2010 – Cours de justice !

 

Nous avons lu tous les ouvrages que nous avons pu nous procurer, nous avons visionné des documentaires sur le TPIY et nous nous sommes souvent rendus à La Haye pour rencontrer des procureurs, des juges, des avocats, des proches des victimes et des témoins et tous ceux qui étaient susceptibles de nous éclairer sur le fonctionnement du TPIY. Ensuite, nous sommes allés à Zagreb, Sarajevo et Banja Luka. Nous nous sommes entretenus avec des journalistes, des hommes politiques, des militants des droits de l’homme. Mais on a compris qu’à un moment donné, il faut arrêter les recherches et mettre de côté toute cette documentation. Il s’agit alors d’inventer une histoire en évitant de se laisser envahir et inhiber par cette masse d’informations.

 

Après Requiem, nous avions envie de raconter un thriller. Nous aimons beaucoup les films du « New Hollywood », qui ont notamment pour atout de traiter toujours un thème contemporain et de s’efforcer de l’adapter au cinéma d’une manière passionnante. C’était l’un de nos objectifs, avec La Révélation, je suis fasciné par les personnages comme Hannah Maynard. Elle a pris ses fonctions au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye avec beaucoup d’idéalisme, et constate qu’au fil du temps sa motivation s’émousse, et que le système auquel elle a cru aveuglément risque de se retourner contre elle. Il y a aussi une part de déformation professionnelle.   

 

Hans-Christian Schmid

 

 

 

Dans votre film, la procureure du TPIY se heurte à de multiples obstacles alors qu’elle tente de faire juger un ex-général serbe. N’aurait-il pas fallu rajouter la mention…Ce film s’inspire de faits réels. Je n’ai pas ajouté cette mention parce que je ne considère pas que le film soit inspiré de faits réels. Ce que vous voyez dans le film sont des événements qui auraient pu se passer réellement, mais qui n’ont pas eu lieu. Pour moi, il était vital de créer une atmosphère réelle. Je n’ai pas voulu récupérer un fait historique, traiter l’histoire des vrais criminels de guerre. Dans mon travail d’obsédé par le détail, j’ai presque fait un film documentaire, de ce point de vue. Je dois reconnaître que j’adore les choses qui semblent être réelles.

 

Avez-vous dû couper certaines scènes trop cruelles ou gênantes ? Êtes-vous finalement content de ce que le film est devenu ? Je suis content, car 80 % de ce que j’avais en tête quand j’ai commencé le film se retrouve dans la version finale. Certes, j’ai dû faire des compromis parfois, mais mon idée sur l’intégrité des gens, sur cette femme que je voulais peindre, la procureure interprétée par Kerry Fox, est restée entière. Il y a eu des scènes coupées, notamment celle dans laquelle la procureure Hannah Maynard se retrouve seule sur le balcon du TPIY. Mais ce que je me rappelle sont surtout les scènes que j’ai tourné d’un trait, dès le début, et que j’ai gardé pour leur beauté. Par exemple, la scène finale, avec les deux protagonistes au bord de la mer, confrontées à elles-mêmes je savais qu’elle allait être ma scène finale.

 

Pendant la réalisation du film, en ex-Yougoslavie et à La Haye, vous avez dû vous documenter, lire, interroger des personnes. A la fin du film, le spectateur sort enrichi. Mais vous-même, qu’avez-vous appris ? Beaucoup de choses. Quand j’ai commencé, comprendre ce qui s’est passé là-bas semblait impossible. L’Allemagne semblait être très loin de cette guerre. Maintenant je sais que les choses sont souvent compliquées, qu’il n’y a pas de solution facile et qu’il est difficile d’avoir un jugement sur une société qui vient de traverser une guerre. On pourrait se demander pourquoi avoir voulu faire un film sur cet endroit de l’Europe. J’avais lu des choses sur la procureure allemande qui est maintenant chargée de l’affaire Karadzic [ex-dirigeant serbe, arrêté le 21 juillet 2008]. C’est une région fascinante de l’Europe, qui fait partie de notre histoire commune. Quand j’étais enfant, j’allais avec mes parents en vacances là-bas, c’était paradisiaque. Mettre en miroir ce qui se passe là-bas maintenant fait partie de ma vision du monde.

 

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie va probablement fermer ses portes…Votre film essaie-t-il de changer la donne ? Le film a été projeté en septembre 2009 dans l’enceinte du tribunal. Mais il n’a pas été projeté à l’ONU, l’organisme qui a décidé de la création du TPIY. Je ne pense pas que mon film puisse changer quelque chose, mais j’aurais aimé que ce soit possible. Je ne savais pas que les procureurs subissaient la pression de cette fermeture, j’ai appris cela en parlant avec eux. C’est maintenant aux journalistes d’intervenir pour faire changer les choses.

 

 

 

 

 

COURS DE JUSTESSE  par Sébastien Chapuys

 

 

Le film explore les rouages d’une institution méconnue des citoyens. La Cour Pénale Internationale, chargée de juger les crimes de guerre et autres génocides. Mais au-delà de cet aspect documentaire, le film s’attache surtout à dresser le portrait de deux femmes. L’une est la victime oubliée d’une guerre que tout le monde veut désormais taire, l’autre cherche à faire remonter ce passé à la surface, dans l’espoir illusoire d’obtenir sinon réparation, au moins la reconnaissance officielle de ce que des milliers de femmes ont subi. Soupçonné d’avoir supervisé des opérations de nettoyage ethnique pendant la guerre civile yougoslave, l’ancien officier bosno-serbe Goran Durić est arrêté alors qu’il menait une vie confortable aux Açores, sous une fausse identité. Il comparaît quelques années plus tard devant le tribunal de La Haye. Mais l’affaire menace de s’effondrer sur elle-même le jour où le seul témoignage direct est publiquement discrédité, jeune homme fébrile et hanté qui cherchait par tous les moyens à faire condamner Duric, n’a en réalité pas pu assister au drame. Il se suicide peu après la découverte de son mensonge. La procureure Hannah Maynard part alors à la recherche de nouvelles preuves.

 

 

Il est difficile de ne pas songer à Radovan Karadžić. L’ancien leader nationaliste accusé de génocide s’était caché pendant treize ans avant d’être finalement arrêté en juillet 2008. Son procès, déjà repoussé à maintes reprises, vient d’être une nouvelle fois ajourné. Les parallèles sont nombreux…Durić est présenté comme politiquement influent et admiré dans son pays, ce qui est également le cas de Karadžić qui, pour de nombreux Serbes, apparaît toujours comme un héros, voire un résistant. Mais si cette Révélation semble lorgner vers l’effet d’actualité, elle est surtout le fruit de deux années de préparation, employées à rassembler des informations et des témoignages sur le fonctionnement du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). On aurait pu craindre que cette volonté de coller au plus près de la réalité ne transforme le film en publicité institutionnelle déguisée. Il n’en est rien, et les entrailles du TPIY sont exposées sans grande complaisance, voire avec une certaine sévérité. Les juges et les procureurs apparaissent comme des hommes et des femmes faillibles, guettés pas le carriérisme, et dont les éventuels idéaux de justice doivent constamment s’accommoder non seulement de la rigidité et de la pesanteur des procédures, mais également de tractations secrètes liées à des calculs géopolitiques complexes. En l’occurrence, Hannah Maynard va devoir affronter des hommes d’affaires yougoslaves au passé trouble, et des diplomates, qui eux non plus, n’ont pas intérêt à ce que les fantômes de la guerre civile viennent troubler les négociations en cours en vue de l’intégration dans l’Union Européenne des anciennes républiques yougoslaves. L’absence d’angélisme est plus que bienvenue dans un film traitant d’un sujet aussi complexe et sensible. Ce choix confirme le talent singulier de Hans-Christian Schmid, jeune cinéaste allemand qui n’hésite pas à s’emparer de sujets ambitieux sans chercher à en élaguer les nuances.

 

Le film pose des questions très pertinentes sur la justice et la reconstruction d’un pays, d’une identité. Lorsque Mira se laisse convaincre de témoigner contre Durić, elle prend non seulement le risque de se voir traquée par des hommes de main sinistres, mais également celui de chambouler sa nouvelle vie et de rouvrir ses propres blessures sans être assurée d’obtenir justice ou même d’être entendue. Le parcours de ce personnage à la fois fragile et déterminé, confronté à la froideur de l’administration internationale, perdu dans des couloirs et des chambres à l’atmosphère impersonnelle et aseptisée, se révèle poignant. S’il ne cherche pas à glamouriser une intrigue forcément austère, Schmid s’efforce de greffer sur le film à thèse à l’européenne un genre typiquement américain, celui du thriller politico-judiciaire. Si la mise en scène ne fait pas d’étincelles, Schmid livre un travail solide, digne mais jamais compassé. Il sait créer des personnages attachants, comme cette jeune chargée de sécurité que l’on aperçoit à peine, mais dont la douceur et la patience marquent durablement. Il sait aussi s’appuyer sur des interprètes solides avec le duo d’actrices principales est remarquable, notamment Anamaria Marinca dont le jeu intense nourrissait déjà le film Roumain 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Grâce à elles, et grâce à l’intelligence d’un scénario à la fois adroit et sensible, le film parvient à compenser la lourdeur induite par une production cosmopolite, et à frapper à la fois fort et juste.