2024-Et après…

Véritable raz-de-marée venu d’Italie, pays où il a tout emporté sur son passage depuis sa sortie sur le territoire en octobre 2023. Avec plus de 5 millions d’entrées, il a coiffé au poteau l’un des succès historiques du pays, La Vie est Belle, mais aussi les bulldozers internationaux Barbie et Oppenheimer. Pourtant, l’actrice Paola Cortellesi n’avait que 5 petits millions d’euros pour réaliser ce premier film dans lequel elle tient aussi le rôle principal. De ces quelques allumettes, elle semble avoir réussi à embraser tout un pays…Place à la comédie dramatique engagée et pleine d’espoir dont le monde avait besoin.

 

 

 

 

 

BRAQUAGE FEMINISTE A L’ITALIENNE   par Judith Beauvallet

 

L’art et la manière…

 

Il reste encore demain étonne par ses paris formels, aussi riches que référencés. Empruntant largement à la comédie italienne des années 60, autant par son élégante photographie en noir et blanc que par le ton de ses séquences presque vaudevillesques, Cortellesi insuffle aussi beaucoup de modernité dans son film. Non seulement ses cadres et ses mouvements de caméra viennent casser une tendance qui pourrait être trop théâtrale, mais des morceaux de musique actuelle savamment choisis viennent relever l’ensemble avec goût. À cela, s’ajoutent aussi des séquences chorégraphiées qui racontent avec une ironie cruelle des moments de violence conjugale. Cette maîtrise de l’art cinématographique serait impressionnante n’importe où et par n’importe qui, mais elle l’est évidemment d’autant plus qu’il s’agit-là d’une première réalisation, menée à bien avec un budget modeste. Pourtant, il y avait beaucoup à faire pour raconter l’histoire de Delia, une femme vivant dans l’Italie fasciste des années 40 qui fait de son mieux pour survivre aux coups de son mari et pour éviter le même destin à sa fille. Entre émancipation féminine individuelle et sociale, peinture des mœurs classistes d’une époque pas si révolue, dénonciation des violences domestiques…Sous ses airs de joli petit film souvent drôle, Il reste encore demain n’hésite pas à brasser les sujets lourds et gigantesques avec un ton qui fait mouche. Jamais moralisateur, mais toujours politique, le bijou de Paola Cortellesi enfonce les clous, mais avec le sourire. S’il dépeint l’horreur, c’est pour mieux parler d’espoir, et le spectateur en ressort avec l’envie de soulever des montagnes.

 

 

 

Siamo tutti antifascisti

 

Parce qu’au-delà de ses effets de style, le film décrit avec précision et justesse des relations humaines particulièrement crédibles, auxquelles il est facile de s’identifier. On pense notamment aux séquences qui réunissent Delia et sa fille : entre mépris de la part de cette dernière et amour inconditionnel de la part de la première, les deux femmes vont se soutenir et s’influencer plus qu’elles ne le pensent face à la loi des hommes. Sans niaiserie et sans dialogues fabriqués, leurs personnages représentent avec exactitude et sensibilité deux âges (l’un bouillonnant et l’autre désabusé) de la femme qui doit se battre pour un avenir meilleur. Car là est bien la question : même si Il reste encore demain se donne de faux airs de comédie romantique par moments, c’est bien un encouragement à l’action politique qui est finalement porté par le film. En déjouant les attentes du spectateur (qui pense que, malgré des épanchements de sororité, le salut viendra d’un homme), le dénouement du film délivre un message beaucoup plus réaliste et émancipateur que ça. Cortellesi a savamment pensé tous les tenants et les aboutissants de son histoire, et ça se sent. C’est pour cette raison qu’il reste aussi efficace et marquant, bien après son visionnage. Et s’il fallait encore s’interroger sur la faculté d’Il reste encore demain à mettre dans le mille sur des sujets importants au travers d’un langage populaire, il suffit de se référer au phénomène qu’il a créé en Italie. En effet, peu de temps après la sortie du film en salles, c’est un énième féminicide (celui de Giulia Cecchettin, une jeune femme de 22 ans assassinée par son ex-compagnon) qui permit de mettre sur le devant de la scène la persistance des violences faites aux femmes décrites dans le film. À partir de là, Il reste encore demain fut montré dans les universités à travers le pays comme une forme de réponse, de moyen de sensibilisation et d’appel au changement. Pas loin d’être un phénomène de société, donc, mais surtout et avant tout, un excellent film.

 

 

 

 

 

 

Il RESTE ENCORE DEMAIN   par William François

 

Une œuvre laissant infuser ses inspirations pour dérouler un propos moderne sur des sujets particulièrement d’actualité. Le film raconte la vie de la famille de Delia. Nous sommes dans l’après-guerre, dans une Rome en pleine reconstruction. Delia est mariée à Ivano et s’occupe de leurs trois enfants dans leur petite maison avec leurs moyens réduits. Lorsqu’elle apprend que sa fille aînée Marcella compte épouser son petit ami, l’occasion est aux célébrations. Mais la famille de leur futur beau-fils fait partie de la classe supérieure, et voit d’un mauvais œil ce mariage. Delia, qui doit également faire face à la violence de son mari et aux maux de l’Italie des années 40, va être mise face à un choix : partir ou rester. Pour signer son premier long-métrage devant et derrière la caméra qu’elle a également co-écrit avec Furio Andreotti et Giulia Calenda, Cortellesi propose de laisser infuser le poids des classiques intemporels italiens. Il Reste Encore Demain est un hériter limpide du néoréalisme né de l’après-guerre dans un geste vital de reconstruction. Si la metteuse en scène en épouse les contours, notamment dans sa photographie imprimée en noir et blanc ou dans la proximité que la caméra entretient avec le contexte social de ses protagonistes, elle se permet également de tordre parfois le cou à l’ordre établi, utilisant quelquefois une bande-son volontairement anachronique pour accompagner la modernité de cette héroïne et du message qu’elle porte avec elle sans véritablement le vouloir.

 

 

 

 

En abordant frontalement le sujet sensible des violences conjugales souvent représentées sans emballages par le film, le film embrasse d’office son propos et ses réflexions politiques en étudiant les mécanismes qui enferment les femmes dans ces cycles vicieux internes aux cellules familiales. Delia subit les coups mécaniques de son mari, soutenu par l’éducation de son beau-père qui occupe la chambre adjacente à la leur, mais la fuite lui est pourtant inconcevable. Emprisonnée dans cet appartement banal, cellule quotidienne dont elle est dépendante, devant justifier chaque action ou chaque absence à son mari, la protagoniste que suit et incarne Paola Cortellesi, dans un jeu de miroir percutant, serre le cœur par la richesse thématique qu’elle déploie au sein du récit. Si la trame du film s’avère relativement classique dans sa structure, on se retrouve pris à la gorge par ces personnages brillamment banals et par l’émotion constante dégagée par le regard de cette femme quasiment seule au monde en plein milieu de Rome. Mais en fin de compte, au bout du tunnel et des deux heures qui rythment le film, Il Reste Encore Demain s’avère être un puissant récit d’émancipation féminine. Alors oui, nombreuses sont les propositions audiovisuelles qui traitent le sujet en long, en large et en travers depuis des années, si bien qu’on se demande parfois ce que la prochaine pourra dire de plus que celles qui la précèdent. Le film de Cortellesi conçoit l’idée, et explore un message hautement politique par le biais d’une scène finale particulièrement bien pensée, emmenant l’imaginaire du spectateur sur une fausse piste irréaliste pour finalement le ramener à l’essentiel de son propos. Et dans un superbe champ-contre-champ entre Delia et sa fille Marcella, la metteuse en scène ferme ce très beau chant de liberté en justifiant à presque lui tout seul la raison de son existence. Un magnifique récit classique, ponctué de beaux personnages et d’interprètes saisissants avec le puissant et terrifiant Valerio Mastandrea est impeccable dans un rôle très complexe, et Romana Maggiora Vergano incarne le visage de la nouvelle génération qui tente de déconstruire les erreurs de ses aînés. Paola Cortellesi porte une performance inattendue et inspirée, un joli poème plein de lumière et d’espoir, en se voyant à la fois portrait tristement réaliste et fable optimiste.