L’auteur s’empare du western pour radiographier au mieux le passé extrêmement sombre de l’Amérique, en l’occurrence le massacre des Natifs. « L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque : c’est une tueuse. Elle n’a pas encore été délayée. » paraphe l’écrivain D. H. Lawrence. Cette citation inaugure pertinemment le film et donne le ton avant que l’écran s’illumine et s’ouvre sur un magnifique plan où l’on distingue une ferme isolée avec un homme qui scie du bois. D’entrée, deux séquences monumentales insufflent l’idée d’un non manichéisme de traitement du sujet vis à vis de la violence gangrenant aussi bien l’âme des Comanches ayant la haine contre ces colons américains qui ont pris leurs terres et l’esprit de l’armée américaine qui a procédé à un véritable génocide sur ces Natifs, représentée par le capitaine « Joe » Blocker dont plusieurs de ces amis ont été massacrés par ces différentes tribus indiennes. Cette impressionnante entrée en matière brutale éblouit par sa maestria cinématographique et s’avère une mise en condition remarquable sur les enjeux psychologiques émotionnels complexes que l’intrigue va développer tout au long de l’aventure.
Une œuvre grandiose sensible et viscérale toujours dans le bon tempo, respectueux des cultures, langues et traditions indiennes, qui emporte le spectateur vers des abîmes pour mieux y puiser la lumière fraternelle qui devrait nous prévaloir de nos actes, car nous sommes tous égaux face à la douleur, il faut savoir pardonner à l’autre pour se trouver soi-même. Avec brio la reconstitution d’époque se voit accompagner de l’envoûtante partition musicale composée par l’immense Max Richter et apporte son lot de frissons aux spectateurs chavirés par l’émotion qui s’intensifie au fil de l’intrigue. Sans oublier le travail conséquent sur le son qui apporte un réalisme sidérant à l’histoire. Un long métrage esthétique puissant dont les plus belles flèches proviennent de l’interprétation exceptionnelle de Christian Bale dont le visage à mesure que l’action se déroule se fissure un peu plus, aux côtés de l’émouvant Wes Studi et la formidable et volontaire Rosamund Pike. Un grand film américain et universel dont l’immensité cinématographique ne baisse jamais jusqu’à la merveilleuse dernière séquence, somme de tout le film et des nombreux chemins cérébraux chaotiques et contraires parcourus, d’une stupéfiante sobriété offrant des deniers plans absolument renversants d’émotions.
Cette sensationnelle épopée conte le destin du capitaine de cavalerie Joseph Blocker, ancien héros de guerre devenu gardien de prison, devant escorter à contrecœur l’ennemi Yellow Hawk, chef de guerre Cheyenne mourant, ainsi que sa famille sur ses anciennes terres tribales du Nouveau-Mexique jusqu’au Montana. Nous sommes en Amérique en 1892, le périple s’annonce hostile. Découvert en 2009 à travers l’excellente chronique d’un chanteur de country Crazy Heart (Oscar du meilleur acteur à Jeff Bridges),
Scott Cooper pour son quatrième long métrage s’attaque au genre ultime…Le Western, genre cinématographique qui éclaire le mieux les maux de l’Amérique contemporaine dont Quentin Tarantino résume l’impact ainsi…
« J’aime le western parce que c’est notre culture. Je l’aime parce qu’il est à la fois mythe et histoire. »
Immense Western. par Jean-Jacques Corrio
En 2009, à 39 ans, Scott Cooper a arrêté sa carrière d’acteur pour se consacrer à la réalisation. Son premier film Crazy Heart, un véritable chef d’œuvre sur le monde de la musique Country. 9 ans plus tard, Hostiles son 4ème film en tant que réalisateur, est sans doute le plus beau western de ce début de siècle. Western, mais pas que ! En 1892, le capitaine de cavalerie Joseph Blocker, ancien héros de guerre devenu gardien de prison, est contraint d’escorter Yellow Hawk, chef de guerre Cheyenne mourant, sur ses anciennes terres tribales. Peu après avoir pris la route, ils rencontrent Rosalee Quaid. Seule rescapée du massacre de sa famille par les Comanches, la jeune femme traumatisée se joint à eux dans leur périple. Façonnés par la souffrance, la violence et la mort, ils ont en eux d’infinies réserves de colère et de méfiance envers autrui. Sur le périlleux chemin qui va les conduire du Nouveau-Mexique jusqu’au Montana, les anciens ennemis vont devoir faire preuve de solidarité pour survivre à l’environnement et aux tribus Comanches qu’ils rencontrent.
On croyait qu’on ne verrait plus jamais de bons et grands westerns, que le moule était définitivement cassé. Eh bien non, avec Scott Cooper on retrouve tous les ingrédients qui font les bons et grands westerns. Pourtant, les toutes premières minutes ne manquent pas d’inquiéter, des indiens Comanches qui se comportent comme de véritables sauvages en massacrant une famille de colons blancs, ne laissant en vie, sans le vouloir, que la femme et mère de famille Rosalie Quaid, serions nous revenus au temps des westerns au racisme totalement assumé envers les indiens ? Sauf que, dans la scène suivante, ce sont des soldats de l’armée américaine qui se conduisent comme des sauvages avec des indiens. En fait, en montrant des antagonismes entre indiens et colons, entre indiens, entre blancs, Hostiles montre que c’est l’ADN de la violence qui a construit les Etats-Unis. Mais il montre aussi, de façon très fine, que l’évolution de la mentalité des individus et qu’une ouverture vers l’« autre » sont toujours possibles, même chez des gens totalement obtus au départ, même chez des gens qui, comme Rosalie Quaid ou Yellow Hawk, ont souffert, dans leur chair ou dans leur âme, du comportement des « autres ».
Hostiles est un western du 21ème siècle, autant dire que la violence n’est en rien édulcorée avec le capitaine Joseph Blocker, le personnage principal du film, a tendance à se vanter du nombre d’indiens qu’il a eu l’occasion de tuer, quand bien même le déroulement du voyage va l’amener à se rapprocher de ses anciens ennemis, fusils et revolvers sont assez souvent à l’œuvre, et le « travail » peut se terminer au poignard. MAIS, contrairement à ce qui se passe chez d’autres réalisateurs, cette violence n’est jamais « gratuite » et elle n’est jamais exagérée. Quand un personnage est touché par une balle, il n’est pas projeté à 5 mètres par l’impact, le sang ne gicle pas par litres depuis la plaie. L’ouest des Etats-Unis était un monde de violence, le film se contente de le montrer, sans aucune ostentation. Tout cela donne un grand film humaniste et universel, qui dégage énormément d’émotion et Scott Cooper apparaît de plus en plus comme le fils spirituel de Clint Eastwood dans ce qu’il a de meilleur…Crazy Heart comparable à Honkytonk Man, Hostiles au niveau de Impitoyable.
Lors du tournage le réalisateur a fait appel à des consultants Cheyenne et Comanche afin d’être au plus proche de l’histoire. Le consultant comanche, a noté l’intérêt du cinéaste sur le comportement, le langage, l’habillement et aux talents de cavaliers de ces personnages controversés. Le film met en lumière les injustices dont ils ont été victimes sans pour autant omettre la violence de leurs actions.
Personne n’a jamais vraiment porté attention à ces Comanches qui ont refusé de se soumettre au gouvernement américain. Bien que j’aie apprécié la volonté de l’équipe de dresser un portait fidèle de mon peuple, j’ai été un peu surpris que Scott s’excuse de l’image de guerriers impitoyables donnée aux Comanches dans le film car nous n’essayons pas d’enjoliver notre histoire. Ces hommes étaient assoiffés de sang, ils avaient tout perdu et étaient furieux que leur peuple ait été privé de sa liberté.
Pour encore plus de véracité, le cinéaste a insisté pour qu’une part significative des dialogues soit dans la langue des Cheyennes du Nord, un dialecte rarement entendu. Il a donc fallu trouver des descendants cheyennes parlant couramment ce langage, capables de l’enseigner, et qui savaient également comment s’exprimaient leurs ancêtres à la fin du XIXe siècle. Le consultant Chris Eyre commente…Entendre les personnages interprétés par Christian Bale, Wes Studi et Rosamund Pike parler le bon dialecte et ce de manière respectueuse est absolument formidable. C’est une immense victoire de savoir que des millions de gens vont pouvoir entendre cette langue devenue si rare.
Le chef cheyenne Phillip Whiteman a travaillé en étroite collaboration avec Christian Bale que l’on entend parler en dialecte cheyenne dans ce second extrait. Un langage que le comédien a eu énormément de mal à maîtriser…C’est une langue magnifique mais extrêmement difficile ! La parler correctement m’a aussi permis de mieux comprendre le système de croyances cheyenne. Je dois avouer que j’ai été surpris par mes progrès car cela me semblait initialement impossible, mais j’ai fini malgré tout par m’exprimer de façon naturelle.
Je voulais qu’il soit pertinent au regard des questions raciales et culturelles qui agitent actuellement l’Amérique. Nous sommes tous conscients des mauvais traitements qui ont été infligés aux Amérindiens, mais on peut voir le même schéma se reproduire aujourd’hui avec les Afro-Américains ou la communauté LGBTQ. Cette histoire soulève des problèmes universels. Scott Cooper
Ces événements auraient pu se produire à n’importe quelle période de l’histoire américaine. Fort Berringer est pour moi une sorte d’Abou Ghraib, de Guantanamo où les conditions de détention sont inhumaines et où les geôliers sont de simples soldats qui n’ont reçu aucune formation de gardiens de prison. Christian Bale
CHRISTIAN BALE
A voir absolument !
1987 – Empire of the Sun de Steven Spielberg.
Son premier filma13 ans…
2004 – The Machinist de Brad Anderson
2006 – The Prestige de Christopher Nolan
2007 – Rescue Dawn de Werner Herzog
2008 – The Dark Knight de Christopher Nolan
2010 – The Fighter de David O. Russell
2013 – Les Brasiers de la colère de Scott Cooper
2015 – The Big Short d’Adam McKay
2017 – Hostiles de Scott Cooper
2018 – Vice d’Adam McKay
2019 – Le Mans 66 de James Mangold
Pour ceux qui n’auraient pas aimé…
TERNE WESTERN par Jérémy Piette
A l’instar d’une joue appuyée trop longtemps contre la vitre, Christian Bale semble condamné au visage figé, limite empaillé avec sa performance sous couvert d’expression de rage pugnace intériorisée, comme s’il venait juste de retirer son masque du Dark Knight c’était il y a six ans quand même, dans le nouveau film de l’acteur et réalisateur américain Scott Cooper. C’est pour mieux jouer l’homme over rancunier, mon enfant. Part d’infamie. Dans Hostiles, il interprète Joseph Blocker, ex-capitaine de cavalerie et à présent gardien de prison, contraint d’escorter Yellow Hawk, chef de guerre cheyenne mourant et son pire ennemi du Nouveau-Mexique au Montana sur les terres tribales de celui-ci on est en 1892. Tout le monde a sa part d’infamie, que les choses soient bien trop claires. Soldats, prisonniers, femmes, enfants, de chaque clan à chaque plan seront là pour accuser très nettement l’exemple de la violence gratuite qui a effectivement dû exister.L’Indien ne se limite pas à sa réputation de sauvage. Quant à l’homme blanc, colonisateur chevronné très sûrement, et bien sachez qu’il a un petit cœur. Ce film éducatif est fait pour toutes celles et ceux qui voient encore en noir et blanc. L’acariâtre et têtu Bale-Blocker, lecteur assidu de Jules César, sort donc du musée Grévin pour gambader dans un désert accompagné de son pire rival. Tous deux, lentement, apprennent à mieux se comprendre, voire à s’aimer, se respecter, en dépit des boucheries passées jusqu’au tant attendu…J‘ai un peu de toi en moi.
Il faut que tout le monde s’aime, donc. Dès lors, voilà que les péripéties déboulent en kit, sous la forme de plus gros vilains qui s’invitent dans le train-train du parcours les Comanches entrent en scène. Confédérés et Cheyennes vont ainsi s’allier pour protéger femmes et enfants, puis rencontrer un soldat séditieux blanc plus borné que jamais, se laissant guider aveuglément par le racisme et la rancune. L’occasion pour Bale-Blocker de croiser son reflet haineux dans le miroir, en somme. Le sang coagulé à l’amidon de notre héros se fluidifiera tout doucement sous l’effet de l’amour, épaulé par le docteur Quaid, jeune femme traumatisée qui a perdu toute sa famille dans un massacre par des Comanches, encore !. Campée par Rosamund Pike, elle procure au film ses rares belles saillies d’émotion rageuse. On se délasse donc comme l’on peut avec les quelques batailles spectaculaires, égayées d’odieux scalpages folkloriques pour mâcheurs de pop-corn. La très talentueuse cinéaste américaine Kelly Reichardt s’était déjà frottée aux mêmes questionnements sur le bien et le mal dans son western contemporain la Dernière Piste (2010) tandis que ses personnages ne faisaient que tourner en rond dans le désert. Ici, Scott Cooper trace d’un trait droit sa leçon exemplaire du pardon en forme d’itinéraire rectiligne vers le Montana, ses figures filant vers l’infini et l’au-delà moral de la tabula rasa.