L’impuissance de l’observateur passif, et de ceux qui ne possèdent pas le pouvoir, tel est le sujet cliniquement disséqué dans ce drame à la puissance évocatrice impressionnante signé Peter Weir. Sorti en 1982, et basé sur un roman de C. J. Koch. publié en 1978, The Year of Living Dangerously est un drame politique convainquant, dont le message est toujours d’actualité même après plus de trois décennies. Au milieu de cette tempête politique, et de ce climat d’individualisme latent, Billy Kwan se profile comme l’un des personnages les plus mémorables de l’histoire du cinéma. Un martyr profondément vicié, mais totalement dévoué à sa mission, celle de promouvoir la cause de l’humanité à sa manière. The Year of Living Dangerously est un film empli de passion, non seulement de par le dévouement évident de Peter Weir, mais aussi à travers les motivations et la vision du monde de ses personnages eux-mêmes. Sous la forme, d’un drame plein de suspense et d’élégance, sur l’histoire d’un journaliste australien en poste en Indonésie juste avant la tentative de putsch du 30 septembre 1965 et les gigantesques massacres qui l’ont suivie. Ce film décrit avec brio certains aspects importants du monde oriental que l’œil du spectateur occidental n’a pas l’habitude de saisir, s’attaquant sans complexe aux ambiguïtés et complexités de ces cultures, que nous avons trop souvent tendance à imaginer comme un seul monde étranger, un bloc de masses indifférenciées.
Un an après leur collaboration sur Gallipoli, Peter Weir retrouve Mel Gibson pour cette production à grande échelle. The Year of Living Dangerously finira par devenir l’une des premières collaborations entre un studio australien et un studio hollywoodien, ce qui en fait par conséquent l’un des films australiens les plus ambitieux de tous les temps. Si Gallipoli incarnait les débuts de Weir en tant que réalisateur de films de grande envergure, et ceux de Mel Gibson en tant qu’acteur majeur du cinéma, The Year of Living Dangerously constitue la solidification de ce statut.
L’intrigue de ce film suit l’histoire de Guy Hamilton (Mel Gibson), un journaliste australien, arrivé à Jakarta en 1965, emportant avec lui ses préjugés et ses idées préconçues. L’expérience qu’il va vivre contribue à briser cette perception. Le régime de Soekarno est sur le point de s’effondrer et les journalistes occidentaux se rassemblent dans la capitale pour évaluer la situation politique. Remarquant immédiatement une vulnérabilité chez Hamilton, couplée à une insensibilité des autres correspondants à son égard, Billy Kwan (Linda Hunt), un nain photographe sino-australien doté d’une grande intelligence et d’un sens moral aigu, prend le nouveau venu sous son aile, en lui expliquant notamment la nécessité d’avoir de bons contacts et en lui donnant quelques tuyaux pour dénicher des scoops. Billy organise également une rencontre avec Jill Bryant (Sigourney Weaver), une jeune et jolie assistante travaillant à l’ambassade britannique. Dès leur premier contact, Hamilton est frappé par son mélange sensuel de beauté, de mystère et d’aplomb. Kwan joue un rôle de cupidon pour le moins intéressé dans leur histoire en poussant les deux étrangers à entamer une liaison, ce qui mène Jill à lui révéler des informations classifiées pouvant s’avérer cruciales pour la suite des événements. N’écoutant que son esprit de journaliste, Hamilton ne peut résister à la tentation d’utiliser ces indiscrétions à son avantage, une décision lourde de conséquence qui contribue à façonner une partie de l’histoire indonésienne. Le scénario instaure naturellement le suspense à travers le conflit, sur l’histoire de journalistes pris au piège de la confrontation entre le gouvernement de Soekarno, les révolutionnaires communistes et les extrémistes de droite. L’histoire d’amour entre Hamilton et Jill se juxtapose ici au désespoir croissant de Billy lorsqu’il se rend compte de l’incapacité du gouvernement à répondre aux besoins de ses habitants. Au final, ce personnage singulier sera trahi par la plupart des personnes sur lesquelles il compte, de Soekarno, qui échoue à garder son gouvernement en place, à Hamilton, qui ne respectera pas sa moralité à toute épreuve. Le fait est que les sujets importants aux yeux d’Hamilton ne sont pas toujours les mêmes pour Billy, autant en ce qui concerne la politique indonésienne que la nature humaine elle-même. Billy finira par être déçu des agissements d’Hamilton…Est-il possible que je me sois trompé à ton propos ? Cette question trouvera sa réponse au milieu du film, à travers un autre trait d’esprit signé du même personnage…En Occident, tout le monde désire des réponses pour tout. Tout est correct ou inadapté, bon ou mauvais mais aucune conclusion définitive n’existe. L’atmosphère, l’ambiance politique et sociale, la passion, se révèlent en effet plus difficiles à décrire que le cadre de vie ou les événements politiques de la Jakarta révolutionnaire. Billy reste un humaniste convaincu, pour lui, ce sont les gens qui méritent d’être observés avant toute chose.
La beauté de la jeunesse et de l’amour !
Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle 1984.
Victoire du haut de son mètre 45, elle joue le rôle d’un homme. Le film repose sur son portrait intense et juste, elle est fascinante dans le rôle de ce photographe dont l’adoration envers Soekarno n’a pas de limites, alors que le scénario s’enfonce toujours plus loin dans la sanglante révolution indonésienne, Billy Kwan se révèle être un merveilleux guide, escorte les journalistes et nous spectateurs dans les recoins de la capitale indonésienne. Elle évolue en dehors du système, possède des dossiers détaillés sur les autres journalistes et les déplacent comme des pions…Tout ce qui se trame devant nos yeux sert ses intérêts d’une manière ou d’une autre. La performance habile de Hunt, entre savoir-faire, fausse naïveté et désillusion amère, fait de Kwan un personnage sympathique, aide à conserver notre attention qui pourrait se révéler décontenancé par les diverses intrigues politiques et les détours du scénario. Peter Weir fait le choix délibéré de caler sa vision sur celle de ce petit gars sympathique et vertueux, véritable boussole morale et réduits les correspondants étrangers réduits à un statut de faire-valoir sans envergure.
Donner le rôle d’un homme eurasien à une femme américaine blanche soulève des questions, mais Linda Hunt incarne l’élément clé de ce film, celui qui rend Kwan si intéressant et poignant. Tous les événements décrits dans ce film sont en fait vus à travers son regard, la situation politique se voyant ainsi reléguée au simple statut de toile de fond pratique, mais incontestablement secondaire, la romance entre Hamilton et Bryant n’est également qu’un prétexte contribuant à donner un côté plus attractif à l’ensemble en fournissant une romance supposée torride à un film au ton très austère.
Peter Weir a beaucoup à dire sur les journalistes. La compétitivité collégiale entre les correspondants étrangers est parfaitement mise en place. Les plaisanteries entre le studieux Wally O’Sullivan, l’ambitieux Pete Curtis et Guy Hamilton sonnent authentiques. Lorsque les questions éthiques sont posées, il est devient difficile de comprendre leurs motivations, et encore moins de sympathiser avec eux…Jill révèle à Hamilton que les communistes chinois arment le Parti communiste d’Indonésie, ce dernier décide d’en faire un scoop et provoque le désespoir de Jill. Scène soutenue par la voix off de Billy Kwan, qui nous démontre à quel point Hamilton a changé, dans sa manière de soutirer des informations à tout prix…Jeune homme plein d’espoir et d’idéaux fini par devenir similaire à ses collègues pour faire de sa carrière un véritable « fétiche ». Pourtant Billy souhaite de tout son cœur qu’il incarne le porte-parole de son message, celui d’initier le peuple à sa conscience sociale…. Billy réprimande violemment les autres correspondants pour leur manque de considération envers la pauvreté régnant à Jakarta et énonce à voix haute leurs faiblesses individuelles, comme leur addiction à l’alcool et aux prostituées. Le regard que pose Peter Weir sur le monde du journalisme est incisif, clair et terriblement réaliste, décrivant la déliquescence d’un monde ayant oublié ses valeurs, mais ayant joué un rôle important dans l’histoire de l’Indonésie. Cette vision très tranchée et pessimiste d’un corps de métier souvent encensé par le cinéma est probablement l’une des causes du rejet du grand public envers ce film. The Year of Living Dangerously nous décrit un monde composé de carriéristes à la personnalité creuse, où seul Kwan semble faire figure d’exception, de par son ambiguïté provoquée par l’opposition d’un sens moral et d’un engagement sans faille à un caractère machiavélique et manipulateur, et qui sera le seul à porter ses convictions jusqu’au bout.
Le cœur du film est constitué par ses personnages mémorables, par la beauté atmosphérique de ses visuels, et par son ambiance si absorbante et irrésistible. Son intrigue sinueuse et multidirectionnelle se révèle également très représentative de ce qu’est la vie dans sa définition la plus pure. Car la vie n’est pas un scénario se jouant en deux ou trois actes, la fin y est définitive, et au final, seule la trace que l’on aura laissé derrière nous subsistera. Les notions comme l’amour et la dévotion vont et viennent, les choses changent, deviennent plus ou moins importantes, les gens que nous pensons connaître se mettent soudain à agir d’une toute autre façon, toutes ces expressions se retrouvent dans ce film, dont l’impact global le rend supérieur à bon nombre d’œuvres prêchant la précision historique au détriment d’une certaine forme de passion. Un des long-métrages les plus importants de son époque.
Né le 21 août 1944 à Sydney
40 ans et 13 long métrages plus tard…
Peter Weir est attiré par les conflits se déclenchant lorsque des cultures divergentes s’opposent. Ses films s’inscrivent dans cette mouvance et ses films sont généralement des drames élégants, qui mettent nos sens et notre psyché en émoi.
Ce qui met les mondes en mouvement, c’est l’interaction des différences, de leurs attraits et de leurs répulsions. La vie est pluralité. Octavio Paz
Vu 9 long métrages sur 30 années. Liste par préférence…
1993 – ÉTAT SECOND / FEARLESS – Jeff Bridges, la manipulation des médias + Un extraordinaire crash avion,
1998 – THE TRUMAN SHOW – Jim Carrey et son merveilleux pays…
1982 – L’ANNÉE DE TOUS LES DANGERS / THE YEAR OF LIVING DANGEROUSLY
2003 – MASTER AND COMMANDER – Russell Crowe en capitaine courage,
1998 – LE CERCLE DES POÈTES DISPARUS / DEAD POETS SOCIETY – Robin Williams
Révélation existentielle entre des lycéens et un professeur libertaire dans un établissement rigoriste,
1985 – WITNESS – Harrison Ford. Un brillant thriller dans la communauté amish,
2010 – THE WAY BACK / LES CHEMINS DE LA LIBERTÉ – Colin Farrell, Ed Harris. L’évasion du goulag sibérien en 1940,
1990 – GREEN CARD – Gérard Dépardieu et Andie MacDowell, Comédie romantique,
1986 – THE MOSQUITO COAST – Harrison Ford. Un rêve qui tourne au cauchemar en Amérique centrale.