Varanasi…Folies !!!

Trois jours à découvrir et arpenter le centre de cette ville « Folle » comme seul l’Inde en a le secret. Avec plus de deux millions d’habitants et près de 8 millions de pèlerins par an, de 5 heures du matin à 22 heures vous vivez dans le bruit des klaxons qui animent le mouvement presque perpétuel de sa population. Sur le bord du Gange pour un bain sacré…Construire un bateau à partir de rien…Vendre des bidons plastiques pour récupérer de l’eau du Gange…Travailler sans limite, sans espaces…Attendre dans les rues…

 

Retour sur Images…

 

 

 

Croiser un cortège irréel..?

 

 

 

Une, parmi Mille autres traditions…

 

 

 

Danser la liberté d’exister…

 

 

 

 

LE MARIAGE UNE AFFAIRE DE FAMILLE

 

 

 

En Inde, plus de dix millions de couples se marient chaque année, mais un quart seulement sont des mariages dits d’amour. La pratique du mariage arrangé semble loin d’être révolue, même dans les milieux les plus privilégiés. Le mariage reste une question importante en Inde aujourd’hui, principalement parce que la société indienne s’organise autour de la famille. La notion de famille, en Inde, s’entend au sens large…Frères, sœurs, parents et grands-parents, mais aussi beaux-frères et belles-sœurs et leurs propres parents, frères et sœurs, etc. Le mariage est le moyen de perpétuer cette structure clanique.

 

Lors d’un mariage, ce sont deux familles qui s’épousent, non deux individus. Il faut que ces dernières s’entendent et soient sur la même longueur d’ondes pour que l’union advienne.

 

De même, si des parents choisissent de ne pas imposer de mariage à leur enfant, la décision ne leur revenant pas entièrement, ils doivent rendre des comptes à leurs proches. Tanuja évoque le cas de sa fille, partie faire un doctorat dans une prestigieuse université londonienne

 

A 27, 28 ans, je lui ai dit qu’il était temps de songer à se marier. Elle a si bien négocié que j’ai laissé tomber mais le reste de la famille a beaucoup de mal à comprendre. On me dit que je suis une mauvaise mère..Un enfant qui ne se marie pas, c’est un échec pour les parents. Le mariage, c’est avant tout une façade, une convention.

 

 

 

 

Parmi les élèves interrogé·es peu sont celles et ceux qui remettent en cause l’impératif que constitue le mariage une fois atteint un certain âge. Cet âge se situe globalement autour de 27 ans pour les garçons, et 25 ans pour les filles. Ayuush, 22 ans, originaire du Punjab, considère que ses parents sont «plutôt chill» puisqu’ils lui laissent jusqu’à ses 28 ans pour se marier. Cela lui permet d’étudier, il suit un programme de MBA en management avant de rejoindre le business familial et de voyager. Après cela, il épousera sa petite-amie s’il en a une et qu’elle plaît à ses parents ou, le cas échéant, ils lui présenteront des jeunes filles. Mariage arrangé ou mariage d’amour, cela ne fait pas de différence pour lui...Les deux me vont, j’ai confiance en mes parents pour me trouver quelqu’un de bien. Il en va de même pour Tina, 23 ans, originaire de Delhi. Elle dit ne pas ressentir de pression à l’idée de devoir trouver un partenaire qui lui plaise avant cette deadline, qui pour elle se situe autour de ses 25 ans…Dans tous les cas, je suis sûre que mes parents me trouveront quelqu’un. Plus encore que l’acceptation de la convention, c’est cette confiance envers leurs parents qui caractérise la plupart des étudiant·es interrogé·es. Ainsi Shubham, jeune avocat de 26 ans vivant à Jodhpur n’a, à ce jour, pas prévu de se marier tout de suite, mais témoigne…Si mes parents me présentent une fille et qu’elle me plaît, j’accepterai de l’épouser. Le mieux encore pour moi serait de me marier avec une femme que j’aime…rencontrée par l’intermédiaire de mes parents. Un sondage Ipsos datant de 2013 estime ainsi que 74% de jeunes Indien·nes ayant entre 18 et 35 ans préfèrent que ce soit leurs parents qui choisissent leur futur·e partenaire.

 

 

 

 

Bien que la Constitution indienne affirme l’égalité des citoyens, la question des castes reste présente en Inde, dictant en filigrane l’organisation de la société et expliquant ainsi le besoin de marier ses enfants à quelqu’un de la même origine. Le succès de sites comme BharatMatrimony (plus de trois millions d’utilisateurs actifs) ou IITIIMShaadi, destinés à aider les futurs époux à rencontrer quelqu’un correspondant à leurs critères, illustre l’importance accordée encore aujourd’hui à la caste. Lors de la création d’un profil sur BharatMatrimony, il faut d’abord renseigner ses coordonnées et la personne que l’on cherche à marier, nous-même, son fils, sa fille, un·e ami·e…Ensuite, une barre de choix déroulante nous invite à choisir la caste. Le choix d’une sous-caste et du gotra (lignée héréditaire à l’origine du nom de famille) sont optionnels. Enfin, une petite case à cocher en dessous permet d’indiquer si l’on est ouvert au mariage intercommunautaire. Cette pratique tend néanmoins à s’amoindrir dans les métropoles, mais varie selon le degré de conservatisme des familles. Pour Shubbham, se marier dans sa caste n’a plus aucune importance…On n’est plus à l’époque de nos parents ou grands-parents, où l’horizon se cantonnait à un village. Aujourd’hui, on voyage, on sort, tout nous est possible.

 

 

 

 

Le mariage arrangé n’est pas nécessairement perçu négativement chez les jeunes personnes interrogées. Au contraire, beaucoup, comme Shubbham, prennent l’exemple du mariage heureux de leurs parents…Mes parents se sont rencontrés lors de leur nuit de noces. À l’époque, on ne se voyait pas avant le mariage, et même durant la cérémonie, la mariée était entièrement voilée. Ils sont tombés amoureux et sont très heureux ensemble. À ce sujet, Tanuja explique…Le modèle qui prévaut dans la culture occidentale, c’est la passion d’abord, l’amour, après quoi vient l’engagement. Ici, on commence par s’engager, et si l’on a de la chance, l’amour et la passion suivront. Notre système est très défini, ce qui assure une grande stabilité. C’est la qualité du mariage qui varie.

 

 

 

 

D’après Tanuja, un mariage arrangé a moins de risques d’échouer car l’engagement est pris très au sérieux, par les époux et par les familles. Toutefois, la responsabilité du mariage incombe plus souvent à la femme qu’à l’homme. Lorsqu’une femme se marie, elle prend le nom de son époux et le couple s’installe dans la famille de l’homme. La femme quitte alors sa famille pour celle de son époux. En cas de divorce, elle n’appartient plus à aucune de deux familles, d’où l’importance pour elle de maintenir le lien du mariage. Le mariage arrangé, dont les parents sont en quelque sorte garants, constitue alors une sécurité pour les femmes, les empêchant de se retrouver socialement déclassées en cas de séparation. Le taux de divorce est, de fait, extrêmement bas en Inde soit 1,1%, et concerne principalement les mariages «d’amour». La raison, selon Tanuja, est due à l’environnement patriarcal dans lequel grandissent les futurs époux. Ceux-ci ne vivant pas ensemble avant d’être mariés, et la répartition des tâches étant tout sauf égale, la cohabitation se révèle parfois impossible. Toutefois, on voit aujourd’hui apparaître une nouvelle pratique qui illustre la tension entre aspiration libertaire et respect des parents à laquelle les jeunes Indien·nes font face le «self-arranged marriage», ou «love-arranged marriage». Pour perpétuer la tradition du mariage arrangé, censé apporter stabilité maritale et partage de valeurs et ainsi rassurer la famille tout en épousant la personne de son choix, la nouvelle génération a trouvé un subterfuge: suivre toutes les étapes du mariage arrangé, avec la personne que l’on souhaite épouser. Certains couples font ainsi semblant de se rencontrer à travers des sites matrimoniaux afin d’honorer la convention et de légitimer leur union auprès de leur famille.

 

 

 

 

Après la vie, la mort…

Expérience saisissante sur cet espace tant attendu, espéré par beaucoup. Des tonnes de bois arrivent par le fleuve, élément essentiel de ce qui suit…Sans argent vous serez brûlé par un bois sans qualité, tout en bas du gath et mélangé et empilés les uns après les autres dans le brasier alimenté sur la journée et « nettoyé » dans la nuit avant que vos cendres ne soient « triées » pour y rechercher la moindre richesse…Pour les plus riches vous brûlerez au plus haut du Gath, dans les flammes du bois précieux de Santal. Nous sommes là, sans y être, partagés par le désir de « voler » des images de cet endroit totalement décalé et incroyable par sa dimension et son intensité et conscient d’être là ou il ne faut pas être…

 

 

 

 

 

Gardiens des bûchers funéraires…

Depuis des siècles, la basse caste des Doms entretient les célèbres bûchers funéraires de Varanasi, ville sacrée de l’hindouisme dans le nord de l’Inde. Sur les ghats, ces escaliers de marches tombant dans le Gange, une fumée noire à l’odeur lourde s’élève des brasiers. Sous le regard de mendiants et chiens errants, Bahadur Choudhary ordonne à ses assistants d’ajouter davantage de bois aux bûchers de corps et de verser du beurre clarifié dans les flammes. Sur cet espace de crémations sur la berge du fleuve, les feux brûlent jour et nuit, sans interruption. Pour les hindous, être incinéré à Varanasi (Bénarès) permet d’atteindre le « moksha », l’extinction de l’âme, but ultime des croyants, et donc de mettre un terme au cycle des réincarnations. Scène d’une Inde hors du temps, les bûchers de Varanasi représentent cependant un travail éreintant pour la communauté dalit (autrefois appelée « intouchable ») des Doms, pauvres et analphabètes, qui en a la responsabilité.

 

 

 

 

Beaucoup de travailleurs tombent malades à cause des longues heures sous le soleil et dans la chaleur des bûchers en feu…raconte Bahadur Choudhary, quatrième génération de sa famille à se consacrer au ghat Manikarnika. Les Doms ont la charge de tout le processus de crémation, de l’entretien des feux à l’approvisionnement en bois en passant par les ventes de fleurs ou autres décorations pour le dernier voyage des défunts. Une tâche considérée comme impure. Dans les ruelles tortueuses et pentues du vieux Varanasi, des convois d’hommes descendent sur des brancards la dépouille d’un proche recouverte d’un linceul. Les femmes sont interdites en ce lieu, de peur que leur larmes ne « retiennent » l’âme. La communauté de croque-morts survit seulement de la générosité des familles endeuillées…Certains ont à peine les moyens de payer la crémation, d’autres font des donations généreuses, et offrent même de nourrir tous les travailleurs.

 

 

 

Ainsi, il ne gagne parfois que 150 roupies (2 euros) pour une journée de travail physiquement épuisante qui peut s’étirer sur 18 heures. Les meilleurs jours peuvent en revanche rapporter jusqu’à 65 euros…Dans ces conditions, certains Doms cherchent des objets de valeur, comme des bijoux en or ou même des dents en or, laissés sur les corps par leurs proches…Lorsqu’ils trouvent quelque chose dans les cendres, ils le vendent pour en tirer ce qu’ils peuvent…L’incinération finie, les restes sont lâchés dans les eaux sombres du Gange. Bahadur Choudhary a essayé d’éduquer ses fils pour qu’ils aient une vie différente de la sienne.

 

Mais tous deux ont arrêté l’école pour suivre les pas de leur père, ainsi appelés à devenir la cinquième génération de leur famille à exercer ce macabre métier…Les temps peuvent changer mais rien ne changera ici. Les gens continueront à mourir et à venir à Varanasi, et demanderont aux Doms d’effectuer le travail sacré des dieux.

 

 

 

 

Mourir à Varanasi…

Réputé pour effacer tous les péchés et mettre un terme au cycle des renaissances, raison pour laquelle des milliers d’hindous souhaitent rendre leur dernier souffle dans cette ville. Deux ghats sont dédiés à la crémation des morts, le plus fameux étant Manikarnika. Il est l’un des plus anciens et des plus sacrés de tous les gaths de Varanasi. Vers 1740, Jai Singh II de Jaipur fait construire en surplomb du Man Mandir Ghat un de ses cinq observatoires astronomiques.

 

 

 

 

 

LA MORT VOUS VA SI BIEN…

De nombreux hindous font le pèlerinage vers cette ville sainte pour faire brûler leurs restes sur les rives du Gange. VARANASI, semblable à un labyrinthe, est l’une des plus anciennes villes continuellement habitées au monde et la plus sainte des sept villes sacrées de l’hindouisme. On pense que si quelqu’un est incinéré à Varanasi et que ses cendres sont rejetées dans l’eau sacrée et purificatrice du Gange, son cycle de réincarnation se terminera et il atteindra le Nirvana. Pour ceux qui vivent ou visitent Varanasi, une prise de conscience de la mort est inévitable. Principale économie de la ville., chaque jour au Manikarnika Ghat, le ghat de crémation le plus grand et le plus propice, de très nombreux corps sont incinérés sur des bûchers en bois le long du bord de la rivière. Le ghat avec ses marches menant à l’eau bénite, fonctionne 24 heures sur 24, tous les jours de l’année. On dit que la flamme éternelle qui alimente les feux brûle depuis des siècles. Pour certains Occidentaux, cela peut sembler un endroit sombre et macabre, mais Varanasi est pleine de vie et de célébrations.

 

Mourir et être incinéré à Varanasi, c’est avoir la chance d’atteindre Moksha (la fin du cycle de renaissance), un grand honneur et le but ultime de l’existence terrestre. La ville regorge de temples, de cérémonies religieuses, d’encens brûlant et d’offrandes à Shiva, et les étrangers sont les bienvenus pour assister aux rituels de crémation et se réjouir avec les familles que leur être cher est entré dans le Nirvana. Regarder le coucher de soleil sur un bateau avec les bûchers brûlant au premier plan, c’est vivre une autre façon de penser la vie et la mort. Bien que regarder les crémations soit le bienvenu, la photographie est strictement interdite et si vous essayez, ne soyez pas surpris si quelqu’un vous arrête agressivement…

 

Les photos peuvent interrompre l’âme entrant dans le Nirvana…

 

 

 

Spécialiste du bûcher funéraire depuis 3 500 ans…

 

Ram nam satya hai / Ram nam satya hai » « Le nom de Ram est vérité ». A intervalles réguliers, ce cri résonne dans les ruelles tortueuses et pentues de la vieille ville de Varanasi. Quelques secondes plus tard apparaît un cortège funéraire, des hommes transportant une dépouille sur un brancard de bambous. Un coup d’œil au linceul suffit pour renseigner sur l’identité du défunt…

Or, un vieil homme…un homme… Orange, une vieille femme… Rouge, une femme.

La procession poursuivra sa descente sous le regard indifférent des passants, habitués à ce spectacle, pour finir sur les rives du Gange.

 

 

 

 

Dans cette ville sacrée hindoue, les rives du fleuve sont formés de « ghats » longs de plusieurs kilomètres. Sur ces grands escaliers qui descendent directement dans l’eau, les pèlerins pratiquent leurs ablutions et rituels. Des 84 ghats que possède la ville, l’un d’entre eux se démarque particulièrement…Manikarnika Ghat. Ici, depuis près de 3 500 ans, des cadavres sont travaillés par les flammes sans interruption. Si la tradition hindoue veut que l’on brûle la dépouille après la mort, être consumé par le feu à Varanasi a une signification toute particulière…Varanasi étant une ville sacrée hindoue, être incinéré à cet endroit permet d’atteindre “moksha”, la sortie du cycle des réincarnations [le salut, but ultime de tout hindou] C’est à peu près le seul endroit, avec Bodh Gaya, où cela est possible. ». Surplombé par le temple de Shiva, le ghat se compose de deux plates-formes disposées en escalier juste au-dessus du fleuve. Quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, les flammes sont toujours à l’œuvre. Entre 150 et 400 cadavres passent ici chaque jour.

 

 

 

 

Krishna, un homme entre deux âges, travaille ici depuis deux ans et demi. Artisan dans une usine, il aide à l’hospice situé un peu plus haut…Je viens ici tous les jours, dès que j’ai du temps libre. Ce travail n’est pas payé, je fais cela pour mon karma. La « moksha guest-house » où il travaille accueille des personnes en fin de vie, sans ressources généralement, qui viennent ici pour mourir, en attente du salut. La plupart des crémations sont réalisées sur les deux étendues en escalier devant le fleuve. Seules les plus hautes castes (Brahmanes, Ksatriya, Vaisya) ont un espace réservé un peu en surplomb. Même jusqu’ici, les castes structurent la répartition des tâches. Krishna, issu d’une caste « pure », ne pourrait par exemple faire le travail de ces hommes qui, à l’aide de longs bambous, entretiennent les foyers à longueur de journée…

 

Ils viennent d’une caste spéciale, ce sont des doms. Brûler les cadavres est le travail auquel ils sont assignés.

 

 

 

Tout au bord du fleuve, une cabane vend des parpaings de pierre. Ils sont destinés aux personnes déjà sauvées, dont la dépouille n’a donc pas besoin d’être brûlée pour atteindre le salut…Sadhus (ascètes hindous) Enfants (considérés comme encore innocents) Personnes décédées d’une morsure de cobra (signe de Shiva)…Une barque attend pour emmener les cadavres ainsi lestés au milieu du fleuve et les y immerger.

 

 

 

Pour les autres, chaque crémation suivra le même rituel immuable. Au milieu des vaches qui s’abreuvent avant d’aller retourner errer autour des bûchers, le défunt est baigné pour la dernière fois dans le Gange. Le maître de cérémonie, l’homme le plus âgé de la famille, est ensuite emmené se préparer à la suite du rituel. Il reviendra tête rasée et vêtu uniquement d’un « lungi », un grand drap blanc. Pendant ce temps le cadavre est disposé sur le bûcher. Munis d’une gerbe de foin allumée par le feu du temple de Shiva, le maître de cérémonie et les proches doivent faire cinq fois le tour du bûcher avant de l’enflammer. Le spectacle de cette famille courant autour du bûcher pour finir ces rotations avant que la gerbe de foin ne brûle les mains a quelque chose de tragi-comique. Le feu prend vite, consumant d’abord le linceul et les apparats, faisant apparaître la dépouille. La crémation durera ainsi entre deux et trois heures. L’ambiance qui règne sur le ghat n’a rien de l’austère et déprimante ambiance des enterrements.

 

 

 

Les hommes s’assoient sur les marches à contempler, à perdre leur regard dans le Gange, à discuter un peu, à prendre un thé…Aucune femme à l’horizon…

 

On ne peut pas pleurer ici, cela retient l’âme. Le cœur des femmes n’est pas assez fort pour cela, c’est pourquoi elles restent à la maison…

 

La crémation du proche de ce grand homme mince est finie. A l’aide de deux longs bambous, il saisit le morceau du corps qui n’a pas été consumé. Avançant précautionneusement, il s’applique à ne pas le faire tomber. Arrivé au bord du Gange, il lâche le reste de la dépouille dans les eaux du fleuve pour son dernier voyage. Il retourne ensuite près du lieu du bûcher, trace des mantras (formules sacrées) dans la terre avant de répandre du lait dessus. Puis, tourné vers les plates plaines de l’autre rive, il jette un pot d’eau par-dessus son épaule, sur le bûcher. Il s’en va, sans jeter de regard en arrière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après ces trois jours incroyables. Demain nous partons en direction de Delhi mais avec un nouveau chauffeur à la découverte de l’état de l’Uttar Pradesh, le plus peuplé des 29 états Indiens. Pour les plus assidus, à lire ci-dessous, un article sur la situation sanitaire extrême de Varanasi, ville encore plus folle que je nous le pensions…

 

 

 

 

 

VARANASI…Ville la plus toxique» d’Inde…

Dans cette cité sainte pour les hindous, les niveaux de pollution explosent tous les seuils réglementaires. En cause, l’agriculture, les centrales à charbon ou les crémations rituelles. Quatre bébés en meurent toutes les heures dans l’Etat d’Uttar Pradesh. J’avais 22 ans quand j’ai commencé à avoir des problèmes pour respirer. Les médecins me disaient que j’avais les poumons bouchés par la cigarette. Mais je n’avais jamais fumé…Raconte Shruti Singh. La jeune femme, alors étudiante en commerce dans l’Etat d’Uttar Pradesh, dans le nord de l’Inde, est baladée d’hôpital en hôpital pendant cinq ans…Ce n’est que l’an dernier que l’on m’a diagnostiqué une bronchite aiguë chronique due à la pollution. Le fond de mes poumons est envahi de particules fines. Je ne supporte plus les pics de température, même passer de l’ombre au soleil me rend malade. A Bénarès, ce jour de mars, le taux de particules fines atteint 353 microgrammes pour un mètre cube d’air. A Paris, le niveau d’alerte est déclenché à 80, mais en Uttar Pradesh, c’est un jour comme un autre. Prise de malaise, Shruti Singh s’arrête soudain sur le bord de la route pour vomir…Je ne peux plus danser, je ne peux plus voyager, je ne peux plus courir, même pas prendre une boisson fraîche. Mais j’ai un emploi ici, mes parents sont âgés, je ne peux pas vivre ailleurs…Avec pas le moindre jour de bon air en 2016, Bénarès (ou Varanasi), ville sainte pour les hindous, a été classé par des chercheurs indiens comme «ville la plus toxique» du pays, devant la mégapole de New Delhi. Bénarès n’apparaît pourtant pas dans le dernier classement des 20 villes polluées du monde établi par l’OMS, contrairement à ses voisines Allahabad et Lucknow, car le système de mesure de pollution ne fournit pas de données tous les jours.

 

La crémation rituelle en est une des raisons…Elle se tient depuis des siècles sur les quais du Gange et nécessitebeaucoup de bois pour chacun des 40 000 corps incinérés chaque année. Mais elle est loin d’être la seule…La situation est à la fois particulière et très similaire au reste de l’Etat, explique Sunil Dahiya, de Greenpeace Inde. Car comme ailleurs, la pollution la plus visible provient des ordures ménagères brûlées dans les rues faute de système de ramassage, des chantiers de construction mal gérés, des transports au gazole et de la cuisine domestique à la biomasse [bois, charbon, bouse séchée, ndlr].» Contrairement aux grandes villes indiennes, les voitures individuelles sont encore rares dans l’agglomération de Bénarès, qui compte plus de 2 millions d’habitants et où les conducteurs de rickshaws-vélos transportent à la force des mollets leurs passagers sur des sièges en skaï. Les rues sont encombrées de camions-bennes multicolores qui crachent une épaisse fumée, de motos pilotées par des jeunes sans visage, emmitouflés dans des foulards, et des triporteurs à moteur qui font office de taxi pétaradent jour et nuit. La municipalité a bien mis en service 6 000 rickshaws électriques, mais ces voiturettes de golf, trop inconfortables sur les rues défoncées, sont boudées par les habitants. Et aucune station de recharge n’a été prévue…

 

Aller chercher l’air pur à la campagne est peine perdue. Les environs sont hérissés de fours à briques, tant l’Etat, en plein boom démographique et urbain, démolit et agrandit sans cesse routes et bâtiments. Même loin du brouhaha de la ville, à 25 kilomètres, dans un paisible hameau au milieu des champs, la poussière qui filtre les rayons du soleil déclenche des nausées, de la toux et des maux de tête…Le gouvernement et les médias pensent que l’air de la campagne est meilleur que dans les villes. C’est un mythe. Nous faisons des mesures dans les zones urbaines et rurales de l’Uttar Pradesh, et toutes sont autant polluées. Les émanations industrielles voyagent loin et ne connaissent pas les limites administratives, assène Ravi Shekhar, un des responsables de l’ONG locale Climate Agenda, qui organise pétitions, manifestations et happenings pour sensibiliser la population. L’agriculture, développée de manière intensive en Inde depuis les années 60, n’est pas pour rien dans la dégradation de l’air…D’une part, les engrais azotés, les rizières et les élevages[l’Inde est le premier producteur au monde de lait et premier exportateur de viande bovine, ndlr] dégagent du méthane et du protoxyde d’azote, deux puissants gaz à effet de serre. D’autre part, la fabrication des engrais, le pompage de l’eau avec de l’électricité produite par des centrales à charbon et le brûlage de résidus de cultures émettent massivement des particules de carbone, explique Bruno Dorin, chercheur du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement détaché au Centre des sciences humaines à New Delhi. Chaque automne, après les feux d’artifice de la fête de Diwali, l’air devient encore plus irrespirable sur l’immense plaine indo-gangétique qui s’étend du Bangladesh au Pakistan.

 

Avec le système de rotation de culture riz-blé, les paysans ont peu de temps pour passer de l’un à l’autre. Plutôt que de payer pour récolter la paille de riz et la transporter vers les élevages, ils préfèrent la brûler sur place, même si ça brûle aussi la vie de leurs sols…précise le chercheur. En novembre, quand tous les regards étaient tournés vers New Delhi enfoui sous le smog et qualifiée de «chambre à gaz» par les juges de la Haute Cour, les pèlerins qui viennent par dizaines de milliers à Bénarès étaient encore plus mal lotis, avec 999 le taux maximum de particules fines mesurable, relevé par Greenpeace dans la vieille ville. La population paie le prix fort de ce désastre. Le docteur R.N. Vajpayee, qui dirige une clinique spécialisée dans les allergies à Bénarès, constate une forte augmentation des maladies cardiovasculaires et pulmonaires chez ses patients. Celles-ci sont causées par les particules les plus fines, les plus dangereuses car elles pénètrent profondément dans l’organisme. Début mars, la moyenne de PM 2,5 était de 168 dans la ville, soit trois fois le standard indien (60) et six fois le taux maximal recommandé par l’OMS (25) avec, le matin, des pics au-dessus de 300. Selon les statistiques de l’Unicef, quatre bébés meurent de la pollution toutes les heures en Uttar Pradesh…De fait, la population vit dans un état d’urgence sanitaire continuel…déplore Sunil Dahiya. Dans un Etat rongé par la pauvreté, où les lobbys industriels sont puissants, le développement économique a été jusqu’à aujourd’hui la seule priorité. L’accès à l’électricité y est un problème crucial.

 

Dans le village de Nagarpur, à une heure de route de Bénarès, des bouses de vache qui serviront de combustible sèchent dans la cour de Pancham. Cet agriculteur, père de huit enfants, montre la perche avec laquelle il se raccorde sauvagement au réseau, comme beaucoup d’Indiens…L’électricité n’a jamais été amenée jusqu’à la maison, alors on fait comme ça, c’est plus simple…explique-t-il candidement. Dans ce village-pilote, «adopté» par le Premier ministre, élu de la circonscription, les habitants et les agriculteurs dépendent des quinze centrales thermiques à charbon installées dans un rayon de 65 km autour de Bénarès, ou encore de générateurs diesels individuels, tous très polluants. L’usine solaire qui devait fournir de l’électricité à 20 foyers est à l’arrêt à cause d’un litige foncier, et les miniprogrammes restent rares à cause du prix élevé des panneaux de toit. Les autorités locales et nationales prennent peu à peu conscience du fléau. Une station de mesure a été installée à Bénarès en 2015, circonscription où a été élu le Premier ministre, Narendra Modi. Seulement sept sont en service en Uttar Pradesh, pourtant l’Etat le plus peuplé d’Inde avec plus de 200 millions d’habitants (autant que le Brésil), contre quatre l’an dernier…Les choses bougent si lentement, mesurer n’est pas une solution en soi. Mais au moins, ça oblige le gouvernement à considérer la pollution de l’air comme un problème.»

 

Au bord des routes, le sourire de Narendra Modi s’étale sur des affiches qui vantent un programme de subventions de bonbonnes de gaz, destiné à remplacer les réchauds à pétrole et la combustion de bois. Des compteurs individuels sont installés pour limiter la consommation d’électricité et les brûlis agricoles sont désormais punis d’amende. Surtout, le pays se lance massivement dans l’énergie solaire. Lors de sa visite à Bénarès le 12 mars, Emmanuel Macron a inauguré la centrale de 75 mégawatts construite par Engie à Mirzapur…C’est la première grande usine solaire en Uttar Pradesh. Elle va montrer qu’il y a une autre solution que le charbon, se félicite Ravi Shekhar. Le gouvernement a annoncé la conversion de tous les véhicules à l’électricité pour 2030. Nous sommes d’accord, mais seulement si l’électricité ne vient pas du charbon. En décembre, le gouvernement a annoncé un programme national pour un air propre, avec pour objectif de réduire la pollution de l’air de 35% dans les trois ans, et de 50% dans les cinq prochaines années, mais les moyens d’y parvenir n’ont toujours pas été rendus publics. Lors de la visite d’État française, le Premier ministre, Narendra Modi, a vanté son projet de faire de Bénarès une «ville intelligente». Shruti Singh soupire…Je serai partie avant. Ou je serai morte…