1990-Piégé…!

On connaît Rob Reiner pour des films légers comme Quand Harry rencontre Sally, Princess Bride, le film judiciaire Des hommes d’honneur des univers assez éloignés du film d’horreur. Mais en réalité il n’en était pas à son premier coup d’essai en portant un roman de Stephen King au cinéma puisqu’il avait aussi réalisé avec réussite une autre adaptation, moins célèbre que d’autres…Stand by me (1982). Avec Misery, il utilise le gros plan pour à la fois enfermer ses personnages et les faire envahir l’espace et utilise les décors pour appuyer cette impression d’enfermement avec le dîner ou faire une mise en abyme de cadre dans le cadre avec la fenêtre de la chambre dans laquelle le personnage de James Caan est enfermé. Il utilise ainsi le huis-clos et la quasi-seule dynamique de l’affrontement entre deux personnages à bon escient en en maximisant les effets dans sa mise en scène, et évite ainsi tout aspect théâtral. Par exemple, la fameuse séquence du marteau moins violente que dans le livre est un moment d’horreur anthologique, dont chaque spectateur se rappelle.

 

 

 

 

 

 

 

Le jeu tout en nuances et imprévisible de Kathy Bates fait d’Annie Wilkes l’un des personnages les plus terrifiants sur grand écran. L’infirmière attentionné devient  bourreau psychopathe et torture son écrivain adoré pour avoir ce qu’elle veut. Elle était alors prisée et reconnue au théâtre à Broadway mais inconnue au cinéma, et elle est ici tout bonnement incroyable. En 1991, elle reçoit d’ailleurs l’Oscar de la meilleure actrice pour sa performance inoubliable, ce qui lui permet de faire une entrée remarquée dans le milieu d’Hollywood avec la carrière que l’on connaît aujourd’hui Titanic, la série American Horror Story

 

 

 

 

 

Pour lui donner la réplique, James Caan est formidable en écrivain dépassé par sa fan numéro 1 et qui se retrouve à sa merci. De nombreux acteurs d’Hollywood avait refusé le rôle, certains lui reprochant sa passivité, mais quand celui-ci fut proposé à Caan, il accepta car c’était un rôle très différent de ceux qu’il avait joué avant. Son côté séducteur et star américaine aux dents blanches marche très bien, et il révèle une étonnante palette de jeu en tant que victime au moment où le rapport de force change. Le titre prend alors tout son sens et révèle un effet de miroir…Misery est le nom du personnage principal qu’a inventé l’écrivain Paul Sheldon (James Caan) dans sa série de livres du même nom, mais c’est aussi ce qu’il va endurer « misery » signifiant non seulement » misère » en français, mais aussi « souffrance », « détresse » et « malheur ». La souffrance spirituelle de l’écrivain va devenir souffrance physique. En effet, les rapports de domination et de pouvoir célébrité/fan voire même homme/femme s’inversent…Le personnage actif devient passif et inversement. Ce jeu de domination et de survie se révèle palpitant de bout en bout, et au-delà du film d’horreur, Misery propose une mise en abyme sur le métier d’écrivain qui est jouissive, mais aussi une réflexion sur l’obsession compulsive des fans vis-à-vis de leur artiste préféré. Elle n’en est que plus pertinente aujourd’hui à l’heure des réseaux sociaux, et notamment avec les applications Instagram et Twitter qui encouragent et favorisent la relation fan/célébrité. Mais on pense également à la pression que les fans peuvent mettre de façon positive ou négative sur des œuvres et les gens qui les fabriquent.

 

 

 

Le film est féroce, terrifiant et en même temps jubilatoire pour le spectateur. De plus, il est rare de voir un personnage féminin autant réussi qu’effrayant.

 



 



JAMES CAAN en sept rôles clés…    par Philippe Guedj

 

 

 

 

 

Disparu à l’âge de 82 ans, l’acteur venu du Bronx a marqué quatre décennies par des compositions musclées où perçait une indicible vulnérabilité. De la star du Parrain, de Rollerball ou encore de Misery laisse inconsolables ses admirateurs de toujours. Les nostalgiques d’un certain Hollywood des années 1970 aussi. Une ère où les studios ne craignaient guère d’investir dans de grands films adultes et où le politiquement correct rasait les murs au profit d’antihéros complexes, ambigus, violents, torturés. Visage emblématique de cette glorieuse décennie depuis sa révélation au grand public dans Le Parrain, en 1972, James Caan incarnait à merveille ce triomphe des zones grises…Catalogué viril explosif, avec sa mâchoire crispée, son regard virant chien fou sans crier gare et son torse velu dépoitraillé, il savait aussi brillamment habiter cette carrure physique par une hypersensibilité à fleur de peau. Caan, le pur-sang du coup de sang. Mais sous la faconde bravache et la testostérone à vif, c’est bien l’Amérique du doute qui coulait dans ses veines et irriguait ses compositions, comme dans l’inoubliable Flambeur de Karel Reisz ou le brutal Rollerball de Norman Jewison. Malgré une nette baisse de popularité dans les années 1980, cet artiste au jeu instinctif connut un beau rebond les décennies suivantes et continua d’offrir à ses fans d’inoubliables rôles à l’orée du nouveau siècle, chez James Gray The Yards, Lars von Trier Dogville ou Christopher McQuarrie Way of the Gun.

 

 

Les Gens de la pluie  Francis Ford Coppola (1969) James Caan incarne un joueur de football américain déchu à la suite d’une grave blessure. Mentalement diminué, cet homme-enfant est pris en stop par une épouse en fuite après avoir appris sa grossesse. Sur la route, les deux êtres sans repères vont nouer une liaison et panser leurs plaies…À des kilomètres des rôles de dur qui deviendront sa spécialité après Le Parrain, James Caan épate ici par la sensibilité de son jeu dans la peau d’un homme vulnérable et candide, pris sous l’aile de la fugitive incarnée par Shirley Knight. Malgré son bide cinglant qui faillit bien tuer dans l’œuf la carrière de Coppola, Les Gens de la pluie reste considéré aujourd’hui comme l’une des grandes œuvres méconnues de son auteur et un film précurseur du Nouvel Hollywood. Salué par la critique, il révéla James Caan et Robert Duvall aux yeux des grands studios. Une fois choisi par Paramount pour diriger Le Parrain, le réalisateur signera de nouveau les deux acteurs colocataires lors du tournage des Gens de la pluie dans les rôles respectifs de Sonny Corleone et Tom Hagen.

 

 

Le Parrain (1972) Inoubliable Sonny, fils aîné de Corleone. Impossible d’imaginer un autre visage que celui de Caan dans Sonny, joli cœur cogneur, cadre mafieux et nervi nerveux, héritier de l’empire Corleone mais trop impulsif pour faire de vieux os. Caan compose un gangster à la fois intimidant et attachant, avec une scène de tabassage mémorable en pleine rue contre son beau-frère, incarné par Gianni Russo, acteur vraiment issu des rangs du milieu. L’exécution sanglante de Sonny, mitraillé dans sa voiture évoque le final de Bonnie&Clyde surtout inspirée à Coppola par celui de Viva Zapata !. Le triomphe sans précédent du Parrain au box-office, couplé à son triomphe critique, révolutionne Hollywood et catapulte la carrière de Caan nommé à l’oscar du meilleur second rôle masculin dans le ciel hollywoodien des années 1970. Caan devient icône. Il retrouvera Coppola une troisième fois, en 1987, pour le magnifique Jardins de pierre.

 

 

 

Le Flambeur  Karel Reisz (1974) L’acteur campe un professeur de littérature possédé par le démon du jeu. Une descente aux enfers s’amorce alors que sa dette se creuse et que ses proches s’éloignent. Bientôt, c’est sa propre vie qu’il mettra en danger. Libre adaptation du Joueur de Dostoïevski, ce drame teinté de polar seventies pur jus offre à James Caan l’une de ses plus belles prestations face à Lauren Hutton. Une nomination aux Golden Globes à la clé. Il aurait dû gagner !

 

 

 

 

Rollerball Norman Jewison (1975) Dans un futur faussement utopique où les États ont disparu au profit de corporations énergétiques transcontinentales, Jonathan E James Caan est la superstar d’un nouveau jeu brutal abreuvant les foules en sensations fortes pour mieux leur faire oublier leur asservissement…Le Rollerball, version moderne des jeux du cirque romains. À mesure que le degré de violence grimpe à chaque nouvelle rencontre, la popularité de Jonathan finit par inquiéter le pouvoir en place. Le gladiateur champion sera lui-même amené à remettre en question les fondements de ce système totalitaire. Le film a bien pris quelques rides et trahit sa patte so seventies, mais on reste toujours a minima diverti par la puissance visuelle des scènes de Rollerball et le charisme fascinant d’un Caan en parfait équilibre entre introspection, virilité et fragilité.

 

 

 

 

Le Solitaire   Michael Mann (1981) Dans ce flamboyant néo-polar stylisé qui imprimera toute une grammaire esthétique des années 1980, James Caan campe un braqueur expert cherchant à raccrocher. Mais l’un des pontes du crime organisé de Chicago ne l’entend pas de cette oreille. Maîtrisé de bout en bout par Michael Mann, transcendé par les claviers de Tangerine Dream, Le Solitaire reste l’un des plus grands thrillers des années 1980. Le portrait d’un gangster écorché vif, un samouraï urbain viscéralement attaché à sa liberté, ultra-professionnel dans sa catégorie et capable des mesures les plus radicales pour sauver sa peau. Comme un brouillon du futur Neil McCauley interprété par Robert De Niro dans Heat, du même Michael Mann. De son propre aveu, James Caan considérait Le Solitaire comme son meilleur film, avec Le Parrain.

 

 

Misery (1990)  James Caan revient en force avec cette adaptation réussie d’un best-seller de Stephen King. Il interprète l’écrivain Paul Sheldon, victime d’un grave accident de voiture. Sauvé d’une mort certaine par une infirmière, Annie Wilkes, immense Kathy Bates, Sheldon comprend vite que sa bienfaitrice est une psychopathe au dernier degré. Misery relance la carrière de Caan, alors en pente douce vers le purgatoire des has been. L’acteur a pardonné bien vite à Reiner le calvaire d’un tournage qui l’obligea à rester allongé dans un lit devant les caméras pendant quinze semaines. Sans compter quelques clashs avec Kathy Bates entre les prises pour cause de divergences de méthode de jeu, une animosité réciproque logiquement exploitée par ce coquin de Reiner.

 

 

The Yards  James Gray (1999) Dans les années 1990, Hollywood voit souvent en James Caan le visage idéal pour incarner les truands charismatiques. Après L’Effaceur et Mickey les yeux bleus, l’acteur se voit confier un nouveau rôle de margoulin dans The Yards, Frank, patron mafieux de l’Electric Rail Corporation, une société d’entretien du métro dans le Queens. Le jeune repris de justice Leo Mark Wahlberg, neveu de Frank, en quête de réinsertion, intègre la compagnie et va bientôt découvrir les méthodes brutales de son oncle. Faut-il préciser que James Caan surclasse une fois de plus toute concurrence dans le registre d’un homme de pouvoir aux atours chaleureux, mais peu à peu toujours plus menaçant ? L’un des plus grands films de James Gray.