il ne les ferme pas devant les images atroces des exactions nazies et autres violences abjectes projetées sur l’écran, mais à l’arrière-fond, dans les derniers rangs de la salle, eux-mêmes regardent ces images toute la journée…sans broncher ! Evidemment, cette séquence de cinéma dans le cinéma renforce la structure déterministe du récit, Alex est enfermé dans son destin cyclique comme le public est enfermé dans sa vie…et dans la salle. Et comme lui, face au spectacle de la violence sur l’écran, nous nous retrouvons piégés, mis devant notre irresponsabilité de spectateur. Orange Mécanique se veut la synthèse du XXe siècle, le bilan de soixante-dix ans de cinéma et, ne nous en déplaise, Alex, c’est nous. D’ailleurs, dès le premier plan du film, il nous regarde dans les yeux, narquois comme Jack au dernier plan de Shining, semblant nous dire « Bienvenue dans ton histoire, hypocrite spectateur, mon semblable, mon frère. 

 

 

 

 

 

STANLEY KUBRICK

 

LE MONDE…LA VIOLENCE…LA MUSIQUE…

 

1971…Kubrick signe un de ses films phares A Clockwork Orange…Au XXIème siècle, où règnent la violence et le sexe, Alex, jeune chef de bande, exerce avec sadisme une terreur aveugle. Après son emprisonnement, des psychiatres l’emploient comme cobaye dans des expériences destinées à juguler la criminalité…Pourquoi tant de bruits pour ce film ? Car le réalisateur ose, dans les années 1970, montrer ce qui est immontrable. Kubrick mène une grande réflexion sur la violence (mais pas que !) Violence qui peut être insupportable à voir pour les spectateurs. Le génie de Kubrick est tout simplement de rendre ce sadisme acceptable, nous verrons comment et pourquoi. Comment créer un film choc, tout aussi perturbant qu’hilarant ? Nous pouvons être choqués, outrés devant les scènes les plus violentes à la première lecture du film, et rire à n’en plus pouvoir lors de la deuxième lecture. Pourquoi ? Tout simplement car Orange Mécanique est l’incandescence d’un genre trop peu apprécié, le burlesque. Comment créer ce mélange d’ultra violence et d’humour ? La réponse est simple, faire du grand cinéma. Cet ascenseur émotionnel est rendu possible par le décalage que Kubrick instaure entre la vue et l’ouïe. Les scènes sont choquantes, perturbantes mais la forme qu’utilise le réalisateur pour les traduire est hilarante, légère. Ce qui crée un décalage entre la forme et le contenu. Le début du film n’est qu’une succession de scènes où l’on voit Alex et ses droogies malmener différents personnages. Avant les crises d’ultra violence, la drogue « le moloko plus », sorte de lait dopé qui stimule les pulsions sadiques des quatre personnages. Une fois le breuvage ingurgité, Alex et ses compères s’en donnent à cœur joie entre viols, cambriolage, meurtre…La scène du viol de la jeune dévotchka est, dans le fond, insupportable à voir, comme celle de la femme de l’écrivain « I’m singing in the rain », ou de l’agression de l’adoratrice des chats. Cependant, le décor, la musique de fond, la forme rendent les scènes délectables et extrêmement drôles. Tout comme a pu le faire un Heineken avec son « Funny Game », Kubrick signe un film alarmiste et prémonitoire: la violence bientôt ne nous choquera plus lorsque celle-ci apparaitra sous une forme nouvelle.

 

Ce burlesque que crée Kubrick n’est autre que la vision que le narrateur a sur la société et le monde: la violence n’est qu’un jeu. Dans le film, la musique est joyeuse est en perpétuelle décalage avec le contenu. C’est cette même musique extatique qui engendre les pulsions et excès de violence d’Alex…C’était splendeur et splendosité fait de chair. C’était comme un oiseau tissé en fil de paradis. Comme un nectar argenté coulant dans une cabine spatiale, et la pesanteur devenue une simple plaisanterie…Tout en slouchant, je voyais des images exquises…Personnage névrosé, à la limite de la double personnalité. Et le génie de Kubrick est de montrer cela à travers sa caméra. Pour ce faire le réalisateur utilise les gros plans: un côté sombre et malsain, un côté lumineux et bienveillant. De son côté, MCDowell retranscrit à merveille toute la folie du personnage: politesse, bienséance d’un côté; folie, violence, démence d’un autre . Cette dualité d’Alex est également retranscrite par les dialogues. Anthony Burgess, écrivain dont Kubrick s’inspire pour créer le film, invente un langage, celui des « droogies » qu’Alex et ses compères emploient quand ils sont dans une crise d’ultra violence.

 

 

 

 

Si Orange Mécanique marque de façon indélébile son spectateur c’est aussi et surtout grâce à son point de vue. En effet, nous n’appréhendons les scènes qu’à travers les yeux du narrateur, du personnage principal. Si la violence lors de l’ouverture du film peut être hilarante et excitante, c’est parce que le spectateur voit les événements à travers les yeux d’Alex. Ce procédé permet de montrer des scènes d’une extrême cruauté en les rendant tolérables, il permet également de créer un lien avec le personnage central dont la morale pourrait repousser le spectateur. De ce fait la caméra nous force à ressentir ce qu’Alex ressent. Voilà pourquoi dans la deuxième partie du film, le cinéaste change de registre. Le burlesque disparaît. Il disparaît tout simplement car Alex a changé, ainsi que sa vision du Monde. La violence ne l’excite plus, elle le répugne. Pourquoi Alex finit-il en prison ? Tout simplement car il s’est octroyé un pouvoir qui n’était pas légitime. Être le chef a des avantages, mais surtout des inconvénients. A trop malmener ses droogies, il en fait les frais. Ce sont ses propres frères qui se retournent contre lui. Ce thème du pouvoir est présent tout au long du film. L’obtenir est peut-être simple, tout le problème est de le garder. Et c’est sur ce questionnement que nous pouvons faire un parallèle entre pouvoir “individuel”: celui qu’Alex avait, et pouvoir “national” de quels moyens user pour faire tenir un gouvernement faussement légitime et démocratique ? Une des scènes les plus drôles du film est très certainement l’épisode très théâtral où Alex imite le maton de la prison, personnage hilarant qui n’apparaît que trop peu de fois dans le film, que Kubrick tourne en dérision, laissant les spectateurs sourire en repensant à Full Metal Jacket. Ces scènes sont bien évidemment une magnifique et délectable parodie du système carcéral. Le film montre à quel point la prison n’a aucun véritable impact sur les détenus. Deux ans plus tard, Alex s’est soit disant converti au christianisme. Mais encore une fois, ce n’est qu’une façade, une manière de jouer son bon rôle: il aime la bible car il fantasme sur la scène de la passion du christ, sa torture. Son obsession, ses fantasmes sexuels sur la violence ne se sont pas envolés. Kubrick profite de ce pied de nez pour critiquer la religion et nous laisser entendre ceci: lire la bible ne fait pas de nous des saints. C’est une entreprise hypocrite de blanchissage simplement. C’est à ce moment là qu’une scène pourrait à elle seule résumer le film. Lorsque le pasteur de la prison mène une réflexion…Mettre la bonté dans le cœur de l’homme, est-ce possible ? lui-même est sceptique. Effectivement le bien vient du « dedans », il est le résultat d’un choix, et celui qui ne peut faire ce choix n’est plus un homme.

 

Et c’est là où nous atteignons la réelle problématique du film, un totalitarisme futuriste, une société qui baigne dans la violence et qui l’a créée, une société qui ne laisse pas le choix, qui met les opposants politiques en prison mais qui lave le cerveau des criminels et les rend libres. Pourquoi Alex, grand psychopathe fruit de la société qui l’a crée a la « chance » de pouvoir tester ce fameux protocole ? Tout simplement car il ne nuit pas au gouvernement et qu’il n’y a plus de place dans les prisons. Comment donc le « soigner »? Faire de lui une orange mécanique. Anagramme ? Organe mécanique. A clockwork orange, une pure machine, une pure machine orange, tel l’habit d’un prisonnier. Le conditionner à haïr la violence. Et là est tout le génie de Kubrick, avant l’essor de la science fiction, le réalisateur nous parle de robots. Car c’est exactement ce que devient Alex, un robot conditionné par la société. Le personnage change, de bourreau il devient victime, le burlesque disparaît. Alex développe une aversion pour la 9ème symphonie, symphonie qui alors stimulait sa violence sexuelle et meurtrière. Alex, comme le dit le pasteur, cesse d’être un criminel mais il cesse en même temps de faire un choix moral. L’existentialisme sartrien est presque palpable: nos choix définissent nos actes et ce que nous sommes. C’est cela qui nous rend homme. Privé de son libre arbitre, Alex n’est plus qu’un automate. La dernière partie du film est exceptionnelle car le réalisateur boucle la boucle, telle une horloge “clockwork”. Toutes les victimes d’Alex se retournent contre lui, le clochard, ses anciens amis, l’un devenu policier donc au service du gouvernement, l’écrivain opposant politique. Les scènes de violence, à la fin du film, ne sont plus comiques, ni burlesques car cette fois-ci c’est Alex qui les subit. La caméra de Kubrick reste donc inchangée: ce que nous montre le cinéaste est toujours la vision qu’Alex a sur le monde. Conditionné par le protocole de la prison, toute violence devient pour lui insupportable. Jusqu’à son final, séquestré par l’écrivain, Alex tente de se suicider. La presse fait un scandale et critique les expérimentations du gouvernement. Ce dernier décide alors d’effacer la procédure, de faire redevenir le personnage central tel qu’il était. Sa renaissance est palpable: Kubrick réemploie les même effets du début: langage, lumière…Alex redevient ce qu’il était, un homme.

 

 

 

 

Le film est un chef d’œuvre tant par le fond que par la forme. Ce n’est pas un chef d’œuvre car c’est « un Kubrick ». C’est un chef d’œuvre car le réalisateur tente de nous montrer que tous les systèmes, religion, justice, politique que l’on pouvait penser « légitimes » peuvent surpasser leurs droits, abuser de leur pouvoir, brider nos libertés, nous conditionner sans que nous en ayons la moindre idée. La théâtralité du film sur la scène du viol de la dévotchka se fait sur une scène de théâtre n’est que l’allégorie de l’hypocrisie que constitue toute institution acceptée et défendue par l’opinion publique. Alex Delarge n’est pas un héros et aucun des personnages de Kubrick ne l’est. Il est simplement l’incarnation d’une société qui a été, qui est, qui sera ? L’ironie et l’humour résident dans la morale même du film…Morale intemporelle et universelle. Une société qui essaie de corriger ce qu’elle a elle-même a crée. La fin est sans équivoque. Le ministre propose un marché à Alex: il lui rend sa liberté si celui-ci accepte d’étouffer l’affaire. Et qui se retrouve en prison ? L’écrivain-opposant politique. Ce que dénonce magistralement Kubrick en 1971...Un nouveau totalitarisme, psychologique, moderne, subtil, pervers et malheureusement accepté par tous.…disait Stanley Kubrick pour justifier les dérives d’Alex et de sa bande.

 

 

 

 

Dans son inconscient, chacun de nous tue et viole…

 

 Le film place le spectateur face à ses pulsions refoulées. Dans un futur assez proche, Alex, jeune chef d’une bande de voyous, sème violence et terreur au hasard des virées des “droogs”  sur un clochard ivrogne, un couple dans sa maison isolée en font, entre autres, les frais, avec une brutalité exceptionnelle. Mais Alex est arrêté, pour le maître de la psychanalyse du moment, il sera le cobaye d’une cure de dé-criminalisation et de dé-sexualisation. Après un séjour en prison, on va le conditionner, c’est une cure de désintoxication de la violence. Alex commence alors à parcourir à l’envers le chemin qui l’amené dans le laboratoire. On lui rend sa liberté après un dernière épreuve publique où il lèche les bottes de l’homme qui vient de le rosser et où il est incapable de répondre à l’appel d’une fille nue qui s’offre à lui. Il va essayer alors de se suicider…Orange Mécanique parle des tentatives pour limiter le choix de l’homme entre le bien et le mal. Une interprétation très intéressante en a été faite par Aaron Stern, président de la Motion Picture Association qui est aussi psychiatre. Selon lui, Alex, au début du film représente l’homme dans son état naturel. Lorsqu’on le “soigne” cela correspond psychologiquement au processus de la civilisation. La maladie qui s’ensuit est la névrose même de la civilisation qui est imposée à l’individu. Enfin la libération que ressent le public à la fin correspond à sa propre rupture avec la civilisation. Tout cela bien sûr opère à un niveau inconscient. Ce n’est pas ce que le film dit littéralement, mais cela fait partie de ces choses qui provoquent l’identification du spectateur avec Alex (….) Le film joue sur deux niveaux. De la même façon que le contenu littéral d’un rêve n’est pas le sujet profond du rêve, de la même façon, le contenu littéral d’un film ne représente pas nécessairement ce à quoi vous réagissez dans le film. Au niveau conscient, Orange mécanique traite de l’immoralité qu’il y a à priver un homme de sa faculté de choisir librement entre le bien et le mal, même si cela est fait dans l’intention d’améliorer la société disons pour réduire la vague de criminalité. D’autre part, il fait la satire de la tentative du gouvernement pour introduire des comportements psychologiques afin de restaurer l’ordre et la loi. Tout cela est relié à la volonté d’organiser scientifiquement la société. (…) Le prêtre représente le point de vue moral du film. Vous devez faire très attention dans une satire, si l’un des personnages exprime ce que vous voulez dire. Il ne faut pas qu’on le reconnaisse comme quelqu’un de trop admirable (….) La conclusion montre l’alliance entre le voyou et les autorités. Le gouvernement utilise désormais la violence des pires membres de la société pour ses propres fins, l’alliance avec Dim et Georgie qui sont devenus des policiers et bien sûr avec Alex. On doit voir la dernière scène dans son contexte satirique. “J’étais bel et bien guéri” ressemble ici au cri du D Folamour  “Mein Führer, je marche !” Et l’image d’Alex comme l’enfant nourri à la cuillère de cette société totalitaire et complètement corrompue fournit un comique au premier niveau et un excellent symbole. (…) Le ministre est de toute évidence un tory. Ce n’est pas un socialiste ( … ) Patrick Magee représente l’opposition d’extrême gauche (“radical”). Il dit que le peuple doit être mené, conduit poussé “le peuple vendra sa liberté pour une vie plus facile” les voilà donc, les activistes d’extrême gauche. Ce n’est pas un libéral. ” Se référant à Cocteau, Kubrick apprécie l’art moderne quand il arrive à étonner et non lorsqu’il est un simple décor bourgeois. Par ailleurs il ne peut que constater “l’échec de la culture dans le domaine mora”. Les nazis écoutaient Beethoven. Certains d’entre eux étaient des gens très cultivés. Cela n’a changé en rien leur comportement moral”.

 

Les trois premières séquences utilisent un travelling arrière qui part d’un gros plan et qui lentement découvre le décor. La scène avec les deux filles est filmée en accéléré pour montrer une rencontre sexuelle banale sans passion physique ni amour, la plupart des scènes d’action sont filmées caméra à la main. L’essentiel du film est tourné en décor naturel sauf le Korova Milk bar, l’entrée de la salle de bain chez les Alexander et le vestiaire de la prison, construits dans une usine désaffectée Variation par rapport au roman…Burgess a rajouté un chapitre supplémentaire à son livre avec une fin optimiste. Kubrick a été scandalisé par cette fin et en est resté à la première version. Chez Burgess, l’action est davantage située dans le futur. Dans le livre, la femme aux chats est beaucoup plus âgée, ici elle remplit la même fonction, elle est très antipathique. Suppression de la séquence du meurtre dans la prison, le film étant déjà très long. Alex n’est plus un adolescent car impossible de trouver un acteur de 16 ans pour le rôle.