Non, je suis toujours le même mec tordu que j’étais lorsque j’ai écrit Terminator et il y aura plein de choses sombres dans ce film. Si vous vous y plongez vraiment, ce sont de véritables montagnes russes émotionnelles. Vous devez gagner le bonheur dans ce film et je pense que c’est ce qui fait qu’un film marche. Jusqu’à présent, les gens parlent de l’univers, des créatures et du design, ce qui est cool, mais derrière ça, il y a une histoire. Je pense que chaque film doit posséder une part obscure pour en apprécier sa lumière. Mais une des choses curieuses de ce film, et une des raisons pour laquelle j’ai été attiré pour le faire, c’est qu’il possède une véritable beauté de par le design. Nous voulions mettre autant d’intensité et de terreur, une part sombre et des moments de beauté subjuguant. Beaucoup de films, la plupart des films je dirais, plus particulièrement dans la science-fiction, ne tentent pas de faire ça. Ils devraient.
FILMOGRAPHIE SELECTIVE
Plus de 1000 personnes ont travaillé sur le film, tandis que son budget est estimé à plus de 300 millions de dollars, hors budget marketing; ce qui en ferait tout simplement le film le plus cher de tous les temps. James Cameron est un habitué des records, puisque son Titanic détenait à l’époque le record avec un budget (hors marketing) de plus de 200 millions de dollars. Avec son Avatar, le cinéaste enfoncerait donc les records détenus par d’autres films récents. La planète Pandora a été imaginée jusque dans ses moindres détails par le cinéaste et ses collaborateurs, de la géographie à la faune et la flore, en passant par l’écosystème et surtout le peuple des Na’vi. Un peuple extraterrestre pour lequel Cameron a fait appel à des spécialistes en comportement, dialectes et anthropologie afin de créer une race dotée d’une culture et d’un langage propres.
ENTRETIEN AVEC JAMES CAMERON
Votre expérience en explorant le monde, a vraiment influencé la manière dont vous avez conçu Pandora ? J’ai vu un tas de choses au fond de l’océan qui ont influencé les designs, vous savez.
Comme quoi ? Comme la bio-luminescence. Pas seulement dans les profondeurs de l’océan, mais rien qu’en plongeant aux abords des coraux. Les couleurs, les formes. Il y a parfois des choses qui existent en vrai et que nous avons agrandies dans le film.
Avec la préparation que le film a demandée et tous les designs que vous avez conçus en amont, y a-t-il dans le film une scène qui était plus difficile à concevoir ou y a-t-il des scènes que vous avez coupées au montage ? Non, nous n’avons rien enlevé parce que nous n’aurions pas pu, mais il y avait une scène qui nous a pris au moins deux ans pour réfléchir comment la tourner. C’est l’action finale, je ne peux pas vous dire de quoi il s’agit, mais cela implique des personnages à différents niveaux, ils interagissent tous entre eux et ils sont tous joués par des acteurs. C’était fou à quel point c’était dur à faire. Mais vous savez, au moins nous savions que c’était le finale du film, donc ça en valait la peine. Et ce sera un coup de maître.
Pourquoi avez-vous choisi de faire une partie en véritable action ? Il ne m’a jamais semblé que nous n’aurions pas pu faire les parties de véritable action, autrement qu’en vrai. Je pense que les gens emploient mal les images de synthèses. Si je peux avoir un acteur et lui faire dire du texte, c’est ainsi que je le ferais. Je pense que vous pourrez juger d’après ce que vous verrez que ce genre de choses n’aurait pas pu être fait autrement.
Attendrons-nous encore dix ans pour un autre film de James Cameron ? J’aime vraiment partir en expédition. Mais cela m’a pris sept ou huit ans pour me forger une véritable crédibilité dans ce monde. Car je traite avec des gens en dehors de la communauté d’Hollywood, lors d’exploration spatiale, sous-marine et à un niveau institutionnel. Ce sont des scientifiques. je pense que j’alternerais film, expédition, film, expédition, plutôt que film, expédition, expédition, expédition, film.
Pensez-vous faire une saga ? Pensez-vous qu’il s’agira du début d’une nouvelle franchise ? Oui, je pense. Mais vous savez nous devons trouver le temps pour faire un de ces films. Mais cela pourrait être le prochain défi technologique. Nous savons comment nous devons le faire, mais à présent nous devons apprendre comment le faire plus vite et plus facilement. Mais vous devez vous rappeler que nous devons créer absolument chaque chose que vous voyez. La prochaine fois, Jake existe déjà, les intérieurs et la forêt également. Mais il y a des choses que nous ne pouvons pas prendre pour acquis et construire de nouvelles choses en continuant d’avancer. Il y aura d’autres mondes dans les prochains films. Si nous faisons des recettes sur celui-ci, il y en aura d’autres. C’est aussi simple que ça.
AVATAR par Jean-Marc Lalanne
Après douze ans de recherches technologiques visant à rendre son projet possible, James Cameron, lâche une fable très noire sur le devenir de l’humanité en pleine crise écologique. La révolution visuelle annoncée déçoit mais le film passionne. Après Titanic, fallait-il monter ou descendre ? La sagesse conseillerait plutôt de descendre. Lorsqu’on a réussi un carton aussi plein, c’est-à-dire les plus grosses recettes de l’histoire du cinéma, mais aussi 11 oscars et surtout un engouement collectif hors du commun, il n’est probablement pas aisé de penser au film suivant en toute sérénité. James Cameron n’a rien de l’artisan de blockbuster-type qui peut, sans plus d’états d’âme, enchaîner des grosses productions formatées pour le succès, il est à la fois son propre producteur et un auteur complet, écrivant seul ses scénarios, et aspirant autant à la reconnaissance artistique que commerciale. La plupart des cinéastes soucieux de leur liberté créatrice choisissent généralement après avoir obtenu leur plus grand succès de descendre, à savoir réaliser dans la foulée un projet plus modeste, plus normal, pour garder une marge de manœuvre par rapport à l’industrie, se préserver du défi de toujours faire mieux, plus grand, plus large. Contre toute logique de préservation, et alors même qu’il avait placé la barre au plus haut avec le triomphe sans précédent, James Cameron a choisi de continuer à monter. Et il a mis en chantier un film si ambitieux que le cinéma lui-même n’était pas encore armé pour le concevoir. Pendant des années, le cinéaste a donc investi sur des recherches technologiques, permettant qu’un jour le film qu’il avait dans la tête soit réalisable. Nouvelles techniques de performance capture pour enregistrer les expressions faciales des comédiens et les greffer sur leurs avatars numériques, nouvelles caméras 3D, techniques pour intégrer les acteurs sur fond vert dans les décors numériques au moment même de la prise sur des écrans de contrôle.
Le film n’est pas exactement le choc visuel annoncé. Et si l’œil doit passer par-dessus une laideur intermittente de l’image, l’oreille est mise à plus rude épreuve encore, malmenée par une soupe techno-world assez kitsch, chorale de chants africains nappée de flûtiau façon Titanic et ballade finale beuglée par Leona Lewis, remplaçant au pied levé Céline Dion. La révolution n’a donc pas complètement lieu. Mais si malgré tout, par-delà son aspect de foutoir un peu indigeste, il passionne, c’est plutôt grâce aux fondamentaux de l’art de Cameron avec la maîtrise du récit, la profondeur de caractère, l’art du storytelling, et la permanence d’une vision du monde, de l’homme et de ses expériences, qui si elle ne s’incarne pas toujours dans une forme harmonieuse, ne manque ni de puissance ni d’ampleur. Ce qui frappe d’abord c’est l’extrême noirceur de la fable, qui prend à rebours l’optimisme conquérant de Titanic. Cameron avait réussi la prouesse de transformer une catastrophe collective en triomphe individuel. Au bout du martyr, une jeune femme prenait son envol, s’émancipait de tous les carcans sociaux qui l’enserraient et arrivait à l’assaut d’une terre et d’une époque riches de tous les possibles. l’Amérique du XXe siècle naissant. Le dernier plan, lorsque la jeune femme devenue une aïeule passait de vie à trépas, montrait par une série de photos posées sur sa commode qu’elle avait participé à toutes les grandes aventures du siècle avec la naissance de l’aviation, du cinéma.
Un bateau en cachait un autre, et à travers l’histoire triste du Titanic, c’est aussi l’histoire glorieuse du Mayflower et de ses pionniers convaincus de bâtir un monde nouveau dont Cameron se faisait le chantre. Dans Avatar, cette foi humaniste sur fond de gloriole nationale, n’a plus cours. Douze ans après Cameron rejoue la conquête de l’Amérique, mais sur le mode inverse. Non plus du point de vue, gonflé à bloc, des conquérants, mais de celui de la population amérindienne génocidée. Le film prend fait et cause pour ces indigènes qui défendent leur territoire. Là-dessus, Cameron ajoute d’autres couches d’images puisées dans la culpabilité militaire américaine. La première attaque massive contre les Navis se fait par les airs. Les vaisseaux spatiaux américains déversent sur la forêt une substance inflammable qui carbonise instantanément la forêt, et c’est toute l’imagerie du Vietnam qui ressurgit. Enfin, un immense arbre totem, dans lequel vivaient les Navis, s’effondre au ralenti, écrasant dans sa chute la population, et reproduisant avec beaucoup de soin la chute du World Trade Center. C’est le renversement le plus troublant d’Avatar…Faire endosser à l’armée américaine la responsabilité du 11 Septembre.
Le film est traversé par une honte profonde, exprimée avec une colère éloquente, celle d’être un Américain, en pleine culpabilité écologique d’être un humain. Jake lui-même n’est pas un militaire fringant et discipliné comme ceux qui peuplaient autrefois le cinéma de Cameron. Un rescapé aux membres inférieurs détruits, se déplaçant en fauteuil roulant. La part la plus émouvante du film tient là par le choix d’un héros au corps détruit portant les stigmates de conflits militaires récents…Véritable folie belliqueuse des hommes. Dans le monde de Pandora, grâce à son avatar, il redevient un soldat héroïque bondissant, loin du réel, il se déplace en rampant, soulevant ses jambes atrophiées de ses bras pour pouvoir quitter son fauteuil et s’allonger. Ce qui reste à sauver d’une humanité malade et aveugle tient là dans cette semi-dépouille. Il semblerait, si on en croit les blockbusters récents que plus grand-monde sur terre n’ait envie de rester un être humain. Avatar est le blockbuster planétaire de spectateurs qui n’aspirent à rien tant qu’à se projeter sur des aliens. L’alien est désormais le salut d’une humanité dont chaque film appelle à la disparition. La force conceptuelle qui est aussi sa limite, est d’inaugurer un cinéma posthumain, où l’enregistrement cinéma de corps humains est pas grand-chose, au profit de la toute-puissance des machines et du virtuel. Les machines retiennent ce qui n’est pas l’apparence physique, mais des expressions, des attitudes, des façons de se mouvoir.
En voyant ce film fort, mais parfois disgracieux, on a moins l’impression d’assister au début d’un nouveau cycle qu’à une entreprise limite et assez solitaire. Il reste à souhaiter qu’après ce délire démiurgique James Cameron consente enfin à redescendre, qu’il ne devienne pas un nouveau George Lucas enfermé à jamais dans ses Star Wars, et tourne très vite d’autres films moins surdimensionnés. Qu’il retrouve par exemple l’humour et la légèreté d’un film plus mineur mais charmant comme True Lies. Car l’ordinaire du cinéma des Terriens a besoin de sa vigueur et de sa force.
C’est l’âme des comédiens qu’essaie d’extirper la Performance Capture pour l’injecter dans les corps du numérique. Cette animation d’un nouveau genre à déjà trouver sa pleine puissance expressive. JAMES CAMERON