1988-A la folie…

Au cœur du drame de Camille Claudel, la reconnaissance de son talent et sa relation passionnée avec Auguste Rodin, mentor et amant à partir de 1884. Elle a alors vingt ans. Rodin, l’artiste célébré dans l’ombre duquel Camille peine à exister pendant longtemps. Un projet hors normes. L’une des forces du film de Bruno Nuytten, récemment restauré et qu’on peut désormais revoir dans des conditions idéales, tient dans ce dialogue complexe entre les deux artistes, où se mêlent admiration mutuelle, enjeux liés au pouvoir et la reconnaissance, et enfin duplicité d’un Rodin investi corps et âme dans son art, mais préoccupé par son statut « d’artiste officiel » fût-ce au détriment d’une élève devenue son égal…Deux biographies parues au début des années 1980 font redécouvrir l’artiste et incitent Isabelle Adjani à s’investir totalement dans cet ambitieux projet de cinéma. Comme le raconte Bruno Nuytten, alors l’un des chefs opérateurs français les plus en vue…

 

 

 

 

DESTIN TRAGIQUE…

 

Le mot est bien faible pour qualifier le destin de Camille Claudel. Passionnée de sculpture dès l’enfance, infiniment talentueuse au point de redéfinir les limites de son art et de le marquer irrémédiablement de son empreinte, la jeune femme est happée après sa séparation d’avec Rodin dans une funeste spirale…La pauvreté, l’alcool, la paranoia et la démence, l’enfermement durant trente ans dans un asile, puis une mort misérable en pleine Seconde Guerre mondiale, dans le plus grand dénuement et l’indifférence. Comme elle l’écrit elle-même…C’est bien la peine de tant travailler et d’avoir du talent pour avoir une récompense comme ça. Jamais un sou, torturée de toute façon, toute ma vie. Privée de tout ce qui fait le bonheur de vivre et encore finir ici. Isabelle a cherché des metteurs en scène et personne ne semblait alors excité de faire un film d’époque sur l’art et les artistes au XIXe siècle, Cela ne m’emballait pas non plus beaucoup au début. J’ai lu finalement différentes choses sur le personnage et j’ai pensé que cela méritait tout de même réflexion. Isabelle avait fait travailler plusieurs scénaristes sur le sujet. Je n’étais convaincu par aucun des différents traitements de l’histoire qui avaient été faits. J’ai demandé alors à Isabelle d’écrire moi-même une version. J’ai demandé à une amie américaine, Marylin Goldin, de m’aider à faire des recherches. Nous avons eu accès à tous les documents de la famille Claudel, les sculptures. J’ai ensuite écrit seul un pavé de 350 pages avec beaucoup de pire et un peu de meilleur, avec cependant une trame et surtout un personnage qui commençait à exister. » L’interprétation fiévreuse du tandem Adjani/Depardieu et le souffle de la mise en scène feront du film un succès public couronné par cinq César.



 

 

Une icône au destin tragique  par Valérie Bougault

 

« Une révolte de la nature ». Telle est l’épithète dont Octave Mirbeau, critique d’art et journaliste, qualifiait Camille Claudel (1864-1943), sculpteur, femme au caractère fougueux et indépendant. L’échec de sa liaison avec Rodin, l’animosité familiale, son insuccès et le manque d’argent permanent usèrent progressivement l’artiste, qui passa les trente dernières années de sa vie dans un asile psychiatrique. « L’oeuvre de ma soeur, ce qui lui donne son caractère unique, c’est que tout entière, elle est l’histoire de sa vie », écrit Paul Claudel (1868-1955), académicien, gloire littéraire de la France, dans le catalogue de la première exposition consacrée à Camille, en 1951 au musée Rodin. Le ton est donné et, longtemps, la vision autobiographique fera autorité dès que l’on évoquera l’oeuvre sculpté de Camille Claudel. Aussi, comment résister à cette interprétation ? La vie de Camille Claudel, pièce unique, semble modelée dans la terre rouge de son Tardenois natal, cette glaise qui lui a servi à façonner, enfant, ses premiers personnages, figurines dont il ne reste rien. Elle en a l’odeur âpre et les reflets sombres, une vie romanesque et tragique, un « désastre fin de siècle », comme le qualifie Marie- Victoire Nantet en 1988. Artiste précoce et véhémente, femme « la plus géniale de son temps » pour Octave Mirbeau et sculpteur dans un monde d’hommes, disciple, complice, amante d’un colosse de son art, Auguste Rodin (1840-1917) sœur du grand écrivain chrétien, isolée par une folie croissante et finalement condamnée, dans un hôpital psychiatrique, à un oubli total…C’est un drame en plusieurs actes que cette vie-là.

 

 

 

L’enfant rebelle…8 décembre 1864. Camille entre en scène, fille de Louis-Prosper Claudel, receveur de l’Enregistrement, et de Louise-Athanaïse Cerveaux, issue de la petite bourgeoisie locale, mère peu chaleureuse, rigide dans ses principes, bien vite épouvantée par la vocation artistique de sa fille aînée. L’ambiance familiale, peu harmonieuse, est aussi assombrie par les deuils, un premier-né est mort 18 mois avant Camille, et le frère de Madame Claudel se suicide en 1867. Deux autres enfants viennent élargir le cercle, Louise en 1866, et Paul en 1868. Devenu adulte, il dira de son aînée...Je la revois, cette superbe jeune fille, dans l’éclat triomphal de la beauté et du génie, et dans l’ascendant, souvent cruel, qu’elle exerça sur mes jeunes années. Le jeune tyran Camille, rebelle et volontaire, enrôle son monde pour l’aider au travail de la terre. Nul ne sait d’où lui vient cette passion. Son père, ébloui, voit se révéler l’artiste.

 

 

 

 

Dans l’atelier de Rodin…La famille se déplace au gré des affectations du fonctionnaire, tout en gardant la maison de famille. 1876, le chemin de Camille croise celui du sculpteur Alfred Boucher. Il est impressionné par un modelage de David et Goliath devant lequel Paul Dubois, directeur de l’École des beaux-arts, s’écriera…Mais vous avez pris des leçons avec Monsieur Rodin ! » Pour le critique d’art Mathias Morhardt…L’observation était plus que vraie, elle était prophétique. En 1881, ayant convaincu son père, elle entraîne sa famille à Paris, où elle suit les cours de l’académie Colarossi, puis loue un atelier rue Notre-Dame-des-Champs avec d’autres élèves anglaises. Alfred Boucher vient corriger leurs travaux.

 

 

En 1883, il part pour Florence et recommande ses protégées à un maître visionnaire, réaliste adulé ou contesté, Auguste Rodin. Le sculpteur porte un intérêt soutenu au travail de Camille, son talent le frappe au point qu’il l’engage, en 1884, comme praticienne dans son atelier. Pendant plusieurs années, Camille va connaître ce travail exigeant et ingrat qui consiste à préparer, sculpter une partie de la production de Rodin. Elle taille, semble-t-il, les pieds et les mains des Bourgeois de Calais, collabore à La Porte de l’Enfer, participe à l’exécution du Victor Hugo…

 

 

 

 

Étroit compagnonnage…Ses idées stimulent Rodin, sa présence l’enchante. Elle est…Ce front superbe, surplombant des yeux magnifiques, de ce bleu foncé et rare à rencontrer ailleurs que dans les romans, cette grande bouche plus fière encore que sensuelle, cette puissante touffe de cheveux châtains, auburn, qui lui tombait jusqu’aux reins. Un air impressionnant de courage, de franchise de supériorité, de gaieté. Rodin, immense séducteur, succombe. Leur liaison passionnée s’achèvera, après bien des tumultes, en 1898, Rodin n’osant pas quitter sa compagne de toujours. L’amertume de Camille fait le lit de son déséquilibre psychique. Leur relation est placée sous le signe d’un étroit compagnonnage. Intellectuellement, elle se revendique à la hauteur du maître. Parallèlement à son travail, elle poursuit sa propre création. Se dégager de l’influence rodinienne n’est pas facile, leurs esquisses se mêlent, les ébauches se côtoient, l’intimité multiplie les échanges, dans les deux sens.

 

 

 

 

 

 

 

Premiers chefs-d’œuvre…En 1887, La Jeune fille à la gerbe inspire la Galatée de Rodin. Mais Camille comprend la nécessité de la distance. Sakountala, figure frémissante d’un couple enlacé, lui vaut un beau succès au Salon de 1888. On y voit apparaître sa propre esthétique, une expression plastique qu’elle n’abandonnera plus. Le groupe, en plâtre, connaîtra d’ailleurs d’autres déclinaisons, jusqu’en 1905 : en bronze, sous le titre L’Abandon, et en marbre sous celui de Vertumne et Pomone. 1888, c’est l’année où elle échappe à sa mère en s’installant dans son propre atelier, près des Gobelins.

 

 

Ce caractère farouche y fait l’apprentissage d’une solitude irréversible, malgré la présence de Rodin qui emménage un temps non loin. Probablement y affronte-t-elle un ou plusieurs avortements, ce « crime » dont son frère écrira en 1939 qu’« elle l’expie depuis vingt-six ans dans une maison de fous ». C’est l’époque, en 1892, où elle retourne seule passer l’été en Touraine, au château de l’Islette, où elle a déjà séjourné avec Rodin. Elle y commence le modelage de La Petite Châtelaine, dont la virtuosité éblouira l’auteur du Baiser : dans l’un des trois exemplaires en marbre, de 1896, elle évide la pierre, creuse et polit la chevelure dénouée, jusqu’à y piéger la lumière.

 

 

Vers l’émancipation…Les années suivantes verront se multiplier les déménagements et croître son indépendance. Les sujets de ses œuvres, n’appartiennent qu’à elle. Clotho, portrait décharné de la Parque, « vieillarde gothique emmêlée dans sa propre toile », bouleverse, La Valse, tourbillon du désir et de la sensualité, affole, trouble et emporte. Louis Vauxcelles, le critique, parle d’un « poème d’une griserie absolue ». Pour Paul, le poème serait plutôt La Vague, courbe japonisante d’onyx vert qui menace de s’abattre sur trois drôles de petites figures en bronze. Mais lorsque paraît L’Âge mûr, d’abord intitulé Le Dieu envolé, trois personnages, un homme et deux femmes, dont les liens ambigus suggèrent l’échec de l’amour adultère, personne ne sourit plus. Paul Claudel a reconnu dans la jeune femme sa « soeur Camille, implorante, humiliée, à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse », une figure qu’elle isolera pour en faire L’Implorante. En 1899, Camille emménage dans son dernier atelier, quai de Bourbon, et se lance dans sa dernière vraie sculpture originale, un marbre de Persée et la Gorgone.

 

 

 

 

 

Un gouffre de ténèbres…1898 et après, ses œuvres puiseront dans le répertoire de formes qu’elle a élaboré, tandis que sa santé mentale ira lentement se dégradant, accompagnée de fréquentes violences paranoïaques. À la mort de son père, le 2 mars 1913, sa mère et son frère qui voit dans son déséquilibre un cas de possession réclament son internement. D’abord à Ville-Évrard, d’où elle sera transférée, en septembre 1914, à l’asile psychiatrique de Montdevergues, dans le Vaucluse. Elle est enterrée vivante pendant trente ans…Les lettres que Bruno Gaudichon et Anne Rivière ont publiées le disent assez. L’abandon est quasi total, jusqu’à son enterrement, auquel pas un seul membre de la famille n’assistera. Quelques années de plus et sa tombe disparaîtra, pour les besoins d’un lotissement. Ses archives, ses dessins, beaucoup de ses œuvres sont détruites. « Du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar », écrit-elle en 1935 à Eugène Blot, son éditeur, marchand et ami. Trois ans plus tôt, ce fidèle parmi les fidèles lui avait adressé ces lignes…Avec vous, on allait quitter le monde des fausses apparences pour celui de la pensée. Quel génie ! Le mot n’est pas trop fort. Comment avez-vous pu nous priver de tant de beauté ? Le temps remettra tout en place.

 

 

 

 

 

ISABELLE ADJANIGERARD DEPARDIEU

 

 

 

 

 

 

 

 

En 1988, sortait peut-être le film qui fera d’Adjani la meilleure des actrices françaises, sur le destin incroyable et romantique de la grande, très grande, Camille Claudel. Cette femme géniale est sculpteur. Sculptrice, devrait-on dire, car elle figurait déjà parmi les féministes des avant-gardes, dans un contexte social où les hommes étaient les seuls à devenir des artistes autorisés, et où les pères avaient le droit de vie et de mort sur leurs enfants. Camille Claudel évolue dans un milieu bourgeois privilégié, avec un père aimant, une mère acariâtre et froide, des frères et sœurs dont le fameux Paul deviendra l’écrivain converti que l’on connaît. Elle gratte la terre, dans des couloirs sombres de glaise, à la recherche de la matière qui donnera vie à son œuvre. C’est elle, Camille, cette jeune femme passionnée, rebelle, c’est elle qui traverse les rues d’un pas assuré, suivie par un mouvement de caméra en travelling absolument prodigieux, c’est elle qui propose son talent au Maître sculpteur, Rodin. C’est surtout elle, Camille, qui, après avoir été l’élève du Maître, donnera naissance à une œuvre immense et passionnée, dont d’ailleurs, prise de folie, elle en détruira une grande partie.

 

 

 

Camille Claudel n’aurait jamais été le film qu’il est, sans la présence d’Adjani et Depardieu. Les deux monstres de cinéma s’aiment, s’attirent, s’idolâtrent, se rejettent, dans une explosion d’émotions et de couleurs. La musique accompagne quasiment d’un bout à l’autre du film ce récit magnifique d’amour, de passion et de douleur, avec en toile de fond, ces marbres que les deux comédiens agrippent avec leurs mains, à la recherche de l’œuvre qui se cache sous la pierre. Nuytten. qui faisait là son premier film en tant que réalisateur, a créé une œuvre sensorielle et solaire, habitée par des comédiens puissants. La voix d’Alain Cuny, qui incarne le père de Claudel, continue de résonner à la fin du film, quand il entonne avec profondeur les versets poétiques de Paul Claudel. Et que dire des cris pétris d’alcool d’Isabelle Adjani, quand elle supplie son amant sous les fenêtres de son appartement, pour qu’il sorte de son mutisme ? Que dire de la présence de Depardieu qui semble devenu le double des propres sculptures de Rodin ? La dimension économique comptait moins que l’engagement de ses comédiens et de ses techniciens à donner vie à une œuvre d’art.

 

 

 

 

 

 

 

Il y a l’accession de la jeune Camille Claudel à la maturité artistique. On voit les deux êtres s’aimer, faire l’amour, apprendre à partir du talent de l’un et de l’autre. On voit les œuvres se faire dans un Paris habité par le jeune Debussy et tous les autres artistes du début du 20e siècle. Vient la déchéance psychique et sentimentale de l’artiste. Claudel s’écrase dans sa relation avec Rodin, sans la moindre concession. Elle se livre sans nuance à sa folie dévastatrice. Tout le corps et le visage d’Isabelle Adjani se transforment au fur et à mesure de la chute en enfer de son personnage. La démence, l’alcoolisme, la démesure prennent la place de la jeune femme si belle, si lumineuse de la première partie. La puissance de jeu de la comédienne est telle que même tous les prix qu’elle a reçus semblent dérisoires. En vérité, Adjani inscrit, grâce à son implication dans le film, une contribution supplémentaire à ce qui fera date dans l’histoire du cinéma. La domination des hommes sur les femmes, n’est pas une affaire nouvelle et surtout qu’il est plus qu’indispensable de nous précipiter dans le Musée de la rue de Varenne, afin de nous nourrir de l’œuvre puissante et éternelle de la sculptrice, Camille Claudel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JULIETTE BINOCHE 1915   par Jean-Baptiste Morain

 

 

Trois jours dans l’enfer de l’internement psychiatrique vécu par Camille Claudel, interprétée magistralement par Juliette Binoche. Bruno Dumont pose un regard frontal et bouleversant sur « les fous ». C’est grâce à l’actrice Anne Delbée et à son roman Une femme que devint publique puis célèbre l’histoire de Camille Claudel (1864-1943) la sœur aînée de l’écrivain Paul Claudel, artiste statuaire de génie qui fut la maîtresse de Rodin mais passa les trente dernières années de sa vie dans un hôpital psychiatrique provençal où sa famille l’avait fait interner. En 1988, Bruno Nuytten en proposait une première adaptation au cinéma, avec sa compagne Isabelle Adjani dans le rôle principal et Depardieu dans celui de Rodin. Camille Claudel est devenue aujourd’hui une icône internationale, l’artiste maudite par excellence, le symbole de la bêtise bourgeoise avec sa famille qui avait honte de son comportement hors norme et de ses névroses préféra la cacher, loin de Paris, mais aussi de la répression de la créativité artistique chez les femmes. Camille Claudel fut la victime des hommes de son temps qui abusèrent ou profitèrent de son talent et Rodin, notamment, que l’on soupçonne d’avoir plagié ou signé quelques-unes de ses œuvres. Sans trahir cette image, dont il sait qu’elle est connue, Bruno Dumont s’intéresse lui à l’infime, à l’intime, en resserrant au maximum son récit, tout en s’inspirant “librement”, comme l’indique le générique, des œuvres et de la correspondance de Paul Claudel, de celle de Camille Claudel et de ses archives médicales. En 1915, Camille est depuis deux ans l’une des résidentes de l’hôpital psychiatrique de Montdevergues, près d’Avignon, quand le médecin-chef lui annonce que son frère lui a écrit, et qu’il viendra lui rendre visite dans trois jours. Le film va raconter ces trois jours dans la vie de Camille Claudel.

 

 

 

 

 

Juliette Binoche…

 

Porte la première moitié du film sur ses seules épaules, ou presque. Dumont et l’actrice montrent le plus avec le moins…La cohabitation difficile avec les autres pensionnaires (malades et handicapés mentaux), leurs cris, leurs crises. Camille se sent seule, isolée, voudrait rentrer à Paris, voir sa mère. Souffrant manifestement d’un sentiment de persécution, elle semble pourtant bien moins malade que la plupart des internés. Persuadée qu’on veut l’empoisonner, elle a obtenu la permission de préparer elle-même ses repas. Bruno Dumont filme longuement dans un style qui oscille entre Bresson et Pialat et fait peu à peu monter l’émotion à force de la faire taire la vie quotidienne de Camille, les religieuses qui veillent sur les malades (interprétées par les vraies infirmières de l’HP où a été tourné le film), les malades (véritables résidents de l’endroit). Sur ces visages torturés par la maladie mentale, par des années d’angoisse, Bruno Dumont filme la douleur, la folie, l’expression d’un mal interne. Sans apitoiement ni fascination, il dresse des portraits de gens qu’on a souvent, dans la vie courante, du mal à regarder plus de quelques secondes il est sans doute du devoir des artistes que de montrer de face ce que le regard fuit d’habitude.

 

 

 

 

 

 

 

Binoche est extraordinaire, comme elle sait l’être, mais comme elle ne l’avait pas été depuis lontemps. Cette première partie traîne un peu en longueur, reflet de l’impatience de Camille à revoir Paul. Paul Claudel arrive en voiture sur les chemins pierreux du Vaucluse, et le film prend son envol. Qu’il confie ses pensées au papier ou à un moine, Claudel est dans une autre forme de folie…Dieu, l’absolu asservissement à son ordre. Il sait que sa sœur est une artiste géniale mais pense que tout ce qui se déroule sur terre y compris la Première Guerre mondiale est le fruit de la volonté de Dieu. Que Camille a fréquenté le divin, mais qu’elle n’en reviendra pas. Sa maladie est une fatalité à laquelle personne ne peut rien. La rencontre tant attendue par Camille a enfin lieu. Déchirante, glaçante, elle dure dix minutes. Il faut la voir pour le croire. Deux visions du monde s’opposent. Paul, submergé par l’exubérance d’une Camille dépassée par sa joie de le revoir, ne perçoit pas ou refuse de comprendre ce qu’il y a de raison en elle. Il prend congé comme on s’enfuit.

 

Camille, elle, vivra encore vingt-huit ans dans l’asile de Montdevergues. Avant d’y mourir de faim, victime des restrictions alimentaires imposées par le régime de Vichy à ceux qu’on appelait “les fous”. Sans effet de manches, avec humilité, Bruno Dumont réalise son film le plus bouleversant, le plus en empathie avec ses personnages. Et nous touche au plus profond de notre être.