1967-Amour impossible…

Sur la canonnière américaine le chef des machines, Jake Holmann, entend bien imposer sa loi aux autres. Mais il rentre vite en conflit avec une partie de l’équipage, qui voit d’un mauvais œil cet étranger qui croit pouvoir tout changer dès son arrivée à bord, sans se soucier, lui, de se plier à la discipline du bord. En 1926, en Chine, la canonnière américaine San-Pablo patrouillant sur le Yang-Tse Kiang dans les environs de Changsha, se retrouve en plein cœur de la première guerre civile chinoise opposant les forces nationalistes de Tchang Kaï-chek aux communistes…

 

 

 

 

 

LE CHOC DES COLONISATIONS…

 

…Alors dans sa période de gloire grâce aux succès qu’il réalisa au début des années 1960 West Side story et La Mélodie du bonheur, Robert Wise revient sur le devant de la scène avec un film ambitieux sur fond de guerre d’une durée de trois heures. Loin du film de guerre classique, La Canonnière du Yang-Tse utilise en effet ce récit historique pour nous proposer de réfléchir sur l’homme et la guerre. Celui qui se lancerait dans l’analyse de ce film n’en finirait d’ailleurs pas, tant celui-ci nous offre de très nombreuses pistes de réflexions. Malgré une terrible carence de personnages sympathiques, le scénario réussit à décortiquer l’âme humaine dans toutes ses facettes, et à nous y plonger. Cette étude des rapports humains nous faire réfléchir sur le commandement et sur les responsabilités auxquelles se retrouve confronté tout homme en temps de guerre. En désobéissant ouvertement aux ordres qui lui sont donnés, Jack et Frenchy agissent égoïstement, faisant passer leur intérêt personnel avant l’intérêt général, négligeant ainsi leurs responsabilités, en ne pesant pas les conséquences si grandes de leurs actes si petits,actes qui peuvent mettre le feu aux poudres à tout instant. Mais finalement, n’est-ce pas là le problème de la colonisation américaine, dont le film de Wise illustre à merveille l’échec retentissant ? De fait, si la colonisation américaine n’a pas marché, c’est à causes des différentes visions qui s’y disputaient en son sein-même. En cela, la scène du dîner à bord du bateau à vapeur en début de film est particulièrement révélatrice, montrant les différents colonisateurs incapables de s’entendre, voulant imposer chacun sa vision, soit trop sévère avec l’officier soit complètement idéaliste pour le missionnaire protestant, mais jamais réaliste. C’est en utilisant les populations locales afin de lutter contre une autre puissance colonisatrice ennemie, ils ont refusé de prendre en compte la réalité du territoire qu’ils occupent, que les colonisateurs finissent par se faire chasser par les peuples qu’ils ont eux-mêmes colonisés. Et c’est tout le génie de Robert Wise d’avoir restitué avec autant de justesse la complexité de la situation politique en Chine. Même si le drame et l’aventure prédominent, on voit en effet petit-à-petit se dessiner un tableau peu reluisant du triste état social et politique dans lequel les Américains ont plongé la Chine, qui captive malgré sa lenteur. Car il faut dire que les trois heures de films se sentent passer, et l’on regrette que Wise n’y ait pas insufflé un rythme plus soutenu. Malgré tout, la dernière heure s’avère passionnante, le réalisateur parvenant à retrouver les dilemmes si impressionnants tout droit sortis d’une tragédie shakespearienne comme il l’avait fait dans son chef-d’œuvre West Side story, faisant monter très progressivement la tension autour de son personnage principal de manière absolument captivante. A tel point que lorsque le film se clôt sur un quart d’heure final haletant, éblouissant de tension, j’aurais eu envie de crier au chef-d’œuvre, mais les longueurs coupables dont souffre le film m’en ont malheureusement empêché. Avec La Canonnière du Yang-Tse, Robert Wise signe encore une grande fresque, sombre et cruelle, inégale mais puissante, qui fait réfléchir de manière trop intelligente pour qu’on puisse laisser le film se faire oublier.

 

 

 

 

ROBERT WISE 1914 – 2005

40 FILMS. Oscar Meilleur film & Réalisateur

West Side Story – La mélodie du bonheur

 

 

 

 

Sous ce mastodonte du film de guerre se cache une des œuvres les plus personnelles de Robert Wise. Il poursuivit en effet ce projet d’adaptation du roman de Richard McKenna avec ténacité et il est vrai qu’on y retrouve sur un mode plus pessimiste, les velléités humaniste du Jour où la Terre s’arrêta notamment. La véracité des descriptions de Richard McKenna qui servit réellement sur une canonnière nommé San Pablo en 1936 mais situe son roman dix ans plus tôt incite également Robert Wise à faire preuve d’un réalisme sans faille durant la pré production. Les extérieurs furent tournés à Hong Kong et Taiwan, le vrai fleuve Yang-Tsé ne pouvant être investi pour cause de relations diplomatiques glaciales entre les USA et la Chine et certains intérieurs à Los Angeles. C’est une logistique titanesque qui eut cours avec la construction à l’échelle d’une canonnière entièrement rééquipée, un casting prestigieux avec Steve McQueen, Richard Attenborough, Candice Bergen pour un tournage qui explosera rapidement les délais puisque des 9 semaines initialement prévues la production s’étalera sur sept mois. Sous le cadre dépaysant et les impressionnantes séquences maritimes, c’est donc un récit plutôt intimiste qui se noue. C’est l’occasion pour Steve McQueen de déployer tout la finesse et la sensibilité de son jeu, lui qui affirmait être incapable de pleurer à l’écran cède à ces émotions le temps d’un bref et beau moment en ne se reposant pas sur son seul et incroyable charisme avec ce qui est parmi ses prestation les plus fragile qui lui vaudra sa seule nomination à l’Oscar. Entre la barbarie fanatiques des chinois trop longtemps opprimés et la lâcheté des américains nul choix possible pour Holman…La saisissante dernière scène avec un McQueen en état second est des plus parlante. Robert Wise déploie toute sa maestria lors d’une incroyable et sanglante traversée de barrage sur le fleuve ou d’un gunfight désespéré. Un très grand film de guerre et un des chefs d’œuvres de son auteur.

 

 

 

 

SUR LE PONT  par Bruno Icher

 

Contrairement aux vœux de l’auteur du roman dont il est adapté, la Canonnière du Yang-Tsé, sorti en 1966, a été le premier film abordant la question de la Guerre du Vietnam. Il faut dire que les correspondances ne manquent pas entre le début de l’enlisement des GI dans le bourbier vietnamien et la Chine de 1926, toile de fond de cette épopée romanesque, où les soldats de la Navy défendent les intérêts économiques américains pendant que débute la guerre civile entre communistes et partisans de Tchang Kaï-chek. Or le romancier Richard McKenna n’y a jamais revendiqué autre chose que la compilation de ses propres souvenirs de marin de 18 ans, sillonnant le Yang-Tsé à bord d’un «gunship». En dépit du succès du roman, le projet a été long à se dessiner. Robert Wise, tombé raide dingue du livre, planchait sur la question depuis plusieurs années mais les studios renâclaient…Trop cher, trop compliqué, trop risqué. Pendant que les comptables d’Hollywood tergiversent, Wise accepte un autre projet qui va changer la donne, la Mélodie du bonheur, un carton au box-office qui permet au réalisateur de forcer la main aux studios. Le tournage a lieu principalement à Taiwan où les problèmes s’accumulent. En raison de pluies torrentielles, au lieu des neuf semaines escomptées, il faut sept mois pour donner le dernier coup de manivelle. Mais le vrai problème, c’est la star du film, Steve McQueen, qui incarne Jake Holman, un mataf dur-à-cuire en pleine tempête existentialiste, n’est pas facile à vivre. D’abord, il digère mal que le premier choix de Wise ait été Paul Newman, finalement indisponible. Ensuite, il obtient la tête de Robert Anderson, le scénariste, à cause d’un vieux différend, des années auparavant, Anderson avait refusé que McQueen interprète une de ses pièces à Broadway. Enfin, l’ennui abyssal qui règne dans l’équipe, divers pépins de santé et tracasseries administratives achèvent de dynamiter l’ambiance. Longtemps après, Steve McQueen reconnut que quels que soient les péchés qu’il avait commis, ce tournage aurait dû lui permettre de les expier. Plus de quarante ans plus tard, cette fresque flamboyante, portée par un acteur au sommet et plutôt fine mouche sur une époque où les questions de la décolonisation, du racisme et du choc des cultures déboulent au-devant de la scène médiatique, mérite le grand écran. Parmi les curiosités du film, il faut signaler la présence au casting d’une jeune femme incarnant une prostituée chinoise, créditée au générique sous le nom de Marayat Andriane. Il s’agit d’Emmanuelle Arsan qui, par la suite, écrira le best-seller Emmanuelle.

 

 

 

 

 

STEVE McQUEEN 1914 – 2005

 

Terrence Stephen McQueen, dit Steve McQueen, né le 24 mars 1930 à Beech Grove (Indiana)1 et mort le 7 novembre 1980 à Ciudad Juárez (Mexique), est un acteur et producteur de cinéma américain, par ailleurs pilote automobile et pilote de moto. Surnommé « Le Roi du cool », ses rôles d’antihéros se développent au plus fort de la contre-culture des années 1960 et ont fait de lui l’un des acteurs les plus populaires au box-office des années 1960 et 1970. Révélé au grand public avec la série télévisée Au nom de la loi (1958-1961), McQueen reçoit une nomination aux Oscars pour son rôle dans le film La Canonnière du Yang-Tsé (1966). Ses autres films populaires incluent Le Kid de Cincinnati (1965), L’Affaire Thomas Crown (1968), Bullitt (1969), Guet-apens (1972) et Papillon (1973), ainsi que les films choraux réunissant plusieurs grands acteurs, comme Les Sept Mercenaires (1960), La Grande Évasion (1963) et La Tour infernale (1974). En 1974, il devient la vedette de cinéma la mieux payée au monde, bien qu’il ne tourne ensuite plus de films pendant quatre ans. McQueen était combatif avec les réalisateurs et producteurs, mais sa popularité fit de lui un acteur très demandé, ce qui lui permit d’obtenir de gros cachets. Incarnant plus que tout autre la liberté et l’individualisme chers aux Américains, sa devise confirme la personnalité de l’acteur…

 

Je vis pour moi et n’ai de comptes à rendre à personne.

 

 

 

 

 

 

LA NOTION D’ETAT     par Michel Tabbal

 

Adapté du bestseller de Richard Mc Kenna et réalisé en 1966 par Robert Wise, La Canonnière du Yang-Tse s’inscrit dans la lignée des grosses productions de films de guerre réalisées lors de cette même période comme La Grande Evasion ou Le Pont de la Rivière Kwaï. Porté à l’écran par Steve McQueen au plus haut de sa gloire son seul rôle qui lui a valu une nomination aux Oscars, Richard Attenborough, Richard Crenna et Candice Bergen, cette superproduction de trois heures connut un succès commercial important en salles. Outre ses qualités cinématographiques, le film est surtout connu pour son discours ouvertement antimilitariste et pour être un des premiers films à dénoncer implicitement la guerre du Vietnam et explicitement l’interventionnisme américain. Les films dénonçant la guerre du Vietnam ont connu leur apogée vers la fin des années 70 et pendant les années 80. A cet égard, Wise, qui possédait déjà à son actif plusieurs succès cinématographiques avait toutes les portes hollywoodiennes ouvertes devant lui avant le tournage du film. Néanmoins, pour des raisons certainement d’ordre stratégique et politique, il décide de transposer son discours dans une reconstitution historique des années 20 en Chine. Le film suit les mésaventures de marins à bord de la canonnière américaine San Pablo patrouillant le long du fleuve Yangzi Jiang en pleine guerre civile chinoise en 1926, opposant les nationalistes de Tchang Kaï-chek aux communistes. La mission du navire est de protéger tous les ressortissants américains se trouvant en Chine. Le personnel de ce navire coule des jours paisibles puisque la majeure partie de son travail à bord est exécutée par des Chinois, afin que ces derniers arrivent à payer, selon les marins, leurs « bols de riz ». Néanmoins la situation des marins se complique, puisqu’ils deviennent la cible d’hostilités anti-occidentales, anti-impérialistes et xénophobes de la part des Chinois. Se trouvant, malgré lui, mêlé à cette guerre, le mécanicien Jake Holman (McQueen) est tiraillé entre l’agressivité de ses collègues, son devoir patriotique et son questionnement face à l’absurdité de la guerre et de l’interventionnisme américain.

 

Il est intéressant de constater que plusieurs questions de droit international sont évoquées tout au long du film. Nous tenterons de cibler notre analyse sur la question récurrente de la notion étatique, et plus particulièrement celle de la place de l’Etat sur la scène internationale, et celle de l’Etat-Nation, appliqué aux institutions chinoises. Cette problématique sera confrontée à la question de l’interventionnisme et du colonialisme occidental, de la diplomatie de la canonnière et de la notion de « traités inégaux ». L’histoire du film se déroule dans un pays a priori indépendant, alors officiellement reconnu comme la République de Chine. En même temps, cette époque des seigneurs de la guerre est caractérisée par une quasi-inexistence de l’appareil étatique ainsi que par l’abondance des conflits locaux. A travers le récit énoncé dans le prologue, on peut distinguer les grandes puissances « Great World Powers », d’une part, des nations asservies, d’autre part. La Chine est d’emblée présentée comme un pays dominé par les grandes puissances, avec une référence assez directe au concept de domination ou d’hégémonie étrangère. Par la suite, le film pointera explicitement du doigt l’emprise des grandes puissances sur la Chine, notamment au XIXème siècle à travers les agressions militaires et l’expansion coloniale (1840-1860). La question coloniale est manifestement posée, et on remarquera en ce sens que le film fut tourné en 1966, date charnière dans l’histoire de la décolonisation. La colonisation n’est certainement pas étrangère à la Chine, sujettes aux techniques hégémoniques des territoires à bail ou des concessions étrangères constituant indéniablement une « colonisation déguisée ». Notons également que deux notions s’entrecoupent dans ce prologue, celle de « country » et celle de « Nation », cette dernière étant présentée comme la condition permettant d’accéder à la qualité d’Etat. Manifestement, Wise souhaite mettre en lumière le caractère biaisé de la structure étatique de la Chine en confrontant la situation anarchique de cette dernière au concept politique d’Etat-Nation.

 

Le héros arrive à Shanghai, et se retrouve à un dîner à bord d’un paquebot l’amenant vers le lieu de stationnement de la canonnière. Nous sommes en présence de cinq personnages occidentaux, majoritairement américains présents autour de la table : deux missionnaires, deux expatriés ainsi qu’un certain Jake Holman, simple mécanicien incarné par Steve McQueen. La discussion va porter essentiellement autour de la diplomatie et la politique de la canonnière et de l’hégémonie occidentale en Chine, d’un côté, un farouche défenseur de la politique de la canonnière tandis que, de l’autre, est opposé à cette forme de politique, impérialiste à ses yeux. Quant aux autres ils apparaissent plutôt comme de simples spectateurs du débat. C’est à partir de cette scène que commence le parcours qui va caractériser le personnage de Steve McQueen dans toute l’évolution du film…Au départ spectateur, il deviendra acteur engagé malgré lui face aux évènements bouleversant la Chine.

 

 

 

 

Si l’expression « diplomatie de la canonnière » « Gunboat diplomacy » n’est pas utilisé stricto sensu, il s’agit manifestement de l’une des principales thématiques du film, le titre français étant plus révélateur à cet égard que le titre original, « The Sand Pebbles ». Comme on le sait, au début du XXème siècle, les grandes puissances notamment l’Angleterre, les Etats-Unis, le Japon procédaient à l’envoi de canonnières sur le fleuve du Yang-Tse sous souveraineté chinoise. Ces dernières avaient pour but de protéger les nationaux des grandes puissances se trouvant en Chine, de maintenir l’ordre, et de veiller à la liberté des échanges. Cette présence avait aussi un fondement symbolique, tendant à affirmer la présence des grandes puissances occidentales à l’extérieur de leurs frontières. Ce rôle apparaît dans une autre scène particulièrement révélatrice…Alors que la canonnière patrouille le long du fleuve, le mécanicien Holmes doit absolument arrêter le navire pour une réparation urgente, son supérieur refuse, dans l’unique but de ne pas faire mauvaise impression auprès des Chinois « Tant que nous avançons et que la cheminée fume, nous ferons impressions sur les Chinois ». Toujours lors du dîner, ce rôle symbolique est évoqué par le missionnaire, lorsqu’il rétorque que les canonnières symbolisent « ce que les grandes puissances ont fait à cette Nation ». On relève une réflexion sur la notion de nation. Dans l’extrait reproduit ci-dessus, on s’étonne de l’utilisation du terme « nation », puisque, à ses yeux, la Chine n’en constitue pas une, cette dernière n’étant composée que d’un « ramassis de bandits, seigneurs, populace, viol, pillage et chaos ». Faut-il voir ici une référence à l’absence d’Etat, et plus spécialement à l’un de ses éléments constitutifs, celui du gouvernement effectif ? Au vu du personnage, nous estimons que c’est plus l’aspect civilisé qui lui importe, et peut-être ce dernier assimile-t-il la notion de « nation » à celle de « nation civilisée » au sens de l’article 38 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale. L’élément caractéristique de l’Etat, à savoir la souveraineté, semble plutôt être évoqué « la Chine ne pourra pas faire le ménage tant que vos traités inique l’asserviront ». Le manque d’effectivité du gouvernement chinois est donc plus la conséquence que la cause de l’interventionnisme des grandes puissances.

 

La notion d’Etat apparaît sous l’angle du droit des traités, et plus spécifiquement, via la théorie des traités inégaux. Toujours dans l’extrait reproduit plus haut, Jameson caractérise ces traités d’ « asservissants » et d’ « inégaux ». Ce type de traités, conclus avec les grandes puissances de l’époque entre 1842 et 1915, étaient imposés à la Chine afin de mettre en place des privilèges d’extraterritorialité, des concessions et des territoires à bail. De plus, le missionnaire cite des exemples de clauses contenues dans ces traités: la perception des impôts, la gestion des douanes et des postes, ceci par des étrangers ainsi que la mise en place de régimes d’immunités (« Foreigners enjoying immunity from her laws »). Par ailleurs, le missionnaire via un langage familier évoque le fait que la Chine ne pourrait pas « faire le ménage » c’est-à-dire être souveraine à moins qu’elle ne soit « libre de ces traités » (« free of (…) treaties »). Les propos du missionnaire Jameson préfigurent ici la politique extérieure de la Chine à venir (notamment à partir des années 20) : lutte contre les traités inégaux et lutte contre l’hégémonie étrangère. Précisons en dernier lieu qu’un des exemples les plus intéressants de traités inégaux est le traité de Pékin de 1860 conclu entre la Chine et les grandes puissances mettant fin à la guerre de l’Opium et instaurant, entre autres, la navigation des canonnières sur le fleuve Yang-Tse, thème principal du film.

 

 

 

 

A la moitié du film, c’est sur le plan des compétences étatiques que la figure de l’Etat est évoquée. Après une confrontation entre des contestataires pacifiques chinois en barques bloquant la venue de la canonnière et des Américains, le supérieur américain décide d’envoyer, par souci de sécurité, quelques marins pour escorter les missionnaires tout en leur ordonnant de ne tirer qu’en dernier ressort, pour sauver des vies. Alors que des soldats chinois retirent un drapeau américain, une accroche verbale s’ensuit entre le Major Chin, de l’armée nationaliste chinoise, et un supérieur de la marine américaine. Aux yeux des spectateurs juristes, cette scène peut facilement prêter à confusion quant au lieu du déroulement de l’action et la juridiction applicable à ces lieux. On a tendance à croire qu’il s’agit d’une ambassade ou d’un consulat, et dans une certaine mesure une concession territoriale. En tout état de cause, deux types de compétences étatiques sont en concurrence avec la compétence territoriale via le militaire chinois et la compétence personnelle ou compétence sur le service public via le militaire américain. Sans le préciser explicitement, l’officier américain se permet d’entrer avec une patrouille armée, ce qui suggère une adhésion à la fameuse théorie de l’extra-territorialité selon laquelle le lieu en question ne serait pas soumis à la juridiction chinoise. Mais, chose rare dans le cinéma, cette théorie est contrebalancée par l’officier chinois qui, quant à lui, insiste clairement sur la primauté de la compétence territoriale. La scène se conclut par le départ des Américains, preuve de la prévalence de ce type de compétence aux yeux du réalisateur. Si, selon le droit de l’époque, les troupes chinoises ne pouvaient entrer dans ces concessions, la légalité de ces concessions fut mise en cause par les Chinois, et le Major Chin incarne cette forme de contestation. En résumé, on peut dire que diverses interprétations peuvent prévaloir quant à la place qu’occupe la figure étatique dans le film. D’une part, celui-ci marque, d’une certaine façon, la relativité de la notion d’Etat en tant sujet exclusif du droit international et l’apparition d’une société internationale marquée par des sujets aux statuts différenciés. La période concernée est certes une époque où le droit international était peu institutionnalisé, et ne se limitait formellement qu’aux relations entre Etats « indépendants », mais une impression plane tout au long du film, l’idée que cette situation est en train de changer. Ce film marque dans une certaine mesure, et bien qu’à aucun moment il ne soit fait explicitement référence à la SDN, le début de l’institutionnalisation de la société internationale et la diversification du droit international. D’autre part, en ce qui concerne la représentation de l’Etat chinois en tant quel, le film semble marquer le début de l’apparition de l’Etat moderne centralisé, rompant avec l’ancien modèle qui s’apparentait à un Etat féodal. Bien que l’histoire se déroule lors de la République, nous savons que, tout au long de cette période, l’Etat chinois ressemble plus à une sorte d’ « Etat fantôme », d’ « Etat faible » ou d’ « Etat défaillant » qu’à un Etat moderne. En ce sens, les extraits et spécialement le premier reproduits plus résonnent d’une étonnante actualité si on transpose le débat à certains « Etats » dont on se demande aujourd’hui s’ils possèdent encore tous les attributs théoriquement requis par le droit international.