Rupture de vie

Son père, Gerald Anspach, a fui l’Allemagne nazie avec sa famille et a rejoint les États-Unis3. À 18 ans, il s’est engagé dans l’Armée américaine et a fait le débarquement en Normandie, c’est ainsi qu’il devient Américain. L’armée lui propose alors deux ans d’études payées, il choisit les Beaux-Arts de Paris, et c’est là qu’il rencontre Högna Sigurðardóttir, venue depuis l’île de Vestmannaeyjar étudier l’architecture, qui sera la première femme architecte d’Islande. Ils ont deux filles : Sólveig, née en 1960, et Thorunn. Née en Islande, Sólveig Anspach étudie à Paris la psychologie. Et après trois tentatives, elle entre enfin à la FÉMIS en section réalisation, en 1990. Il s’agit de la première promotion après la transformation de l’IDHEC.

 

 

 

 

Les filles peuvent tout faire mais il faut être plus tenaces que les hommes.

 

Elle s’installe dans les années 1990 en Seine-Saint-Denis, à la limite entre Montreuil et Bagnolet, quartier qu’elle chérit particulièrement pour sa diversité. En 1994, alors qu’elle est enceinte pour la première fois, elle est atteinte d’un cancer du sein. Elle se bat contre la maladie, survit, donne naissance à une fille, Clara et réalise son premier long-métrage, qui raconte son histoire, Haut les cœurs !. En 2001, elle obtient le prix François-Chalais pour Made in the USA, un documentaire sur la peine de mort aux États-Unis, sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. D’après les Inrocks, elle fait pour ce documentaire « tragique et sombre » un vrai travail de cinéaste. Stormy Weather est dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes 2003. Dans ce film, Sólveig Anspach offre deux « rôles bouleversants » à Élodie Bouchez et Didda Jónsdóttir. C’est avec cette dernière le début d’une collaboration poursuivie dans Skrapp út (2007), Queen of Montreuil (2012) et L’Effet aquatique (2015). Trois films qui constituent sa « trilogie fauchée ». En 2008, elle tourne pour France 2 le téléfilm Louise Michel, avec Sylvie Testud dans le rôle-titre.

 

 

 

 

L’important, c’est la relation aux gens qu’on filme. Documentaire ou Fiction.

 

Avec Lulu femme nue, en 2013, Sólveig Anspach retrouve Karin Viard, actrice principale de son premier film Haut les cœurs ! et lui offre un « lâcher-prise émouvant ». Ces retrouvailles illustrent la fidélité des acteurs à la réalisatrice, comme ses quatre collaborations avec Didda Jónsdóttir ou celles avec Ingvar E. Sigurðsson (Stormy Weather, Skrapp út et L’effet aquatique), Julien Cottereau (Haut les cœurs ! et Skrapp út), Samir Guesmi (Queen of Montreuil et L’Effet aquatique) et Florence Loiret-Caille (Queen of Montreuil et L’Effet aquatique). En 2015, Sólveig Anspach tourne L’Effet aquatique entre l’Islande et Montreuil, dernier opus de sa « trilogie fauchée » (Back Soon, Queen of Montreuil et L’Effet aquatique) avec Samir Guesmi, Florence Loiret-Caille, Philippe Rebbot, Didda Jonsdottir, Esteban et tous ses acteurs fétiches. Quelques mois après le tournage, elle est hospitalisée. Elle meurt le 7 août 2015 à l’âge de 54 ans à Réauville, dans la Drôme, des suites d’une récidive de cancer, celui-là même qu’elle avait abordé dans son principal succès, le film autobiographique Haut les cœurs !. Elle obtient le César 2017 du meilleur scénario pour L’Effet aquatique à titre posthume. En 2018, le collège Sólveig Anspach est inauguré à Montreuil (où elle a vécu toute sa vie adulte), à quelques mètres de sa maison. En 2022, sort le film Les Jeunes amants, réalisé par Carine Tardieu, qui s’inspire d’un scénario que Sólveig Anspach n’avait pas eu le temps de tourner à cause de sa maladie.

 

En 2016, le prix Sólveig-Anspach est créé en Islande, pour récompenser les premières œuvres de courts-métrages de jeunes femmes de nationalité française, islandaise ou d’un pays francophone. En 2017, elle reçoit à titre posthume, le César du meilleur scénario original pour L’Effet aquatique. En juillet 2022, un Prix du public long-métrage Sólveig Anspach est créé aux Ciné-rencontres de Prades 2022 dans les Pyrénées-Orientales, récompensant un premier ou second long-métrage européen.

 

 

 

FUGUE EN EAUX TROUBLES   par Carole Milleliri

 

Après Betty, sexagénaire forte en gueule, mais plus fragile qu’il n’y paraît dans Elle s’en va, Lulu, mère dévouée et épouse soumise, entame une fugue heureuse à la reconquête d’elle-même. Avec cette héroïne en transit, Sólveig Anspach, comme Emmanuelle Bercot, met en scène un road movie introspectif pour explorer les variations d’une féminité bridée. Le projet est noble, mais Lulu, femme nue se perd un peu en route, ou plutôt n’en choisit jamais une, entre réalisme social et comédie burlesque.

 

Être une femme libérée…Quatorze ans après l’autobiographique Haut les cœurs, Sólveig Anspach met à nouveau en scène Karin Viard dans cette adaptation de la bande dessinée d’Etienne Davodeau. Après un entretien d’embauche désastreux, Lulu, quadragénaire depuis longtemps au chômage, rate son train et décide de rester à St Gilles-Croix-de-Vie pour une durée indéterminée. À cinquante kilomètres de chez elle à peine, cette femme casanière et timide est déjà ailleurs. Elle rencontre d’abord Charles, un homme à la bonhomie rassurante malgré son passé douteux, puis Marthe , vieille femme esseulée, et Virginie, jeune fille malmenée par une patronne aigrie. De ces rencontres, Lulu puisera sans surprise une force inédite pour reprendre sa vie en main…Ainsi Lulu femme nue fait la part belle à ses interprètes principaux, Karin Viard et Bouli Lanners. L’appropriation scénaristique, valorise surtout une trajectoire de femme en pleine reconstruction personnelle, pour arriver à une émancipation que les albums de Davodeau ne lui offraient pas. En ceci, la lecture d’Anspach est intéressante. Mais le passage de l’imagerie BD au texte audio-visuel demeure un chemin sinueux.

 

Tu sais, c’est pas si facile…Après une comédie douce-amère et décalée Queen of Montreuil, Sólveig Anspach cherche à faire un pas de plus vers la fantaisie avec ce nouveau portrait de femme égarée. Cependant, la cinéaste doit cette fois-ci trouver sa place par rapport à l’univers graphique d’Étienne Davodeau et ses partis pris ne sont pas clairs. L’adaptation souffre donc d’un côté bancal, qui la place parfois à la limite du ridicule dans une mise en scène à la sentimentalité maladroite. Le passage de la case à l’écran, du trait à l’être de chair et de sang, propulse les personnages dans un cadre plus réaliste, auxquels tous ne résistent pas. Dans un décor vendéen réduit à une plage terne battue par le vent et à quelques rues tristes, les protagonistes de Lulu femme nue oscillent entre le réalisme sensible et le stéréotype grotesque . Pourtant, Sólveig Anspach, riche de son bagage documentaire, sait aussi faire preuve d’une acuité sensible pour peindre la violence sourde de la solitude et la complexité des rapports humains : comme dans cet entretien humiliant où Lulu, étrange au monde du travail, répète toujours la même chose pour pallier un CV vide face à un recruteur condescendant, ou lors de l’aveu violent de Marthe, fatiguée d’être vieille. Mais, à ne pas choisir sur quelque pied danser, sa Lulu femme nue clopine…

 

 

 

 

QUAND LE DESTIN SE MELE DU SORT DES HOMMES IL NE CONNAIT NI PITIÉ NI JUSTICE

 

CHARLIE CHAPLIN

 

 

 

 

La première promotion Fémis, celle qui nous a vus tous naître au cinéma pleure aujourd’hui ta disparition. Tes grands yeux bleus, ton sourire perpétuel, tes curiosités et enthousiasmes multiples t’auront donné ce charme si particulier qui n’a eu de cesse d’être donné, tourné, vers les autres. D’abord timide, effacée à l’école, tu t’es révélée au fil de tes films, de ta vie, une femme de trempe, engagée, déterminée, combattante. La maladie a été une rude accompagnatrice mais tu lui as tenu tête, construit une vie magnifique envers et contre elle, par dessus son manteau de ténèbres. Tes beaux films en étaient la victoire manifeste et ils ont pris, au long cours, la route de tes origines, atypiques, pour toujours rejoindre le noir et l’incandescent de ton volcan islandais. Avec des tours, des détours, inattendus mais toujours chevillés à la nature humaine, ses folies et ses grandeurs, et ses injustices que tu as même voulu gommer, dégommer, à la force de tes documentaires. Solveig, les années ont passé, notre promotion, la première de la Fémis, aura laissé des uns aux autres un lien indéfectible, affectueux. Nous avons partagé notre jeunesse de cinéma, chacun a tracé sa route mais tu nous restes, tu nous manques, vibrante au cœur de notre promotion pour la première fois endeuillée, orpheline. Et ce sentiment si fort et cruel en mesure l’amour que l’on te portait et celui que tu nous as donné.