2008 – Haine partagée…

Après un générique d’ouverture génial à montrer dans toutes les écoles de cinéma, plongez dans les multiples formes du/des conflits inextricables du Moyen Orient. Réalisé par Peter Berg le film s’inscrit dans la mouvance des films américains prenant pour cadre le Moyen-Orient. Un phénomène que l’on observe surtout depuis l’invasion de l’Irak menée par l’armée américaine en mars 2003, même si un film comme Les Rois du désert se déroule durant la Guerre du Golfe en 1991. On peut citer Jarhead – la fin de l’innocence de Sam Mendes Syriana qui s’attache à démontrer les rouages de la politique américaine dans le Golfe Persique, la série Over There ou encore le prochain film de Paul Greengrass avec Matt Damon Green Zone.

 

 

 

Peter Berg eu l’idée il y a une dizaine d’années, suite à l’attentat de Khobar, en Arabie Saoudite. Le 25 juin 1996, Le Hezbollah fait exploser devant les Khobar towers un camion plein de fioul, provoquant la mort de 19 américains, et blessant 372 personnes…Cet acte terroriste constitua l’une des attaques antiaméricaines les plus violentes jamais perpétrées dans la région. Il porta aussi un coup très dur aux Saoudiens, et amena le FBI à collaborer, pour la première fois, avec les autorités locales en vue d’identifier les coupables. L’enquête se révéla délicate et laborieuse. J’ai pensé qu’il serait fascinant d’illustrer cette rencontre entre Américains et Arabes, de montrer les efforts de rapprochements de deux cultures qui ont un intérêt commun à lutter contre l’extrémisme religieux et ses violences. Nous voulions que ce soit une expérience différente, une histoire plus accessible sur le Moyen-Orient, pour ne pas trop politiser ou intellectualiser la situation là-bas. Les Américains ne tiennent pas compte du contexte lorsqu’ils sont confrontés à un attentat suicide. Nous ne considérons pas vraiment les actes de terrorisme comme des crimes. Nous ne regardons pas au-delà du kamikaze les gens qui n’ont pas été pris, les gens qui ont organisé, recruté et financé les kamikazes.

 

 

 

 

 

 

Le réalisateur a obtenu un visa de cinéaste du prince Turki al Faisal qui lui a permis de passer dix jours en Arabie saoudite, une société fermée sans salles de cinéma et sans communauté cinématographique publique. En collaboration avec des consultants saoudiens, Berg pourrait ensuite recréer une version inhabituellement spécifique et précise de la société saoudienne à Abu Dhabi, une ville des Émirats arabes unis. Le Royaume présente un monde déchirant au bord du chaos, les autorités contrôlant à peine une classe inférieure de plus en plus turbulente. Des immeubles exigus à la foule de barrières en béton qui entourent les bâtiments officiels en passant par une présence militaire écrasante, la paix est constamment menacée. Paradoxalement, Berg trouve les Saoudiens avec lesquels il est entré en contact hospitalier et ouvert à la culture occidentale. Il a vu des adolescents porter des tee-shirts Eminem et Jay-Z dans un cybercafé nocturne, un décor qui a inspiré l’une des scènes les plus fortes. La confrontation entre un agent du FBI, la police saoudienne et un leader des terroristes devant des banques de jeux vidéo violents.

 

 

 

 

 

 

 

 

Afin de préparer la scène de l’attentat à Riyad, le chef décorateur Tom Duffield a construit un immense décor situé sur l’ancienne base américaine de Williams (Phoenix), qui jouxte l’école polytechnique. En outre, la production a fait sauter près de 40 véhicules pour habiller le décor. Au total, la préparation du décor à elle seule a pris une dizaine de jours. Les acteurs se sont longuement entraînés au maniement de l’arme de poing ainsi qu’à l’arme automatique. Lors de leurs affrontements avec certains des meilleurs tireurs des Etats-Unis, leurs armes étaient chargées non pas à blanc, mais de billes de peintures qui explose au contact, à la façon du paintball. Jamie Foxx explique…Ce genre de formation vous incite à respecter les armes dont vous vous servirez sur le plateau et vous rend conscient de leur dangerosité. Elle vous permet aussi d’évaluer la mentalité de ces hommes, et le courage qu’il faut pour s’engager dans des situations à l’issue fatale.

 

 

 

 

 

 

Deux rôles cruciaux en Arabie saoudite sont joués par des acteurs palestiniens du film de 2005 Paradise Now, Ashraf Barhom et Ali Suliman. Barhom a remporté son rôle d’homologue saoudien de Fox après avoir envoyé à Berg une cassette d’audition qu’il a tournée depuis le toit de son immeuble en Cisjordanie. J’ai toujours pensé à ce film comme un film de copain entre un Américain et un Arabe. Un Arabe inconnu, quelqu’un avec qui le public allait devoir se connecter profondément. Ashraf est tellement instinctif, il a travaillé dur pour comprendre l’anglais dans le scénario.

 

 

 

 

 

 

We will kill them all…sanaqtuluhum jamiean

 

Film d’action mais pas sans intelligence Peter Berg réalise un très bon film. Le Royaume nous questionne habillement sur cette volonté mutuelle de se détruire, chacun étant persuadé de le faire pour une cause noble et juste, avec cette toute dernière scène où, dans un camp comme dans l’autre, une seule volonté semble malheureusement triompher dans une dernière et terrible phrase commune….Pour les scènes complexes, Berg a utilisé quatre ou cinq caméras portatives, laissant aux opérateurs le soin de suivre l’action. Le résultat est un look improvisé, voire inquiet, qui donne au film une sensation plus organique…Il s’agissait de créer autant d’activité que possible, puis de la poursuivre de manière très agressive avec les caméras. Nous ne leur avons pas dit exactement quoi faire, nous comptions simplement sur eux pour suivre. Mon objectif était d’essayer de présenter la culture musulmane d’une manière qui n’était pas incendiaire, mais qui montrait des humains, des familles, des gens essayant de vivre leur vie. Il doit y avoir une population arabe modérée, sinon tout le monde serait mort. Le concept d’une résolution militaire des problèmes du Moyen-Orient n’est pas réaliste. Ce que nous faisons maintenant, c’est créer de nouvelles générations de haineux.

 

 

 

 

 

 

PETER BERG QUI ES TU ?

 

Berg a grandi dans la banlieue de New York, à Chappaqua, le fils d’un ancien adepte de la Marine. Au début, il était un spaz autoproclamé, canalisant ses énormes réserves d’énergie vers le sport, les combats et, souvent, rendant tout le monde autour de lui anxieux et misérable. Il a commencé la boxe au camp d’été…C’était en quelque sorte un endroit sadique, les conseillers nous emmenaient dans les bois, fabriquaient un ring de boxe avec une corde autour des arbres, choisissaient des enfants à combattre, puis pariaient sur nous. Vous avez rapidement découvert de quoi vous étiez vraiment fait, et il n’y avait pas de cachette. Je suppose que j’ai toujours été attiré par les gens d’action, les gens qui ont fait quelque chose. Je regardais toujours les gars qui couraient en quelque sorte au conflit. J’ai toujours pensé qu’il y avait beaucoup de plaisir dans cette culture.

 

Lorsque Berg arrive à Los Angeles en 1985, et au début des années 1990, il mène sa carrière et avec ses copains acteurs ils déchirent la scène de Los Angeles la nuit…Il n’y avait pas de club à Hollywood où je n’étais pas le dernier à sortir mais j’étais totalement et je passais trop d’heures à m’asseoir et à m’ennuyer. Sur le tournage de Cop Land avec Sylvester Stallone, Robert De Niro et Harvey Keitel – Berg, alors âgé de 32 ans, a décidé qu’il devait faire un changement…Je regardais le réalisateur, James Mangold, et voici ce gamin de mon âge qui se disputait avec Stallone et Harvey Weinstein, et je lui ai demandé comment c’était possible.

 

Mangold a dit à Berg qu’il avait besoin d’écrire un scénario. Alors Berg s’est attaché, retournant dans sa petite chambre à l’hôtel Essex House de New York tous les soirs et écrivant des scènes sur des cartes de correspondance jusqu’à ce qu’elles remplissent les murs. Deux ans plus tard, les cartes de correspondance sont devenues Very Bad Things, une comédie noire sur un enterrement de vie de garçon à Las Vegas qui devenait terriblement incontrôlable…Écoutez, j’allais souvent à Vegas et j’allais beaucoup faire la fête et je me souviens d’avoir été là-bas avec des amis, et partout où je regardais, il y avait ces groupes de mecs blancs en pantalon kaki et chemise boutonnée et ils avaient juste ce regard fou dans les yeux. Je me souviens avoir pensé, ces types cherchent quelque chose mais que se passe-t-il s’ils le trouvent ?

 

C’est dans son dernier film Lone Survivor, pour la recherche, Peter Berg s’est embarqué pendant un mois avec une unité SEAL en Irak, les accompagnant dans les raids. Quand il est rentré chez lui, il a passé un an à connaître la communauté SEAL en sortant avec eux et, parfois à leurs funérailles. Il pouvait alors raconter l’histoire du Navy SEAL Marcus Luttrell et des 19 militaires décédés en mission en Afghanistan. J’ai des amis qui se battent au Yémen alors que nous sommes assis ici et certains d’entre eux vont mourir.

 

 

 

 

Les aventures les plus folles de Berg sont peut-être encore devant lui. Pour se préparer à Deepwater Horizon, il passe 99% de mon temps avec les survivants de la plate-forme et les membres de la communauté de forage en eau profonde, essayant d’en apprendre le plus possible sur le fonctionnement de cette culture. Pour son biopic sur Bozella, il a passé plusieurs semaines à observer les gardiens de la prison de Sing Sing…Pour moi, c’est l’une des grandes joies et des avantages de la réalisation de films, vous pouvez entrer dans ces différentes cultures comme un anthropologue. J’ai toujours été celui qui préfère passer Noël à vivre avec des joueurs de football du secondaire au Texas plutôt que dans un hôtel de plage à Hawaï. Une fois, j’ai passé mon anniversaire en Irak avec les Navy SEAL dans le désert près de la Syrie, et mon objectif récemment était d’être le prisonnier n ° 7853227 à la prison de Sing Sing pendant un mois.

 

Peter Berg aborde le cinéma comme l’équivalent créatif d’un combat de prix. Lorsque des stagiaires de la principale société de production de Berg, Film 44, lui disent qu’ils veulent commencer à faire des films, il leur conseille d’abord…De trouvez quelque chose à aimez faire et à travailler. Si vous ne pouvez pas le comprendre, vous devez le découvrir. La paresse, l‘apathie vous détruira. Partez en Europe et tombez amoureux pour avoir le cœur brisé, ou allez vous faire arrêter en Thaïlande pour entrer dans les vrais problèmes

 

 

PETER BERG Movies

 

1998 : Very Bad Things

2003 : The Rundown

2004 : Friday Night Lights

2007 : The Kingdom

2008 : Hancock

2012 : Battleship

2013 : Lone Survivor

2016 : Deepwater Horizon

2016 : Patriots Day

2018 : 22 Miles

2020 : Spenser Confidential

 

 

 

 

 

 

Un avis contraire…

QUELQUE CHOSE DE POURRI   Par Benoît Smith

 

Il semble que Paul Greengrass, reprographe en chef du style CNN  sur grand écran en son Dolby Bloody Sunday / Vol 93 / La Vengeance dans la peau, commence à faire des petits. À moins que le vrai géniteur ne soit Ridley Scott, qui en 2001 jouait déjà au reporter de guerre avec La Chute du Faucon Noir. Quoi qu’il en soit, il n’est pas étonnant que le cinéma d’action hollywoodien, mis sur la sellette après que la réalité a dépassé les pires excès du genre le 11 septembre 2001, cherche à montrer un visage plus adulte et responsable que dans le passé, fût-ce par le mimétisme vis-à-vis du reportage ou du documentaire, deux disciplines aujourd’hui trop souvent amalgamées. Le Royaume pousse la pratique assez loin, ajoutant à l’emploi très carré de la caméra portée une documentation plus poussée qu’à l’ordinaire du genre sur le terrorisme islamiste, en particulier les attentats anti-américains commis ces dernières années au Moyen-Orient. Une séquence se réfère même clairement à l’enlèvement et l’assassinat du journaliste Daniel Pearl en janvier 2002. Or cet afflux d’information relative aux traumas du public américain visé en premier lieu est-il réellement le signe d’une volonté de ce cinéma de s’ouvrir aux données géopolitiques mondiales, ou plutôt de les digérer dans le but de se rassurer sur ses propres valeurs tout en s’acquérant un public à peu de frais ? De même, la mise en scène, qui se meut en une forme immédiatement identifiable par le spectateur comme gage supposé d’authenticité, saurait-elle être perçue comme un regard sincère sur le monde apte à perturber le formatage du genre ?

 

Le doute est permis. De prime abord, le parcours de Peter Berg, souvent vu devant la caméra en second couteau, mais aussi derrière en réalisateur opportuniste touche-à-tout, voire passe-partout Very Bad Things / Bienvenue dans la jungle, n’incite pas à croire qu’il se soit subitement découvert une âme de révolutionnaire du film d’action. La roublardise de sa quatrième réalisation, ne fait rien pour infirmer cet a priori. Film bardé de son attirail emprunté aux infos du soir, se résume assez vite à une ode sournoisement démagogique à l’interventionnisme à visage humain tendance cool. Les gens cool, c’est cette escouade d’agents du FBI emmenés par Jamie Foxx et Jennifer Garner pour taquiner le terroriste barbu dans un émirat du Golfe persique, au grand dam d’une hiérarchie trop légaliste et politicienne. Au fil de l’enquête de plus en plus musclée de ces gentils « Experts » à gros bras, de leurs rencontres avec des autochtones réfractaires qu’il faut évidemment mettre en confiance et initier aux méthodes d’investigation high-tech, il apparaît que la réutilisation de l’actualité un rien expurgée dans les péripéties du genre s’apparente plus à du sensationnalisme putassier qu’à une véritable tentative de sortir des ornières rassurantes de recettes bien éprouvées formatant l’action et les interactions entre personnages. Ici l’information et le spectaculaire ne marchent pas vraiment main dans la main. La première ne sert qu’à accréditer des simplismes dont le second ne saurait se départir, sans aucune chance que sa vérité prévale sur le caractère réducteur et plus confortable de celui-ci.

 

Que ressort-il de ce film, censé donner une nouvelle dimension au monde vu des collines de Hollywood ? Eh bien, qu’au Moyen-Orient, les gens ont beau parler une langue intimidante et être passablement violents, au fond, ils sont un peu comme nous. Ils aiment leurs parents, et ils n’aiment pas qu’on tue les gens. Enfin, pas tous car il y a les incurables, les barbus qui posent des bombes… Voilà le genre de condescendance assez sinistre vis-à-vis de l’autre, de l’objet de commisération ou d’effroi servi habituellement par le sensationnalisme des médias de grande écoute, qu’on voudrait nous servir comme un message de paix et d’ouverture. Les protagonistes occidentaux, dont le film épouse le point de vue même quand il ne montre que des Arabes, ne tendent la main vers les autochtones que dans la mesure où ils reconnaissent en eux certaines de leurs propres valeurs, à commencer par la nécessité de lutter contre leurs ennemis. Quant à l’ouverture annoncée, elle reste à sens unique et bien orientée, ce sont les héros arrivants qui apportent aux autochtones matériel, méthodes, révélation que l’Amérique n’a rien d’un Grand Satan, et non le contraire. Cet abrégé de compréhension entre les peuples « pour les nuls » devait cependant faire vendre moins d’entrées que le nom de Michael Mann au générique, nom dont on use comme d’une grande marque, comme si le discours tenu par ce film faisait écho à celui de ce cinéaste, à supposer qu’il en ait un. Michael Mann, c’est très bien pour faire poser les loups solitaires qui hantent les jungles urbaines entre le crépuscule et l’aube, mais pour l’acuité socio-politique, rappelons qu’Ali et Révélations demeurent quand même loin du compte. Le Royaume, iconification roublarde de la War on Terror bushienne, ne risque pas de le rendre plus crédible de ce côté-là.