2024-Western Spirit…

La carrière de Kevin Costner a marqué celle du cinéma américain. Cette année, l’acteur et réalisateur âgé de 69 ans, vu récemment dans la série Yellowstone, fait son come-back derrière la caméra et marque officiellement son retour dans l’univers du Western avec une nouvelle épopée de la Conquête de l’Ouest…Horizon. Une Saga américaine. Au total, 35 ans de réflexion pour dix heures d’une oeuvre complète, répartie sur quatre films distribués en 2024 et 2025. Une Saga américaine, Chapitre 1 dont il est à la fois l’acteur, le réalisateur, le scénariste et le producteur, a été présenté à la 77e édition du Festival de Cannes. Une fresque historique avec un casting cinq étoiles. À l’affiche, on retrouve ainsi l’actrice Sienna Miller, Sam Worthington, Luke Wilson et Will Patton, entre autres.

 

 

 

l’autre ruée vers l’ouest par Etienne Sorin

 

Ces premiers colons seront massacrés. Comme les suivants. Les bons westerns sont toujours une affaire de territoires, d’espaces à conquérir et à défendre. De L’Homme qui n’a pas d’étoile à Il était une fois dans l’Ouest, en passant par La Flèche brisée. James Stewart tente d’ailleurs de faire faire la paix entre les Blancs et les Apaches dans le même coin perdu d’Arizona qui donne son nom au film de Kevin Costner. L’acteur-réalisateur connaît ses classiques. Il est incollable sur le sort réservé aux tribus autochtones depuis l’invention du western, genre hollywoodien qui a évolué en même temps que la prise de conscience de l’extermination des Amérindiens. John Ford en est le symbole parfait. Entre La Prisonnière du désert (1956) et Les Cheyennes (1964), le cinéaste a changé son fusil d’épaule. Costner, lui, ne prend pas parti. Celui qui dansait avec les loups et fumait le calumet avec les Sioux renvoie dos à dos les deux camps. La violence est partagée. Les États-Unis d’Amérique sont nés dans le sang. L’attaque de la colonie par les Indiens est brutale, sauvage. Les flèches n’épargnent personne, ni femmes ni enfants. Sienna Miller, réfugiée avec sa fille au sous-sol de sa maison, ne doit son salut qu’au canon d’une carabine. Et à la chance. Les représailles sont tout aussi sanguinaires. Les colons scalpent avec la même absence de pitié. La confrontation avec les Indiens est au cœur de ce premier chapitre d’Horizon. Une saga américaine. Trois autres volets sont prévus et le deuxième est déjà tourné. L’irréductible Costner a mis de sa poche 50 millions de dollars pour les réaliser. Il a vu les choses en grand et en long…Trois heures. Le scénario multiplie les pistes et les personnages. Quitte à parfois traîner en cours de route. Un convoi de chariots en chemin pour Horizon, peuplé de colons qui sont autant d’échantillons d’humanité…Lâcheté, courage, égoïsme, générosité, ralentit inutilement l’action. Costner lui-même n’apparaît à l’écran qu’au bout d’une heure. Moustache tombante, chapeau quatre bosses, sa lassitude n’a pas grand-chose à voir avec l’héroïsme d’un John Wayne. S’il dégaine plus vite que les salauds, il n’en tire aucune gloriole. Et son histoire avec une coquette a moins à voir avec l’amour qu’avec l’instinct de survie de la belle. Cela n’enlève rien à l’ampleur et au lyrisme de sa fresque à grand spectacle. Le format est hors norme, pour ne pas dire aberrant au cinéma. Costner tente de rivaliser avec la série télé et son art du récit choral. Pas sûr qu’il en sorte gagnant, mais le panache est intact. Vingt ans après Open Range, le dernier des Mohicans prouve que la mythologie du western n’est pas épuisée. Un cheval de bataille qu’il enfourche une nouvelle fois sans trembler.

 

 

 

 

PAROLES DE REALISATEUR…

 

En fait, l’idée de cette saga Horizon bouillonnait déjà dans ma tête depuis 1988. Après l’avoir mise de côté pendant quinze ans, j’ai essayé en vain de réaliser le film et, finalement, j’ai ressenti dix ans plus tard le besoin de développer encore plus l’histoire en rajoutant de nouveaux personnages. Ce projet a donc été murement réfléchi, bien plus que tous les autres films que j’ai pu tourner tout au long de ma carrière…

 

Ma priorité est simplement de réussir à divertir les gens. Peu importe le thème. Je veux juste m’assurer que les gens vont avoir envie de se rendre au cinéma et, bien évidemment, qu’ils prennent du plaisir en allant voir mon film. Il y a tellement d’histoires à raconter autour de la conquête de l’Ouest…Et j’avais besoin de revenir aux sources. La création de ce pays a toujours été pour moi l’une des histoires les plus fascinantes. Cette idée de pacte de promesse de l’Amérique dans laquelle vous pouvez vous enrichir si vous avez suffisamment de force, de chance et de ténacité m’a beaucoup plu. Je joue le rôle d’un cow-boy un peu à la dérive, qui va se retrouver dans des situations bien inconfortables, mais qui est toujours prêt à relever des défis. Comme dans tout bon Western. C’est un projet qui me tenait vraiment à cœur. Je ne fais pas des films pour me faire plaisir, mais pour satisfaire le public. Cela faisait des années que je tenais à raconter cette histoire et le moment était venu dans ma carrière de réaliser enfin ce rêve…Même si, pour cela, j’ai dû tout faire moi-même, jusqu’à financer ce projet !

 

Cette histoire a été créée avant Danse avec les loups. Avant même de réaliser ce long-métrage, je travaillais déjà sur Horizon. Considéré comme trop ambitieux par la plupart des studios et producteurs hollywoodiens, j’ai été obligé de mettre ce projet de côté. Ce film a été délaissé pendant longtemps non pas par choix, mais par obligation. Mais, comme dans tout ce que j’aime dans la vie, je ne pouvais pas abandonner cette idée. Je savais que je devais absolument raconter cette histoire, même trente ans plus tard. Quand je suis passionné par quelque chose, je ne parviens jamais à me l’enlever de la tête. J’ai toujours été intéressé par l’histoire de la création de l’Amérique. J’étais fasciné par ce système de l’époque, dans cette société qui était basée sur la loi du plus fort. J’ai toujours trouvé incroyable à quel point ce pays vous donne l’opportunité de devenir riche et puissant si vous êtes le plus courageux, le plus fort, le plus intelligent…et parfois même le plus méchant ! Je ne pensais pas cependant que j’allais rencontrer autant de problèmes pour monter ce projet.

 

Des problèmes d’argent ! Les studios hollywoodiens ne voulaient pas financer ce projet et j’ai dû dépenser mon propre argent pour assurer le financement de ce long-métrage. Je ne suis pas certain que mes enfants vont être contents. Je ne me suis jamais vraiment retrouvé face à une telle situation et, après avoir tourné le premier et le second volet de cette saga Horizon, je recherche le financement pour les troisième et quatrième films de cette aventure. Cette saga doit absolument comporter quatre parties si je souhaite réaliser mon rêve, pour raconter cette histoire de manière précise et complète. J’ai dû hypothéquer une de mes maisons pour pouvoir financer Horizon ! J’ai toujours fait en sorte de mettre mes enfants à l’abri du besoin. Néanmoins, j’ai décidé qu’il était temps que je puisse assouvir mes passions et réaliser mes projets. Pour cela, il est enfin temps pour moi de prendre des risques ! Il va bien falloir que mes enfants apprennent à être indépendants et à ne pas dépendre seulement de moi.

 

 

 

 

Je peux vous dire que l’envie de bien faire est toujours aussi vive. En plus, je m’aperçois que j’ai toujours autant d’énergie ! Plus que jamais, je souhaite divertir les gens et leur donner envie d’aller au cinéma ! C’était émouvant. Pendant que les gens applaudissaient, j’ai revu ma carrière défiler et je me suis souvenu de ce que j’ai accompli et traversé pour me retrouver là où je suis aujourd’hui. Je n’oublierai jamais ce moment. Il restera à jamais gravé dans ma mémoire.

 

Mes enfants sont ma priorité. Les gens me voient comme une célébrité, mais je suis avant tout un père de famille. Comme tous les autres parents, je m’assois au premier rang de leurs spectacles pour tout filmer. Avec le temps, j’estime qu’il est important de les soutenir sans trop les protéger. Mon devoir est de les aider à devenir indépendants. Mes enfants ne doivent pas attendre la fortune de papa. Je me suis construit tout seul et je n’avais rien quand j’ai débuté. Aujourd’hui encore, l’argent ne tombe pas du ciel. Croyez-moi, ce n’est pas mon style de donner des rôles à mes enfants. Et je sais pertinemment que beaucoup de jeunes donneraient tout pour faire du cinéma. Mais j’avais envie qu’il soit près de moi car le tournage m’éloignait de la maison. Et je me suis tellement impliqué dans ce film, qu’il y a quinze ans, j’ai prénommé l’un des personnages Hayes comme mon fils. Il incarne le petit garçon qui ne veut pas quitter son père. Il n’avait jamais joué auparavant.

 

Je ne parvenais pas à convaincre les studios de le financer car ils le trouvaient bien trop ambitieux. J’ai fait preuve d’une grande patience puisque j’ai commencé à travailler sur le projet en 1988, avant même de réaliser Danse avec les loups (1990). Au fil du temps, j’ai ressenti le besoin de le développer, d’y ajouter des personnages, de nouvelles intrigues. A plusieurs reprises, je me suis senti prêt à débuter le tournage, en vain. Chaque fois, je butais sur de nouveaux obstacles. Mais j’ai toujours refusé d’abandonner. Quand j’aime quelque chose, je suis prêt à tout. J’étais convaincu qu’il fallait que je raconte cette histoire de la création de l’Amérique. La conquête de l’Ouest est fascinante, tout comme la promesse qui l’accompagne. Si vous avez la force et la foi, vous pouvez vous enrichir. J’ai toujours pris des risques, je n’ai jamais eu peur de me mettre en danger. Je ne suis pas un homme qui renonce facilement, quitte à mettre la main à la poche si besoin. C’est bien simple, j’ai dû hypothéquer une de mes maisons pour réaliser Horizon. La décision a été difficile, j’éprouvais un sentiment de culpabilité vis-à-vis de mes enfants. Au lieu de se partager quatre belles propriétés, il ne s’en partageront plus que trois. Après tout, ce n’est pas la fin du monde. Quand j’ai démarré, je n’avais pas d’argent pour exercer ce métier. Ensuite, j’en ai gagné beaucoup. Et aujourd’hui, je dois engager mes propres fonds pour réaliser un projet ! Mais peu importe, car chaque matin en me réveillant ou lorsque je suis sur mon lieu de travail, arrive un moment où j’ai l’impression d’avoir accompli quelque chose. Cela me rend si heureux que j’ai le sentiment d’avoir réussi ma vie.

 

 

 

 

Western indigeste…    par Antoine Desrues

 

Maintenant que le succès phénoménal de la série Yellowstone l’a de nouveau propulsé sur le devant de la scène, Kevin Costner en a profité pour relancer d’une autre manière le genre du western. Déjà auteur et acteur de Danse avec les loups et d’Open Range, le cinéaste propose avec Horizon une véritable arlésienne, un projet de saga dantesque sur la conquête de l’Ouest qu’Hollywood a longtemps rejeté. Si l’introduction de ce récit au long cours ne peut qu’impressionner par son ambition, elle finit par s’écrouler sous le poids de sa mégalomanie. Horizon est, à n’en pas douter, une œuvre hors-normes, qui assume depuis sa mise en chantier d’aller contre le vent. Et rien que pour ça, on a envie de l’aimer plus que de raison. Déjà, parce que Kevin Costner a toujours eu envie de revigorer le western, malgré la mort programmée du genre à la fin du XXe siècle, dont il a connu les derniers souffles avec Open Range et surtout Danse avec les loups. Après presque un siècle de domination sur le cinéma américain, le western est devenu l’exemple ultime du genre tellement essoré qu’il s’est éteint de lui-même. Pourtant, Costner fait partie de ces irréductibles qui croient encore dur comme fer à son pouvoir de fascination et à la puissance de son imagerie. Visiblement, il est bien seul, puisqu’Horizon est longtemps resté dans ses tiroirs, la faute à des studios frileux face à l’ampleur de cette franchise risquée, aux airs de château de cartes construit en pleine tempête. Qu’à cela ne tienne, le bonhomme a financé plus de la moitié du premier film sur sa propre fortune. Tant de dévouement force le respect, d’autant que le réalisateur a tenu à tourner d’une traite les deux premiers volets d’une possible tétralogie, malgré les signaux au rouge de l’industrie. Il est d’ailleurs intéressant de revenir sur l’avant-première mondiale du long-métrage au Festival de Cannes 2024. Au même titre que Megalopolis de Francis Ford Coppola, cette saga américaine a reflété le mouvement global d’une sélection tournée vers les paris insensés, les ruptures de ton improbables et les va-tout joués de manière quasi-suicidaires, comme s’il fallait absolument s’éloigner d’une crainte du conformisme imposé par les algorithmes du streaming ces dernières années. C’était souvent indigeste (Emilia Perez), voire raté (L’Amour ouf), mais on ne peut pas enlever à ces films leur ambition, et leur envie de tester les limites de leur médium. De l’ambition, Horizon en a à revendre, lui qui veut réinventer l’écriture du western en faisant de la conquête de l’Ouest un immense terrain de jeu où vont se télescoper sur plus d’une décennie les destins de nombreux personnages. Sur le papier, c’est très alléchant, d’autant que la franchise a l’opportunité d’équilibrer les points de vue, et de sortir des clichés habituels d’une Histoire écrite par les vainqueurs, et qui a trop souvent fait des Amérindiens des sauvages sanguinaires.

 

A son désir de grand spectacle cinématographique épique se greffe ainsi la richesse narrative d’une série télévisée, marquée par le choix de tourner le film au format 1.85 habituel du petit écran, et non avec le majestueux 2.39, qui a souvent mis en valeur les paysages américains. Coster tient à une certaine verticalité dans l’image, et surtout à ne jamais perdre de vue le raccord humain, et les visages de ses personnages. En même temps, l’horizon du titre est dès le départ parasité par des piquets, puis des croix, plantées sur les territoires encore vierges de la vallée de San Pedro. Le péché étasunien originel, c’est bien la propriété privée, et sa manière de marquer l’histoire de ces lieux par les cadavres toujours plus nombreux qui y sont enterrés. D’un point de vue purement théorique, Costner fascine par ce parti-pris, qui trouve sa pleine puissance dans sa meilleure scène…Lors d’une attaque d’Apaches sur une jeune colonie, une mère Sienna Miller, toujours géniale et sa fille cachées dans une cave condamnée n’ont plus qu’un canon de fusil pour respirer à la surface. Cette séquence pivot est à la fois la clé de voûte du long-métrage, mais aussi ce qui marque profondément ses limites. Au départ, on se plaît à voir le film alterner les points de vue et les camps, qu’il filme des Amérindiens bien décidés à défendre leur terre ou des colons en quête de vengeance. C’est loin d’être toujours fin, mais les parallèles qu’il tisse entre ses scènes tend vers une égalité des forces, qui s’étend à tout un pays. Du Montana au Wyoming en passant par le Kansas, les panoramas variés du cinéaste sont empreints d’une odeur de mort, et reflètent avant tout l’escalade inévitable de la violence. Le problème, c’est le trop grand nombre des forces en présence. Débutant en 1853, Horizon raconte tour à tour l’histoire d’une mère traquée par le gang de son ex-mari, les allers et venues des survivants d’un massacre par les Amérindiens, l’arrivée de l’armée qui préfigure la guerre de Sécession ou encore le suivi d’un convoi dans le désert. Pour comprendre à quel point le film est saturé d’intrigues, le personnage qu’incarne Kevin Costner ne débarque qu’à la moitié du film, qui dure 3 heures. L’idée est surprenante, d’autant que la star se donne le beau rôle attendu du vieux cow-boy sexy, mutique mais au grand cœur, qui devrait être le ciment supposé de ces narrations vouées à se recouper. On dit bien “supposé”, car cette première partie n’est qu’une très longue introduction, qui passe son temps à vagabonder de scène en scène, de personnage en personnage, sans jamais rien connecter. L’exercice en devient aussi épuisant que vain, tant la durée lancinante du film n’est que rarement au service du développement des protagonistes. On notera quelques éclairs épars de brio, mais l’investissement requis par le réalisateur n’est jamais à la hauteur de sa promesse. A force de ne s’attarder sur rien, de zapper de situation en situation, l’ensemble a des airs de premier montage mal dégrossi, de folie des grandeurs engloutie par sa propre mégalomanie. On en veut pour preuve sa fin totalement arbitraire, qui se conclut sans prévenir par un montage de sa future suite, sans même un cliffhanger pour appâter le chaland. Concrètement, le film pourrait s’arrêter un quart d’heure plus tôt ou un quart d’heure plus tard, et le résultat serait le même, comme si toute la saga avait été composée en un seul bloc grossièrement découpé. Surtout qu’à force de matraquer ses multiples sous-intrigues, l’ellipse reste le moyen le plus efficace de faire évoluer les héros, même quand le fait de percevoir leur évolution sentimentale ou morale serait le plus intéressant.

 

C’est d’autant plus rageant qu’Horizon transpire de l’amour évident de son auteur pour le western, dont il cherche autant à moderniser son approche thématique qu’à rassembler un siècle d’histoire cinématographique. Sur le principe, c’est grisant, mais dans les faits, on a l’impression de voir le long-métrage switcher entre plusieurs quêtes de Red Dead Redemption. Face à l’ambition démesurée d’Horizon, difficile de ne pas penser aux derniers chefs-d’œuvre de Rockstar Games, et à la multitude de quêtes à notre disposition dans ce monde ouvert, pour un rapport plus complet et nuancé à cette époque de mutation de l’Amérique. Il est intéressant de voir la saga américaine de Costner se frotter aux mêmes problématiques avec un médium moins optimal, mais Horizon en devient un objet vraiment bâtard et paradoxal, coincé dans cette nature hybride qui semble incapable de faire un choix clair. D’un côté, la proposition est tournée vers le passé, vers un bon vieux temps oublié que Costner espère remettre au goût du jour. De l’autre, il vise une forme d’exhaustivité narrative digne des nouveaux médias, comme s’il avait mixé une écriture de jeu vidéo avec plusieurs saisons de Yellowstone, le tout avec une ampleur esthétique d’antan réservée au grand écran. On a clairement envie de saluer l’effort et ses outrances jusqu’à ce que l’indigestion l’emporte.