Elle a réservé une chambre dans un hôtel aussi luxueux qu’impersonnel et semble se préparer avec fébrilité pour un rendez-vous galant enivrant. Fausse piste…ou presque. Pour la première fois de sa vie, Nancy, une veuve qui a toujours mené une existence monocorde où la fantaisie et le plaisir ne figuraient pas au programme, a fait appel sur un site spécialisé à un « travailleur du sexe » pour découvrir en sa compagnie des territoires sensuels qu’elle n’a jamais osé arpenter. Il n’est jamais trop tard pour découvrir les joies (entre autres) de la fellation et du cunnilingus ? Quand on frappe à la porte de sa chambre, l’héroïne découvre celui qu’elle a payé : Leo, une vingtaine d’années, un charmant minois, une physionomie de rêve et une prévenance de chaque instant. Intimidée et honteuse, Nancy ne sait que faire de sa gêne, de son corps engourdi par des décennies d’ennui et s’égare dans des justifications que personne ne lui a demandées. Leo, élégant et professionnel jusqu’au bout des ongles et de ses sourires résolument « ultra brite », fait tout pour détendre sa « cliente » et la libérer de ses complexes.








FELLATION OU CONFESSION…
Peu à peu, au fil des rendez-vous qui suivent ce chaste premier tête-à-tête, les deux personnages apprennent à se connaître. À défaut de cavalcades érotiques exubérantes, ils s’abandonnent à des confidences qui dévoilent des aspects insoupçonnés de leur personnalité respective. Spécialistes, chacun dans leur genre, dans l’art du déni et de la dissimulation, les deux protagonistes s’aperçoivent que leurs rencontres, d’abord fixées pour des raisons qui n’avaient rien de spirituel, leur permettent de se raconter et qu’il n’y a aucune raison de le regretter. On oublie les impasses de la farce graveleuse comme les voies balisées de la comédie romantique sirupeuse. Dans Mes rendez-vous avec Léo, l’Australienne Sophie Hyde, sur un scénario habile conçu par la comédienne anglaise Katy Brand, joue de l’unité de lieu pour mettre en scène un film qui, malgré ses redondances et ses allures de « théâtre filmé », met à nu ses personnages avec bien plus d’audace que ne le laissait supposer son argument. Ce film à la fois cru et délicat « brasse » ses nombreux sujets d’étude (la nécessité d’éprouver du désir à tous les âges, les dégâts suscités par l’obsession de l’éternelle jeunesse, les blessures profondes liées aux traumas familiaux) avec un humour et une subtilité pas si fréquents et, surtout, bénéficie des prestations épatantes de ses deux acteurs. Daryl McCormack, impeccable dans le rôle du playboy faussement impassible et, surtout, Emma Thompson, impériale dans la peau de cette veuve, ancienne enseignante de profession, qui se prouve à elle-même qu’il n’est jamais trop tard pour sortir de ses tristes gonds. Il y a trente ans, la comédienne britannique remportait un Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Retour à Howards End, de James Ivory. Si une nouvelle consécration devait intervenir trois décennies plus tard, personne ne hurlerait au scandale.




LA VEUVE ET LE GIGOLO…
Le moyen de faire autrement ? Nancy n’a jamais connu l’orgasme et elle n’a couché qu’avec son mari, mort deux ans auparavant. Cette veuve a des excuses pour s’offrir les services d’un gigolo dans une chambre d’hôtel. C’est la première fois qu’elle se comporte ainsi. Elle le répète sans cesse. On veut bien la croire. Cette ancienne prof qui enseignait la religion rougit de son audace. Le jeune homme la réconforte. Allons, tout cela n’est pas si grave. Une gorgée de champagne facilitera les choses. La cliente se change, troque sa tenue un brin radada contre une nuisette sur laquelle elle a laissé l’étiquette…Il y aura quatre rendez-vous. Le numéro un se termine par un baiser. Le deuxième commence par une liste d’expériences qu’elle a envie de découvrir et qu’elle lit comme un sommelier annoncerait la carte des vins. Le moment est si important qu’elle met ses lunettes sur le nez. Léo Grande prend ça à la légère. Ce garçon n’a pas honte de son métier et il sait réduire les inhibitions de la sexagénaire coincée. Quand il trinque, c’est le genre à lever son verre «à être empiriquement sexy». La femme fond. Ils parlent, tournent autour du pot. Ses enfants l’ont déçue…Son fils l’ennuie et sa fille n’arrête pas de l’appeler depuis Barcelone. Léo, lui, ne voit plus sa mère à laquelle il a raconté qu’il travaillait sur un derrick en mer du Nord. Bien sûr, ils ne se sont pas donné leur vrai nom. Il est calme, professionnel, poli. Elle est nerveuse, fébrile, empotée. Oui, elle a toujours simulé. Cela va sans doute pouvoir s’arranger.
Le scénario est malin, sensible, gonflé. Il aborde des sujets pas si souvent traités. Le vieillissement, la frustration, l’amour tarifé sont évoqués avec un humour percutant et une justesse louable. Il fallait marcher sur des œufs. Il n’est pas anodin que les dialogues et la réalisation soient signés par deux femmes. Il convient de saluer chapeau bas Emma Thompson. On sait qu’elle était une grande actrice. Quelque chose se passe en plus. Elle baisse la garde, confie à l’héroïne une profonde personnalité, passe de l’incertitude à la révélation. Le plaisir est un lent apprentissage. Il y a une scène d’ores et déjà inoubliable où la comédienne considère dans la glace son corps dénudé, avec ses défauts, l’atteinte de l’âge. Le sourire mystérieux qui apparaît alors sur son visage. C’est du grand art. On a du mal à décider laquelle de ses rivales aurait été capable de pareille gageure. C’est un Stradivarius. Le couple qu’elle forme avec l’élégant Daryl McCormack produit des étincelles. La chimie fonctionne, dans ce pas de deux, ce ballet sur des draps froissés. La subversion se réfugie dans cette suite londonienne, baignée d’une ambiance à la Philip Roth. Le vrai féminisme ces jours-ci coûte le prix d’une place de cinéma. Cela ne se refuse pas. En plus, c’est sûrement moins cher que les prestations de Léo Grande. Allez, room service.



Elle tient clairement le film sur ses épaules, déploie ici toutes les facettes de son talent, en incarnant une femme inquiète, questionnant moralement sa présence et son attitude, dévoilant ses faiblesses mais aussi ses erreurs, avec un recul et une ironie qui lui vont à merveille. Dans ce rôle complexe, l’intelligence et la répartie de la star britannique lui permettent de briller, au travers de répliques ironiques bien senties, d’habitudes cocasses et sa description de 31 ans de routine sexuelle avec son mari, ou la liste des expériences qu’elle souhaite avoir semblable à une liste de courses et de maladroites bonnes intentions. Abordant différents aspects délicats de la sexualité féminine, mais aussi le rapport à son corps avec le vieillissement, le film interroge le désir de retrouver un sentiment de jeunesse, affirme la satisfaction sexuelle comme un facteur de pouvoir, et fustige la tendance facile à avoir honte de son corps. La scène finale résonne d’ailleurs comme un moment de bravoure pour l’actrice, aussi touchant que militant. Ne donnant jamais dans l’apitoiement ou la leçon de morale, cette comédie culottée constitue également un clair plaidoyer pour la légalisation de la prostitution, et révèle au passage le talent d’acteur du charismatique Daryl McCormack, dans un rôle dont la façade s’effrite au fil du récit. Un bel éclat de rires, plein de sensibilité.
Comment êtes-vous parvenue à vous libérer sur le tournage de ce film ? J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec une réalisatrice formidable et un merveilleux partenaire. Savez-vous en combien de temps nous avons réussi à tourner ce film ? 19 jours ! Oui, 19 ! Je peux vous dire que ce fut très intense et heureusement que nous avons pu gagner un peu de temps en faisant quelques répétitions auparavant avant de commencer le tournage. Avant de nous libérer mentalement pour tourner ensemble des scènes intimes, nous avons dû apprendre à connaître nos corps.
C’est-à-dire ? Sophie avait prévu pour nous de créer de fantastiques exercices. Nous nous couchions sur le sol et dessinions autour de nos corps. Ensuite, nous devions marquer sur notre corps les endroits que nous aimions et ceux que nous n’aimions pas. Nous devions montrer les parties de notre corps où nous éprouvions quelques complexes. Et puis, un jour, on a passé toute la journée sans vêtement parce qu’il fallait s’habituer. Ce n’est certainement pas un problème dans votre pays mais ce n’est pas le cas pour nous.
Êtes-vous mal à l’aise avec la nudité ? Bien sûr parce que nous ne sommes pas aussi à l’aise avec la nudité. Nous sommes un peu plus puritains que vous et c’est d’ailleurs quelque chose que je regrette profondément. Je peux vous dire que ces exercices ont été très fatigants mais ils ont été incroyablement utiles. Cela nous a permis d’être plus à l’aise avec notre corps, de mieux gérer la nudité et d’être surtout plus courageux sur le plateau.
Avec du recul, comment analysez-vous votre complicité durant ces scènes d’amour avec votre jeune partenaire du film qui a plus de trente ans de moins que vous ? Je remercie Daryl d’avoir été aussi bon…Évidemment, Daryl est très beau et a un corps de licorne. Au départ, j’étais du genre « Oh mon Dieu, je ne peux pas croire ça. Un corps si parfait. » Vous pensez que ça va être plus facile mais tourner ce genre de scènes n’est jamais facile ! Je suis cependant vraiment fière d’avoir tourné ce film qui veut aider les femmes à ne plus éprouver un sentiment de honte avec leur corps et leur sexualité.
Est-ce que Mes rendez-vous avec Leo est en quelque sorte un hommage aux femmes ? Absolument ! C’est surtout un film qui va au-delà des limites. Avec ce film, je réussis à briser tous les tabous ! Je suis fière d’aborder tous les sujets comme celui de parler ouvertement du droit à connaître l’orgasme pour toutes les femmes



Incroyable prestation d’Emma Thompson. À 63 ans, la comédienne britannique, oscarisée, sidère tant elle n’a pas eu froid aux yeux pour camper cette sexagénaire qui a décidé de redécouvrir les frissons d’une relation charnelle. Très loin de « Nanny McPhee », l’un de ses derniers rôles cultes, là voilà, après ses premières crispations, en plein lâcher prise, séductrice, coquine verbalement d’abord puis déchaînée au lit. Il a dû lui falloir beaucoup de courage pour se dévoiler ainsi ne serait-ce que physiquement, et assumer ses propres rides et un corps de sexagénaire mis à nu. Elle y va franchement, Emma, semble n’avoir peur de rien, et c’est magnifique à voir, d’autant qu’elle joue sa partition mieux que jamais. Au point qu’on s’accorde rapidement avec le point de vue de Leo sur Nancy : oui, elle est belle, désirable, fascinante, touchante. Quelle grande comédienne, quelle femme ! « Bonjour ! Vous préférez faire l’interview en français ou en anglais ? » Quand Emma Thompson répond au téléphone, elle le fait dans ce français qu’elle pratique avec plaisir depuis ses études à Cambridge. Mais, malgré le charme de son accent et son aisance dans la langue de Molière, vingt minutes avec elle sont bien trop précieuses pour en perdre une miette. L’actrice londonienne est d’une trempe rare, comme il en existe peu. Franche, entière, libre. Elle donne, sans langue de bois mais avec une verve décomplexée, l’apanage de certaines Anglaises de haut vol.
Quarante ans dans l’industrie du spectacle semblent même avoir décuplé sa soif de justice et d’égalité, mais aussi son désir de porter, à travers ses choix, des représentations féminines propices à faire bouger les lignes. Portée par des parents comédiens, Emma, elle, aura rêvé en grand, en Cinémascope, décrochant au fil des années des succès publics Love Actually, Harry Potter, Bridget Jones Baby…La reconnaissance des cinéphiles Les Vestiges du jour, Au nom du père…et deux Oscars pour son rôle dans Retour à Howards End et pour le scénario de Raisons et Sentiments. On imagine alors les statuettes sur la cheminée de sa maison londonienne ou dans son bureau. C’était oublier son humour absurde, so British. Elles sont en réalité exposées dans ses toilettes parce que, dit-elle, « elles seraient ridicules partout ailleurs ». C’est aussi pour ça qu’on l’aime, pour son humilité et ce second degré qui, associés à son intelligence, font d’elle l’une des actrices les plus irrésistibles de la galaxie cinéma.
1989-1995…Sept années incroyables avec 8 films qui vont marquer l’histoire d’un cinéma anglais en pleine renaissance et surtout lancer magistralement sa carrière. Sommet artistique qu’elle ne retrouvera jamais vraiment, malgré 40 ans de carrière et sa présence dans une soixantaine de films. JP
















Le film de Sophie Hyde offre un autre regard sur les femmes de 60 ans et plus. Était-ce pour vous une nécessité que d’y participer ? Je vais vous dire ce que je dis toujours aux jeunes actrices « Ne faites pas un film parce que vous le croyez nécessaire, mais parce que l’histoire, le personnage, le scénario vous passionnent » Et s’il est utile, qu’il offre une autre perspective, c’est la cerise sur le gâteau. Mais si c’est là votre première motivation, faites plutôt de la politique ! Un artiste doit être porté par ce que lui dictent ses tripes.
Que vous dictaient-elles, en l’occurrence ? Que ce personnage est grand, ambivalent, honnête, drôle. À une période de la vie où la société dit à cette sexagénaire que tout est fini pour elle, elle décide de faire quelque chose de très courageux en écoutant son désir, en découvrant l’orgasme et les plaisirs de la chair. Cette femme a vécu toute sa vie de façon honorable, elle a respecté les règles et les normes liées à son genre, mais, à l’heure du premier bilan, des questions l’assaillent « Cela m’a-t-il rendu vraiment heureuse ? Pourquoi ai-je du ressentiment envers mes enfants ? À côté de quoi suis-je passée en faisant ce que l’on attendait de moi ?» Elle réalise qu’elle n’est pas épanouie, qu’elle s’ennuie et qu’il faut agir. Elle incarne ce que beaucoup de femmes traversent à un moment ou à un autre de leur vie. Et c’est d’autant plus effrayant que c’est une femme moderne, libre, avec une éducation, le droit de vote, un métier…Elle coche toutes les cases de ce pour quoi les mouvements féministes se sont battus depuis un siècle. Et pourtant, malgré ces avancées concrètes, symboliquement, socialement, politiquement, rien n’a profondément changé : les injonctions pèsent encore très lourd sur nos épaules. Le combat pour notre liberté totale et absolue est encore long.
Le sexe est ici une métaphore de ce que vivent les femmes, dans ce domaine comme ailleurs, exprimer leurs désirs est transgressif…Absolument ! Quand Nancy dit à son jeune amant « J’aimerais que tu me fasses ça », elle a l’impression d’aller trop loin, de braver l’interdit, d’être condamnable. Il est ici question de désir sexuel, mais, finalement, la peur du jugement qu’elle ressent pourrait s’appliquer à toutes les sphères de notre vie. Il va sans dire que les hommes ne s’embarrassent pas de toutes ces considérations, ils n’en ont pas besoin, car jamais on ne jettera l’opprobre sur eux parce qu’ils ont osé demander, exprimer leurs envies. Il est temps que nous ayons, nous aussi, le privilège de jouir de notre corps et de nos vies comme nous l’entendons, quel que soit le sujet et quel que soit notre âge.
Après la ménopause, les femmes sont souvent disqualifiées de la vie sociale et amoureuse…Vous êtes optimiste ! Je crois qu’au-delà de 40 ans, tout le monde se moque des besoins sexuels des femmes, de leurs rêves ou de leurs ambitions…Leur jouissance, n’en parlons même pas ! J’ai beaucoup voyagé, pourtant je n’arrive pas à penser à une seule culture pour laquelle ces questions appliquées aux femmes sont centrales…
Et à Hollywood ? L’industrie du cinéma, Hollywood en particulier, est pernicieuse. Le mouvement MeToo a eu une importance considérable, mais ce qui est déplorable, c’est qu’il soit arrivé parce que tout le monde s’était tu pendant si longtemps. Il a fallu des années d’oppression, de souffrances et d’agressions pour libérer la parole. Comment en est-on arrivé à un système qui autorise ces abus ? Aujourd’hui, certains s’enorgueillissent des changements opérés depuis 2018, d’autres pensent avoir fait le boulot pour calmer les «hystériques», mais ils se fourvoient, ce n’est qu’un début, qu’une amorce. MeToo a allumé l’étincelle qui ne demande qu’à s’embraser. Je sais qu’on ne réformera pas cette vieille machine du jour au lendemain, mais il ne faut rien lâcher. Hollywood est un vrai merdier, pardonnez-moi cette trivialité.

Ces dernières années, avez-vous néanmoins senti des répercussions positives sur les rôles proposés aux actrices de plus de 50 ans ? Mais moi je suis connue, ça change tout ! Je suis l’exception, pas la règle ! C’est très important de faire la distinction. J’ai eu la chance d’avoir des rôles qui m’ont permis d’accéder à un certain statut, d’avoir le «bon profil». Mais nous ne sommes qu’une poignée dans ce cas. Notre métier est peuplé d’actrices brillantes qui, parce qu’elles ont 50 ou 60 ans, sont ignorées par la profession. Ma mère est actrice, ma sœur est actrice, ma fille est actrice, mais elles ne sont pas très célèbres, et je peux vous dire que c’est un tout autre monde, très injuste.
Dans le film, Léo dit à Nancy de cesser de juger si durement son propre physique. Y êtes-vous parvenue ? Je crains que ce ne soit pas possible. Quel que soit notre métier, on nous répète qu’il faut rester jeune et jolie. Alors, quand les signes du temps arrivent, il n’est facile pour personne de les accepter. Je suis assez vieille et sage pour ne pas gâcher les belles années qu’il me reste à m’inquiéter de mon apparence. J’ai assez vécu pour comprendre que la vie est courte et bien trop précieuse pour focaliser sur des futilités. Mais ce n’est pas toujours simple, et je plains sincèrement les jeunes femmes. Je m’inquiète même pour elles. À l’ère des réseaux sociaux, il me semble extrêmement difficile d’échapper à la psychose ou à la haine de soi-même. J’espère que ce film leur montrera qu’on peut apprendre à s’aimer à tout âge, quels que soient sa morphologie ou son visage.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez accepté cette scène de nu intégral, sans artifice, face à un miroir ? Cette scène, je l’envisage quasiment comme un outil pédagogique. J’ai le corps d’une femme de 63 ans et, chez moi, face à mon miroir, j’ai tendance à rentrer le ventre pour ne pas voir la réalité. Mais il n’y avait pas de détour possible dans le film. Grâce à la bienveillance de ce jeune homme, Nancy voit, pour la première fois, son corps tel qu’il est, avec un regard neutre que beaucoup d’entre nous n’arriveront probablement jamais à avoir moi y compris. Je me suis sentie vulnérable après avoir tourné cette séquence, je me suis dit « Pourquoi ? Tout le monde va te voir ! », mais je fais confiance au public. Il comprendra ce que j’ai voulu y mettre. Et si, par mes choix de films, je parviens à aider quelques spectatrices à mieux s’accepter, j’aurai accompli mon humble mission.
Votre personnage a toujours suivi les règles. Qu’en est-il de vous ? J’ai toujours été une gentille fille. Mais en vieillissant, je suis de moins en moins obéissante et de plus en plus rebelle ! Mais, si je peux me le permettre, c’est parce que je suis privilégiée, protégée par mon statut. Je suis blanche, je gagne bien ma vie, je vis dans un état de droit qui, malgré les crises, m’autorise à parler et à avoir une opinion. N’oublions pas que des femmes en Iran sont tuées pour avoir défait le foulard qui cachait leurs cheveux. N’oublions pas que des États américains condamnent des jeunes femmes en leur interdisant l’avortement. N’oublions pas que beaucoup de pays, dont le mien, virent à l’extrême droite et, qu’en général, les femmes n’en ressortent pas gagnantes…
Comment rester optimiste dans ce contexte ? L’Histoire nous a prouvé la résilience des femmes, leur force, leur courage. Débattre de la condition de la femme dans le monde occidental depuis deux mille ans est une conversation trop longue pour une interview, mais je ne dirai que ceci…La crise climatique que nous traversons est, à mon avis, liée au fait que les femmes ont été écartées des sphères de pouvoir, des institutions et des organismes essentiels à la survie de notre société et de notre planète. C’est un fait. Il existe des parallèles évidents entre la façon dont les hommes cherchent à dominer les femmes et la nature, et il me semble nécessaire de repenser l’équilibre entre les genres pour sauver notre civilisation. Les hommes gouvernent depuis des siècles, et regardez ce que cela donne avec des guerres, une crise environnementale sans précédent, des droits qui régressent, la possibilité d’un Armageddon nucléaire…Un désastre. Que craignent-ils ? Qu’on fasse moins bien ? Il y a peu de risques à ce stade.



UN AUTRE AVIS…Psychanalyse au Formule 1
Une comédie d’abord légère et franche sur le plan sexuel qui révèle des couches plus intimes à la fin. Cette comédie dramatique de la réalisatrice Sophie Hyde ne semble pas offrir grand-chose de plus que l’évidence au début, mais elle récompense les spectateurs qui s’accrochent. Avec deux personnages et trois scènes, le film met en vedette Emma Thompson dans le rôle de Nancy Stokes, une institutrice à la retraite et veuve depuis peu qui décide de faire quelque chose d’inhabituel dans ses vieux jours en explorant sa sexualité après avoir eu un seul partenaire, pendant toute sa vie. Avec des possibilités limitées, un désir de garder les choses discrètes et un sens aigu de l’obtention de ce qu’elle veut, Nancy se tourne vers le monde des escortes où elle trouve le dénommé Leo Grande (Daryl McCormack), un professionnel sans état d’âme. Première rencontre entre Leo et Nancy, dans un hôtel discret. Nancy, nerveuse, tâtonne pendant le rendez-vous, mais Leo, compétent en la matière, parvient à la convaincre. Un deuxième acte ajoute de la tension narrative au mélange. Satisfaite de la première rencontre, Nancy invite Leo à revenir dans la même chambre d’hôtel pour le deuxième round, mais cette fois, elle a une liste de domaines qu’elle aimerait explorer. Elle a également effectué des recherches personnelles sur le sujet et sur la véritable identité de Leo, ce qui a fini par ébranler le comportement calme de l’escorte. Le troisième acte ramène le couple à l’hôtel pour résoudre le problème, mais cette fois, ils partagent leurs pensées intimes autour d’une tasse de café plutôt que dans une chambre. Au cours des deux premiers actes, le film et ses sensibilités légères de comédie britannique, donne lieu à une représentation inauthentique, presque hypocrite, du sexe et de la sexualité. Malgré la nature de la procédure, le film est presque aussi timide que Nancy pour aborder des détails plus intimes. Mais il y arrive lentement : dans les dernières scènes du film, son honnêteté non dissimulée lui confère une certaine puissance.
À l’instar du film lui-même, la performance de Thompson passe de la comédie à l’introspection…Au départ, elle surjoue le rôle, mais on ne peut nier l’authenticité qui s’infiltre dans le personnage au fil du temps, ni le caractère brut des derniers instants. McCormack offre une performance imposante dans le rôle de Leo Grande, mais bien qu’il soit le seul autre personnage du film, il n’a pas autant de possibilités que Thompson. Alors que le deuxième acte menace de donner un arc à son personnage, il retourne à ses occupations habituelles au troisième acte. Mes rendez-vous avec Leo donne l’impression d’avoir été réalisé dans le cadre du protocole Covid, avec un nombre limité de personnes à l’écran et probablement sur le plateau. Mais on n’a pas non plus l’impression que les réalisateurs ont sacrifié quoi que ce soit pour réaliser le film. Bien qu’il puisse être rebutant au départ, le long-métrage récompense finalement les spectateurs patients.

