2001 – Frères d’Armes !

Série produite par Spielberg&Hanks sur les traces de la “Easy Compagny” du Débarquement jusqu’au “Nid d’Aigle” résidence privé d’Hitler. Inspirée de l’œuvre de l’historien Stephen E. Ambrose, la série retrace l’histoire des soldats de la Easy Company, du 506e régiment d’infanterie parachutée, de la 101e Division Aéroportée US les « Screaming Eagles », de ses débuts et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Le premier épisode montre la façon dont les jeunes recrues des unités aéroportées sont très durement entraînées. La Easy Company est la plus entraînée de toutes les compagnies du régiment. Par ambition, le premier lieutenant Herbert M. Sobel veut que sa compagnie soit bien vue et rend la vie de ses hommes aussi difficile que possible, il les traite durement et leur impose un entraînement physique éreintant, notamment l’ascension du mont Currahee dont le régiment tirera sa devise. Son commandant en second, le premier lieutenant Richard D. Winters, fraîchement promu, est mieux vu par les hommes et montre de meilleures aptitudes tactiques. Sobel promu au rang de capitaine par le colonel Sink, mais ce dernier, après la presque-mutinerie des sous-officiers, est contraint de l’affecter dans une école de saut en parachute pour personnels non-combattants, en Angleterre. À la veille du 6 juin 1944, la Easy est parachutée au-dessus de la Normandie. Les épisodes suivants retracent le parcours de la compagnie en Europe, en Normandie pour la prise des canons du manoir de Brécourt puis à Carentan pour la prise de la ville, à Eindhoven aux Pays-Bas pendant l’opération Market Garden, à Nuenen, pendant la bataille des Ardennes, les forêts ardennaises à Bastogne et la libération d’un camp de concentration. Le dernier épisode montre la compagnie à Berchtesgaden pour la prise du « nid d’aigle » d’Hitler, dernier bastion du Troisième Reich, et le devenir de ses hommes après le jour de la victoire. Les neuf premiers épisodes sont précédés de l’intervention de vétérans de la compagnie, commentant l’événement dont il va être question. Le dernier épisode, quant à lui, se conclut par quelques mots de ces anciens de la Easy sur leurs camarades et leur expérience.

 

 

 

 

 

 

Quand HBO, la chaîne phare du câble américain, décide de sortir ses muscles, elle ne le fait pas à moitié. Longue mélopée sur une partie “oubliée” de la Seconde Guerre mondiale, film de guerre surdimensionné auquel ne manque que le grand écran, The Pacific repousse les limites de la minisérie, à la fois par son budget de 150 millions de dollars pour dix épisodes et son ambition avec toute une guerre en un seul mouvement. Steven Spielberg et Tom Hanks, ses initiateurs, poursuivent ici un travail entamé en 1998 avec Il faut sauver le soldat Ryan. Après avoir remporté cinq oscars, ils ont décidé que la télévision portait mieux que le cinéma leur désir pédagogique et romanesque. Cela a donné Band of Brothers en 2001, dix épisodes traversant l’Europe pour la libérer des nazis. Et maintenant, The Pacific, consacré aux batailles entre États-Unis et Japon pour le contrôle de minuscules îles paradisiaques devenues infernales en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.

 

 

 

 

Tom Hanks raconte…C’est étrange de le formuler ainsi, mais Band of Brothers était presque glamour en comparaison et Spielberg…On a voulu que ce soit laid, sale, bourré de maladies et sauvage. La guerre du Pacifique était une guerre de racisme et de terrorisme. L’auteur de Munich fait allusion à la fois au comportement des soldats américains, conditionnés pour tuer des “saletés de Japs” par n’importe quel moyen, et à celui de l’armée impériale, coupable d’avoir parfois sacrifié des civils de son propre camp pour piéger l’ennemi. Rien de tout cela n’est caché dans cette vison entomologique d’une guerre atroce, portée par une poignée d’acteurs souvent fabuleux et encore peu connus. Les événements consignés par The Pacific, notamment les batailles de Guadalcanal, Iwo Jima et Okinawa, avaient donné lieu à des films comme Les Diables de Guadalcanal de Nicolas Ray en 1951 ou La Ligne rouge de Terrence Malick en 1998. John Ford, Lewis Milestone et récemment Clint Eastwood, s’y sont également collés. La série utilise le format télévisuel pour raconter à travers le destin de trois marines une épopée fourmillante de détails qui en fait un objet assez inédit, mais dans une forme très classique. Dans son rendu fidèle de la monotonie de la guerre, ce rythme étrange qu’imposent le combat, la peur et la paranoïa. Entre fureur et léthargie, un monde se crée, que les dix heures de récit apprivoisent. Une autre planète où de jeunes hommes absolument pas préparés se trouvent brusquement balancés. On pense à Génération Kill (2008), la minisérie coupante sur l’Irak de David Simon, créateur de The Wire. Un modèle encore hors de portée mais effleuré par The Pacific, qui sait aussi appuyer là où ça fait mal. Les implacables scènes de combat, parfois très longues, marqueront les spectateurs les plus aguerris…Ces garçons conduisaient des tracteurs dans la ferme de leurs parents et un an plus tard, ils pouvaient perdre leur âme.”C’est Spielberg qui le dit.

 

 

 

 

 

Band of Brothers 2001      //       The Pacific 2010

 

par Guillaume Piketty

 

 

Band of Brothers accompagne les soldats de la Easy Company du 506ème régiment de la 101ème division aéroportée depuis leur formation militaire aux États-Unis, jusqu’au 15 août 1945, en passant notamment par la Normandie, l’opération Market Garden, le siège de Bastogne et l’Allemagne envahie. The Pacific évoque quant à elle le versant américano-japonais du conflit. Elle se concentre en particulier sur les destins de trois combattants appartenant à différents régiments de la 1ère division de Marines…John Basilone, choisi en raison de ses hauts faits et de la publicité qui leur fut accordée durant la guerre, Robert Leckie et Eugene Sledge, sélectionnés, eux, à cause de la très grande qualité de leurs mémoires. The Pacific évoque notamment les batailles de Guadalcanal (7 août 1942 – 9 février 1943), Cape Gloucester (26 décembre 1943 – 22 avril 1944), Peleliu (15 septembre – 25 novembre 1944), Iwo Jima (19 février – 26 mars 1945) et Okinawa (1er avril – 21 juin 1945). Dans les deux cas et bien qu’il s’agisse de combats terrestres, l’armée de terre américaine (US Army) est donc presque totalement absente. En d’autres termes, sont présentées des troupes d’élite censées préparer le terrain aux gros bataillons des forces terrestres, des troupes qui portent les premiers coups à l’ennemi ou bien débloquent une situation difficile, voire compromise. Les deux séries veulent placer le spectateur « au ras du champ de bataille », donner à voir et à ressentir ce qu’a pu être l’expérience des combattants. Elles s’affranchissent par conséquent de toute référence aux enjeux diplomatiques, économiques, sociaux ou même de politique intérieure dont la Seconde Guerre mondiale a pourtant été riche. Elles ont été l’une et l’autre saluées par la critique et récompensées, et ont connu un solide succès public. Pourtant, Band of Brothers et The Pacific diffèrent singulièrement par leur propos. Ces différences sont notamment sensibles dans la présentation qui est faite des protagonistes, des modalités de combat et des premiers temps de la « sortie de guerre ». Elles tiennent à la nature des sources employées, au type de combat livré, aux influences historiographiques et cinématographiques subies, ainsi qu’aux évolutions des contextes politique américain et international lors de la première décennie du XXIe siècle.

 

 

 

 

Le positionnement et le comportement des personnages principaux évoluent substantiellement. Si l’entraînement des hommes de la Easy Company est raconté par le menu, celui des Marines, en revanche, est à peu près passé sous silence. Les protagonistes des deux séries sont des combattants d’élite ou… supposés tels. La Easy Company n’est pas sans de faiblesses, mais elle s’affirme comme d’excellents combattants, loyaux, soudés. Ils forment une belle illustration du « groupe primaire » à la fois en termes de relations entre soldats et d’efficacité sur le terrain. Dans Band of Brothers, les blessés n’ont de cesse de rejoindre le front au plus vite pour soutenir leurs camarades. Quant aux nouvelles recrues finissent pour la plupart d’entre elles par s’en sortir plutôt correctement. Côté Pacifique, les Marines sont bien sûr de très efficaces soldats. Mais ils ne sont certainement pas des machines à combattre, et accessoirement à tuer. À travers eux, les « fatigues de la guerre », sont nettement et régulièrement montrées. Souvent abattus par l’ennemi à peine arrivés, voire délibérément sacrifiés par les vétérans afin que ceux-ci puissent sauver leurs propres vies, les remplacements subissent un sort décidément peu enviable. Compétente, digne de confiance et rarement battue en brèche dans Band of Brothers, la hiérarchie est régulièrement critiquée, voire brocardée, dans The Pacific. la figure paternelle du commandant de compagnie existe dans l’une et l’autre série. Dans Band of Brothers, un mauvais officier est de facto démis de ses fonctions. Le patron du régiment est lointain et critiquable, mais les officiers subalternes sont pour la plupart de grande qualités. Quand, à Bastogne, l’unité se trouve à nouveau affligée d’un pitoyable chef, celui-ci est très vite remplacé par l’excellent et très courageux Speirs.

 

 

 

 

Le tableau proposé par The Pacific est tout autre. Bien sûr, le personnage haut en couleur du très compétent et courageux colonel Chesty Puller est mis en avant. Mais les officiers subalternes apparaissent comme peu utiles et, souvent, peu dignes de confiance. John Basilone reçoit la Médaille d’honneur pour sa conduite à Guadalcanal sans être vraiment sûr de la mériter davantage que d’autres. Le vieux sergent-chef Haney, solide, expérimenté et en apparence indestructible, finit par craquer. Les simples Marines critiquent la hiérarchie. Soulignons enfin la présence constante du merveilleux personnage de Snafu, le soldat puis caporal Merriel Shelton. Par sa seule existence et son surnom, celui-ci dit beaucoup sur la désillusion, la volonté de survivre à tout prix, la perte de certaines valeurs, la solitude morale qui en découle…Est-il besoin de préciser qu’un tel personnage n’existe pas dans Band of Brothers ? En d’autres termes, au pur héros Winters, répondent les anti-héros désabusés Leckie, Sledge et même Basilone qui, après avoir reçu la Médaille d’honneur, se trouve très vite embrigadé pour la promotion des War Bonds, profite de la belle vie, et finalement retourne au combat. Enfin, les relations entre combattants et civils sont bien davantage mises en évidence dans The Pacific que dans Band of Brothers. Cette différence est d’autant plus frappante que le système de permissions était infiniment moins pratique, efficace et confortable dans le Pacifique qu’en Europe. Dans Band of Brothers, les relations entre les parachutistes de la Easy Company et les civils britanniques avant le D-Day puis après la bataille de Normandie sont brièvement montrées. Il en est de même pour les interactions avec les Hollandais dans Eindhoven libéré au cours de l’opération Market Garden, puis avec les réfugiés belges et luxembourgeois que la rapidité de la progression allemande a conduits à se réfugier à Bastogne en décembre 1944. Une fois le Rhin franchi, des civils allemands épuisés, défaits et passablement hébétés sont rapidement mis en scène. Mais l’essentiel de la série n’est décidément pas là. Tout autre est la perspective proposée par The Pacific.

 

D’une œuvre à l’autre, les représentations de l’ennemi, du combat et de ses conséquences évoluent substantiellement. Band of Brothers met en scène un ennemi allemand redoutable de maîtrise et d’expérience, endurci par des années de guerre. Mais cet ennemi est rarement montré de près. Surtout, il n’est peu ou prou dévalorisé qu’en toute fin. Les massacres qui ont été perpétrés par certaines unités allemandes au cours de la bataille des Ardennes ne sont pas évoqués. Ce n’est que dans l’épisode, centré sur la découverte des camps de concentration nazis, que sont abordées les raisons profondes du conflit, et plus largement la notion de « Greatest Génération » américaine engagée dans une « guerre juste ». Toutefois, cette découverte des camps de la mort est en quelque sorte compensée par la magnifique scène du dernier épisode au cours de laquelle le général allemand adresse un discours d’adieu à ses hommes avec en filigrane, la délicate question est ainsi posée de savoir si ces vétérans épuisés de la Wehrmacht sont vraiment si différents de leurs homologues américains. The Pacific montre un ennemi à plusieurs facettes. Dans les premiers épisodes, le soldat japonais est régulièrement évoqué comme un combattant hors pair, une sorte de surhomme, terrifiant d’efficacité, de résistance et d’abnégation. Il arrive bien sûr que cet ennemi devienne un homme qui souffre et qui meurt, un opposant humanisé confronté lui aussi à la peur et au malheur. Mais, cet adversaire demeure largement incompréhensible. Sa capacité de survivre durablement dans des conditions extrêmes est une preuve de son « anormalité ». Illustré par ses charges suicidaires ou par sa volonté de ne se rendre à aucun prix, son code d’honneur ne fait pas sens aux yeux des Marines. La série met en scène une incompréhension américaine croissante adossée à de profondes différences culturelles. Cette incompréhension aboutit souvent à une animalisation de l’ennemi japonais, voire à des prises de trophées humains. Celles-ci sont montrées sans pudeur aucune qu’il s’agisse par exemple de couper des oreilles ou encore de prélever des dents en or sur des soldats nippons qui, de toute évidence, ne sont pas complètement morts. The Pacific met soigneusement en scène un autre ennemi, qui devient par moment le véritable adversaire, celui dont il faut absolument se défier et qu’il convient parfois de combattre, l’environnement… Bien sûr, la pénibilité du combat dans les haies du bocage normand ou dans le froid, la neige et la glace des Ardennes est montrée dans Band of Brothers. Mais ces conditions de (sur)vie n’ont rien à voir avec la chaleur et l’humidité de Guadalcanal, l’enfer de la jungle de Cape Gloucester, la chaleur écrasante de Peleliu, ou encore les pluies torrentielles et la boue d’Okinawa. L’environnement y est dépeint comme la principale menace, encore accentuée par le fait que les Japonais peuvent à tout moment surgir pour frapper, avant de replonger dans les profondeurs de la jungle. Une tension permanente et une véritable anxiété en découlent qui, peu à peu, usent les Marines.

 

 

 

 

Héritières de Saving Private Ryan et, notamment, de sa longue et célèbre scène d’ouverture décrivant l’assaut sur Omaha Beach au matin du 6 juin 1944. Dans les deux cas, la violence de guerre est donc explicitement montrée. Mais elle l’est selon des formes et à des degrés variables. Dans Band of Brothers, elle est justifiée militairement et relativement contenue. Ainsi, par exemple, la conquête de la batterie allemande menaçant Utah Beach par une petite escouade placée sous les ordres de Winters devient une sorte de ballet bien réglé débouchant sur un authentique succès. Il en est de même de la campagne de Normandie dans son ensemble, malgré les largages initiaux de parachutistes largement ratés, les considérables difficultés créées par les haies du bocage, et la résistance acharnée des Allemands. L’opération Market Garden et la bataille des Ardennes laissent une impression similaire même si la première fut sanglante et aboutit à un échec, et si la seconde, dans Bastogne assiégé (21-26 décembre 1944) notamment, soumit régulièrement les combattants à une très rude épreuve. Dans The Pacific, au contraire, la violence présentée à l’écran devient presque affolante…Démence des combats nocturnes à Guadalcanal, absurdité de la lutte à Cape Gloucester, débarquement à Peleliu et horreur absolue sur l’aéroport, lance-flammes en action un peu partout, enfer de pluie, de boue et de saleté à Okinawa où, de surcroît, il arrive que les civils soient transformés en bombes ambulantes. La guerre dans le Pacifique est ainsi montrée pour ce qu’elle fut, un véritable « laminoir de l’âme»…

 

Les moments de la blessure, physique ou psychique, de la mort sont bien plus crûment mis en scène dans The Pacific que dans Band of Brothers. Bien sûr, des parachutistes souffrent et tombent. Mais la raison de leur blessure ou de leur mort est connue, être touché ainsi, quelquefois mortellement, a malgré tout du sens. En cas de blessure, ces hommes sont la plupart du temps secourus vite et bien. Et ce, même à Bastogne où pourtant les Américains manquent de tout. Le personnage du « Medic » Eugene Roe auquel est largement consacré le 6ème épisode est emblématique. Combien différente est The Pacific…Les débarquements y virent régulièrement à la boucherie. Certaines blessures atroces, ou simplement reçues dans des circonstances presque aberrantes, sont précisément montrées. Ceux qui s’en sortent sans une égratignure ne comprennent pas par quel miracle ils y sont parvenus, soulignant implicitement l’absurdité de la guerre. Absurdes également, certaines morts pour des objectifs qui n’en valaient pas la peine ou dans des circonstances qui auraient pu être évitées. Soulignons enfin que les traumatismes psychiques, certes présents dans Band of Brothers, le sont infiniment plus dans The Pacific. D’une œuvre à l’autre, les combats sont toujours plus horribles et marqués par la peur et la souffrance, le malheur et le traumatisme, ainsi que par un fort sentiment d’absurdité et de vanité. Enfin, les conséquences du conflit sur les combattants et, plus largement, le délicat processus de « sortie de guerre » sont incomparablement mieux évoqués dans The Pacific. L’ultime épisode concentre en effet de façon subtile un grand nombre des défis qui, à la fin d’un conflit, attendent celles et ceux, civils et militaires, combattants ou non, qui ont fait l’expérience du phénomène guerrier. D’entrée, les scènes dans le train mettent en évidence la douloureuse séparation d’avec les camarades de combat. L’économie morale de la reconnaissance, par les médailles, pensions, défilés et commémorations par lesquels une société reconnaît, et tente de compenser, le sacrifice de celles et ceux qu’elle a envoyés au combat, est régulièrement évoquée, qu’il s’agisse de la Médaille d’honneur de John Basilone que Lena remet à ses beaux-parents, des rubans de décoration sur les uniformes, ou encore des égards rendus à certains vétérans. Présente aussi, on l’a dit, la plus ou moins profonde incompréhension par la société civile de ce qui s’est réellement passé dans les îles du Pacifique. Ainsi, le jour de la victoire sur le Japon, dans l’hôpital où Leckie et ses camarades blessés poursuivent leur convalescence, seuls les civils se réjouissent, les anciens combattants, eux, sont simplement tristes et abattus, incapables de la moindre exubérance.

 

 

 

 

 

CONCLUSION…

 

La représentation du phénomène guerrier proposée par The Pacific est nettement plus complète que celle offerte par Band of Brothers. Quatre faisceaux d’éléments sont à l’origine de cette évolution…Les deux séries ont été fondées sur des sources de nature différente. Band of Brothers fut écrite principalement à partir du best-seller éponyme de l’historien Stephen E. Ambrose. Celui-ci, qui fut également conseiller historique des scénaristes, travaillait avec grand sérieux à partir de témoignages et d’archives. Mais il lui était difficile de se départir d’une certaine admiration pour les vétérans de la Easy Company et les anciens combattants américains de la Seconde Guerre mondiale. Le scénario de The Pacific a été composé à partir des remarquables mémoires de plusieurs combattants. Par ailleurs, les guerres représentées ne sont pas de même nature. Band of Brothers met en scène un combat relativement classique qui a pour théâtre l’Europe de l’ouest. On est loin, très loin, des déserts d’Afrique de l’Est et du Nord, des montagnes yougoslaves ou des immensités est-européennes. Si la guerre a bien évidemment constitué un choc terrible pour les soldats, dont elle a traumatisé un certain nombre, la nature du combat et le lieu où celui-ci s’est déroulé ne leur ont pas porté des coups supplémentaires. Tout autre fut la lutte dans le Pacifique. Là, outre le terrible ennemi japonais, les Marines ont dû affronter la jungle et l’humidité, des terrains arides et rocailleux, une chaleur souvent écrasante ou des pluies torrentielles, une vie animale particulièrement inquiétante, etc. Ce contexte guerrier bien spécifique a participé pleinement du bouleversement vécu par les combattants.

 

En troisième les scénaristes et les réalisateurs d’épisode de The Pacific ont subi de nouvelles influences historiographiques et cinématographiques. Rappelons-le, les concepteurs de Band of Brothers se sont fondés sur une historiographie de facture classique. The Pacific, en revanche, porte la marque des études plus récentes et modernes du phénomène guerrier, en particulier fondées sur l’anthropologie historique. Ces travaux donnent notamment toute leur place aux techniques de combat et à l’environnement, aux relations entre combattants et aux émotions, aux blessures, aux soignants et à la mort, aux civils et à l’arrière (« Home Front »), aux représentations, etc. Autant d’éléments que l’on retrouve dans les tableaux qui sont proposés de la guerre livrée par les Marines. Par ailleurs, on l’a dit, The Pacific s’inscrit dans la suite de plusieurs films de guerres. Enfin, les contextes politiques américain et, plus largement, international ont évidemment imprimé leurs marques sur les deux mini-séries. Band of Brothers fut mise en chantier et tournée avant le 11 septembre 2001, alors que le « gendarme du monde » ne s’était pas encore engagé en Irak et en Afghanistan. The Pacific, pour sa part, porte l’empreinte de ces deux conflits , leur violence épouvantable, leur absurdité, les mensonges sur la base desquels ils furent déclenchés, l’idée que la guerre n’est peut-être pas toujours la solution et devrait, dans l’idéal, être mise hors-la-loi, le malheur, enfin, que l’événement guerrier apporte, à titre individuel, aux combattants et à leurs familles. Bien que tournée à la toute fin du XXe siècle, Band of Brothers est ainsi la lointaine héritière de certaines superproductions des années 1960 et 1970. Avec, sous-jacente, l’idée de « Greatest Generation », celle de la Grande Dépression qui a tout surmonté et a fini par remporter la dernière guerre « juste » de l’histoire des États-Unis, le second conflit mondial. En refusant de considérer comme négligeables des éléments tels que, par exemple, l’environnement, les émotions et les traumatismes psychiques, les relations entre soldats et civils, ou encore le processus de sortie de guerre, The Pacific s’inscrit, elle, résolument dans l’après-Vietnam et ses syndromes de stress post-traumatique, l’après-Irak et l’après-Afghanistan.