Le 26 mars 1968, Iouri Gagarine trouvait la mort dans un accident d’avion. Héros légendaire de la conquête spatiale, Iouri Gagarine est le premier homme à avoir atteint l’espace et fait une révolution complète en orbite autour de la Terre. Cela se passait le 12 avril 1961, sur la base secrète de Tiouratam baptisée ensuite Baïkonour, du nom d’une ville située à 400 km de là, pour déjouer d’éventuels bombardiers américains.


GAGARINE, PREMIER HOMME DANS L’ESPACE ! Par Sylvie Rouat
Ce jour-là, dans le petit matin sec des steppes kazakhes, Iouri Gagarine n’est encore qu’un jeune homme de 27 ans, au caractère simple et enjoué, père de deux fillettes. Son sort n’a été scellé que quatre jours avant le vol, lorsque la commission d’Etat l’a préféré à Hermann Titov, qui deviendra dès lors sa doublure. Dans l’autobus, qui mène Gagarine et Titov vers le pas de tir, le premier est pris d’une envie pressante. Il fait arrêter l’autobus pour se soulager sur la roue du véhicule. Depuis, ce même « acte historique » est accompli par tous les cosmonautes en partance pour l’espace depuis Baïkonour. Puis c’est l’accolade avec Sergueï Korolev, père de l’astronautique russe et mentor du jeune Gagarine. Iouri est installé dans le vaisseau Vostok (Orient en russe). Dans sa poche, sa carte d’identité indique pour profession: « cosmonaute n°1 ». 9h07 : c’est le décollage. Tous moteurs allumés, la fusée s’élève doucement, mollement. « Il fallait du cran pour se lancer le premier à cette époque, rappelle Jean-Pierre Haigneré. La fiabilité du vol était très faible, compte tenu des tirs précédents…Gagarine avait moins d’une chance sur deux de revenir vivant. Et il le savait parfaitement.
Sanglé dans son fauteuil, Gagarine semble pourtant n’éprouver aucune terreur, si l’on en croit les témoins de la base qui communiquent par radio avec lui. Moins d’un quart d’heure plus tard, Cèdre (le nom de code de Gagarine pour le vol) est en orbite et éprouve la sensation inédite de l’apesanteur. Il contemple, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la Terre vue de l’espace. « Une vraie splendeur », s’exclame-t-il à la radio. Le lendemain devant la commission d’Etat, il décrira le spectacle…Je pouvais voir la ligne d’horizon, les étoiles, le ciel. […] On voit bien la rondeur de la Terre. Elle est bordée d’un joli bleu. Gagarine mange et boit, tandis que son vaisseau pénètre dans l’ombre de la Terre. Lorsqu’il en sort, Iouri aperçoit la ligne d’horizon…Bordée d’une lueur orange semblable à la couleur de mon scaphandre, qui tirait sur le bleu en un dégradé d’arc-en-ciel et qui finissait dans le noir. Un noir absolu.



Le vaisseau Vostok réalise une trajectoire de 327 km d’apogée et 181 km de périgée. Soit une orbite bien trop haute par rapport au plan de vol. Si le système de rétrofreinage était tombé en panne, Gagarine aurait dû rester 50 jours dans l’espace avec seulement dix jours de provisions en air, électricité et vivres ! Fort heureusement, après un tour de Terre, le vaisseau rentre dans l’atmosphère. C’est la phase la plus éprouvante du voyage. La séparation avec le module de service se fait avec dix minutes de retard. Gagarine entend des craquements, voit des flammèches à travers les hublots et sent le brûlé, tandis que la capsule tourne sur elle-même comme une toupie. Enfin, à 7000 mètres d’altitude, il est éjecté violemment hors du vaisseau pour achever la descente en parachute, une fin de vol «sportive» qui sera soigneusement tenue secrète jusqu’à la fin des années 1990. Les Soviétiques avaient peur, en effet, que le vol ne soit pas homologué par la Fédération aéronautique internationale, qui exigeait que les records de vols soient réalisés à bord d’un même aéronef. A 10h55 donc, Iouri se pose dans un champ sur la rive de la Volga, au sud-ouest d’Engels. La première incursion dans l’espace aura duré en tout 108 minutes. Sur le chemin du village voisin, les paysans rencontrés sont déjà au courant du vol, annoncé quelques minutes avant par Radio Moscou. Iouri Gagarine est dorénavant un héros international. Et le monde occidental se réveille groggy. Pour les Américains, c’est une claque monumentale. Une de plus car la semaine suivante, ils allaient essuyer le désastreux échec de la baie des Cochons, à Cuba. La déconfiture spatiale des Etats-Unis avait déjà commencé le 4 octobre 1957, avec le bip bip audible dans le monde entier de Spoutnik-1, premier objet humain à atteindre l’orbite spatiale. C’est avec cette boule métallique hérissée d’antennes que nous sommes entrés dans l’ère spatiale. Et c’est avec elle que l’Union soviétique débute la course spatiale en tête, dans le contexte politique très tendu de la guerre froide. Un mois plus tard, deuxième coup de théâtre le 3 novembre, Spoutnik-2 emporte en orbite pour la première fois un être vivant , une petite chienne des rues nommée Laïka, qui mourra en orbite. En août 1960, ce sera au tour des deux chiennes Belka et Strelka, accompagnées d’un lapin, de 40 souris, de 2 rats, de mouches et autres plantes, de faire un tour dans l’espace. Ils rentrèrent tous sur Terre le jour suivant, premiers êtres vivants à avoir fait l’aller-retour avec l’espace.


Pour préparer le premier vol d’un homme dans l’espace, les Soviétiques ont battu la campagne afin de recruter vingt futurs cosmonautes. Les hommes sélectionnés ne sont pas forcément des superhéros car il est prévu en effet qu’ils volent dans une capsule automatique contrôlée depuis le sol et n’ont donc pas besoin de connaissances particulières. Tous, cependant sont des pilotes et critère important pour tenir dans la petite capsule Vostok font moins d’1,70 m. Gagarine, jeune homme de seulement 1,59 m, n’est ni le plus brillant, ni le plus héroïque du groupe. Né dans une famille très modeste le père est charpentier et la mère paysanne dans l’oblast de Smolensk, il a quitté rapidement l’école secondaire pour devenir ouvrier fondeur à l’école technique industrielle de Saratov. C’est là qu’il devient pilote amateur à l’aéro-club de la ville. En 1955, il entre à l’école de l’air Tchkalov d’Orenbourg et devient pilote de chasse sur Mig-15. Il rejoint ensuite une base aérienne du Grand Nord, dans la région de Mourmansk, où il vole finalement très peu. C’est là que Gagarine est recruté, comme 3000 autres pilotes à travers l’URSS. A la fin de 1959, la sélection finale retiendra donc vingt hommes, la fameuse « promotion Gagarine ». Sergueï Korolev réunit ses hommes sur un vaste site encore vierge à 40 km de Moscou. Il n’y a encore qu’un bâtiment, qui deviendra le cœur de la Cité des Etoiles. Korolev met au point un programme d’entraînement difficile, qui sert aujourd’hui encore de base pour les futurs cosmonautes. La compétition est intense pour être le premier à voler. Korolev remarque le jeune homme au doux sourire, endurant, intelligent et bon camarade. Au printemps 1961, il ne restera plus que Titov et Gagarine…Gagarine a finalement été choisi pour sa belle gueule, son jeune âge, son passé d’ouvrier et d’homme du peuple. C’était le profil idéal du héros accessible, alors que Titov était fils de professeur…



Pour la commission d’Etat qui le choisit, Gagarine est ainsi appelé à devenir un symbole pour tous les Soviétiques. En fait, il deviendra après son vol une icône pour le monde entier et un ambassadeur de l’Union soviétique à travers la planète. Il est mis sous cloche. Mais Iouri est à l’aube de sa vie. Il veut voler à nouveau dans l’espace et reprend dans ce but le chemin de l’école. Hélas, le sort s’acharne contre lui ..Il obtient d’être la doublure de Vladimir Komarov, mais celui-ci meurt le 24 avril 1967 à bord de Soyouz 1. C’est le premier mort de l’histoire spatiale et Gagarine, héros national, ne sera plus jamais autorisé à aller dans l’espace. Devenu directeur de l’entraînement à la Cité des Etoiles, Gagarine veut se reconvertir en pilote de chasse. Il meurt ainsi, en 1968, avec son instructeur lors d’un vol de routine à bord d’un Mig-15. Les raisons de cet accident demeurent un mystère, les documents officiels, classifiés, n’ayant toujours pas été rendus publiques. Les deux hommes ont été inhumés dans le mur du Kremlin.
