1998 – Film culte !

 

Un virevoltant, ces petits buissons secs qui roulent dans les westerns se promène dans le désert sur la bien nommée « Tumbling Tumbleweeds » des bien nommés Sons of the Pioneers. Bercé par la voix peinarde d’un conteur un peu brumeux, il poursuit sa course dans un Los Angeles poussiéreux à la John Fante, avant de faire halte en pleine nuit, au rayon laitage d’un 7-Eleven. Un hippie tardif en robe de chambre et Persol y sniffe une brique de lait, puis la règle par chèque au prix de 69 centimes, tout en jetant un œil distrait à l’allocution de Bush sur l’invasion du Koweït. Le commentateur achève alors son laïus décousu sur ces mots…« Parfois il y a un type (Sometimes there is a man)… Il est l’homme de la situation, à ce moment précis, dans ce lieu précis… Il est à sa place (He fits right in there). Il est le Dude, à Los Angeles. Et c’est LE type… » Tout est parfaitement à sa place, et pourtant rien ne s’appareille malgré le doux ronron d’un storyteller pépouze pas plus habile que le spectateur à raccorder un décor de western avec un hippie dans une supérette à l’heure de la guerre du Golfe. Dès l’entame, The Big Lebowski affiche la couleur de cité L.A. Ses époques stratifiées, celle du Far West, des sixties, du début des années 90, et son guide The Dude, qui porte des lunettes de soleil à 3h du mat’ et semble en condenser toute la substance dépareillée. Welcome to L.A.



 

LA VIE DE JÉSUS

par Adrien Dénouette

 

Accueilli froidement à sa sortie en 1998, puis tranquillement promu « phénomène de société », The Big Lebowski des frères Coen est l’exemple parfait du film culte. Absent du Top 10 de l’année 1998 des Cahiers du cinéma, ainsi que de celui de la décennie en France mais aussi dans le monde entier, passant sous les radars de la critique et des potagers festivaliers, où les frangins récoltaient habituellement les récompenses passé relativement inaperçu auprès du public américain, le film a trouvé un second souffle en DVD, respectant à la lettre les évangiles de la résurrection par la mass culture, jusqu’à sa canonisation…

 

1) Mépris de Cannes et échec à Berlin… Ascension du Golgotha,

2) Déception au box office… Crucifixion,

3) Hibernation… Infusion à retardement des enseignements,

4) Sortie vidéo et propulsion miraculeuse au statut de film culte… Résurrection,

5) Création du « dudeisme » 2005, aujourd’hui plus de 150 000 prêtres web-ordonnés… Religion monothéiste internationale, jackpot spirituel.

6) Inscription en 2014 au National Film Registry, à la bibliothèque du Congrès et à la Maison Blanche… Adoption par l’Empire.

 

 

 

 

 

La boucle est bouclée. C’est donc sous un ciel olympien que ce Big Lebowski tout pimpant s’offre un nouveau procès critique. Inutile de préciser qu’armé de tous ses fidèles, ce ne sont pas les avocats qui manquent, ni les plaidoyers, tant le film est devenu le marronnier des cultural studies et des conférences très sérieuses sur des sujets qui ne le sont pas du tout. Pourtant, des questions demeurent, valables pour tous les films portés au pinacle après un échec, et dont le succès échappe à leurs auteurs. Si The Big Lebowski n’avait pas été sauvé des eaux par le culte populaire, puis béatifié par sa légion d’exégètes, serait-il le film un peu intimidant que personne n’ose plus remettre en question ? N’est-ce pas cette trouille de passer à côté du chef-d’œuvre déguisé en pochade qui a dernièrement provoqué l’adhésion spontanée à Inhérent Vice de PT Anderson, dont le Boogie Nights, sorti un an avant Lebowski, était déjà co-épinglé par les Cahiers avec le film des Coen sur les mêmes chefs d’accusation ? Et puis, pourquoi les mouvements d’adoration à retardement ne seraient-ils pas le fruit d’une hallucination collective qui, de Danny Boyle à Iñárritu, en passant par Guy Ritchie, firent passer tant de vrais navets pour de faux chefs d‘œuvre ?

 

 

 

 

 

Une chose est sûre, les frères Coen eux-mêmes, pourtant serial-makers de chefs d’œuvre, n’avaient pas prophétisé le raz-de-marée que ce film d’autiste connaîtrait. Si leur humour noirci ne s’était jamais privé de prospérer sous cloche, il atteint dans The Big Lebowski des sommets d’autisme, au point de faire de ce critère précis, le pilier de l’architecture souterraine du film. Pourtant, cette parodie bienveillante du Grand Sommeil de Raymond Chandler ne change pas grand-chose du vaste bordel de l’intrigue originale dont la recette avait déjà porté l’adaptation d’Howard Hawks (1946), et Le Privé d’Altman (1973) qui s’en inspire aussi, au triomphe que l’on sait. Pour faire simple, à la suite d’un quiproquo, Jeff « the Dude » Lebowski « l’homme le plus paresseux du monde » dixit le narrateur est chargé de retrouver l’épouse de son homonyme, un patricien tétraplégique, à l’aide de son ami Walter, ex-du Vietnam et militariste nerveux. Le récit s’engouffre alors dans un labyrinthe fourmillant calqué sur la trame chandlerienne, que les Coen se contentent de reprendre à l’oblique. Mais, plutôt que de plonger son détective dans la brume d’une enquête à tiroir, vision préconisée par Altman puis PT Anderson dans Inherent Vice, le pastiche privilégie la disjonction, l’éparpillement en niches étanches de tous les carreaux du damier angeleno. Nihilistes allemands, pornocrates, magnats, flic facho tout droit sorti des fifties, performer féministe, caricature de privé en costume de lin beige. Chaque nouvelle rencontre immerge le Dude dans une bulle de contre-culture vieillotte, aux parois desquelles se cogne sans cesse l’enquête, mais où son handicap d’incommunicabilité comique fait toujours mouche. En creux, ce trip shooté au patchouli dessine bien sûr la carte d’une ville profondément américaine, plus excentrique que partout ailleurs mais pas moins américaine pour autant, elle demeure une juxtaposition d’individualités insolubles, faisant de la Cité des Anges un vaste patchwork peuplé d’autistes. 

 

À ce titre, baba-plus-que-cool motté dans un confort minimal, le Dude ne fait pas exception. Dès lors, comment expliquer l’adoration religieuse et l’admiration philosophique dont il fait l’objet ? Agnostique de son état, quand Walter, catholique polonais, ne cesse d’exhiber sa judéité d’adoption, toute la surprise du film tient peut-être dans l’introversion de la bonté christique de Jeff dont personne parmi les habitants, ni même le narrateur, ne semble conscient. C’est tout le refoulé du film qui navigue à visage découvert, puisque Jeff Bridges ressemble à peu de choses près à un gros Jésus flemmard du XXe siècle. Mais le diable se cache dans les détails, et c’est par son embonpoint, moins que sa lose, que la ressemblance pourtant flagrante fait diversion. Pas meilleur que les autres, le Dude prospère en loucedé, à la faveur d’un petit épicurisme commode avec la recherche d’un plaisir qui n’occasionnera pas de déplaisir plus grand que lui. Ni fédérateur, ni respecté, ni craint, ni réellement bienveillant, c’est dire si cette réincarnation du Christ n’a rien d’évident. Pourtant, armé de son « Take it easy man » en guise d’héritage hyper synthétique de deux siècles de christianisme, le guide finit bien par triompher, à sa façon, c’est à dire pour lui seul, de l’hystérie dégénérative qui toque au portillon de son mobile-home.

 

 

 

 

Quand l’un stagne dans les 50’s, l’autre vit dans les 60’s, sans parler de ces 70’s en confettis, écartelées entre les va-t-en-guerre et les progressistes de tous bords…Pure agglomération de temporalités contradictoires et conflictuelles, le Los Angeles de Big Lebowski est par définition un corps hystérique ou démoniaque. Toute la malice de cette parodie mythologique et non parodie de mythologie, puisque le mythe a pris corps dans le monde réel, c’est dire réside dans le choix d’un prophète tout ce qu’il y a de plus banal qui, par sa fausse faiblesse…On ne parlera pas de force, ce serait une insulte à sa paresse mais impose une persévérance dans la sagesse, quoique autiste elle aussi, qui en fait l’être, à défaut de mieux, le plus moral de cette cité dont les anges ont régressé en petits monstres concupiscents. L’amitié indéfectible du Dude et de Walter, son ennemi idéologique, militariste et violent, quand lui se targue d’avoir été membre du « Seattle Libération Front », la tendresse qui en émane, apporte un démenti à tous les détracteurs qui virent dans cette histoire d’idiots une fascination gratuite des Coen pour la bêtise. Le Dude est un mythe, une lueur de bonté titubante dans un océan de dégénérescence. Il suffit pour s’en convaincre de voir la douceur cruelle avec laquelle les frangins le mettent à l’épreuve dans son chemin de croix, tâchant de récupérer ce tapis qui, martèle-t-il, « harmonisait » sa pièce, et tendre continuellement l’autre joue sans jamais amorcer le moindre geste agressif. Dire aussi, contre les insinuations de mépris, que le Dude est inspiré d’un de leurs amis, Jeff Dowd, ancien activiste politique reconverti en producteur indépendant. En vérité, les plus beaux films des frères Coen ont en commun de fracasser des mythes contre les clôtures d’une Amérique indéchiffrable…Le Job d’A Serious Man et l’Ulysse d’Inside Llewyn Davis. Avec son guide esseulé en quête d’harmonie à L.A, le récit multiplie les fausses pistes au point de donner le nom de Jésus à un pédéraste élastique en un John Turturro, auteur d’une chorégraphie à en faire pâlir Jim Carrey, mais finit bien par formuler une idée prodigieusement comique…Que serait devenu Jésus, réincarné dans le L.A du début des nineties ? Réponse, une méduse de hippie qui joue au bowling en sirotant des White Russian, parvenant malgré tout à former une petite équipe fraternelle.

 

Dans un ouvrage récent sur le cinéma des frères Coen, l’auteur allègue que la coterie en question ne repose sur « rien ». C’est presque vrai, et par conséquent c’est faux. Le groupe repose sur « peu » de chose, et le « peu » chez les Coen creuse un fossé entre le « rien » des nihilistes prêts à racketter 22 dollars, et le « peu » d’intérêt manifesté par le trio que complète Donny, interprété par Steve Buscemi pour le spectacle de danse miteux du bailleur de Jeff auquel ils se rendent quand même. Ce « à peu de chose près » qui empêchera Llewyn Davis de devenir Bob Dylan, ce « petit grain de sable » qui dégénère en complot d’abrutis dans Burn After Reading, cette « inconnue » de l’équation du monde de Larry Gopnik dans A Serious Man une « inconnue », ce n’est pas « rien » non plus, c’est même « tout » ce qui empêche la formule de rendre son verdict, etc. Bref, le « peu », ici, produit certes des malentendus, mais il permet surtout à trois autistes de fonder une petite fratrie une communauté du Strike. Et la scène finale de dispersion grotesque des cendres de Donny sur Jeff n’enlève rien à l’affaire, la famille a beau se débattre sans cesse à contrevent, elle résiste dans la lose. Le Dude, c’est donc un emblème zen ET américain, un contre-modèle en peignoir, immémorial et cool, à la cupidité des uns, au snobisme des autres, et à l’hystérie de tous. Le conteur ne s’y était pas trompé, dans ce Los Angeles-là, dans cette Amérique-là, « Sometimes there is a man… » : pas vraiment un héros, pas un anti-héros non plus, juste un miracle de décontraction dans un asile de fous. Alors forcément, même si le film flirt avec le burnout cérébral, In Dude we trust un « peu », nous aussi.

 

 

 

 

John Goodman, a reçu son étoile sur le Hollywood Boulevard. Jeff Bridges a fait sensation. L’acteur, qui lui donnait la réplique dans The Big Lebowski, a ressorti son pull du film avant de se lancer dans un discours largement inspiré par la comédie des frères Coen. En arrière-plan, John Goodman est écroulé de rire tout au long de cet hommage effectivement bien pensé…C’est un bon acteur, et c’est un homme bon, John Goodman. Il est l’un des nôtres, l’un de ceux qui aiment tant jouer la comédie. Il est ainsi monté sur les planches de Los Angeles et de New York, je vous parle de Broadway, là et il a fait des petits films bizarres, aussi. Sa carrière et sa vie ont rythmé celles de beaucoup d’hommes. C’est quelqu’un de son temps, de notre temps. Et il est devenu une légende. Nous avons vécu notre vie en compagnie de John, comme tant d’autres acteurs inoubliables avant lui. Des artistes tels que Clark Gable, Gabby Hayes, Roy Rogers pour rappeler son côté homme de l’Ouest Groucho Marx ou encore Jimmy Cagney. Je pourrais continuer, mais vous avez saisi l’idée. Pour aller jusqu’au bout du rêve, nous sommes aujourd’hui à Hollywood, dans cette ville que vous aimez tant, afin de lui remettre une étoile. Voilà ton étoile, une étoile pour tout l’amour que l’on te porte. Quelle heure est-il ? C’est l’après-midi ? Alors bon après-midi, doux prince. 

 

 

 

 

The Big Lebowski, culte malgré lui

Par Thomas Messias



Les frères Coen affirment ne pas l’avoir vu venir, mais vingt ans après, l’aura de The Big Lebowski est intacte. Depuis quand l’étiquette « film culte » est-elle devenue un argument marketing ? Certaines œuvres sont propulsées cultes quelques jours à peine après leur sortie, et on connaît même des cinéastes qui semblent avant tout préoccupés de multiplier les gimmicks et les scories afin d’être cultifiés de leur vivant. The Big Lebowski, mérite ce statut de film culte. D’abord, les frères Coen se moquent complètement de ce genre de distinction. De leur propre aveu, la gigantesque popularité dont jouit le film les dépasse complètement…« Ce film continue à exercer une vraie fascination chez les gens, bien plus que chez nous-mêmes », confiait Joel Coen. Les frangins ne considèrent pas le film comme l’une de leurs œuvres majeures, ce qui explique notamment pourquoi il n’y aura jamais de The Big Lebowski 2. À force d’en avoir envie, les fans ont fini par croire au Père Noël qu’ils avaient eux-mêmes inventé…Imaginer Bill Murray rejoindre Jeff Bridges dans une suite semblait presque alléchant, à condition bien sûr que celle-ci soit dirigée par les Coen. On sait ce que donnent les suites des films dits cultes quand elles sont confiées à d’autres…Il n’est plus vraiment nécessaire de présenter les frères Coen. Depuis 1984, ils explorent toutes les facettes de la comédie noire, de la plus drôle à la plus noire, avec un don prononcé pour l’écriture de personnages hauts en couleur, naviguant dans des univers sombres mais truculents. La prouesse des Coen, c’est qu’ils parviennent à se renouveler à chaque film ou presque tout en étant aussi reconnaissables que singuliers. À tel point que l’on utilise désormais l’adjectif « coenien » lorsqu’il s’agit de décrire les nombreux films qui tentent de jouer sur des tonalités voisines, souvent en vain. Parmi cette galerie désormais fournie de protagonistes mémorables, c’est pourtant ceux de The Big Lebowski qui sont entrés de la façon la plus durable qui soit dans l’imaginaire collectif. En premier lieu, il y a The Dude, interprété par Jeff Bridges. En VF, son surnom est «le Duc», mais ça n’était tolérable que quand j’avais 14 ans, et pas la possibilité d’accéder au film en version originale sous-titrée. Le vrai nom du Dude, c’est Jeffrey Lebowski, confondu avec son homonyme un vieux millionnaire par des nihilistes qui viennent l’agresser à son domicile et pisser sur son tapis. Important, le tapis. Car si The Dude personne ne l’appelle autrement est un monolithe absolu, ou plus précisément le plus gros glandeur de tous les temps, le fait que des types aient souillé son tapis avec de l’urine va le conduire à se remuer pour obtenir réparation. Drôle, pathétique et poétique, The Dude est l’archétype du personnage coenien réussi. Il semble n’avoir aucune raison d’être, aucun objectif de vie, mais aime fumer des joints, boire des white Russians et aller au bowling avec ses amis Walter et Donny. Là où les Coen font fort, c’est que si les scènes de bowling sont nombreuses dans le film, à aucun moment on ne voit The Dude en train de jouer, ni même se saisir d’une boule. En finesse, sans insister, ils laissent cette possibilité en suspens: si ça se trouve, même jouer au bowling représente un effort trop important pour lui ce qui rend d’autant plus incroyable l’élan qui le pousse à vouloir jouer les justiciers pour un simple tapis. The Dude reste aujourd’hui encore le personnage de fiction préféré et parfait héros pour un ado. Le mec n’en fout pas une, il boit et il fume, il se fringue n’importe comment, jusqu’à atteindre une certaine forme de classe…Et à la fin, il finit par coucher avec la fille sans avoir rien demandé. Ils sont presque tous d’accord sur le fait que ce type allait être leur inspiration pour les décennies à venir sans jamais atteindre l’état de grâce du Dude. Se comporter comme lui dans la vraie vie, c’est s’assurer de passer les années lycée avec l’étiquette “loque cradingue” sur le dos…

 

 

 

 

 

Couronné meilleur stoner movie de l’histoire par Rolling Stone, le film n’a mis que quelques mois à devenir l’œuvre de chevet d’un grand nombre de fumeurs et de fumeuses de joints. The Big Lebowski n’est pas un film sur les pétards, qui font simplement partie du décorum, tout comme les white Russians et la vieille robe de chambre dans laquelle se pavane The Dude. Mais c’est peut-être le film qui retranscrit le mieux cet état végétatif qui accompagne la consommation régulière de ce genre de substance. Quand on est ado, la présence de joints dans un film lui fait gagner automatiquement dix points de coolitude à quelques exceptions près, dont LOL et sa vision ringardissime du sujet. Mais ce n’est qu’une infime partie de ce qui rend The Big Lebowski si addictif pour une bonne partie du public. Parmi tous les grands films des frères Coen, c’est sans doute celui qui atteint les plus hauts sommets dans sa façon de caractériser et singulariser chaque protagoniste. Tics verbaux, accessoires, looks improbables, habitudes vestimentaires: les personnages de The Big Lebowski sont livrés avec leur panoplie complète, un peu comme c’est le cas des héros et héroïnes des meilleurs Wes Anderson La Famille Tenenbaum en tête. De boutiques Etsy en sites de vente de t-shirts, on ne compte plus les collections consacrées à The Big Lebowski et idem pour à peu près toute la filmo d’Anderson. À New York, un magasin entièrement dédié au film a même été créé…The Big Lebowski présente d’ailleurs plus d’un point commun avec le cinéma de Wes Anderson, qui en 1998 n’avait encore réalisé qu’un film, Bottle Rocket une façon bouleversante de montrer comment l’humanité toute entière tente de dissimuler son désarroi derrière des accessoires. Tout cela sans la préciosité glacée de La Vie Aquatique ou The Grand Budapest Hôtel, qui donnent parfois l’impression de voir un grand garçon un peu coincé jouer avec ses Playmobil.

 

 

 

 

Ce qu’il y a d’hallucinant, c’est que The Big Lebowski n’a pas seulement inspiré quelques produits dérivés: il fait littéralement l’objet d’un culte. Le personnage joué par Jeff Bridges est à l’origine d’une religion auto-proclamée, le dudéisme, décrit comme un courant du taoïsme. Sur le site officiel de cette communauté, on apprend que plus de 350.000 personnes ont déjà été ordonnées prêtres et prêtresses dudéistes, un titre officiel qui permet de diriger des cérémonies de mariage ou de funérailles dans certains états des États-Unis. Si vous souhaitez rester athée ou vous consacrer à votre religion actuelle, vous pouvez aussi vous contenter de vous rendre au Lebowski Fest, du côté de Louisville, dans le Kentucky. Au programme: concours de bowling, désignation des meilleurs costumes, projections multiples du film et concerts autour de la bande originale de Carter Burwell. Mais puisqu’on fête cette année le vingtième anniversaire du film, un événement spécial a également été organisé en mai à Los Angeles, avec également du bowling, de la musique et du cinéma. On imagine bien des projections façons Rocky Horror Picture Show, avec un public déguisé déclamant en chœur des répliques connues sur le bout des doigts. En observant le programme des festivités des années précédentes, on réalise sans trop de surprise qu’il ne varie guère d’une année à l’autre. Pourtant, les tickets continuent de se vendre comme des petits pains. Comme si, à la manière du Dude, il était rassurant pour une partie des fans de se retrouver régulièrement pour reproduire les mêmes traditions. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit dans The Big Lebowski de prôner une amitié simple, parfois routinière, où le but est avant tout de passer de bons moments en compagnie de personnes que l’on n’a pas besoin de séduire en permanence. Walter le fabuleux John Goodman a beau être aussi bavard que colérique, au contraire d’un Donny/Steve Buscemi qui ne parvient jamais à se faire entendre ou comprendre, leur présence fait du bien. Et l’idée que l’un d’entre eux puisse un jour disparaître fait au contraire un mal de chien.

 

J’adore le film mais ça manque quand même un peu de nanas…Ce n’est pas vraiment une surprise concernant les films des frères Coen: à part l’héroïne de Fargo, ils n’ont jamais vraiment mis les femmes en avant. Si vous enlevez les rôles joués par Frances McDormand, il reste des miettes pour Julianne Moore ou Tilda Swinton, et pas grand-chose de plus. C’est vrai que les films des Coen ont du mal à passer le test de Bechdel, à l’image de The Big Lebowski. Si Julianne Moore excelle pléonasme en Maude Lebowski, fille du millionnaire et artiste d’avant-garde, elle est le seul personnage féminin d’envergure du film…Disons que ça n’aide pas les femmes à idolâtrer les Coen autant que certains mecs peuvent le faire, s‘identifier à une bande de types barbus et/ou patibulaires, j’ai connu plus facile. D’autant qu’on ne peut pas dire que le personnage de Maude, artiste féministe d’avant-garde qui peint avec son vagin, soit le plus finement écrit du film. Cela n’empêche apparemment pas The Big Lebowski de toucher tous les types de publics, et de connaître aujourd’hui encore un franc succès. Une trajectoire inattendue pour un film qui fut certes bien accueilli par la critique, mais pas accepté immédiatement dans la cour des grands. Le site Mental Floss raconte notamment comment plusieurs critiques américains dont le célèbre Roger Ebert sont revenus, quelques années après la sortie du film, sur les textes qu’ils avaient rédigés à l’époque, pour reconnaître qu’ils avaient sans doute sous-évalué le film à sa sortie. Le peignoir ouvert, des scandales à faire pâlir de jalousie un touriste allemand, des cheveux gras et une paire de lunettes du futur, le Duc, “The Dude”, personnage du désormais légendaire film des frères Coen The Big Lebowski, a marqué toute une génération par son flegme et son ton sarcastique, impassiblement distillé dans la panoplie des pires situations que compte le film.

 

 

 

 

Jeff Bridges a admis, qu’après Le Parrain, c’est le film qu’il a vu le plus…Quand je regarde la télévision et que «Lebowski» arrive, je me dis que je ne vais regarder que quelques scènes, et je suis embarqué, je ne peux pas l’arrêter. Je veux voir John Turturro lécher la boule de bowling ou John Goodman éparpiller Donny le personnage de Steve Buscemi dans le vent….J‘admets que je suis partial, mais je pense que les frères Coen sont des maîtres. Ils font de merveilleux films.

 

 

 

 

Comment « The Big Lebowski » est devenu le film culte du XXIe siècle

par Ludovic Béot



Sortie dans la quasi indifférence en 1998, « The Big Lebowski » a réussi avec les années à inscrire son empreinte dans la culture populaire. Aujourd’hui, il fait parti des plus grands films cultes et continue d’inspirer de nombreuses modes plus ou moins loufoques à ses fans. On connaît l’attachement des Coen au film noir. Dès Blood Simple (1984) leur premier long-métrage, les cinéastes s’approprient brillamment le genre en y ajoutant, déjà, un soupçon d’ironie qui ne cessera par la suite d’infuser leur cinéma, comme une signature récurrente. On compte donc plusieurs films noirs ou disons néo-noirs dans la filmographie des frangins, entre hommage Miller’s Crossing/1990, The Barber/2001 et modernisation Fargo/1996, No Country for Old Men/2007) mais c’est en 1998 avec The Big Lebowski que les cinéastes décident de faire littéralement imploser le genre dans une réécriture pour le moins étonnante du roman Le Grand Sommeil du maître du genre Raymond Chandler qui avait déjà connu une adaptation en 1946 par Howard Hawks. Bien plus proche à vrai dire du pastiche que d’une adaptation littéraire sérieuse, The Big Lebowski est un échec commercial malgré des critiques presse plutôt élogieuses. Mais, comme tout bon film culte qui se respecte, il faudra quelques années pour que le film des Coen s’impose incontestablement dans la pop culture et inspire de nombreuses modes à ses fans. Quatre ans après la sortie, le journaliste Steve Palopoli est un des premiers à déceler le phénomène et parle dans son article du…Dernier film culte du XXe siècle ou du premier du XXIe siècle. C’est alors le début d’une popularité incroyable qui, hormis la saga Star Wars, Retour vers le futur et Pulp Fiction trouve peu d’équivalent d’une aussi forte implantation dans la culture contemporaine, au point même d’en faire naître une religion…Le Dudéisme…

 

The Big Lebowski, c’est avant tout un personnage emblématique et irrésistible avec Jeff Lebowski, « The Dude », quarantenaire célib et flemmard qui déambule en peignoir chez lui et dont le quotidien est dédié à la fumette, à la beuverie et aux parties de bowling avec ses potes. Un personnage quelque part entre le grotesque et le sublime, dans la lignée des autres losers magnifiques de la filmographie des Coen. Jeff Lebowski n’a rien demandé à personne lorsque deux voyous pénètrent dans son domicile et lui réclament une grosse somme d’argent avant de pisser sur son tapis persan. Sauf que Jeff n’est pas le bon Lebowski recherché, il s’agit de son homonyme, un millionnaire paraplégique de Pasadena dont l’épouse vient d’être kidnappée. Dès lors le film des frangins va partir un peu dans tous les sens, accumulant les situations absurdes et les répliques cultes qui, quelques années plus tard, seront récitées, parodiées et imitées fidèlement par les fans. Un tel raz-de-marée de la pop culture que le mot « Dude » sera désormais utilisé comme tic de langage par la jeunesse américaine afin interpeller ses potes. Le White Russian, c’est ce que s’enfile The Dude durant une grande partie du film. A la manière du Vodka Martini de 007, le cocktail du Duc a connu un regain de popularité énorme suite à la sortie du film. Alors que, autant vous dire, si vous commandiez la boisson à un barman avant 2002, vous seriez passé pour un has-been fini. Dans sa critique du film de 1998, Didier Péron de Libération parlait d’ailleurs d’un dégueulis marronnasse on the rocks ! Depuis les choses ont évolué et un jeu à boire a même été instauré, il s’agit de regarder le film et se vider un White Russian à chaque fois que The Dude en ingurgite un. On a compté, ce dernier en boit 9. Pour les volontaires, il est donc possible que les dernières minutes du film vous paraissent un peu floues…Aussi loin qu’on se souvienne, on connaît relativement peu de personnages de films qui ont entraîné la naissance d’une religion. A vrai dire, tant mieux. Une croyance créée autour de Norman Bates ou d’Hannibal Lecter eut été plus problématique. Le dudéisme est pour sa part, inoffensif, de la même manière que The Big Lebowski est un pastiche du film noir, le dudéisme est un pastiche religieux. Fondé en 2005 en Thaïlande, par Oliver Benjamin autrement dit The Dudely Lama, l’organisation The Church of the Latter-Day Dude, revendique plus de 220 000 prêtres et des textes sacrés qui convoquent une philosophie hédoniste, libertaire dont le but est d’ éviter d’être endoctriné par le pouvoir de l’industrie, tout en reproduisant l’attitude désinvolte et paresseuse du héros coennien.

 

 

 

 

Au-delà d’une simple farce. Dans un monde rationalisé et tourné vers la rentabilité, le Dude propose une forme de rébellion salvatrice. C’est un film post-idéologique, le Dude fait la révolution tout seul dans son coin. Mais il peut, si on l’imite, ébranler le système.

 

 

 

 

LES FRÈRES COEN

 

 

Jusqu’en 2003, seul Joel Coen est mentionné comme réalisateur. À partir de 2004 avec Ladykillers, Ethan Coen l’est aussi. Pour Macbeth, seul le nom de Joel Coen est crédité puisqu’il le réalise sans Ethan Coen. Les frangins ont réalisé 21 longs-métrages, obtenu une Palme d’or pour Barton Fink en 1991, un Oscar du scénario original pour Fargo en 1997, puis réussi le triplé meilleur film / meilleurs réalisateurs / meilleur scénario adapté pour No Country for Old Men en 2008. Parmi leurs titres les plus mémorables, on trouve également The man who wasn’t there prix de la mise en scène à Cannes en 2001, A serious man ou encore Inside Llewyn Davis Grand prix à Cannes en 2013.

 

 

1984 / Blood Simple…1987 / Raising Arizona.

1990 / Miller’s Crossing…1991 / Barton Fink…1994 / The Hudsucker Proxy…

 

1996 / Fargo…1998 / The Big Lebowski.

 

2000 / O Brother…2001 / The Man Who Wasn’t There…2003 / Intolerable Cruelty…2004 / The Ladykillers…2007 / No Country for Old Men…2008 / Burn After Reading…2009 / A Serious Man.

 

2010 / True Grit…2013 / Inside Llewyn Davis…2016 / Hail, Caesar !