Le 6 août 1945 à 2h45 (heure locale), le bombardier B-29 piloté par Paul Tibbets, baptisé Enola Gay du nom de sa mère, décolle de la base de Tinian, avec à son bord une bombe atomique à l’uranium 235 d’une puissance de 15 kilotonnes, surnommée Little Boy. L’équipage est composé de douze hommes, dont quatre scientifiques. Deux autres B-29 l’escortent, emportant les instruments scientifiques destinés à l’analyse de l’explosion.
À 7h09, l’alarme aérienne est déclenchée à Hiroshima, un avion isolé est repéré. Il s’agit du B-29 d’observation météorologique Straight Flush. Au même moment, deux autres appareils survolent Kokura et Nagasaki pour une mission de reconnaissance identique. Les conditions météorologiques sont très bonnes au-dessus d’Hiroshima alors la ville est choisie comme cible. Au sol, l’alerte aérienne est levée à 7h30. La ville a été peu bombardée pendant la guerre et les habitants ont l’habitude de voir les bombardiers américains survoler leur ville pour se rendre plus au nord. Selon le musée national de la ville d’Hiroshima, la ville aurait été sciemment épargnée par les Américains lors des bombardements conventionnels pour éviter tout dommage préalable, afin de mieux évaluer les effets de la bombe atomique. La bombe, portant des quolibets signés à l’adresse des Japonais, est armée en vol et larguée à 8h15, à près de 9 000 mètres au-dessus de la ville. À 8h16, après 43 secondes de chute libre, la bombe explose à 587 mètres du sol, à la verticale de l’hôpital Shima, situé au cœur de l’agglomération, à moins de 300 mètres au sud-est du pont Aioi, initialement visé car reconnaissable par son plan en « T »…
L’explosion, équivalant à celle de 15 000 tonnes de TNT, rase instantanément la ville. Sur les 90 000 bâtiments de la ville, 62 000 sont totalement détruits. Plus aucune trace des habitants situés à moins de 500 mètres du lieu de l’explosion…
Dans les secondes qui suivent l’explosion, 75 000 personnes sont tuées. Dans les semaines qui suivent, 50 000 personnes meurent, soit environ 125 000 victimes en trois mois. Le décompte du nombre total reste imprécis, il est autour de 250 000 morts…
Les aviateurs voient pendant 500 kilomètres le champignon qui, en deux minutes, a atteint 10 000 mètres d’altitude. L’Enola Gay atterrit six heures plus tard, son équipage est aussitôt décoré…
Depuis l’aube de la conscience jusqu’au milieu de notre siècle, l’homme a dû vivre avec la perspective de sa mort en tant qu’individu…Depuis Hiroshima, l’humanité doit vivre avec la perspective de son extinction en tant qu’espèce biologique…Arthur Koestler
La ville de Hiroshima fut entièrement reconstruite après la guerre. À l’initiative de son maire, Shinzō Hamai, elle fut proclamée « Cité de la Paix » par le parlement japonais en 1949. En guise de témoignage, les ruines du dôme de Genbaku, l’un des rares bâtiments à ne pas avoir été entièrement détruits par l’explosion, furent conservées. La reconstruction de la ville intègre un musée de la Paix, dont les bâtiments ont été conçus par l’architecte Kenzō Tange. Un vaste parc, le parc du Mémorial de la Paix, s’étend sur 12 hectares, à proximité de l’hypocentre de l’explosion, dans lequel chaque année, le 6 août, une cérémonie commémorative est organisée. Ce parc abrite de nombreux monuments à la mémoire des victimes de la bombe. Le cénotaphe contient le nom de toutes les victimes connues de la bombe…Une flamme de la paix y brûle, destinée à rester allumée tant que des armes nucléaires existeront.
Le 6 août 2015, le Japon a commémoré la tragédie d’Hiroshima survenue 70 ans plus tôt. C’est désormais une ville de 1,2 million d’habitants devenue le symbole du pacifisme. À 8h15 exactement, heure à laquelle en 1945, à la même date, un bombardier américain avait largué une bombe atomique sur la ville, un enfant et une jeune femme ont frappé une grande cloche devant une foule de 55 000 personnes recueillies dans le parc du Mémorial de la paix afin de commémorer ce tragique évènement. Les représentants d’une centaine de pays étaient présents, notamment Caroline Kennedy, l’ambassadrice des États-Unis au Japon et Rose Gottemoeller, la sous-secrétaire américaine chargée du contrôle des armements. Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, a prononcé à cette occasion un plaidoyer contre l’arme nucléaire…En tant que seul pays frappé par l’arme atomique, nous avons pour mission de créer un monde sans arme nucléaire. Nous avons la responsabilité de faire comprendre l’inhumanité des armes nucléaires, à travers les générations et les frontières. Le maire d’Hiroshima, Kazumi Matsui, a demandé quant à lui de supprimer les armes nucléaires, « le mal absolu », et de créer des systèmes de sécurité qui ne soient pas dépendants de la puissance militaire. Il s’est adressé directement « aux leaders du monde », et leur a demandé « de venir dans les villes qui ont été bombardées, d’écouter les histoires des hibakusha et de connaître la réalité d’un bombardement nucléaire ». En mai 2016, 71 ans après l’explosion de la bombe atomique, le président des États-Unis Barack Obama se rend à Hiroshima pour rendre hommage aux victimes, en marge d’une réunion du G7 qui se tenait au Japon. C’est le premier président américain en exercice à se rendre au parc de la Paix. Cette visite crée la polémique aux États-Unis, notamment parmi les vétérans de la Seconde Guerre mondiale qui s’étaient battus contre l’armée japonaise et ne souhaitaient pas que ce déplacement puisse être perçu comme des excuses américaines.
Albert Camus sur Hiroshima.
L’éditorial du journal Combat du 8 août 1945
On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase…La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
Il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner. Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable. Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence. Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique. Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.
Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.
Albert Camus