Tout est triste, tout est gris dans ce quartier difficile de Pantin, à deux pas du métro aérien sous lequel de jeunes paumés passent le temps à se livrer à des trafics en tous genres, et Bensoussan, spécialiste de motos volées, fait partie de ceux-là. Toutefois l’occupation n’est pas sans risque car un soir, Bensoussan poursuivi ne doit son salut qu’en trouvant refuge dans une station-service tenue par Lambert pompiste de nuit. Celui-ci, un ancien flic, est un homme usé par la vie, se raccrochant à elle en noyant sa solitude physique et morale dans l’alcool. Ces deux oubliés de la société vont alors se lier d’amitié jusqu’au jour où Bensoussan est abattu d’une balle dans le dos sous les yeux de son nouvel ami. Dès lors sa pensée se fixe sur le souvenir de son fils disparu suite à une overdose. Il va alors renouer avec son passé de flic en se faisant un devoir de venger la mort de son copain. Et au moment où il semble renaître à la vie dans les bras de Lola, une jeune punk, un véritable conflit s’engage dans le milieu parisien qui ne pardonnera pas à Lambert son action punitive.
Ce film tiré du roman d’Alain Page nous projette dans le milieu des punks mais également dans le monde sans merci des pourvoyeurs de drogues et des paumés. L’atmosphère est glauque. Nous sommes dans un monde sans espoir, sans soleil, dans ce triste quartier des abords de Paris. Lambert est là, seul et replié sur lui-même dans le bureau miteux du garage dans lequel il fait les nuits, les yeux rougis par l’alcool et la peine. Entre les rares clients, il pense aux échecs de sa vie: sa carrière de flic dont il ne se fait pas une gloire, son fils toxicomane et décédé et sa femme envolée. Il se retrouve là comme un pantin désarticulé qui n’a même plus la force de réagir et attend qu’un autre monde veuille bien de sa carcasse. Puis l’évènement arrive en la personne de Bensoussan, un jeune drogué qui lui rappelle son fils. A partir de ce moment une petite étoile va briller car Lambert peut être utile. On lui parle et il peut enfin confier à un autre quelques douloureux passages de sa vie. C’est pourquoi il s’attache à ce jeune, le protège, jusqu’au jour où Bensoussan se fait lâchement descendre par une bande du quartier. A partir de ce moment, ses antécédents professionnels vont ressurgir.. Il n’a plus qu’une idée en tête: châtier les individus qui ont brisé à jamais ce lien qui le retenait à la vie. Lambert a dorénavant une mission d’autant plus que Lola la punk s’est attachée à lui. Sa vie peut avoir enfin un sens, il est redevenu le flic Lambert, chargé d’anéantir ce milieu pourri des dealers et racaille en tous genres. Plus rien ne peut l’arrêter, il provoque une véritable guerre des gangs dans le milieu parisien. Il rachète en partie ses faiblesses du passé et l’amour est enfin au rendez-vous avec Lola qui ne l’oublie pas. Toutefois, il y en a d’autres qui pensent à lui, à leur manière. Le milieu parisien a un compte à régler envers le justicier Lambert.
Il aura fallu toute la maestria de Claude Berri pour réaliser un thriller aussi noir et désespéré. Dans ce film il n’y a pas un mot de trop. Les attitudes, les regards des principaux personnages suffisent à nous plonger dans leur monde étouffant. Nous vivons et comprenons leurs angoisses, leur médiocrité et leur lassitude pour une société qui les ignore. Ils n’ont pas la force de croire en quelque chose: la terre et le Ciel les a rayés de la liste. Dans son rôle de « laissé pour compte », Coluche est absolument divin. Lui-même traversait une période difficile de sa vie et lui seul, avec son cœur et sa sensibilité énorme, pouvait être Lambert. Il apporte une crédibilité énorme à son personnage et réalise, et de loin, sa meilleure prestation à l’écran. Richard Anconina pour son premier grand rôle se montre tout à fait convaincant et fut une heureuse surprise, tout comme Agnès Soral dans son rôle de punk pleine de tendresse pour une âme en détresse. Quant à Philippe Léotard, on ne le présente plus tant il fut un grand acteur et son rôle de flic assez ambigu le confirme encore cette fois. La musique de Charlélie Couture est un élément essentiel dans l’atmosphère de cette œuvre par l’émotion qu’elle dégage. Il convint de remercier Claude Berri de nous avoir offert cette oœuvre magnifique qui restera comme l’un des rares grands films noirs du cinéma français. Coluche était en telle souffrance morale à cette époque de sa vie que l’on comprend la sincérité qu’il donne à son personnage. On comprend pourquoi il a tant donné de sa personne pour les plus démunis mais l’on comprend moins bien qu’un putain de camion ait brutalement mis fin à tant de bonté, de courage de talent et d’espoir… Gérard Rocher
Le rôle d’une Vie, le rôle d’une Ville.
par Jacques Morice
Dans ce polar réalisé par Claude Berri, Coluche enfile la combinaison bleue d’un pompiste fatigué de vivre entamant son baroud d’honneur dans la grisaille du Paris des années 80. Stupéfiant, le comédien y livre une performance inoubliable, à la hauteur de son immense talent dramatique. Fils de fourreurs juifs askhénazes, touche-à-tout autodidacte devenu « tycoon » sans œillères, Claude Berri (1934-2009) a aussi réalisé pas mal de bons films, parfaits pour un dimanche soir. Comme ce Tchao Pantin (1983), polar blême adapté d’un roman d’Alain Page, où Coluche, pompiste défait, revient momentanément à la vie pour tenter de sauver un voyou (Richard Anconina). A revoir pour deux raisons surtout. Entre Berri et Coluche, ce fut une longue histoire. Le cinéaste, qui avait repéré le comédien au Café de la gare, lui avait fait jouer un petit rôle dès 1969, dans Le Pistonné. Il l’avait d’ailleurs poussé à écrire, attendant des projets qui ne se concrétisèrent jamais. Coluche signa néanmoins un contrat pour jouer dans quatre films produits par Berri, enchaînés sur un rythme d’enfer, en deux ans Le Maître d’école, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, Banzaï et La Femme de mon pote. Arrive enfin ce Tchao Pantin, où Berri lui offre un rôle à la mesure de son talent dramatique, pressenti depuis longtemps chez lui. Plan du premier jour…Coluche, dans sa combinaison de pompiste bleue, cheveux graissés, pattes fatiguées, est de dos, puis se retourne vers la caméra, l’œil hagard. Berri lui-même n’en revient pas, il vient d’assister à une métamorphose. Son intuition était la bonne, Coluche sera grand avec ce rôle de Lambert, « césarisé » comme il se doit un an plus tard. Lors de la sortie du film, on s’étonna presque de cette prestation, alors que Coluche ne faisait que perpétuer une vieille tradition du comique bouleversant, voyez Bourvil Le Cercle rouge. A l’époque, l’histrion n’allait pas fort. Il abusait de tout, vivait mal la rupture avec sa compagne. Est-ce que ceci explique cela ? En tout cas, hébété d’alcool devant son Butagaz, il fait ici corps avec son personnage mutique qui se prend d’affection pour le jeune dealer se disant « mi-arabe, mi-juif ». Lambert, ancien flic, avait quitté le métier à la mort de son fils par overdose. C’est en père de substitution, de nouveau frappé par le destin, qu’il renoue avec son passé. Alexandre Trauner assure les décors. Trauner, c’est Hôtel du Nord, Les Portes de la nuit. Autant dire le Paris populo. Humide, poisseuse comme le cambouis, la ville est ici un vrai personnage. La station-service éclairée au néon, sur l’idée du chef-opérateur Bruno Nuytten, rue Pajol, à deux pas du métro La Chapelle, n’existe plus, le métro aérien, si. On l’entraperçoit plusieurs fois. Berri nous emmène aussi du côté de Belleville, de République, du Gibus, où traîne la punk paumée jouée par Agnès Soral, qui aide Lambert dans sa quête des assassins. Un monde de pluie et de nuit, d’aube blafarde, qui renoue avec le réalisme poétique d’antan. Deux ans plus tard, Pialat filmera lui aussi le Belleville des trafics dans Police, en faisant appel à Anconina.
Au-delà de l’histoire adaptée d’un roman noir c’est son traitement qui frappe encore aujourd’hui par sa justesse et sa modernité. Pour cela on doit surtout citer Bruno Nuytten qui entre une photo très glauque à base d’éclairage aux néons et un travail remarquable sur l’appropriation des espaces, donne sans conteste au film cette patine considérée à l’époque comme réaliste voir naturaliste et demeure le témoignage sans prix des quartiers Barbès, République ou Bastille autrefois populaires devenus aujourd’hui plus ou moins bobos. A Claude Berri, on lui doit cette forme de prescience un peu obsessionnelle d’avoir décelé en Coluche un Gabin ou un Raimu des temps modernes. Si sa prestation dans Tchao Pantin est de cet ordre là, on ne saura jamais si Berri avait vu juste au long cours. On sait par exemple qu’il lui fit tourner un bout d’essai pour Jean de Florette mais cette fois-ci sans donner suite, le rôle revenant au final à Daniel Auteuil. D’autant que l’on peut aussi se demander si Berri n’a pas un peu « profité » de la dépression dans laquelle était tombée l’homme pour l’aider à composer ce personnage de pompiste alcoolo ravagé par le chagrin de la mort de son fils qui voit en ce petit dealer mi arabe, mi juif, une forme de bouée de sauvetage à laquelle il s’agrippe bien malgré lui. Il y a aussi la musique de Charlélie Couture dont le morceau Toutes les nuits sont trop longues vient irradier une séquence entière du film où Coluche déambule dans les rues de la ville au petit matin. On touche littéralement du doigt ici la poésie naturaliste évoquée plus haut. Il y a aussi cet inspecteur campé par un Philippe Léotard totalement sous coke transpirant sans cesse, les yeux un peu hagards et dont l’enquête n’est certainement qu’un alibi pour faire venir jouer un pote qui créchait à l’époque chez Coluche.
ENTRETIEN AVEC AGNES SORAL
par Bertrand Guyard
Dans Tchao Pantin, elle est Lola, une jeune punk paumée qui essaie de sauver du désespoir Lambert (Coluche), un ancien flic devenu pompiste. Près de trente-cinq ans ont passé mais l’actrice Agnès Soral n’a rien oublié du tournage du film culte de Claude Berri, qui reçut en 1984 cinq Césars. Elle a ouvert le livre de ses souvenirs pour revivre le temps d’un entretien l’amitié complice qu’elle noua avec Coluche et les deux autres grands protagonistes de l’histoire, Richard Anconina et Philippe Léotard.
Avez-vous eu le sentiment que Tchao Pantin deviendrait un film mythique ? On ne peut pas prévoir la postérité d’une œuvre. En revanche on savait que Coluche, qui alors personnifiait l’humour décalé, allait jouer dans une histoire dramatique. C’était déjà un événement à lui tout seul.
Comment assumer le rôle de Lola face à une personnalité aussi imposante que Coluche ? Il fallait que je m’approprie, face à lui, le personnage d’une punk paumée. Ce n’était pas facile puisque beaucoup pensaient que j’étais une actrice trop solaire. Mais très vite, en visionnant les premiers rushes, on s’est rendu compte que notre composition sonnait vrai. Étonnamment vrai. C’est un souvenir émouvant parce que J’ai vécu une histoire d’amitié avec Michel et c’est mieux que l’amour en fait. Au début, par réflexe, il m’a dragué. Moi, je l’ai gentiment remis à sa place. Et puis avec une repartie dont il possédait le secret, il a su briser la glace Ne te bile pas ma poule, je serais toi, je n’irais pas non plus !
Outre vous et Coluche, Richard Anconina et Philippe Léotard semblent aussi coller parfaitement à leur personnage de paumé….Sur le tournage, tous les acteurs étaient en souffrance. Coluche était malheureux parce que sa femme Véronique l’avait quitté. Richard Anconina sortait lui aussi d’une histoire d’amour qui s’est mal finie. Philippe Léotard, il avait dû mal à se remettre de sa séparation avec Nathalie Baye. Enfin, Claude Berri, le réalisateur vivait lui aussi un épisode sentimental compliqué. Quant à moi, mon mal-être était encore inconscient mais il existait. Finalement, tout cela se verra à l’écran et c’est cette authenticité qui a donné un grand film. En tout cas, je crois qu’on peut le dire aujourd’hui.
Comment Lola peut tomber amoureuse de Lambert, un pompiste qui a été flic ? Elle est punk, paumée, écorchée vive mais elle reste une femme. Lambert ne croit plus à la vie parce que la mort de son fils par overdose lui a enlevé toute espérance. Lola tombe amoureuse de cette souffrance. C’est le syndrome du sauveur. Quand elle le voit dans la ruelle sous la pluie, elle est sidérée. Elle mesure l’ampleur de son malheur. Puis après Lambert lui parle de son fils. Il pleure et elle l’écoute. Cette confession éclaire sa violence.
Pensez-vous que Tchao Pantin reflète fidèlement les années 80 ? C’est un film qui peut faire réfléchir en tout cas. Lorsque l’on voit le destin de ces quatre personnages complètement largués, cela contredit la nostalgie qui dit que les années 80 étaient une sorte de panacée. Dans la réalité les gens flippaient déjà et regrettaient les années 70.
Sort-on indemne d’un film aussi dramatique ? Après Tchao Pantin les gens ont eu peur de moi. Qui est-elle vraiment cette comédienne ? Dans l’inconscient du public et des cinéastes, je resterais Lola, la punk. Des années plus tard, on s’est même étonné que je ne sois pas décatie voire entièrement détruite. En fait, il m’aura fallu du temps pour admettre que j’avais souffert pendant mon enfance. C’était la clef de tout. Tchao Pantin, l’a immortalisé à l’écran. C’est ça, la magie du cinéma.
COLUCHE c’est une quarantaine de film mais Tchao Pantin est le seul vraiment à retenir.
CLAUDE BERRI Producteur et réalisateur / 20 films – 40 ans de carrière et 8 films à voir.