Un parcours Héroïque !

Après avoir participé à la résistance, à la libération de Paris avec la compagnie St Juste on lui refuse de s’engager dans l’armée régulière, comme ses amis, pour continuer à libérer la France. Avec l’aide d’Eluard elle publie un livre de poèmes écrits en prison, avec en couverture un portrait d’elle fait par Picasso. Elle entre, grâce à ses camarades de résistance, Vercors et Eluard, dans des journaux tels que “Les Étoiles”, “Les Lettres Françaises » “La Vie Ouvrière” puis plus tard comme grand reporter à “L’Humanité”. C’était un journal où l’on risquait sa vie comme le prouve l’attentat de l’OAS qui l’a frappée à Oran en 1962. Sitôt rétablie, après un bref voyage en 1963 en Iran dans l’entourage du Général de Gaulle, elle réalise un scoop mondial en passant deux mois et demi dans le maquis Viêt-Cong, avec le journaliste australien Wilfrid Burchett.



De cet épisode de sa vie sont sortis, en dehors des reportages écrits dans diffèrent journaux de France et d’Europe, un film réalisé par Roger Pic pour “Cinq colonnes à la Une”, un disque et un livre: “Dans les Maquis Viêt-Cong” (Julliard) tiré à des centaines de milliers d’exemplaires et traduit en neuf langues. Par la suite, avec l’escalade américaine au Nord Vietnam, les collaborations de Madeleine Riffaud se sont élargies de “L’Humanité” à RTL (correspondante à Hanoi “Pavese Sera”) et dix heures de télévision européenne notamment pour l’Allemagne Fédérale. Le film en couleur “Haiphong face aux B 52” (avril 1972) fut diffusé aux USA par “CBS News”, par la télévision d’Allemagne Fédérale et par la Suisse. En 1973, loin de s’écarter de la vie, Madeleine Riffaud a voulu passer une fois de plus de l’autre côté du miroir, faire du grand reportage au coin de sa rue. Comme l’a écrit Yvan Audouard dans “Le Canard Enchaîné” : « Ce n’est pas la peine d’aller au bout du monde pour aller au bout de la nuit”. Après s’être fait embaucher comme fille de salle, au plus bas degré de l’Assistance publique, elle Écrit “Les linges de la Nuit” qui reçu un immense accueil dans toute la presse. De tirages en tirages, de livres de poche en livres de poche le livre a atteint en dix ans le million d’exemplaires. Depuis elle continue sa résistance bien évidemment, à l’exemple de son ami Vercors, en écrivant son besoin de témoigner.

 

 

 

MADELEINE RIFFAUD

23 Août 1924 – 23 Août 2024

 

Elle aurait pu avoir le même sort que Guy Moquet fusillé comme otage à Châteaubriant et rentrer ainsi dans la légende. Elle fait partie de ces résistants, « figures de l’ombre » qui ne sont pas morts, elle est de ces rescapés. Elle n’en est pas moins une héroïne. Tous les pays, tous les régimes, tous les partis usent du procédé de la mort du jeune héros pour exalter des vertus nationales, morales, patriotiques et donner en modèle l’exemplarité de leurs destins. En 1944 Madeleine Riffaud échappa au peloton d’exécution ainsi qu’au train qui aurait du l’emmener au camp d’extermination. Elle a pu ainsi participer activement à la libération de Paris. Elle nous permet grâce de passer du mythe de la résistance au concret d’une existence humaine incroyablement riche. Après 44, journaliste, elle écrie sur les guerres d’Algérie et du Vietnam, côtoyant Hô Chi–Minh ainsi que d’autres personnalités du tiers-monde et d’écrire des livres avec des tirages de plusieurs milliers d’exemplaires. De là est née sa passion pour le Vietnam, pour Ho Chi Minh puis pour le Viêt-Cong. Par ses articles de presse et ses reportages, elle fut avec Burchett une des seules journalistes à pouvoir vivre au quotidien dans les maquis du Viêt-Cong. Madeleine a encore dans ses archives des mètres de pellicules et des centaines de photos qui sont la preuve par l’image des personnages et des actions dont elle raconte la guerre contre un ennemi tout puissant. L’’aventure de la vie de Madeleine Riffaud est lié aussi à son talent de conteuse et d’écrivaine. Elle n’a pas peur de dire des vérités, même si cela dérange. C’est pour cela qu’elle n’a été récupérée par aucun parti, ils ont eu trop peur de sa liberté de parole.

 

Ecouter aussi bien ses silences que voir ses regards outragés. Désir de cette femme courageuse de laisser un testament où elle pourrait enfin dire, dévoiler des choses qu’elle à vécue, dont elle à été témoin ou tout simplement occulté pour être fidèle au Parti communiste des années 1944, celui de la Résistance. Il y a eu des documentaires sur la résistance de Madeleine Riffaud, mais tous s’en tiennent aux actes, à l’histoire, aucun ne la laisse raconter à sa façon comment une jeune fille de 17 ans se trouve aussi bien un pistolet à la main que dans les geôles de la gestapo puis du coté du FLN et du Viêt-Cong. Ce n’est pas facile pour une femme d’affronter cela, d’autant plus qu’en 1944 elle à du recommencer sa vie avec une énorme dépression. Rien n’a été facile pour elle, ni de rentrer dans la résistance, ni de devenir journaliste, ni de travailler au Vietnam…Elle a même du quitter son grand amour Thi au sous les ordres de Ho-Chi-Minh. Violée à l’âge de 16 ans, torturé à 20 ans, elle c’est construite soi même, avec une carapace faites de ses écrits, articles et indignations. Car Madeleine n’a jamais acceptée le monde tel qu’il est…et elle est toujours une vieille femme indignée !

 

 

1942-44 / La résistance et son engagement dans la lutte armée, son arrestation, torture, et enfin la libération de Paris.

1945-75 / Grand reporter en France, Algérie, au Nord et Sud Vietnam, au Laos.

1949-2004 / Sa grande histoire d’amour cachée avec le poète Thi Nguyem

1940-2024 / Les amis de Madeleine…Paul Eluard, Picasso, Vercors…Ho chi Minh, Aubrac, Rol Tanguy…et bien d’autres.

 

 

RESISTANTE.

 

1942, c’est à Saint-Hilaire-du-Touvet, prés de Grenoble (Isère), où elle est soignée pour une tuberculose, qu’elle rencontre un jeune homme qui la fait entrer dans la Résistance. Une fois guérie, direction Paris, où elle devient agent de liaison…Ayant fait ses preuves elle est entrée dans la Résistance armée à 18 ans. Officier FTP (Francs-Tireurs et Partisans) à 20 ans, elle exécute un officier allemand pour venger Charles Martini, un de ses amis résistants, abattu par une patrouille allemande. Arrêtée par un milicien et livrée à la gestapo, torturée, condamnée à mort, elle échappe par miracle à l’exécution…Il est facile de mourir à 20 ans pour une cause que l’on croit juste. Ce 19 août, Madeleine Riffaud sait que chacun de seconde est un instant volé à la mort…Un jour c’est un jour, et toute heure compte, lui avait dit une compagne de captivité. Elle est torturée pendant trois semaines, tandis que le phonographe passe en boucle des airs de Bach. Pour ne pas être violée, elle se fait passer pour juive. Un SS risquait la mort s’il couchait avec une juive. Elle est renvoyée à la prison de Fresnes. La condamnée doit être fusillée le 5 août. Son exécution est repoussée. Le 15, elle s’échappe du dernier train de déportés qui part de la prison de Fresnes vers le camp de Ravensbrück, un camp de concentration allemand réservé aux femmes. Après une médiation menée par le Consul de Suède, Raoul Nordling, elle est finalement libérée dans la nuit du 18 au 19 août. Après une nuit de repos dans un dortoir de la gare de l’Est, Madeleine Riffaud repart se battre. Son courage lui vaudra d’être nommée lieutenant au feu. Quatre jours plus tard elle attaque un train allemand avec la compagnie St Just, avec qui elle se bat jusqu’à la libération totale de Paris.

 

 

 

 

VIETNAM DU SUD.

 

Dès 1963 Madeleine Riffaud fut une des rares journalistes occidentales admises à pénétrer dans le maquis Viêt-Cong. L’essentiel de cette évocation portera bien sur ce Viêt-nam où Madeleine Riffaud a passé tant de mois et d’années comme correspondante de guerre. Elle filme, et photographie afin de dénoncer les horreurs de la guerre et raconter aussi, la solidarité et l’enthousiasme de ce peuple qui souffre et lutte contre une armée cent fois plus puissante. Avec un premier reportage en compagnie du journaliste australien Wilfrid Burchett, ils vécurent une guerre qui ne disait pas son nom et d’où ils rapportèrent un film largement diffusé en 1965 à « Cinq colonnes à la une ». A partir de 1966, ils décident et réussissent à envoyer, malgré l’atroce bombardement au Nord Viêt-Nam par les B-52, leurs articles et photos repris par l’ensemble de la presse internationale. Il faudrait citer les mille et une histoires que raconte Madeleine Riffaud de façon simple, directe, sans recherche de mots ni d’effets. Bien sur tous ces événements qui ont marqué sa vie, se retrouvent dans ces livres…« Dans les maquis Viêtcong » et dans « Au Nord Viêt-Nam – sous les bombes » livres vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Pour nous, il est particulièrement instructif et émouvant de l’entendre évoquer elle-même cela, le rappeler comme s’il était tout naturel d’avoir si souvent frôlé la mort. Mais comme elle le dit elle-même…

 

 

 

Pendant huit ans, j’ai vécu plein de choses incroyables, mais personne ne se prenait pour un héros.

 

 

VIETNAM DU NORD.

 

Lorsque Madeleine Riffaud pénètre, fin novembre 1964, au Sud Vietnam, il y a presque vingt années que le pays est en guerre (1945) et plus de cinq ans que le soulèvement armé contre la dictature de Saigon a commencé. Le conflit n’a pas encore pris la dimension internationale qu’il va connaître peu après. Les Américains sont certes là, mais ils ne sont que quelques milliers. La journaliste démontre implicitement que leur intervention massive est désormais inévitable. C’est ce moment précis qu’a choisi Madeleine Riffaud pour pénétrer, en compagnie de W. Burchett au Viêt-nam du Sud. Ils veulent faire connaître au monde l’héroïque mouvement de résistance et de libération. Pendant plusieurs années, elle est une des seules à partager totalement cette vie dangereuse. Dans ses écrits, elle évoque aussi la solidarité, l’ingéniosité et l’optimisme de cette population martyrisée. Elle a apporté dans le style qu’on lui connaît, son témoignage sur un moment capital, celui qui précède immédiatement l’avalanche, le déchaînement, le déluge de fer et de feu qui va s’abattre sur le Nord comme sur le Sud, faire des millions de victimes, y semer le deuil, la ruine et la désolation par l’intervention directe de l’armée américaine.

 

 

 

 

Hô Chi Min leur ordonne de se séparer...

Son Histoire d’Amour…Cette histoire est celle d’un amour impossible, qui pourtant dura cinquante ans. Un amour infini, broyé dans les tumultes politiques de la deuxième partie du vingtième siècle. C’est aussi le destin de deux amants sacrifiés, sans cesse se cherchant et sans cesse arrachés l’un à l’autre par le courant de l’Histoire. Madeleine Riffaud a vécu cette histoire d’amour avec avec Nguyen Dinh Thi le grand poète Vietnamien jusqu’à la mort de celui-ci en avril 2004. Ils se rencontrèrent pour la première fois en 1951 à Berlin Thi participait à un festival de la jeunesse et des sports. On était en pleine guerre froide et la France en pleine guerre d’Indochine. Ce genre de rencontre avait pour but de renforcer la paix et lutte contre le début de la guerre froide. Thi avait lu les poèmes de Madeleine publiés par Eluard. Ils admirent tous les deux le grand poète turc Nazim Hikmet. Le coup de foudre entre ses deux poètes est simultané. Tous les deux sont timides. Elle, n’est pas encore guérie des blessures et des tortures subit durant la guerre. Ils n’osent pas manifester leur amour. Elle le revoit à Moscou pour le congrès des écrivains du mouvement pour la paix. Là, protégés par Jorge Amado ils peuvent vivre leur passion. Ils se retrouvent à Hanoi pour vivre quelques semaines d’amour. Hô Chi Minh les marie à Hanoi quand commence la psychose de la guerre froide, la xénophobie gagne du terrain…

 

 

 

 

Elle rentre à Paris et se plonge dans le drame algérien…En 1954 il y a la conférence de Paris, pour la fin de la guerre d’Indochine. Là, retrouvailles avec Thi. Il découvre Paris, les nymphéas de Monet, le Louvre. Ils sont surveillés, et doivent se cacher. Pour les Vietnamiens du Nord on ne revient pas sur un sacrifice…ils ne doivent plus jamais vivre ensemble…ils peuvent se voir en public, mais pas plus. Thi en fera quand même un peu trop et finira par être rappelé à Hanoi. Thi devenait douteux dès qu’il avait une relation avec une Française. En 1965 ils se revoient en cachette à Hanoi sur un toit profitant du fait que la ville est bombardée et que personne ne les surveille. En 1973 la fin de la guerre du Vietnam, les accords sont signés à Paris. Ils se revoient régulièrement jusqu’à sa mort en 2004. Les poèmes d’amour de Thi dédiés à Madeleine sont célèbres au Vietnam et leur histoire est rentrée dans la légende comme ici, celle de Roméo et Juliette.

Texte de Jorge Amat

 

 

 

 

 

Les Mille vies de Madeleine Riffaud



Résistante à 18 ans, poétesse, reporter de guerre, militante anticolonialiste et pacifiste, amie d’Éluard, d’Aragon, de Picasso, de Vercors et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud a vécu mille vies et a survécu à toutes…Née le 23 août 1924 dans la Somme, elle est encore mineure quand elle s’engage dans la Résistance à Paris, en 1942, sous le nom de code Rainer, « ce nom d’homme, de poète et d’Allemand », en hommage à Rainer Maria Rilke, et participe à plusieurs coups de main contre l’occupant nazi. Responsable d’un triangle du Front national des étudiants du Quartier latin, elle entre dans les FTP en mars 1944. Elle obéit au mot d’ordre d’intensifier les actions armées en vue du soulèvement de Paris d’août 1944…Le 23 juillet 1944, en plein jour, elle abat de deux balles dans la tête un officier allemand sur le pont de Solférino.



Neuf balles dans mon chargeur / Pour venger tous mes frères / Ça fait mal de tuer / C’est la première fois / Sept balles dans mon chargeur / C’était si simple / L’homme qui tirait l’autre nuit / C’était moi. 



Prenant la fuite à vélo, elle est rattrapée et emmenée au siège de la Gestapo, où elle est torturée. Elle garde le silence et est condamnée à mort. Promise à la déportation à laquelle elle échappe, sauvée par une femme qui la fait sauter du train, elle est à nouveau arrêtée et bénéficie finalement d’un échange de prisonniers pour être libérée, le 19 août 1944. Elle reprend alors immédiatement son combat dans la Résistance où elle est affectée à la compagnie Saint-Just avec le grade d’aspirant lieutenant. Sa nouvelle mission, avec seulement trois résistants sous ses ordres, consiste à l’attaque du train arrivant aux Buttes-Chaumont (gare de Ménilmontant) qui aurait pu prendre à revers les résistants, engagés dans les batailles parisiennes. Lorsqu’ils arrivent sur place, le train est déjà là et ils prennent les caisses d’explosifs qui n’avaient pas encore été utilisées pour les combats de rue. Installés de part et d’autre de la voie, ils envoient l’ensemble d’un coup et lancent des fumigènes et des feux d’artifice dans le tunnel où le train se retranche. La garnison se rend et elle contribue donc à la capture de 80 soldats allemands et récupère des fusils et des munitions. Nous sommes le 23 août 1944, jour où Madeleine Riffaud fête tout juste ses 20 ans. Mais pour elle, pas de trêve, le 25 août, toujours à la tête de sa compagnie, elle mène l’assaut du tout dernier bastion allemand, la caserne de la place de la République.

 

 



Madeleine reçoit de l’État-major des FFI son brevet de lieutenant, mais son engagement s’arrête à la fin des combats pour la Libération de Paris, car l’armée régulière ne l’accepte pas comme femme et mineure. Ses camarades de la compagnie Saint-Just continueront la lutte contre les nazis au sein de la brigade Fabien jusqu’à la victoire finale. Madeleine reçoit alors une citation à l’ordre de l’armée signée De Gaulle. Devenue majeure en 1945, elle épouse cette année-là Pierre Daix, chef de cabinet du ministre Charles Tillon, dont elle se séparera en 1947 puis divorcera en 1953. Après 1945, elle travaille pour le quotidien communiste Ce Soir. Elle rencontre Hô Chi Minh, lors de sa visite officielle en France, en 1946, pour la conférence de Paix de Fontainebleau, avant de partir en reportage en Afrique du Sud et à Madagascar. Elle reçoit ensuite régulièrement jusqu’en 1949, chez elle, rue Truffaut, Tran Ngoc Danh, membre de la délégation vietnamienne, et rêve d’y partir en reportage, désapprouvée par son mari qui la trouve « gauchiste ». Elle se déclare fermement « ouvriériste », en couvrant les grèves des mineurs, écrit des textes sur l’Indochine en 1948 et milite contre l’emprisonnement de Trân Ngoc Danh, député de la République démocratique du Viêtnam. Elle passe à La Vie Ouvrière, organe de la CGT, avant les campagnes de l’Appel de Stockholm du 19 mars 1950. Cet hebdomadaire publie ses poèmes dès 1946, tout comme Les Lettres françaises, de 1945 à 1972. Très proche de Hô Chi Minh et du poète Nguyen Dinh Thi, qu’elle a rencontrés à Paris et à Berlin en 1945 puis 1951, elle couvre la guerre d’Indochine, épisode relaté dans Les Trois guerres de Madeleine Riffaud (film de Philippe Rostan, diffusé en 2010). Elle deviendra la compagne de Nguyen Dinh Thi, futur ministre de la Culture. Grand reporter pour le journal L’Humanité, elle couvre la guerre d’Algérie, au cours de laquelle elle est gravement blessée dans un attentat organisé par l’OAS. Aussitôt guérie, elle couvre la guerre du Viêt Nam pendant sept ans, dans les maquis du Viêt-Cong sous les bombardements américains. À son retour, elle se fait embaucher comme aide-soignante dans un hôpital parisien, expérience dont elle tire son best-seller, « Les Linges de la nuit ». Elle ne fera publiquement part de son engagement dans la Résistance qu’à partir de 1994, pour les 50 ans de la Libération, pour ne pas laisser tomber dans l’oubli ses « copains » morts dans les luttes qu’ils partagèrent.



Elle est titulaire de la Croix de guerre 1939-1945 avec palme (citation à l’ordre de l’armée), décernée pour ses activités de résistance contre l’occupation nazie (6 août 1945), chevalier de la Légion d’honneur (avril 2001) et officier de l’ordre national du Mérite (2008). Elle laisse une très riche œuvre publiée tant en poésies, contes qu’essais et de très nombreux reportages (Tunisie, Iran, maquis du Viêt-Cong et Nord-Viet Nam). Cette femme de caractère, dont la vie et l’action ont largement dépassé les limites de notre arrondissement, mérite que nos édiles se souviennent par un hommage public que Madeleine Riffaud y fit une des premières démonstrations de son courage et de sa détermination, à la Gare de Ménilmontant, un 23 août 1944, il y a 80 ans…



C’est ensuite, après la Libération, une nouvelle vie, le tourbillon un peu fou de la victoire, d’un début de célébrité…Je suis tombée dans la légalité comme on plonge les fesses dans un seau d’eau froide. Elle rencontre les dirigeants du PCF, fait la connaissance d’Éluard, de Picasso, d’Aragon, de Vercors, à qui elle voue depuis une grande admiration. Elle devient l’épouse de Pierre Daix, un autre héros de la Résistance, dont elle se séparera dès 1947. Madeleine dit...À cette époque, je ne savais que manipuler les armes.  Elle écrit des poèmes et magnifiquement. Son premier ouvrage, le Poing fermé, est préfacé par Paul Éluard. Simultanément, elle choisit la carrière journalistique. Elle entre à Ce soir, alors l’un des grands quotidiens progressistes français, dirigé par Aragon. Elle y croise une grande, grande dame, qui sera d’une influence déterminante sur le cours de sa vie…Andrée Viollis, naguère auteure de SOS Indochine (1935). Andrée Viollis lui présente alors Hô Chi Minh, en visite officielle en France pour tenter d’éviter le déclenchement de la guerre d’Indochine ce qu’il ne parviendra pas à faire. Madeleine a gardé un souvenir ému de cette première rencontre. L’oncle Hô lui dit… Ma fille, le journalisme est un métier. Apprends, apprends, puis ensuite viens me voir dans mon pays. Ce qu’elle fit dix ans plus tard. Entre-temps, de Ce soir, elle est passée à la Vie ouvrière, où elle participe, par la plume, aux campagnes de la CGT (appel de Stockholm, luttes contre la guerre d’Indochine, notamment lors de l’affaire Henri Martin). Elle trouve pourtant, toujours, le temps de poursuivre une carrière littéraire (le Courage d’aimer, recueil de poésies, les Baguettes de jade, récit romancé des rencontres faites avec la délégation vietnamienne, notamment du poète Nguyen Dinh Thi, lors du festival de Berlin, en 1951). La guerre « française » d’Indochine, justement, s’achève. Madeleine avait été de ceux qui, depuis le début, avaient soutenu l’indépendance du Vietnam, avaient prédit les impasses tragiques de la politique française. Diên Biên Phu leur donna raison. Madeleine est volontaire pour partir, toujours pour la VO, couvrir les tout premiers temps de l’existence du nouvel État indépendant vietnamien, installé à Hanoi. Mais aussi, pourquoi le masquer, pour retrouver Nguyen Dinh Thi. Elle passera là, sans doute, les plus belles années de sa vie, au milieu de ce peuple qui alors commence la reconstruction, croyant éviter une seconde guerre, contre les États-Unis cette fois. Sa proximité avec Hô Chi Minh est une chose connue de tous. Pour beaucoup, Madeleine est un peu « la fille française de l’oncle ». Épisode heureux, épisode trop court. « Ta place est en France, pour y éclairer ton peuple, pour y participer aux luttes », lui dit alors Hô. Grandeurs et douleurs de l’engagement…



Nous sommes alors en 1956. Depuis deux ans, une nouvelle épreuve vient de commencer. L’aveuglement colonialiste, qui n’a aucune limite, amène les dirigeants français à engager le pays dans une nouvelle guerre, en Algérie. C’est pour l’Humanité, cette fois, que Madeleine va reprendre le combat. Elle intègre l’équipe prestigieuse de la rubrique internationale, dirigée par Pierre Courtade, où elle se fera des amitiés définitives, les si regrettés Yves Moreau, Robert Lambotte, Jean-Émile Vidal, François Lescure…Madeleine va partager tous les combats de ce journal. De Paris, elle écrit des pages émouvantes (qui a pu oublier son « Adieu aux martyrs de Charonne » ? ses polémiques, elle, l’ancienne résistante, avec l’ex-collabo Papon devenu préfet de police ?). Mais ce diable de femme n’aime que le terrain. Avec l’accord de son journal, elle part, clandestinement, en Algérie, avec les dangers encourus que l’on imagine, en cette période où les « ultras » de l’Algérie française haïssent les journalistes de métropole et tout ce qui ressemble à la gauche. Alors, une journaliste communiste…Elle échappe d’ailleurs miraculeusement à un attentat de l’OAS mais est gravement blessée. La guerre d’Algérie se terminant comme la précédente, en Indochine, par l’accès à l’indépendance du peuple colonisé, Madeleine est de retour à Paris. Pas pour longtemps. Le cycle infernal des guerres menées par l’Occident contre la liberté des peuples ne cessant pas, c’est de nouveau sur le Vietnam que l’actualité braque ses projecteurs. Là, les États-Unis, prenant le relais de la France coloniale,c’est l’époque où le monde ne voit que le beau sourire de Kennedy, oubliant un peu vite l’impérialisme américain, ont décidé d’ériger une barrière « contre le communisme », en fait d’interdire au peuple vietnamien de s’unir et de choisir son destin. Madeleine, qui a évidemment gardé le Vietnam au cœur, y repart, toujours pour l’Humanité. Ce journal aura alors sur place un tandem d’exception avec Charles Fourniau, historien devenu un temps journaliste, pour les analyses de fond, les éclairages indispensables. Madeleine Riffaud, pour le vécu, la sensibilité. Madeleine l’intrépide est sur le terrain, parmi ses sœurs et ses frères vietnamiens, au sud, Dans les maquis viêt-cong (titre d’un ouvrage paru en 1965 reprenant ses reportages) ou Au Nord-Vietnam écrit sous les bombes (autre ouvrage, 1967). Ses reportages d’ailleurs dépassent largement le lectorat habituel de l’Huma. Ses textes sont traduits dans plusieurs langues, les micros se tendent vers elle à chaque nouvelle étape de la lutte du peuple vietnamien. Enfin, Madeleine ne sait pas seulement écrire : elle parle. Tous ceux (une génération entière !) qui sont venus l’écouter à la Mutualité raconter, toujours avec des détails choisis, significatifs, teintés souvent d’humour, le quotidien de la résistance du Vietnam, n’ont pu oublier la sensation de cette femme, apparemment frêle, à l’héroïsme (elle n’aime pas, mais pas du tout, le mot) tranquille, parlant simplement des dangers encourus.



Cette phase américaine de la guerre du Vietnam s’achève en 1975. Madeleine, à sa place, celle d’une journaliste-écrivain-témoin d’exception, y a contribué. Les « trois guerres de Madeleine Riffaud » s’achèvent. On pourrait plus précisément dire les « trois victoires partagées »… Madeleine continue ensuite ses combats humanistes de mille manières. L’une d’entre elles est de se couler incognito, durant plusieurs mois, dans la peau d’une aide-soignante, de connaître là encore de l’intérieur le travail, les luttes, les espoirs et parfois les désespoirs du personnel hospitalier. Au terme de cette expérience naîtra un livre choc, lu encore aujourd’hui, sur la vie quotidienne de ces autres héroïnes, les Linges de la nuit. Même si les années ont passé, elle est encore et toujours active. L’un des derniers témoins de la Libération de Paris, elle est très sollicitée, en ce 70e anniversaire de ce grand événement. Et le Vietnam, toujours, la taraude…On l’a vue, il y a quelque temps, sur le parvis des Droits-de-l’Homme, aux côtés d’Henri Martin, dénoncer les effets terribles de l’agent orange, aujourd’hui encore, sur les enfants de ce pays. Elle était présente, parlant debout, droite, une heure durant, lors de la soirée d’hommages qui fut rendue récemment au Centre culturel vietnamien, à elle-même, à Raymonde Dien, elle aussi présente, et à Henri Martin. Alors, oui, nous savons que nous allons nous faire houspiller. Mais nous prenons le risque de dire, avec tant d’autres…

 

 

« Bon anniversaire, Madeleine. »