1974-L’usure du temps

Ce qui m’intéressait, c’était de brosser, d’une façon populaire, un tableau de ce qui s’est passé en Italie au cours des trente dernières années. En Italie comme ailleurs, le cinéma a toujours accompagné l’évolution de la société. Le néoréalisme n’est pas un phénomène cinématographique mais social et j’espère que dans mon film subsiste un peu du message transmis par le néoréalisme italien celui de s’attacher à l’homme.  Ettore Scola

 

 

 

 

Au petit matin, une fiat 600 délabrée, le pare-chocs à moitié détaché, arrive dans un quartier huppé de Rome. Le générique s’inscrit en surimpression. La voiture s’arrête. Deux hommes, Antonio (Nino Manfredi) Nicola (Stefano Satta Flores) et une femme Luciana (Stefania Sandrelli) tous trois dans la cinquantaine en sortent. Antonio vérifie sur un permis l’adresse. Ils sont étonnés d’être dans ce quartier pavillonnaire. Un homme, Gianni (Vittorio Gassman) sort en peignoir de sa maison, une cigarette à la main…Et puis, aussi surprenant que cela puisse paraître le film revient au début, la petite voiture revient, le générique reprend sur les mêmes images. On se dit qu’il y a un problème. Ils sortent de la voiture. Antonio vérifie que l’adresse est la même que celle sur le permis de conduire qu’il a en main. Nicola se demande comment est-il possible qu’il habite dans une telle maison. Gianni sort de sa maison…et le film reprend au point de départ…la petite voiture, le générique…comme un bégaiement de l’histoire…comme si les mots avaient du mal à sortir…Cette fois-ci, derrière la haie qui les sépare de la maison, Antonio, Nicola et Luciana reconnaissent leur ami. Gianni n’est ni le gardien, ni le chauffeur, ni le jardinier de la maison…Il saute du plongeoir de sa piscine et l’image se fige. Gianni achèvera son plongeon à la fin de cette histoire qui a commencé il y a trente ans. C’est une plongée dans l’histoire de ces quatre personnages que nous allons suivre dans le grand mouvement de l’histoire italienne…

 

L’introduction de Nous nous sommes tant aimés est une merveille d’invention et d’intelligence. Le scénario d’Age, Scarpelli et Ettore Scola atteint la perfection. Les trois hommes se connaissent de longue date. Les duettistes Agenore Incrocci et Furio Scarpelli et Ettore Scola se sont connu avant-guerre à la rédaction du journal satirique Marc’Aurelio. Age et Scarpelli écrivaient en parallèle des articles, des scenarii pour des comédies de Totò. Ensemble, ils vont écrire quelques-unes des plus belles comédies italiennes dont Le Fanfaron de Dino Risi, description de l’Italie du boom économique. Nous nous sommes tant aimés brasse l’histoire de l’Italie de l’après-guerre aux désillusions des années 70. Une profonde mélancolie des utopies envolées et du temps qui passe inexorablement donnent au film un cachet inimitable. Antonio (Nino Manfredi), Nicola (Stefano Satta Flores) et Gianni (Vittorio Gassman) se sont rencontrés dans la Résistance, dans une embuscade contre un convoi allemand. La guerre finie, c’est le retour à la vie civile. C’est l’euphorie de voir éclore un monde nouveau, plus solidaire, plus libre, plus beau, plus juste, après des années de domination fasciste. Très vite, les aléas de la vie séparent les trois hommes. Antonio est infirmier dans un hôpital romain et militant syndicaliste. Il reste fidèle aux idéaux nés de la Résistance. Gianni est avocat stagiaire, sans le sou, il vivote. Et puis, l’ambition aidant, il trahit tous ses idéaux. Il épouse, sans amour, la fille d’un riche promoteur corrompu jusqu’à la moelle. Nicola est un petit professeur en province. Marié, père d’un petit garçon, c’est un intellectuel. Au cours d’une projection en ciné-club du Voleur de bicyclette, il est subjugué par le film de Vittorio de Sica. Par la manière dont le cinéaste aborde la réalité et donne la parole à des hommes du peuple. Il n’en va pas de même dans la salle où les notables sociaux-démocrates crachent sur ce monument du néoréalisme « cette esthétique de fond de poubelle qui nous diffame aux yeux du monde ». C’en est trop, Nicola abandonne femme et enfant, quitte la ville et débarque à Rome où il devient critique de cinéma.

 

 

 

 

Au centre de la vie de ses trois hommes la belle Luciana (Stefania Sandrelli). Elle est l’image de la beauté italienne, du rêve, de la liberté, de l’art. Elle sera la maîtresse des trois camarades. Antonio en tombe amoureux dès le premier regard. Elle a une aventure avec l’élégant Gianni. Mais il l’abandonne pour une autre femme, inculte, mais fille d’un riche promoteur, elle lui sert de tremplin dans la haute société italienne. Gianni, insatisfait dans sa vie bourgeoise tente de faire de sa femme une deuxième Luciana, mais sans succès. Luciana a une aventure d’une nuit avec Nicola. Dans Nous nous sommes tant aimés, les personnages se croisent, s’éloignent et se retrouvent. C’est Antonio, le prolétaire, qui jamais ne s’élèvera au-dessus de sa condition, qui en définitive épouse Luciana. Antonio et Luciana se rencontrent par hasard, après des années de séparation, à la fontaine de Trevi, tandis que Federico Fellini règle avec les doublures lumière d’Anita Ekberg et de Marcello Mastroianni, l’une des séquences les plus célèbres de l’histoire du cinéma de La Dolce Vita. Antonio et Luciana sont eux-mêmes des anonymes dans l’ombre de la grande histoire. Tout le film de Scola est parcouru par la grandeur du cinéma italien. Hommage au néoréalisme « Nous vivions ces années fabuleuses où notre cinéma s’imposait comme l’unique phénomène de vrai renouveau culturel grâce à Rossellini, Zavattini, Visconti, Amidei ou De Sica… ». Une cinématographie extraordinaire, intelligente et populaire qui aura conquis le monde et remis sur le devant de la scène internationale, un pays tout juste sortie du fascisme. Dans une première version du scénario, le film s’articule autour de Nicola, le petit professeur cinéphile et de Vittorio de Sica. Nicola devenait une sorte de mauvaise conscience de l’auteur d’Umberto D. Scola rencontre Vittorio de Sica, lui explique le projet et celui-ci accepte de participer au film. Mais au fur et à mesure de l’écriture du scénario, Scola, Age et Scapelli élargissent le propos initial et créent d’autres personnages emblématiques de cette période comme le prolétaire (Antonio) et le bourgeois (Gianni). Ettore Scola profite de la participation de Vittorio De Sica à la manifestation annuelle du journal Paese sera pour filmer son intervention. C’est le moment où il raconte comment il a fait pleurer le petit enfant du Voleur de bicyclette. C’est le déclic pour Scola, il écrit alors la question de l’émission de télévision posée quelques années auparavant à Nicola.

 

Le film en boîte, Scola montre la copie de travail à De Sica. Il aime beaucoup le film, mais trouve le jugement sur lui-même assez dur mais juste. De Sica, auteur d’œuvres admirables, acteur populaire, s’était parfois laissé aller à jouer dans des films sans intérêt, uniquement pour l’argent. Après cette dernière rencontre, Scola décide de lui dédier le film. Un mois plus tard au cours du mixage du film, Vittorio de Sica meurt. Une légende du cinéma s’en va. Nous nous sommes tant aimés est un constat sévère, le bilan sans concession d’une génération « qui a vraiment été en dessous de tout… ». Nous nous sommes tant aimés n’est absolument pas un film figé dans un passéisme mélancolique. Antonio et Luciana passent la nuit devant l’école, comme des centaines d’autres parents pour inscrire leurs enfants. Là, Antonio se saisit d’un mégaphone, et ce qui aurait dû être une lutte de tous contre tous devient un appel pour un enseignement accessible à tous. Scola termine sur une fin ouverte. Les personnages s’éloignent dans la rue comme dans un film de Chaplin. Le chemin est long mais un autre monde est toujours possible… Nous nous sommes tant aimés, film d’une infinie richesse, est un chef-d’œuvre.

 

 

 

 

Il n’y a pas de nostalgie heureuse,

que des nostalgies tristes…      par Alain-Michel Jourdat

 

Ettore Scola, en mémorialiste du temps qui passe, porte à son comble un regard critique sur trois décennies de l’histoire collective de l’Italie à travers les destins de trois amis. A revoir Nous nous sommes tant aimés à l’aune du cinquantenaire de Mai 1968, on mesure à quel degré Ettore Scola est un mémorialiste du temps qui passe. On susurre pour soi les paroles du « tourbillon de la vie » où le transitoire de l’existence est une éternelle palinodie, un reniement de soi et des autres. « On s’est connus, on s’est reconnus. On s’est perdus de vue, on s’est r’perdus de vue. On s’est retrouvés, on s’est séparés dans le tourbillon de la vie. Chacun pour soi est reparti. » La structure itérative du film est ce qui fait son extrême richesse stylistique. L’Histoire avec un grand H est ici la somme des histoires individuelles émotionnelles. Ettore Scola est un grand humaniste à l’enracinement populaire indéfectible et c’est ce qui rend ses personnages si attachants avec leur porte-à-faux avec le réel et les ratages que ce décentrement engendre. C’est la pierre de touche et la clef de voûte de tout son cinéma de la controverse et du déphasage. L’Histoire est ce retour du même à travers le prisme de l’époque qu’elle dévoile pan à pan en l’espace de trois décades…Les années de l’immédiat après-guerre, les années 50, les années 60 et le début des années de plomb. Pour paraphraser la fameuse formule de Céline l’Histoire ne repasse pas les plats sauf dans Nous nous sommes tant aimés. La référence aux I Vitelloni (1953) de Fellini est flagrante qui reprend cette galerie de portraits de trentenaires velléitaires confits dans l’indolence et qui refusent de grandir ou encore à Nos chers amis (1982) de Mario Monicelli qui se focalise sur les frasques de quinquagénaires immatures. « Quand on a risqué sa vie avec quelqu’un, on lui reste attaché pour l’éternité » confiera Antonio à Gianni tandis que Nicola remonté contre ses compagnons profère…« l’amitié est une conjuration d’égoïstes, une complicité anti-sociale ». Chaque décennie amorcée ouvre autant de brèches de nostalgie dans l’amitié déclinante des protagonistes. Le présent n’est plus qu’un ressassement du passé qu’on voile pudiquement par des éclats de rire ou des éclats d’humeur des trois protagonistes et chacun à son tour devient le troisième larron, celui qui profite du conflit des deux autres. Ce que la guerre a soudé, la paix s’ingénie à le défaire dans un démaillage de l’Histoire en marche.

 

Antonio, Gianni et Nicola se partagent tour à tour le récit choral. La scène de préambule historique en noir et blanc qui inaugure un long flash-back évoque le ferment de la Résistance italienne qui fait consensus. Les trois hommes au coude à coude sont rattachés à une brigade Garibaldi qui a pris le maquis. En 1943, Mussolini s’apprête à être renversé et l’Italie à se ranger du côté des alliés. Malgré la confusion et le chaos qui règnent au sommet de l’Etat, le fascisme et le nazisme sont à l’apogée de leur oppression qui va précipiter leur chute. Des poches de résistance sont encore très présentes sur le terrain des hostilités notamment dans le centre-nord montagneux où l’on assiste à une action de l’unité formée par les trois hommes contre un char d’assaut allemand. A partir de ce fait d’arme fédérateur, Scola montre comment la dynamique sociale et le boom économique qui s’ensuivent vont générer une société individualiste qui désavouera les promesses de réconciliation nationale et creusera les disparités entre schématiquement la classe ouvrière massifiée, la classe intellectuelle anarchisante et la classe bourgeoise enrichie et corrompue par l’ère de domination fasciste. Cruauté du diagnostic, la narration de l’entrelacs des destins, des amitiés et des amours contrariés de Gianni, Antonio et Nicola est suspendue à ce seul fait de guerre sur lequel elle s’est sédimentée. Gianni est un avocat tiraillé par sa conscience et sa lutte pour exister. Antonio est un brancardier fidèle à ses convictions de prolétaire mais déconsidéré par les religieuses en cornettes pour qui il travaille, Nicola est un enseignant anarcho-communiste déchu de son titre et mis au ban de l’éducation nationale. A l’exception d’Antonio, ils vont tous abdiquer les idéaux dont ils se réclamaient. Ettore Scola exprime ici toute son empathie pour les êtres en rupture de ban social.

 

 

 

 

Le cinéaste oscille entre histoire collective et histoires individuelles. Les intrigues sentimentales et la ténuité de l’amitié de ces camarades de résistance emplissent la chronologie et sont ramenées à un seul instant historique coagulant dont reste à jamais la nostalgie et à partir duquel le temps suspend son vol. Le plongeon interrompu de Gianni dans sa piscine de bourgeois parvenu qui a trahi ses convictions marque les prémices d’une longue parenthèse existentielle de trente années d’amitié réduites en charpie. La structure filmique complexe en ellipses et inserts d’images d’archives traverse trois décennies où les faits historiques marquants successifs sont figurés par les états d’âme des personnages avec l’instauration de la République en 1946 à l’issue du référendum où la gente italienne se détermina et choisit de ne plus respirer les miasmes frelatés d’une monarchie croupissante, l’industrialisation de l’Italie et son corollaire, la société de consommation, en 1958, la légalisation du divorce et la dérive terroriste des brigades rouges en 1970 . Le réalisateur fige le récit narratif au gré d’intermèdes extatiques où les protagonistes fantasment leurs relations avec l’autre. A l’exemple de la comedia del arte, la satire mordante qui ajoure à travers la comédie devient alors le théâtre de l’a vie et le révélateur des tares existentielles. Ettore Scola prend à partie le spectateur dans un aparté digressif avec l’acteur qui endosse la narration à son tour. Le décor se solidifie dans la pénombre et pour marquer l’effet d’intériorité, une poursuite isole l’acteur- narrateur dans un rayon de lumière. Dans une manière de parabase, l’acteur se mue en coryphée. Volontairement intrusif, il interpelle le spectateur dans un face à face frontal complice comme pour le prendre à témoin.

 

Ces interpellations intempestives interrogent le devenir social et politique de la péninsule engluée dans ses contradictions et ses errements politiques. Seul le bourgeois parvenu et accompli a des certitudes et n’étale pas ses états d’âme au grand jour. Ainsi du cynique marquis Romolo Catenacci « commandatore » campé avec un aplomb féroce par Aldo Fabrizzi, le corrupteur, qui, comme Méphistophélès avec Faust et pour s’acheter la fausse bonne conscience et les services de Gianni, l’avocat de gauche jusqu’ici incorruptible, proclame à qui veut l’entendre « Si il n’y avait pas les riches pour dépouiller les pauvres, il n’y en aurait plus de pauvres. Celui qui triomphe de sa conscience gagne le dur combat de l’existence ». L’inconstance de l’Italie est aussi à l’image de cette femme volage, Luciana, qu’incarne Stefania Sandrelli et qui, avant de devenir la louve romaine matricielle et rangée de la fin du film est ce succube qui louvoie d’une passade amoureuse l’autre entre Antonio, Gianni, Nicola et Antonio pour de bon. Ettore Scola se revendique inconditionnellement du néo-réalisme italien et c’est d’autant plus probant dans Nous nous sommes tant aimés que cela le sera dans Splendor (1988). Le professeur Nicola Palumbo est en miroir son alter ego dans le film. Critique cinéphile passionné, il est un âpre défenseur du néo-réalisme contre la bien-pensance démocrate-chrétienne. Dans le même temps, le cinéma italien est indissociable des mutations sociales du pays qu’il accompagne par ailleurs. Pour authentifier son propos dénonciateur et par souci de vérisme, Scola entremêle non seulement des images d’archives sans points de suture visibles au montage comme il le fera amplement dans Une Journée particulière (1977) mais il recrée un envers du décor fictionnel documenté. Ainsi pour l’intrusion du tournage de La Dolce vita (1960) de Fellini dont il reconstruit l’atmosphère en extérieur jour /Fontaine de Trevi avec la complicité de Marcello Mastroianni et Fellini. L’intertexte du film abonde en références cinématographiques qui appellerait une recension exhaustive.

 

 

 

 

« Nous voulions changer le monde mais c’est le monde qui nous a changés »

 

Les trois protagonistes tirent ce même constat d’échec. Leurs ratages sont le sel de la comédie satirique et reconduisent les ratés de l’histoire de l’Italie tandis que la réussite financière de Gianni traduit sa compromission, l’abdication de ses idéaux au profit d’un confort bourgeois matérialisé par la piscine dans laquelle il achève son plongeon à la toute fin du film. Le riche est le plus seul au monde.

 

 

 

 

 

 

Ettore Scola, maître du grotesque et des regrets

par Thomas Sotinel



Il avait dirigé les plus grands acteurs italiens, à commencer par Sophia Loren et Marcello Mastroianni dans Une journée particulière, présenté à Cannes en 1977, chroniqué les bouleversements de la société italienne depuis ses marges, comme le bidonville romain d’Affreux, sales et méchants (1976), et tiré parmi les premiers le bilan amer des désillusions de l’après Mai 68 dans La Terrasse (1980). Ettore Scola, maître du cinéma italien des années 1960 à la fin du XXe siècle, est mort, mardi 19 janvier, dans une clinique romaine, à 84 ans. « Son cœur s’est arrêté de battre par fatigue », ont annoncé son épouse et ses filles, citées par le Corriere della Sera. Ettore Scola est né le 10 mai 1931 à Trevico, en Campanie. Sa famille s’installe bientôt à Rome, où il commence des études de droit tout en manifestant un intérêt pour le dessin satirique. Il collabore à la revue humoristique Marc’Aurelio, tout comme les scénaristes Age et Scarpelli ou Federico Fellini. Sa vocation juridique cède définitivement le pas au cinéma au début des années 1950. Le jeune homme est d’abord scénariste. En douze ans, de 1952 à 1964, il collabore au script de dizaines de films, qui pour la plupart n’ont pas marqué l’histoire du cinéma.

 

1964, il passe à la réalisation avec Parlons femmes, un film à sketches, comme c’était la mode à l’époque en Italie, dans lequel joue déjà l’un de ses interprètes d’élection, Vittorio Gassman. Suit en 1968 Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ?, film d’aventure satirique tourné entre l’Italie et l’Angola, avec Alberto Sordi et Bernard Blier. Puis Drame de la jalousie (1970) le fait remarquer par la critique française, sensible au mélange de grotesque et de réalisme de cette histoire d’amour triangulaire située dans un quartier pauvre de Rome. Le film est interprété par Monica Vitti, Giancarlo Giannini et Marcello Mastroianni et vaut à ce dernier un prix d’interprétation au Festival de Cannes. Il réalise ensuite Permette, Rocco Papaleo ? (1971) et La Plus Belle Soirée de ma vie (1972), d’après La Panne, pièce de Friedrich Dürrenmatt, avec Michel Simon et Sordi. A cette époque, Ettore Scola tourne des documentaires pour le Parti communiste italien, sur les fêtes de l’Unita, le quotidien du parti ou les luttes à la Fiat. En 1974, il connaît un succès international avec Nous nous sommes tant aimés. Scola revient ensuite au grotesque, avec Affreux, sales et méchants, qui a pour décor un bidonville romain menacé par l’urbanisation galopante, et met en scène la cupidité de ses habitants, dominés par un tyran qu’incarne Nino Manfredi. Le film remporte le prix de la mise en scène à Cannes en 1976. Après une satire de la télévision Mesdames et messieurs, bonsoir, il réalise ce qui reste son film le plus célèbre, Une journée particulière (1977). Il y raconte la rencontre, le 6 mai 1938, entre une ménagère romaine (Sophia Loren) et un intellectuel homosexuel persécuté par le régime fasciste (Marcello Mastroianni). En bruit de fond, la radio raconte une autre rencontre, entre Mussolini et Hitler. Le réalisateur aimait à rappeler qu’il portait l’uniforme des « fils de la louve », l’organisation enfantine fasciste, ce jour-là. A Jacques Siclier, qui l’interrogeait dans les colonnes du Monde, Scola expliquait…On fait toujours à peu près le même film. J’ai toujours été préoccupé par une typologie de l’isolement, de la différence sociale. Je ne pars pas d’un sujet, mais d’une idée que je transpose dans le grotesque et l’humour, car je trouve que c’est une façon noble et tragique de représenter les problèmes contemporains. Mais pour les besoins de ce film, Scola se départit tout à fait de son humour sardonique. Peut-être pour compenser, il réalise la même année avec son complice Dino Risi Les Nouveaux Monstres, version actualisée, plus vulgaire, plus érotique, plus méchante, des Monstres de 1963. Son film suivant, La Terrasse, est lui tout d’amertume. A travers les mondanités d’intellectuels romains (Mastroianni, Tognazzi, Gassman, Trintignant, Reggiani), Scola fait le portrait des désillusions de la gauche italienne. Ettore Scola est alors au sommet de sa gloire, italienne et internationale. Il est régulièrement sélectionné en compétition au Festival de Cannes et collectionne les trophées. Mais Passion d’amour (1981) et La Nuit de Varennes (1982), comédie historique autour de la tentative de fuite de Louis XVI, ne rencontrent pas le même succès.

 

Il reste un triomphe, celui du Bal (1983), adaptation virtuose et muette d’un spectacle du metteur en scène français Jean-Claude Penchenat, qui met en scène des couples évoluant sur la piste d’un établissement populaire. Le film rassemble presque un million de spectateurs en France et est nommé à l’Oscar. Suivront encore neuf longs-métrages de fiction qui n’égaleront pas leurs prédécesseurs. Même la réunion de Jack Lemmon et Marcello Mastroianni dans Macaroni (1985), même le retour à la fresque historico-intimiste avec La Famille (1987) ne convainquent pas tout à fait. Le dernier film de cette série, Gente di Roma, sorti en France en 2004, a pour toile de fond les manifestations contre Silvio Berlusconi. Alors qu’il avait annoncé sa retraite, Ettore Scola a donné un dernier film, un documentaire présenté à la Mostra de Venise en 2013 intitulé Qu’il est étrange de s’appeler Federico, dans lequel Scola évoquait son aîné, son ancien collègue de Marc’Aurelio, Fellini.