Reconnu comme le plus prolifique chanteur d’expression française, avec quarante albums réalisés, Léo Ferré s’est imposé par son lyrisme. Poète, musicien, auteur et compositeur il a su mélanger l’anarchie à l’amour, la sensibilité au réalisme de la vie et ainsi marquer les esprits des années 70 et 80 avec des chefs d’oeuvre comme « Avec le temps » ou encore « C’est extra ». Surnommé « chanteur de l’ Anarchie », Léo Ferré est parvenu à s’adapter à plusieurs styles musicaux et à réconcilier le lyrisme et l’argot.
Léo Ferré voit le jour à Monaco le 24 août 1916. Joseph, son père est employé au Casino. Marie, sa mère, d’origine italienne, est couturière. A cinq ans, Léo dirige déjà des orchestres imaginaires sur les remparts de sa ville natale. Il est vrai que son enfance est baignée de musique classique…Son père dispose de billets de faveur permettant à sa petite famille d’assister à tous les concerts donnés dans la Principauté. Il verra Maurice Ravel en personne diriger son Boléro et la Pavane pour une Infante défunte. A neuf ans, Léo est placé chez les frères du collège Saint-Charles de Bordighera, en Italie. Huit ans de « bagne », au cours desquels il fourbira ses premières armes de sa révolte permanente. Son père voyant d’un très mauvais œil sa vocation pour la musique, le jeune homme est fermement invité à poursuivre des études « convenables ». Bachot en poche, il étudie la philosophie puis le Droit à Paris où il s’installe en 1935. Diplômé de la section administrative de Sciences-Po quatre ans plus tard, il est appelé sous les drapeaux et fera la « Drôle de guerre » à la tête d’une section de tirailleurs algériens. Démobilisé en 1940, il regagne Monaco et, plus tard, entre à Radio Monte-Carlo où il officie en tant que speaker, régisseur, bruiteur et pianiste…De cette époque, datent ses premières chansons, cosignées avec l’auteur René Baër…La chambre, La chanson du scaphandrier.
Encouragé par Edith Piaf, il débute à Paris, en novembre 1946, au Boeuf sur le toit, partageant l’affiche avec les Frères Jacques et le duo Roche et Aznavour. D’autres cabarets lui ouvriront leurs portes, Les Assassins, les Trois Mailletz, le Caveau de la Huchette, le Quod Libet de Francis Claude avec lequel il écrit La vie d’artiste et l’île Saint-Louis. Autre rencontre importante de ce temps-là avec Jean-Roger Caussimon, point de départ d’une longue et fructueuse collaboration…Comme à Ostende, Monsieur William, Le temps du tango…Dès 1947, Léo Ferré se produit dans les galas de la Fédération anarchiste. En 1948, Edith Piaf enregistre Les amants de Paris (Léo Ferré – Eddy Marnay). D’autres interprètes, et non des moindres, inscriront bientôt Ferré à leur répertoire dont Yves Montand Le flamenco de Paris ou Henri Salvador Saint-Germain-des-Prés. Sans oublier Catherine Sauvage, qui fera de Paris Canaille et de L’homme, deux des grands succès de l’année 53, ni Juliette Gréco qui popularisera Jolie môme.
En 1950, Léo rencontre Madeleine, qui deviendra sa femme. Passionnée de théâtre, de chanson et de poésie, elle saura le conseiller utilement pour la suite de sa carrière. C’est au Chant du Monde, l’année suivante, qu’il grave ses premiers 78-tours. Quelques titres…L’île Saint-Louis, Le bateau espagnol, Le piano du pauvre...connaîtront un petit destin radiophonique. Cette même année 1950, Ferré écrit un opéra, La vie d’artiste, dont ne voudront ni la Scala de Milan ni la Radio française…Il lui faudra attendre 1954 pour faire une première incursion publique dans le registre de la « musique sérieuse », en dirigeant lui-même sa Symphonie interrompue et son oratorio sur La chanson du mal-aimé à l’opéra de Monte-Carlo. En 1953, Léo Ferré signe chez Odéon. Bon nombre de titres de cette période font aujourd’hui figure de classiques comme Monsieur William, Le pont Mirabeau, Le piano du pauvre, Monsieur mon passé…Autant de succès qui lui valent d’être programmé à l’Olympia, en vedette, du 10 au 29 mars 1955. En 1957, paraît un album consacré à Baudelaire. Léo Ferré y chante douze poèmes tirés des Fleurs du mal. De nombreux autres hommages fraternels seront rendus aux poètes comme Rutebeuf, Villon, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, Aragon, font partie intégrante de la discographie de Ferré. C’est avec la bénédiction de l’auteur qu’il enregistre Les chansons d’Aragon, chez Barclay, en 1961. Les deux hommes deviendront amis et se verront régulièrement jusqu’à la mort d’Elsa Triolet. Porté par d’autres belles réussites Paname, Les poètes, Jolie môme…le succès de Léo Ferré va grandissant. Il triomphe au Théâtre du Vieux Colombier, à l’Alhambra, à l’ABC…En 1962, il est le premier auteur-compositeur à être édité chez Seghers, dans la collection Poètes d’aujourd’hui.
L’acquisition de Perdrigal, une propriété, dans le Lot, en 1963, l’amène à raréfier ses apparitions en scène. Il monte pour la deuxième fois sur celle de Bobino en 1965. A l’instar de Brassens, il restera très fidèle à cette salle légendaire de la rue de la Gaieté, tout comme il le sera au TLP Déjazet à partir de 1986. Depuis quelques temps, le couple Madeleine-Léo connaît de violents soubresauts. La rupture se consomme dans le drame, en mars 1968. En l’absence de Léo, Madeleine fait abattre tous les animaux de Perdrigal, dont la fameuse Pépée, guenon à laquelle le chanteur était attaché comme à une enfant. Dans la période d’errances qui fait suite à la tragédie, Ferré ne verra que d’assez loin les événements de mai 68. A la fin de l’année, lors d’une tournée en banlieue parisienne, une constatation s’impose, son public a considérablement rajeuni. Un nouvel album sort début 69, il recèle La nuit, Pépée, Les Anarchistes…Et C’est extra, l’un de ses plus grands succès populaires.
Vivre en Toscane auprès de Marie
Elle lui donnera trois enfants…Mathieu, Marie-Cécile et Manuella.
Au début des années soixante-dix, Léo Ferré tourne et enregistre avec Zoo, groupe pop français. Parmi les titres du double album « Amour Anarchie », Le chien n’est pas à proprement parler une chanson, mais un texte dit sur un accompagnement musical. Dès lors, Ferré aura souvent recours au dynamitage des contraintes du genre, comme dans Il n’y a plus rien ou Et basta ! où la chanson cède nettement le pas à la psalmodie. D’ailleurs, Léo Ferré n’entend nullement être réduit à la fonction de « chanteur de variétés ». En février 1975, le voici à la tête d’un grand orchestre pour une série de concerts donnés en Suisse puis en Belgique. Au programme quelques unes de ses propres chansons qu’il interprète tout en dirigeant l’orchestre, ainsi que La chanson du Mal-aimé, Coriolan de Beethoven et le Concerto pour la main gauche de Ravel. L’essai sera transformé haut la main à Paris, au Palais des Congrès, puisque la salle de 3700 places ne désemplit pas lors des vingt-cinq représentations consécutives. D’autres occasions lui seront fournies de diriger des orchestres symphoniques, notamment aux Francofolies de La Rochelle, en juillet 1987, lors de la Fête à Ferré. Pas moins de dix albums studio paraîtront entre 1976 et 1991, sous les labels CBS, RCA, puis EPM. Marathonien de la scène, il donnera, ces années-là, jusqu’à 150 récitals par an, souvent en dehors de l’hexagone. Malade, il doit renoncer à sa rentrée parisienne au Grand Rex, en octobre 1992.
Léo Ferré meurt le 14 juillet 1993, dans la paix de sa campagne toscane, entouré de Marie et de ses trois « lionceaux ». On reconnaît à Léo Ferré une place importante parmi les compositeurs-interprètes d’expression française. Il a exercé son talent dans différents genres…L’opéra, l’oratorio, le ballet et la musique instrumentale. Il a été aussi orchestrateur et parfois chef d’orchestre de ses propres compositions. Il a eu également le mérite d’avoir popularisé les grands poètes de France. Interprète sensible et intense des poèmes d’Apollinaire, Rutebeuf, Baudelaire, Aragon, Verlaine, Rimbaud, Cesare Pavese, Villon, Jean-Roger Caussimon, Pierre Seghers il s’est avéré lui-même un grand poète du XXe siècle.
AVEC LE TEMPS…
La chanson du poète malheureux Léo Ferré « avec le temps » a été dévoilée au grand public en 1971. Il s’agit de la chanson la plus connue du chanteur français, elle a été reprise par plusieurs artistes de toutes les générations. Léo Ferré avait écrit cette chanson dans une période assez sombre et lugubre de sa vie. Il vivait une désillusion, et une énorme tristesse qu’il a concrétisée à travers la chanson « Avec le temps ». En effet, deux années avant la sortie de la chanson, Léo Ferré s’est séparé de son ex-femme Madeleine après plusieurs conflits dans le couple. Quand Madeleine s’est rendu compte que Léo fréquente une autre femme appelée Marie-Christine, elle a ordonné un homme de tuer tous les animaux de Léo Ferré qui vivait avec lui dans une propriété dans le lot. Léo Ferré affectionnait énormément ses animaux, plus particulièrement sa guenon Pépée à laquelle il dédie toute une chanson pour lui rendre hommage. L’événement a anéanti l’artiste, il déclare qu’il ne lui pardonne jamais à sa femme pour son acte barbare. Léo Ferré a perdu sa femme, mais aussi ses animaux qu’il aimait tant d’une manière rude et brutale.
La mélancolique l’inondait, et il ne croyait plus au côté jovial de la vie. Cette tristesse est d’emblée démontrée dans la chanson « Avec le temps ». Les paroles de la chanson évoquent la fuite du temps. Le temps est vu comme un ennemi qui emporte tout avec lui : l’amour, la joie et les beaux souvenirs. C’est une image pessimiste du temps à la Baudelaire. En effet, l’artiste a perdu, avec le temps, son amour et ses compagnons. Léo Ferré évoque également sa triste vérité qui stipule que tout est éphémère, même les sentiments les plus platoniques et nobles ne durent pas. Il voit l’Homme comme un simple passager qui va disparaître comme s’il n’avait jamais existé. Il est à noter que Léo Ferré était un anarchiste. La chanson détient des passages qui réfutent le mariage, et se révoltent sur cette liaison institutionnelle qui est vide de sens pour l’artiste. Léo Ferré se révolte contre le temps qui a tout emporté, au même temps, il se résigne, car il se trouve très vulnérable face à cet élément destructeur.
Lire ICI une version très différente de cette période heureuse et douloureuse…
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage, et l’on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus
C’est pas la peine d’aller chercher plus loin
Faut laisser faire, et c’est très bien
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
L’autre qu’on devinait au détour d’un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
Avec le temps, tout s’évanouit
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
Même les plus chouettes souvenirs, ça, t’as une de ces gueules
À la galerie, j’farfouille dans les rayons d’la mort
Le samedi soir quand la tendresse s’en va toute seule
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
L’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien
L’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi, l’on s’traînait comme traînent les chiens
Avec le temps, va, tout va bien
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l’on se sent tout seul peut-être, mais peinard
Et l’on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment
Avec le temps on n’aime plus…
C’EST EXTRA
Avril 1969 / Paroles et musique Léo Ferré
Enregistrement de décembre 1968 à janvier 1969 aux Studios Barclay, à Paris.
Léo Ferré a l’idée de ce titre érotique alors qu’il est en voiture, entre deux concerts, en écoutant Nights in White Satin des Moody Blues (1967) sur son autoradio. Il fait d’ailleurs référence à cette chanson dans la première et dans la quatrième (et dernière) strophe. Léo Ferré a écrit cette chanson en Ardèche, d’un trait, après la rupture avec sa femme Madeleine, inspiré vraisemblablement par sa maîtresse. “C’est extra” est issu d’une expression de langage parlé de sa petite-nièce. Un soir, il débarque dans le 1ème arrondissement de Paris chez le chef d’orchestre Jean-Michel Defaye et lui fait écouter son idée de chanson. Jean-Michel Defaye ne connaît pas du tout les Moody Blues. Il descend chez son voisin du cinquième étage pour se faire prêter des disques du groupe anglais. Eddie Barclay ne croit pas au succès de cette chanson. Aussi, il fait paraître un premier pressage du 45 tours sur lequel cette chanson est en face B. Matraquée par les radios, elle devient vite un succès durant l’été 1969. C’est extra passe en face A lors des pressages suivants.
Une robe de cuir comme un fuseau
Qu’aurait du chien sans l’faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais
C’est extra
Un moody blues qui chante la nuit
Comme un satin de blanc d’marié
Et dans le port de cette nuit
Une fille qui tangue et vient mouiller
C’est extra
C’est extra
C’est extra
C’est extra
Des cheveux qui tombent comme le soir
Et d’la musique en bas des reins
Ce jazz qui d’jazze dans le noir
Et ce mal qui nous fait du bien
C’est extra
Ces mains qui jouent de l’arc-en-ciel
Sur la guitare de la vie
Et puis ces cris qui montent au ciel
Comme une cigarette qui brille
C’est extra
C’est extra
C’est extra
C’est extra
Ces bas qui tiennent hauts perchés
Comme les cordes d’un violon
Et cette chair que vient troubler
L’archet qui coule ma chanson
C’est extra
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu’on attend plus
C’est extra
C’est extra
C’est extra
C’est extra
Une robe de cuir comme un oubli
Qu’aurait du chien sans l’faire exprès
Et dedans comme un matin gris
Une fille qui tangue et qui se tait
C’est extra
Les moody blues qui s’en balancent
Cet ampli qui n’veut plus rien dire
Et dans la musique du silence
Une fille qui tangue et vient mourir
C’est extra
C’est extra
C’est extra
C’est extra